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histoire de femmes

Mon avis : Zouleikha ouvre les yeux – Gouzel Iakhina

Publié le par Fanfan Do

Traduit du russe par Maud Mabillard

 

Éditions Noir sur Blanc

 

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Quatrième de couverture :

« Yeux verts, c’est ainsi que l’appelait son père, quand elle était petite. Il y a longtemps. Zouleikha avait oublié de quelle couleur sont ses yeux. »

 

Nous sommes au Tatarstan, au cœur de la Russie, dans les années 30. A quinze ans, Zouleikha a été mariée à un homme bien plus âgé qu'elle. Ils ont eu quatre filles mais toutes sont mortes en bas âge. Pour son mari et sa belle-mère presque centenaire, très autoritaire, Zouleikha n'est bonne qu'à travailler. Un nouveau malheur arrive : pendant la dékoulakisation menée par Staline, le mari se fait assassiner et sa famille est expropriée. Zouleikha est déportée en Sibérie, qu'elle atteindra après un voyage en train de plusieurs mois. En chemin, elle découvre qu'elle est enceinte. Avec ses compagnons d'exil, paysans et intellectuels, chrétiens, musulmans ou athées, elle participe à l'établissement d'une colonie sur la rivière Angara, loin de toute civilisation : c'est là qu'elle donnera naissance à son fils et trouvera l'amour. Mais son éducation et ses valeurs musulmanes l'empêcheront longtemps de reconnaître cet amour, et de commencer une nouvelle vie.

"Ce roman nous va droit au cœur." Lioudmilla Oulitskaïa
"Une grande langue russe, accueillante aux misères de l'homme, et faisant germer son espoir..." Georges Nivat

Gouzel Iakhina est née en 1977 à Kazan, au Tartastan (Russie). Elle a étudié l'anglais et l'allemand à l'université de Kazan, puis a suivi une formation de scénariste dans une école de cinéma à Moscou. Son premier roman, Zouleikha ouvre les yeux, est immédiatement devenu un best-seller en Russie à sa parution en 2015 et a reçu de grands prix littéraires. Traduit dans plus de vingt langues, ce superbe portrait de femme a déjà touché des dizaines de milliers de lecteurs.

Préface de Loudmila Oulitskaïa
Postface de Georges Nivat

 


Mon avis :
Années 1930 dans le Tatarstan.
Zouleikha, mariée à quinze ans, en réalité vendue à Mourtaza de 30 ans son aîné, subit jour après jour une forme d'esclavage domestique auprès de son mari et de sa belle-mère, méprisante et haineuse, qu'elle surnomme secrètement la goule et qu'on pourrait appeler en langage trivial une vieille saloperie tant elle est retorse. Chaque jour Zouleikha, bien que musulmane, accomplit des petits rituels païens qu'elle tient de sa mère, faits d'offrandes afin d'obtenir la protection des esprits, celui de la lisière, du foyer où du cimetière. Il faut croire que ça fonctionne car elle considère qu'elle a un bon mari qui ne l'a bat pas trop. Pourtant c'est pour elle une vie sans joie, entre un époux qui la méprise et abuse d'elle quand bon lui semble, et une belle-mère qui la persécute. Et puis, malheur aux femmes qui n'enfantent que des filles. Douce Zouleikha, qui, à trente ans donne l'impression d'en avoir toujours quinze tant elle est frêle et petite, mais aussi ignorante car maintenue sous tutelle. Elle a enterré ses quatre filles, à peine nées et déjà mortes. Zouleikha a bien compris que la mort gagne toujours à la fin.

Un jour les soldats rouges arrivent, tuent Mourtaza et emportent Zouleikha ainsi qu'un grand nombre de paysans en déportation. C'est la dékoulakisation, les koulaks étant considérés comme des exploiteurs par le pouvoir. Des paysans riches et plus encore des paysans pauvres, mais aussi des artistes et des scientifiques, furent déportés ou exécutés pendant la dictature de Staline. Zouleikha et tous ces déplacés avec elle, endurèrent un périple de six mois en train à travers la Russie. le froid, la faim, la mort, ne sachant pas où on les emmenait. Leur point de chute : un coin reculé de Sibérie où il n'y a rien, dans les tréfonds de la taïga, aux confins du monde, où les hivers sont abominables.

Une multitude de personnages peuplent ce roman, quelques-uns autour de Zouleikha sont réellement étonnants, voire attachants. le professeur Wolf Karlovitch, baroque et évaporé, et néanmoins extrêmement compétent dans son domaine. Isabella, étrange bourgeoise qui prend les choses avec détachement et parsème ses prises de parole de français. Gorelov, gardien des koulaks, malsain, lâche et sournois. Ignatov, sergent de l'armée rouge et commandant de ce convoi, qui ne se comprend plus lui-même.

C'est une histoire cruelle et flamboyante, celle d'un crime contre l'humanité perpétré par le régime soviétique, avec des moments de grâce, notamment à travers Zouleikha qui n'est qu'abnégation et douceur, tellement soumise, imprégnée de sa religion et tenue dans l'ignorance, et qui va s'ouvrir à la vie. Femme-enfant, ballottée comme un bouchon dans le courant de l'histoire, face à son destin qui prendra un tournant inattendu. La mort de son époux et cette déportation seront pour elle une délivrance. Cette étrange horde de relégués témoigne de l'incroyable capacité de survie de tout être vivant, de l'attachement à la vie, quelles qu'en soient les conditions. C'est aussi l'histoire d'une mère, désespérément fusionnelle et protectrice envers son enfant, le seul que son Dieu a oublié d'emporter dans la tombe, qui craint tellement qu'il se ravise.

