Mon avis : Borgo Sud – Donetella Di Pietrantonio
Traduit de l’italien par Laura Brignon
Éditions Albin Michel
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Quatrième de couverture :
Adriana est comme un torrent, elle surgit toujours dans la vie de sa sœur avec la puissance d'une révélation, attisant la nuit des souvenirs. Elles ont été des enfants rebelles et complices, unies par le manque d'amour d'une mère aujourd'hui sur le déclin. Elles sont désormais des femmes, éloignées l'une de l'autre, lourdes d'un héritage de non-dits. Et pour qui ignore le langage de l'affection, il est difficile d'ouvrir son cœur.
C'est à Borgo Sud, le quartier des pêcheurs de Pescara, ville des Abruzzes où les hommes forment une seule et même famille autour de la mer, que les deux sœurs parviendront peut-être à réparer le passé.
Après La Revenue, couronné par le prestigieux prix Campiello, la grande romancière italienne Donatella Di Pietrantonio poursuit une œuvre subtile et profonde sur le temps et le mystère des sentiments.
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Mon avis :
Adriana et sa soeur, la narratrice dont on ne connaît toujours pas le prénom, sont devenues adultes.
Dès les premières pages la beauté de l'écriture m'a envoûtée. Il y a tant de poésie dans ces lignes !
Quand l'histoire commence, la narratrice, devenue enseignante, est mariée avec Piero. Adriana est restée la petite sauvageonne brute de décoffrage de son enfance sans tendresse. Elle vit à Borgo Sud, le quartier des pêcheurs de Pescara. C'est une tornade, un tsunami, qui assouvit ses rêves de liberté en traînant avec des gens malsains sans jamais faire de faux pas elle-même "Adriana est ainsi faite, elle se plonge dans la fange et en ressort immaculée."
Au fond, on découvre à travers la narratrice et sa soeur les dommages des blessures de l'enfance. Nous avons tous des douleurs et des plaies pas refermées, car aucune vie n'est parfaite. Mais il y a ceux qui les subissent et ceux qui les surmontent. Et toujours on fait ce qu'on peut.
Cette fois-ci l'autrice fait des allers-retours entre passé et présent assez brutalement et ça m'a souvent perdue. Pourtant j'ai encore une fois aimé sa vision des choses, des vies différentes, rangées ou agitées, et puis cet immense amour sororal fait de silences, de colères, de rires et de complicités. Puis je me suis souvenue, après toutes ses digressions, qu'au début un évènement grave s'était produit sans qu'on en connaisse la teneur. L'autrice va nous y amener tout doucement au fil des pérégrinations de sa vie où tant de manques l'ont blessée et où cette famille, découverte à ses treize ans, est vraiment devenue sa famille.
Ce récit est rempli d'odeurs, celles de la pêche, de la mer, du poisson et des calamars qu'on fait frire, de l'ail, des herbes, de la cuisine italienne. C'est tellement immersif !
À moi, ce roman dit que l'amour, quel qu'il soit, est un puissant moteur, que l'enfant qu'on a été survit en nous pour toujours, que la vie est remplie de petites tragédies mais que ça vaut la peine d'essayer et surtout qu'il faut conjurer le mauvais sort qui trop souvent n'est que dans la tête et pousse chacun à être son pire ennemi, et que rien n'est gravé dans le marbre.
J'ai énormément aimé cette suite de Celle qui est revenue, bien que pour moi un peu en dessous, mais à peine.
Citations :
Page 21 : « T’as intérêt de bûcher sinon t’auras affaire à moi », le menace parfois sa mère, mais c’est inutile.
Adriana a su élever un garçon différent de notre frère, différent d’elle aussi, d’ailleurs.
Page 72 : J’affichais une normalité feinte. Je suis tombée amoureuse de Piero à l’âge de vingt-cinq ans, pas si jeune, mais j’en savais si peu sur mon compte. Certains dimanches d’hiver, lui et moi n’avions même pas envie de nous lever du canapé pour sortir nous promener en ville. Nos solitudes accolées nous réchauffaient jusqu’aux os.
Page 120 : Je n’étais pas si loin de chez moi, pourtant tout était différent, c’était un monde à part. Chez moi, j’avais laissé un petit recueil ouvert sur des poèmes que j’aimais, un séminaire à préparer, un ordre bien établi ; ici, où Adriana m’avait emmenée, la vie paraissait plus vraie, scandaleuse et palpitante. Elle m’attirait et m’effrayait à la fois.
Page 151 : Avec ma sœur, j’ai partagé un héritage de non-dits, de gestes éludés, de soins refusés. Et d’attentions rares et imprévisibles. Nous n’avons été les filles d’aucune mère. Nous sommes encore, comme toujours, deux fugueuses.
Page 153 : Ma mère racontée par les autres n’était pas celle que je connaissais.
Page 195 : Ma sœur est téméraire, elle n’a aucune mesure, elle ne fait qu’un avec le monde.
Page 208 : Elle m’a montré un cercle gravé dans le sol, le symbole du Borgo, de la communauté des gens de mer.
Rester dans le cercle c’est la force, la vie, son sens. En sortir c’est se perdre, se mélanger, aller à l’affrontement dans d’autres quartiers. Ça ne vaut pas la peine, le danger est déjà dans la mer, tous les jours.
Page 228 : À l’époque déjà, j’aimais écouter mes étudiants à la fin des cours, pendant qu’ils se préparaient à quitter la salle. J’interceptais leurs espoirs, leur élan vers l’avenir. Ils avaient hâte d’obtenir leur diplôme, de remporter des concours, d’être heureux. J’aurais voulu leur dire minute, le véritable cours commence maintenant. Vous vous faites des illusions. À cause d’un accident, d’une maladie, d’un séisme, vos rêves seront brisés. Vous vous perdrez.
Je restais silencieuse, enfilais lentement ma veste, prise de tendresse, ils étaient si jeunes, ils ne méritaient pas la vérité. Qui étais-je pour la leur dire ? Peut-être que le sort les épargnerait.