Mon avis : À l’autre bout de la mer – Giulio Cavalli
Traduit de l’italien par Lise Caillat
Les Éditions de L’Observatoire
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Quatrième de couverture :
Giovanni Ventimiglia est pêcheur. Il vend son poisson au marché de DF, une petite ville italienne accrochée à la côte comme beaucoup d'autres, avec un curé qui sermonne et qui va au bordel, une chaîne d'actualité locale qui enflamme le cœur des ménagères avec son présentateur grisonnant et son afflux de touristes estival. Mais un matin de mars, en accostant au port, Giovanni découvre un cadavre, celui d'un jeune homme venu d'ailleurs.
Après lui, les découvertes se succèdent sans que les autorités locales ne parviennent à trouver un fil conducteur, une raison logique à ces vagues mortifères. Désemparée, la petite ville appelle à l'aide, et finira par mettre au point une bien étrange stratégie pour venir à bout de ces vagues macabres… mais s'en relèvera-t-elle indemne ?
Giulio Cavalli réinvente le genre de la dystopie dans ce roman aussi noir que fascinant, véritable miroir tendu vers l'humanité et ce qu'elle a de plus dérangeant.
Mon avis :
DF, petite ville du bord de mer, voit les cadavres venir s'échouer les uns après les autres sur la grève, comme des méduses. de bien étranges cadavres à vrai dire.
Pendant la messe, le prêtre pointe de son courroux les responsables qui selon lui ne font rien pour protéger les braves concitoyens. C'en est trop pour le maire Peppe Ruffini, ainsi que pour le commissaire Magnani.
Les descriptions sont nauséeuses à souhait avec des détails qui rappellent des pages sombres de l'histoire ou encore les dix plaies d'Égypte quand sont évoquées les nuées de mouches. Des tonnes de cadavres gélatineux, qui se ressemblent tous avec leurs yeux vides de poissons. Mais d'où viennent-ils ?
Contre toute attente il faut prendre des mesures pour protéger les vivants de ces miasmes.
Frediano Cattori, le journaliste de la télé locale, en bon charognard voit déjà le scoop de sa carrière.
Le maire va prendre des mesures drastiques contre ce fléau, observé par le monde, jugé, mais jamais aidé.
Étrange écriture où parfois les dialogues sont insérées dans des phrases extrêmement longues et où les protagonistes se répondent sans retour à la ligne ni tiret, juste des virgules. J'ai beaucoup de mal avec les phrases interminables. J'ai à chaque fois l'impression de faire un marathon en apnée, ça m'épuise. C'est comme si un enfant de cinq ans m'assénait sa logorrhée sans savoir où il va ni d'où il est parti. Alors oui, je me demande ce qui motive cette façon de faire, qui n'a que le résultat de me perdre en cours de route, dans le fil de chaque phrase démesurée. Ou alors c'est pour donner un effet vague scélérate et ça marche car on se prend tout de plein fouet… entre deux égarements.
Contrairement à la première partie "Les morts", j'ai préféré la seconde partie de l'histoire "Les vivants", en forme de roman choral, qui donne la parole à différents habitant de DF qui nous parlent de la résolution du problème. Néanmoins il faut parfois avoir le cœur bien accroché pour ne pas régurgiter son café du matin.
Ce roman semble être une parabole, mais de quoi ? de nos sociétés qui ferment les yeux sur le malheur des autres ? Je ne suis sûre de rien… Mais j'y ai vu un certain cynisme car pendant qu'une partie du monde s'écroule certains regardent sans bouger, et beaucoup demeurent dans leurs petites mesquineries. Et puis certains faits mettent l'accent sur une certaine immortalité, nos incongruités et nos incohérences et j'ai trouvé ça assez jubilatoire.
Je pense que les romans comme celui-ci, qui mènent à une réflexion, sont multiples car chaque lecteur y comprend une signification qui lui est propre et que de fait, il n'y a pas une révélation mais une multitude d'interprétations.
À la fin je me suis dit que cette histoire dénonçait beaucoup de choses, qu'on pourrait englober sous un seul terme : hypocrisie. L'auteur se moque de tous ceux qui trouvent une justification à l'indéfendable.
Mais vraiment la toute fin, la troisième partie, je ne l'ai pas comprise.
Citations :
Page 50 : Morts. Un tapis de corps amassés comme des sacs, des dizaines, peut-être une centaine de corps chevauchés pas la mer qui hachurait le rivage, les visages des uns sur le torse des autres, un pied qui dépassait sans qu’on puisse deviner le reste, enlacés telles des couleuvres, étalés sans os, en filets, avec des tee-shirts et des pantalons légers rongés par l’eau et raidis par le soleil, des cadavres de personnes, des hommes, jeunes et identiquement musclés comme s’ils avaient été élevés en batterie, puis, jugés matures, livrés par la mer.
Page 74 : Vingt-quatre mille sept cent douze cadavres compta l’armée nationale atterrie à DF en fin de journée, le pas déjà fatigué à l’idée d’être confrontée à la mort sans l’adrénaline du meurtre.
Page 141 : J’en ai gagné des prix avec mes restaurants. J’en ai eu des satisfactions. La première fois que j’ai ramené mon cul dans une cuisine à DF, la frisella – du pain sec et de la tomate – était considéré comme un plat gastronomique, des fèves on buvait même le bouillon et il suffisait que le poisson soit mort pour être mis sur la table. Une ville de primitifs, vraiment. J’aime ma ville, que ce soit clair, je suis resté ici alors que mes camarades de classe fanfaronnaient en m’envoyant des cartes postales de Rome, de Milan, de Palerme, l’un d’eux a même fini à Londres. Bande d’idiots. Depuis six mois maintenant ils frappent à la porte, les salauds, pour profiter de DF. Trop facile. Ruffini a très bien fait de bloquer les entrées : nettoyer ses chiottes pour y faire chier les autres c’est se manquer de respect et, si à présent la ville est devenue pour beaucoup un mirage, c’est à nous d’en profiter. Bordel. Autrement dix citoyens sur dix n’auraient pas voté oui au référendum du mois dernier pour refuser les demandes de domicile et de résidence.
Page 157 : Ottavio Prazio, je le connais bien. Ces dernières années il nous est arrivé de déjeuner ensemble au port, Prazio est un nostalgique, quelqu’un qui célèbre le fascisme plus pour le folklore que par conviction, un brave type, il a une grande gueule mais il ne tordrait pas la patte d’une mouche, gentil avec tout le monde, il offre toujours à boire, distribue des caresses aux gamins, rejette les poissons à la mer, il a payé la communion de ses petits-enfants, on l’appelle le duce mais c’est un surnom comme le pêcheur, le grand-père ou le gros.
Page 186 : Au début de cette tragédie, quand ceux-là ont commencé à arriver, personne n’a voulu nous donner un coup de main. Personne. Écrivez-le en majuscules : l’État à qui nous avons versé des milliards de taxes pendant des années nous a abandonnés à notre triste sort et, quand nous avons décidé de nous débrouiller seuls, il a réagi comme une femme trompée. Ça vous semble normal ?