Un souffle épique étreint l'histoire de Zouleikha et tous ses compagnons d'exil. le contexte historique très instructif est passionnant. Hormis la mort, la plus puissante des douleurs qu'on ressent à travers ces lignes, c'est la faim, qui consume chacun jusqu'à l'anéantissement des corps et des esprits. Homo homini lupus ? Non, seuls les hommes font des choses pareilles.
Un roman éprouvant et cependant lumineux, teinté de poésie, de descriptions totalement immersives qui nous font cheminer tout contre les dékoulakisés dans leur bannissement. Je l'ai infiniment aimé.

 

Citations :

Page 23 : La forêt claire se termine, faisant place à l’ourmane, la forêt épaisse, hérissée de broussailles et de bois mort, le repaire des animaux sauvages, des esprits des bois et de toutes sortes d’êtres malfaisants.

 

Page 46 : Travaille, zouleikha, travaille. Que disait maman ? « Le travail chasse le chagrin. » Oh, maman, mon chagrin n’obéit pas à tes dictons…

 

Page 92 : Ignatov ne comprenait pas comment on peut aimer une femme. On peut aimer des choses grandioses : la révolution, le Parti, son pays. Mais une femme ? Et comment peut-on utiliser le même mot pour exprimer son rapport à des choses d’importance si différente : comment mettre sur la même balance une quelconque bonne femme et la révolution ? C’était ridicule.

 

Page 135 : Elle s’était habituée à cette idée comme le bœuf s’habitue au joug, comme le cheval s’habitue à la voix de son maître. Certains n’avaient droit qu’à une toute petite pincée de vie, comme ses filles, d’autres s’en voyaient offrir une poignée, d’autres encore en recevait une quantité incroyablement généreuse, des sacs et des granges entières de vie en réserve, comme sa belle-mère. Mais la mort attendait chacun d’eux — tapie au plus profond d’eux-mêmes, ou marchant tout près d’eux, se frottant à leurs jambes comme un chat, s’accrochant à leurs habits comme la poussière, entrant dans leurs poumons comme de l’air. La mort était omniprésente — plus rusée, plus intelligente et plus puissant que la stupide vie, qui perdait toujours le combat.

 

Page 239 : Quand, au lieu du traditionnel examen individuel, on avait introduit le roulement de travail, Wolf Karlovitch n’avait même pas levé le sourcil. Il recevait aimablement le représentant du groupe ; celui-ci, rouge, confus, tendait à Leibe les carnets de notes, grommelant une réponse inintelligible à la question d’examen, confondait adénose avec athéisme, considérait sincèrement l’hirsutisme comme une branche peu connue du christianisme, et associait avec indignation la ménarche à la monarchie si contraire à sa conscience prolétaire. Le professeur hochait la tête en signe d’approbation, et attribuait la note « suffisant » à tous les étudiants. Le roulement de travail impliquait de mettre une note collective à tout le groupe d’étudiants après avoir soumis l’un d’eux à l’examen.

 

Page 264 : Elle avait cessé de penser à tout ce qui ne concernait pas son fils. Elle oubliait Mourtaza, qui était resté quelque part loin en arrière, dans sa vie précédente (elle ne se disait jamais que le nouveau-né était le fruit de sa semence), elle oubliait la Goule et ses prédictions effrayantes, elle oubliait les tombes de ses filles. Elle ne se demandait pas où la conduisait son destin, ni de quoi demain serait fait. Seul comptait aujourd’hui, cette minute : la respiration tranquille contre sa poitrine, le poids et la chaleur de son fils contre son ventre. Elle avait même cessé de penser au fait qu’un jour, la respiration faible dans l’encolure de son koulmek pouvait s’arrêter brusquement. Elle savait que si la vie de son fils s’interrompait, son cœur à elle s’arrêterait immédiatement de battre. Cette certitude la soutenait, la remplissait de force et d’une hardiesse nouvelle.

 

Page 396 : Elle n’avait pas honte. Tout ce qu’elle avait appris, ce qu’elle savait depuis son enfance, avait pâli, disparu. Et ce qui l’avait remplacé avait balayé la peur, comme la crue printanière balaie les feuilles mortes et les branches de l’automne.

 

 

 

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Mon avis : Loɴɢ Iѕlαɴd - Colм Tóιвίɴ

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’anglais (Irlande) par Anna Gibson

 

Éditions Grasset

 

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Quatrième de couverture :

Une inoubliable passion amoureuse, après le chef-d’œuvre du Magicien, par un des maîtres de la fiction contemporaine.  Tout bascule lorsqu’un inconnu à l’accent irlandais frappe à la porte d’Eilis Lacey. Après vingt ans de mariage, Tony et elle profitent du confort offert par les années 1970 aux familles américaines. Installés à Long Island, ils ont deux enfants, bientôt adultes, et mènent une vie tranquille où les seuls tracas proviennent de l’oppressante belle-famille italienne d’Eilis. Mais en apprenant au seuil de sa maison que Tony l’a trompée et qu’une autre femme attend un enfant de lui, ce bonheur patiemment construit vole en éclats.  Sans promesse de retour, elle part en Irlande, à Enniscorthy. Rien n’a changé dans sa ville natale, ce monde clos où, de générations en générations, tout se sait sur tout le monde. Alors qu’il a repris le pub familial, même Jim Farrell est resté tel qu’il était vingt ans plus tôt, pendant l’été qu’Eilis et lui avaient passé ensemble, bien qu’elle fût déjà secrètement fiancée à Tony. La blessure du départ d’Eilis est toujours vive mais son retour ravive cet amour de jeunesse – et l’Amérique s’éloigne plus que jamais…  Situé à l’interstice entre deux mondes, Long Island offre des retrouvailles bouleversantes avec Eilis Lacey dont les lecteurs de Brooklyn se souviennent encore. Quinze après la publication de ce best-seller, Colm Tóibín fait la démonstration magistrale de ses talents de romancier avec un inoubliable portrait de femme.

 


Mon avis :
Aussitôt après avoir refermé 
Brooklyn, roman où on fait la connaissance d'Eilis, j'ai enchaîné avec celui-ci. Alors que pour moi le précédent s'était fini avec angoisse, le début de Long Island m'a fait l'effet d'une grosse claque. On est vingt ans après.
Un homme veut absolument parler à Eilis et ce qu'il va lui dire pourrait bien changer le cours de sa vie. Eilis a épousé Tony, cet italien avec qui elle a eu deux enfants, mais alors elle a épousé aussi toute sa famille. Tout le monde se mêle de tout. Tous les dimanches c'est repas familial chez ses beaux-parents qui habitent juste en face, des heures à table avec tous ces italiens au verbe haut, qui parlent en même temps, coupent la parole et considèrent que les femmes ne doivent pas contredire les hommes. le patriarche est 
le Maître absolu. Une épouse doit écouter son mari. Un mari doit tenir sa femme.

Parce que Tony a dérapé et ébranlé les bases de la famille, Eilis part en Irlande voir sa mère qu'elle n'a pas vue depuis vingt ans. Quand la vie vacille, on a envie de retourner chez soi, auprès de sa mère. Ses enfants décident de la rejoindre un mois plus tard pour enfin rencontrer leur grand-mère. Mais vingt ans plus tard, est-on encore chez soi ou est-on devenue une étrangère ? Sa mère est tellement distante avec elle.

C'est une histoire qui nous parle du déracinement, du temps qui passe, très vite, trop vite, des choix qu'on a faits, et des renoncements, peut-être aussi des regrets et des remords qu'on peut avoir. Parce qu'un jour elle a dû partir, contrainte et forcée, c'est comme si elle était pour toujours l'irlandaise en Amérique et l'américaine en Irlande. Plus jamais vraiment à sa place. Ce roman nous parle aussi des non-dits, de l'incapacité de communiquer, des souhaits ou besoins discordants au sein d'un couple, des ultimatums qu'on craint de lancer par peur de tout perdre.
J'ai senti beaucoup de nostalgie. À peine le temps de se retourner et tout est devenu différent. Rien n'a changé à Enniscorthy, pourtant plus rien n'est pareil.
Et puis, loin des yeux, loin du coeur. Non ?
J'ai trouvé Eilis très magnanime. À sa place, aurais-je souhaité sauver mon couple ? Absolument pas. J'aurais explosé l'indélicat.

Un certain nombre d'éléments de ce roman m'ont parlé, comme l'exil, le fait de se demander où est sa place, le bon endroit, où est-on réellement chez soi, la mère refuge, les retrouvailles avec ses amies d'enfance longtemps après... cependant, à part la claque du début, aucune émotion au rendez-vous. Les personnages sont tièdes, ils ont tous l'air stoïques, indifférents. Car la grosse déflagration du début aurait dû occasionner des cris, de la colère, et cela chez plusieurs personnages. Or rien, on a l'impression d'être face à un non évènement. C'est comme si l'auteur était passé à côté de son sujet. D'ailleurs, quel est ce sujet finalement ? le couple ? L'amour au long cours ? La trahison ? La famille ? Les racines ? L'amitié ? La loyauté ?

Malgré mes quelques réticences, c'est un roman qui se lit bien, mais ne provoque pas réellement d'émotions.

 

Citations :

Page 219 : À l’époque où elle avait été son amie et où Nancy la voyait tous les jours, Eilis n’avait rien de particulier. À présent, elle se distinguait. On aurait cru une autre femme. Il lui était arrivé quelque chose en Amérique, conclut Nancy. Elle aurait voulu savoir quoi.

 

 

 

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Mon avis : Brooĸlιɴ - Colм Tóιвίɴ

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’anglais (Irlande) par Anna Gibson

 

Éditions Le Livre de Poche

 

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Quatrième de couverture :

Enniscorthy, Irlande, années 1950. Comme de nombreuses jeunes femmes de son âge, Ellis Lacey ne parvient pas à trouver du travail. Par l'entremise d'un prêtre, on lui propose un emploi en Amérique, à Brooklyn. Poussée par sa famille, Ellis s'exile à contrecœur. D'abord submergée par le mal du pays, elle goûte ensuite, loin du regard de ceux qui la connaissent depuis toujours, une sensation de liberté proche du bonheur.

Puis un drame familial l'oblige à retraverser l'Atlantique. Une fois de retour au pays, Brooklyn se voile de l'irréalité des rêves. Eilis ne sait plus à quel monde elle appartient, quel homme elle aime, quelle vie elle souhaite. Elle voudrait ne pas devoir choisir, ne pas devoir trahir.

 


Mon avis :
J'aime beaucoup le dépaysement dans mes lectures et c'est ce que m'a occasionné ce livre, tant pour le lieu que pour l'époque, qui commence en Irlande dans les années 50. Eilis vit avec sa mère et sa sœur à Enniscorthy, petite ville irlandaise où il n'y a pas de travail. Alors que beaucoup partent travailler en Angleterre comme ses trois frères, Ellis va avoir l'opportunité de partir à 
Brooklyn et d'y avoir un emploi. Mais c'est loin l'Amérique ! Mais on peut s'y enrichir ! Et que c'est dur de partir si loin quand on a toujours cru qu'on passerait toute sa vie au même endroit. Eilis s'imaginait plus tard, mariée avec quelqu'un de chez elle, en Irlande, mère au foyer... le plus dur, c'est pour la maman qui voit partir ses enfants, loin, trop loin. En réalité, Eilis n'a pas choisi de partir si loin, les autres ont décidé pour elle. Elle voudrait pourtant tellement rester. Et moi toute cette partie m'a exaltée autant qu'effrayée. L'Amérique ! Brooklyn !! Oui mais tout quitter...

Alors qu'Eilis s'adapte tranquillement à sa nouvelle vie dans cette ville si peuplée, dans son travail qu'elle accomplit avec conscience, elle est assaillie par le mal du pays. L'endroit où elle est née, où elle connaissait tout le monde et où tout le monde la connaissait lui manque terriblement, au milieu de cette fourmilière où elle a la sensation de n'être personne. Un énorme sentiment de perte la submerge, de vacuité de cette nouvelle vie, d'inutilité.
Mais en Amérique, les migrants forment des communautés, presque des fraternités. On est seule sans l'être tout à fait, tout en souffrant énormément de solitude. Heureusement, le père Flood, qui est à l'origine de son départ à 
Brooklyn, est là quand il le faut. Un vrai prêtre, altruiste et généreux.

Ce qui m'a vraiment frappée dans un premier temps, c'est la solitude du migrant, au milieu d'une multitude de gens.
Ça a été le dépaysement assuré pour moi, avec cette Amérique telle que je la vois dans mon imagination, peut-être à tort, cette terre accueillante, formant des communautés solidaires, la main tendue vers leurs semblables, tous ceux qui viennent d'ailleurs.
J'ai aimé cette histoire simple qui parle de gens simples qui construisent leur vie, avec les joies et les drames qui la traversent.
Il y a aussi beaucoup d'humour, ça a été un vrai plaisir. Et surtout, ça raconte cette Amérique terre d'accueil, bien avant celle de maintenant en train de devenir terre de rejet.
J'ai vraiment beaucoup aimé ce roman qui parle d'ambivalence, de désirs contradictoires, de déchirement entre deux pays, deux cultures, entre le nouveau monde et ses racines bien ancrées, deux histoires, deux possibilités, qui nous interpelle nous, lecteurs, et qui m'a fait bondir et espérer une chose plutôt qu'une autre et m'a fait arriver au bout avec une sourde angoisse.

 

Citations :

Page 46 : Eilis avait toujours cru qu’elle vivrait toute sa vie, comme sa mère avant elle, dans cette ville où elle était connue de tous ; elle avait cru qu’elle garderait toute sa vie les mêmes amis, les mêmes voisins, les mêmes habitudes, les mêmes itinéraires. Elle avait imaginé qu’elle trouverait un emploi en ville et que, par la suite, elle épouserait quelqu’un et laisserait son travail pour élever ses enfants.

 

Page 53 : Elle laissait filer ces images le plus vite possible, en s’arrêtant dès que celles-ci effleuraient la vraie peur, le véritable effroi ou, pire encore, la notion qu’elle s’apprêtait à perdre ce monde à jamais, qu’elle ne vivrait plus jamais une journée ordinaire dans ce lieu ordinaire, que le reste de sa vie serait désormais une lutte contre l’inconnu.

 

Page 105 : Elle commença à réfléchir, pour tenter de comprendre ce qui avait bien pu causer cette sensibilité nouvelle qui ressemblait à du désespoir, qui ressemblait à ce qu’elle avait éprouvé à la mort de son père, quand elle les avait vus fermer le cercueil, ce sentiment qu’il ne reverrait jamais le monde et qu’elle, de son côté, ne pourrait plus jamais lui parler.

Elle n’était personne à Brooklyn. Ce n’était pas juste le fait qu’elle n’y avait ni famille ni amis ; c’était bien plus que cela. Elle était un fantôme dans cette chambre de pension, dans ces rues où elle marchait pour aller au travail. Rien n’avait de sens.

 

Page 123 : Et j’ai bien mis les choses au point avec le père Flood : vu que je me suis déjà organisée de mon côté pour être sûre de toucher ma récompense au ciel, il me doit une faveur que j’aimerais bien qu’il me retourne dans ce monde-ci, et pas trop tard, si possible.

 

 

 

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Mon avis : La nuit des béguines – Aline Kiner

Publié le par Fanfan Do

Éditions Liana Levi

 

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Quatrième de couverture :

Paris, 1310, quartier du Marais. Au grand béguinage royal, elles sont des centaines de femmes à vivre, étudier ou travailler comme bon leur semble. Refusant le mariage comme le cloître, libérées de l’autorité des hommes, les béguines forment une communauté inclassable, mi-religieuse mi-laïque. La vieille Ysabel, qui connaît tous les secrets des plantes et des âmes, veille sur les lieux. Mais l’arrivée d’une jeune inconnue trouble leur quiétude. Mutique, rebelle, Maheut la Rousse fuit des noces imposées et la traque d’un inquiétant franciscain... Alors que le spectre de l’hérésie hante le royaume, qu’on s’acharne contre les Templiers et qu’en place de Grève on brûle l’une des leurs pour un manuscrit interdit, les béguines de Paris vont devoir se battre. Pour protéger Maheut, mais aussi leur indépendance et leur liberté. Tressant les temps forts du règne de Philippe le Bel et les destins de personnages réels ou fictifs, Aline Kiner nous entraîne dans un Moyen Âge méconnu. Ses héroïnes, solidaires, subversives et féministes avant l’heure, animent une fresque palpitante, résolument moderne.
 

 

Mon avis :
Paris 1310 dans le quartier du Marais. Les béguines, des femmes libres d'étudier ou travailler et de disposer de leur argent, mi-religieuses, mi-laïques, libérées de l'autorité des hommes, refusant le mariage comme le cloître, dont un grand nombre vivaient au grand béguinage royal, parfois après une vie, des enfants et le veuvage. Il y avait de nombreuses communautés de béguines reparties dans la partie nord du pays, ce mouvement étant né à Liège en 1173. Forcément, un tel fait historique ne pouvait que m'intriguer et m'intéresser, d'autant que le Moyen-âge me fascine.

C'est ahurissant l'importance qu'avait la religion au Moyen-âge. Tout tournait autour de Dieu, des messes, des prières et gare à l'inquisition qui traquait les hérétiques ! On est à l'époque de Philippe le Bel, roi pieux, petit-fils de Louis IX (Saint Louis), hanté par la peur de l'hérésie, maître d'œuvre de la disgrâce des Templiers, ce puissant Ordre des moines-soldats. Des tortures "artistiques" ou comment broyer, briser, étirer sans jamais faire saigner pour ne pas souiller les terres de l'Église… Sacrée ambiance le Moyen-âge !!
C'est aussi le temps où les roux étaient honnis, "Roux, couleur maudite. Couleur du traître. le poil roux de Judas et Caïn, d'Esaü qui vendit son frère pour un plat de lentilles, de Ganelon qui envoya au massacre Roland et ses compagnons." Et justement, une enfant rousse a été trouvée dans le froid, prostrée et mutique. Ysabel, entrée au béguinage après son veuvage, va vouloir la protéger de l'extérieur où le danger est partout pour les femmes. Car en réalité, cette enfant, Maheut, est une jeune femme qui, semble-t-il, a été violentée. Maheut la Rousse, jeune femme rebelle et intrépide, victime des hommes, est recherchée par un moine.

Certaines femmes parfois complices du pouvoir abusif des hommes, stupides au point de croire les mensonges qu'on leur assène - "La bêtise des moutons qui hurlent avec les loups !" Néanmoins, c'est une belle histoire de sororité, de femmes entre elles, qui se soutiennent et se protègent des dangers du monde extérieur, essentiellement les hommes.

Ce roman passionnant et enrichissant met en exergue le statut des femmes de tout temps, béguine ou pas, toujours accusées de potentielle perfidie, de faiblesse, d'inconstance, et d'incapacité à penser par elles-mêmes. Mais pourquoi les hommes ont-ils à ce point peur des femmes, qu'ils essaient depuis toujours de faire taire, les traitent en sous-humains, tentent de les effacer, de se rendre maîtres d'elles ? Les béguines elles, sont accusées par beaucoup d'un double refus d'obéissance, au prêtre et à l'époux.
Femmes sur une corde raide, elles qui dérangeaient le clergé car elles ne lui étaient pas soumises. Leur statut devenu fragile sous Philippe le Bel où il était question de remettre en cause leur mode de vie. Une des leurs, 
Marguerite Porete, accusées d'hérésie et brûlée sur le bûcher pour avoir écrit un livre sur son amour de Dieu en dehors de tout dogme. Peut-être a-t-elle été le grain de sable qui a fait voler en éclat le statut des béguines, ou peut-être pas... car toute foi non contrôlée par l'Église semble insupportable. Et l'Église détruisait ce qu'elle ne parvenait pas à soumettre.

J'ai adoré cette très belle incursion, très immersive, dans le Moyen-âge, époque étrange et lointaine où religion et superstitions font bon ménage, où Dieu ne peut pas être bon, puisque tout le monde le craint. Les méchants n'inspirent pas l'amour, seulement la peur. J'ai aimé la balade dans ce Paris si lointain, sale, malodorant, et si plein de vie mais aussi hélas si plein des morts de l'inquisition. J'ai aimé la plupart de ces femmes, la charitable Ysabelle, l'impénétrable Ade, la bienveillante Jeanne, Juliotte la muette, Maheut la Rousse, généreuses, érudites et solidaires, beaucoup moins les hommes, autoritaires et brutaux.
C'est un véritable coup de cœur que ce roman qui m'a appris beaucoup sur cette courte période du Moyen-âge et le triste sort réservé aux femmes, qui a vu la fin des Templiers et la fin annoncée des béguines.

 

Citations :

Page 28 : Roux, couleur maudite. Couleur du traître. le poil roux de Judas et Caïn, d'Esaü qui vendit son frère pour un plat de lentilles, de Ganelon qui envoya au massacre Roland et ses compagnons. Couleur des flammes de l’enfer qui brûlent sans éclairer. De Satan et ses maléfices. Des enfants engendrés durant les règles de leur mère. Il y a quelques jours, l’abbé de Sainte-Geneviève a expulsé de la ville une fillette, Emmelote, qui avait pour seul tort d’être née avec des cheveux flamboyants.

 

Page 40 : Certains se sont moqués du souverain et de sa piété démonstrative ! Après l’échec humiliant de la première croisade, on l’a vu, il est vrai, se complaire dans une existence de privation, abandonnant l’hermine et le vair, l’habit écarlate, les étriers et les éperons d’or, pour se vêtir d’habits incolores, manger des plats simples et allonger son vin d’eau. Aujourd’hui pourtant, chacun est bien obligé de reconnaître que, durant sa vie, Louis a tenté d’approcher, autant qu’il est possible à un homme dans son incomplétude, l’exemple du Christ. Il a apporté son soutien aux ordres mendiants, fondé des hôpitaux pour les pauvres, un couvent pour les prostituées repenties de Paris, protégé les aspirations des femmes qui voulaient pratiquer leur religion sans subir le joug des autorités ecclésiastiques. Sous sa protection, des petites communautés de béguines se sont établies un peu partout à travers le royaume, à Senlis, à Tours, Orléans, Rouen, Caen, Verneuil… Et dans la capitale, il s’est investi personnellement dans la construction du clos, conçu sur le modèle de Sainte-Elisabeth à Gand qu’il avait eu l’occasion de visiter.

 

Page 49 : « Ils ont été soumis à la question avec beaucoup d’efficacité. Selon l’inquisiteur général, c’est une méthode fiable pour emporter la vérité. Je ne me permettrais pas de le contredire. Mais la vérité qu’on obtient est souvent celle que l’on cherche. »

 

Page 54 : Afin que le sang ne se répande pas sur les terres de l’Église, on y applique la question non pas avec retenue mais avec art, brisant, broyant, étirant sans que jamais la moindre goutte de sang perle sur la peau. Et lorsqu’il s’agit de couper des oreilles, on mène les condamnés à quelques quartiers de là, à l’extrémité de la rue de l’Arbre-Sec.

 

Page 276 : Elle savait que jamais elle n’offrirait d’enfant à son mari, le médecin l’avait dit. Il avait assouvi ses désirs avec d’autres femmes, des servantes du château… cette brune qui riait dans la chambre voisine. Un bâtard était né. Tous les hommes faisaient ainsi.

 

Page 299 : Quant à moi, j’ai toujours été réticent à l’égard du béguinage, vous le savez, Agnès. Le roi nous a fait l’honneur de nous en confier le contrôle, mais trop longtemps vos maîtresses et vos compagnes ont agi à leur guise. Je ne pense pas qu’il soit bon que les femmes administrent seules leur destin. Ni qu’elles prétendent à l’instruction, bien que ce soit une tendance de notre temps.

 

 

 

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Mon avis : Les femmes sont occupées – Samira El Ayachi

Publié le par Fanfan Do

Éditions de L’Aube

 

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Quatrième de couverture :

Découvrant sa nouvelle condition de « maman solo », la narratrice jongle avec sa solitude sociale, sa solitude existentielle, et s'interroge sur les liens invisibles entre batailles intimes et batailles collectives - entre deux machines à faire tourner, une couche à changer, une thèse à finir et une pièce de théâtre à monter.

 

«Puissant, bouleversant… et drôle ! » Nancy Huston

«Furieusement cathartique ! » Zoé Courtois, Le Monde des livres

«Un des romans les plus enthousiasmants de la rentrée ! » Hubert Artus, Causette

«Un livre engagé à l'écriture ciselée.» Marianne Bliman, Les Échos

«Un livre dévoré au prix d'un sommeil raccourci !» La Croix du Nord

 

 

Mon avis :
Tout de suite je me suis dit "Ohlala mais qu'est-ce que c'est beau ! Et tellement ça ! Qu'est-ce qui est beau ? La façon de décrire l'après rupture, juste après. Tous les sentiments qui passent, l'envie de tout balayer, de tout changer, jusqu'à soi-même. Se transformer en nouvelle personne pour repartir vers l'avenir, un autre avenir que celui qu'on s'était fabriqué en quelques années, avec une personne qui n'est plus là.
Car que faire de sa douleur abyssale, noire, gluante ? Qui a quitté l'autre ? Peu importe. le vide est là, absolu. Avec un deuil à faire, celui d'une vie à deux. Sauf que là, c'était pas à deux mais à trois, avec un Petit Chose.

La vie monoparentale et ses déboires... La culpabilité maternelle, l'impression de ne pas être à la hauteur, de ne pas faire ce qu'il faut, comme il faut. Être presque gênée de travailler et d'être mère en même temps. Les rapports homme-femme sont tellement bien décrits que ça en est déprimant. La vie des femmes est déprimante. Si on la décortique... Pourtant, je ne voudrais pas être un homme. Mais quand-même, j'ai eu l'impression de lire une suite de galères liées au statut de femme. Pourtant, je les connais. Mais de les lire, c'est pas pareil, c'est pire.

Les pères qui oublient leur droit de garde des enfants, qui ne les prennent pas un week-end sur deux, ça existe. Certaines préfèrent, d'autres le vivent mal. C'est le cas de l'autrice qui peine à reprendre son souffle, qui n'est plus que mère. Adieu les soirées entre copines, les moments égoïstes à glander, seule.

J'ai trouvé pas mal de points de convergence avec le fond de ma pensée, notamment le plus violent pour moi, pourquoi avoir fait des enfants dans ce monde là...
L'autrice pointe sur tout ce qui ne va pas pour les femmes dans notre société. Il y a de quoi faire. Et alors que j'ai par moments pensé que 
Samira El Ayachi noircissait un peu le tableau, j'ai repensé à la naissance de ma fille. J'avais gardé la surprise, je ne voulais pas savoir avant, et quand on m'a annoncé que c'était une fille, ma première pensée, où bien l'ai-je dit à voix haute je ne sais plus, "La pauvre, elle va en chier toute sa vie". C'est dire le ressenti sur ma propre vie... On entend tellement de conneries dans une vie de femme, de la petite enfance à l'âge adulte, sur nos capacités, notre intelligence, le rôle qu'on doit tenir, ce qu'on doit faire et ne pas faire, dire et surtout ne pas dire, les métiers pour nous et ceux qu'on ne devrait pas exercer, nos comportements, l'alcool, le tabac, notre vocabulaire... Ah mais je m'emporte ! Il est surtout question ici des Mamans solo et du poids que la société fait peser sur leurs épaules, mais jamais sur celles des pères divorcés...
Alors oui, il fallait bien en parler de la difficulté d'être femme dans un monde fait par les hommes et pour les hommes.

Il y a des moments drôle, mais un peu grinçant quand-même. Ben oui, pas le choix !
Il y a aussi du bon, du doux, car comme dit l'autrice, "Avoir un enfant, c'est rentrer dans la ronde." Eh oui ! Je suis bien d'accord !!
Et puis c'est beau. Il y a tant de poésie dans ces mots qui parlent de peine et du chemin de croix, vers la guérison, ou peut-être plutôt vers la révélation à soi-même.

 

Citations :

Page 14 : Cette histoire n’en finissait pas. Elle n’en finissait pas de mourir dans vos bras.Vous n’étiez plus que deux loques qui se croisent dans un appartement aux murs gris et qui ne s’embrassent plus jamais.

 

Page 41 : Impossible de savoir combien de vies tu mènes de front : 1) il y a la femme qui se bat le jour ; 2) celle qui se noie la nuit ; 3) celle qui découvre au pied du mur le métier improbable de maman ; 4) celle qui apprend à nager en se noyant ; 5) celle qui n’est pas encore arrivée, mais qui — tu l’espères — se pointera bientôt pour voler au secours de toutes les autres : la superwoman en toi.

 

Page 61 : Dans ta tête c’est clair. Dans le corps des jours, c’est autre chose. Tu luttes contre toi-même. La tentation est grande de te laisser couler dans le flux du jour. Il y a des costumes tout prêts et des étiquettes prédécoupées. La mère bonne. La mère dévouée. La mère courage. La mère courge. Les autres, c’est entendu. Toutes des égoïstes ou des salopes.

 

Page 139 : « Je-ne-suis-pas-mère-célibataire, je suis une cheffe de famille comme tout le monde. Cheffe à part entière, cheffe comme toi, papa. Alors arrêtez de me regarder comme s’il me manquait une jambe. Je ne suis pas mère célibataire, je suis une mère autonome ! Merde ! »

 

Page 167 : Arrive toujours un moment où une mère attrape son téléphone et prend des nouvelles. Il y a toujours un moment où l'inquiétude arrive comme un gros nuage au-dessus de sa cervelle en surchauffe. C'est ça dont se coupent l'époque et les hommes : le partage des inquiétudes, le soin apporté à l'autre.

 

 

 

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Mon avis : Les égarés – Ayana Mathis

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’américain par François Happe

 

Éditions Gallmeister

 

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Quatrième de couverture :

« Elle était comme une de ces hautes montagnes entourées d’une ceinture de nuages tellement épaisse qu’on ne peut pas en voir la partie supérieure. »

 

Chassée par son mari, Ava Carson, une Afro-Américaine d’une quarantaine d’années, arrive à Philadelphie avec son fils Toussaint, âgé de dix ans. À peine s’installe-t-elle au centre d’hébergement de Glenn Avenue qu’elle est déterminée à quitter cet endroit sordide. Mais en ce milieu des années 1980, peu de choix s’offrent à des gens comme elle : originaire d’un village de l’Alabama, elle a rompu tout contact avec sa mère et ne peut compter sur personne. Lorsque le père de Toussaint, un homme charismatique, autoritaire et très engagé politiquement, réapparaît dans la vie d’Ava, celle-ci se croit enfin tirée d’affaire. Dans le même temps, un puissant atavisme lié à ce Sud lointain, incarné par une grand-mère qu’il ne connaît pas, commence à germer chez Toussaint.

Sans complaisance aucune, Les égarés dresse le portrait poignant d’une mère prête ,à tout pour protéger son enfant de la froideur du monde, quitte à se brûler les ailes.

 

 

Mon avis :
Je me suis souvent demandé ce qu'il pouvait y avoir de pire que de se retrouver à la rue. Eh bien c'est de se retrouver à la rue avec un enfant, son enfant. Car à la peur et au danger, se joint l'humiliation. C'est ce qui est arrivé à Ava et son fils Toussaint. On est en 1985. Ils sont sans domicile, à la rue, où la compassion n'a pas sa place, où c'est chacun pour soi. C'est immédiatement d'une tristesse infinie. Car oui, ça sent la misère de vivre. Après s'être fait virer par Abemi le mari d'Ava, ils atterrissent dans un foyer où tout révulse Ava, des couleurs des murs au règlement infantilisant en passant par les cafards morts dans les lits.

On apprend peu à peu ce qu'est, ce qu'a été la vie d'Ava, qui elle est, d'où elle vient, ce qui l'a amenée à cette situation. Et il faut bien avouer que c'est une étrange personne, comme si elle était un peu extérieure à elle-même, ayant fait des choix qui ne semblent pas l'avoir enthousiasmée, qui ne semblent même pas être les siens, telle un bouchon au gré du courant. On fait des allers-retours entre le présent et le passé, entre Ava, ses moments de vie avec ses ex-compagnons, la vie de sa mère Dutchess, quand elle-même était enfant et qu'elles vivaient à 
Bonaparte en Alabama, ville de niggers, cédée au Noirs dans la deuxième moitié du XIXe siècle. "Depuis une centaine d'années, un des nôtres allumait un feu au crépuscule et l'entretenait jusqu'au lever du jour pour que tous ceux qui étaient de Bonaparte puissent rentrer chez eux par la rivière." J'ai adoré les relents de Sud profond d'une époque révolue. Les Noirs qui se rappelaient qu'il n'y avait pas si longtemps, ils ne possédaient rien, pas même leur vie, juste avant d'avoir Bonaparte. Un temps où les choses n'étaient pas éphémères. C'est sur ces terre que vit toujours Dutchess. Mais Bonaparte n'est plus comme avant, Bonaparte se meurt : "On a dévié de notre propre temps pour rentrer dans le temps des Blancs."

On se demande pourquoi Ava ne retourne pas chez sa mère au lieu de faire subir cette vie à son fils. Pourtant elle y pense...
Deux époques, deux ambiances, deux vies en communauté, deux destins de femmes, Dutchess la mère, Ava la fille. Toutes deux élevant seule son enfant. Toutes deux en lutte, Ava qui ne possède rien mais qui voudrait tant et Dutchess qui se bat pour garder le peu qu'elle possède, convoité par les Blancs. En réalité Ava sait-elle réellement ce qu'elle veut ? Elle semble toujours se laisser porter par le désir des autres. Et Cass, qui a fait autrefois partie des Black Panthers, géniteur de Toussaint, médecin ou peut-être pas, charismatique et inquiétant, mais surtout dominateur et utopiste, réapparaît un jour...
J'ai beaucoup aimé Dutchess, et pas du tout Ava, froide et imbue d'elle-même, si faible avec son amour de toujours qu'elle met son fils en danger.

Cette histoire nous rappelle au passage le mal que les Blancs ont fait, l'esclavagisme, la quasi-éradication des autochtones, la destruction de la nature à leur profit. Ça raconte la difficulté d'être femme et ça nous parle d'emprise. Ça dit la contrainte d'être un enfant, toujours à la merci des adultes, de leurs incohérences et de leurs lubies.
C'est un récit qui vous embarque dès les premières lignes et qu'on n'a plus envie de lâcher, qu'on voudrait pouvoir lire sans s'arrêter jusqu'au mot fin. Enfin... c'est ce que j'ai ressenti jusqu'à la moitié à peu près. Car après j'ai trouvé le temps long. L'histoire s'étire lentement, trop à mon goût.
L'autrice nous offre quelques envolées poétiques !!! Elle sublime, dans ces moments, la dureté qu'elle raconte, c'est magnifique et désolant.

Merci Babelio Masse Critique et Éditions Gallmeister

 

Citations :

Page 22 : Qui va pouvoir nous aider, se demanda Ava, s’il n’y a ici que des femmes et leurs gosses, toutes aussi pauvres que des rats d’église ? Comme disait sa mère, quand on n’a rien, on peut rien faire.

 

Page 40 : Toutes ces femmes qui étaient là avaient un mec qui, d’une façon ou d’une autre, les avait foutues dans la merde.

 

Page 65 : Tous les Blancs étaient encore dans le Nord, dans leurs contrées froides, à s’entretuer. Mais ils n’allaient pas tarder. Et quand ils sont arrivés ! Ils voulaient vaincre la mort et le temps. Ils se sont abattus sur le monde comme la pluie s’était abattue sur Noé. Ils voulaient être la pluie et Noé, et Dieu par dessus le marché.

 

Page : 96 : Ma fille, pensa Ava, sois bien prudente. Tu peux te retrouver avec un véritable salopard et rester avec lui jusqu’à ce que tu n’en puisses plus. Ou peut-être que cette fille avait connu un de ces hommes qui lui avait rendu la vie tellement impossible qu’à la fin elle était complètement anéantie.

 

Page 202 : Y a eu une époque où on avait des inconnus qui défilaient sans arrêt dans le coin. Bonaparte est ce genre d’endroit qu’est un peu à l’écart du monde. Les gens débarquaient ici, venant de partout ou de nulle part. Ou ils arrivaient après avoir tellement voyagé que ce qu’ils avaient été auparavant les suivait de très loin. Parfois, ils essayaient de trouver qui d’autre ils pourraient devenir. Parfois, il fallait qu’ils deviennent quelqu’un d’autre. Nous on posait pas beaucoup de questions, sauf si les gens commençaient à se comporter d’une manière telle qu’on était amenés à leur en poser.

 

Page 245 : Et puis je me suis mise à observer Carter Lee, Juniata, Erma Linner et Memma, je veux dire à les regarder vraiment, en pensant que nous étions devenus vieux ensemble, comme un jeune homme et sa femme, s’ils ont un peu de chance.

 

Page 293 : Nous ne mangeons pas la chair d’autres créatures douées de sensations. Nous refusons d’absorber la terreur ressentie par ces êtres vivants à l’abattoir, sous peine de la ressentir nous-même.

 

Page 334 : Deux flics descendirent, s’avançant avec cette démarche qui donne l’impression qu’ils ont un paquet si énorme, là, au bas du ventre, qu’ils peuvent pas serrer les cuisses.

 

 

 

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Mon avis : Katie – Michael McDowell

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’américain par Jean Szlamowicz

 

Éditions Monsieur Toussaint Louverture

 

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Quatrième de couverture :

Lorsque Philomela Drax reçoit une lettre de son riche grand-père, qui craint pour sa vie désormais aux mains d’une famille de crapules sans pitié, les Slape, elle se précipite à la rescousse. Mais le temps presse, car Katie Slape, douée d’un don de voyance et d’un bon coup de marteau, est sur le point d’arriver à ses fins. Démarre alors une traque endiablée à travers l'âge d'or américain. Mais qui poursuit qui ? Car personne n'échappe à Katie la furie !


 

 

Mon avis :
Ça commence comme un conte ! J'adore !! La veille de Noël en 1863, la petite 
Katie Slape joue à la poupée dans une chambre miteuse de Philadelphie. Et ça vire tout de suite au sordide avec une histoire de petits chiens. Il y a des pauvres gentils et des riches arrogants. Comme dans les histoires pour enfant. Mais ils y a aussi des miséreux méchants... et quelques riches aimables. J'ai tout de suite aimé l'ambiance poisseuse. Elle m'a ramenée à la personne que j'étais il y a longtemps et aux histoires d'un autre temps que j'aimais, avec des rues sombres, le bruit des calèches sur les pavés, des coupe-gorges, des ombres furtives et des lames qui scintillent dans la pénombre.
Plus tard on fait réellement connaissance avec 
Katie et sa famille ignoble, pauvres et détestables, alors qu'on avait fait connaissance avec Philo, modeste et aimable.

Le jour où, anonymement, Philomela se fait embaucher comme bonne auprès de 
Katie Slape et ses horribles parents qui convoitent la fortune du grand-père de Philo qui a appelé à l'aide et qu'ils tuent à petit feu, l'histoire devient totalement angoissante. C'est les Thénardier à la sauce américaine. Sans foi ni loi, prêts à tout pour de l'argent. Des gens dangereux, stupides mais rusés, vulgaires et totalement amoraux. de plus, Katie est très spéciale car elle voit des choses rien qu'en touchant les gens et joue du marteau comme personne, ce qui ajoute à l'effroi de ce qu'on peut imaginer.

Tout le long de ma lecture, j'ai trouvé les ficelles un peu grosses, pourtant j'ai adoré ! J'ai frissonné, tremblé, retenu mon souffle. N'est-ce pas ce qu'on attend d'un roman comme celui-ci ? 
Katie est une vraie psychopathe, dangereuse et terrifiante. Philo est très naïve avec une trop grande propension à la confiance, et ceci même envers des inconnues. Il va lui arriver des mésaventures et des malheurs mais elle semble pleine de ressources. Malgré sa candeur elle est néanmoins très réfléchie. le petit côté Cendrillon de l'histoire est contrebalancé par l'ignominie des Slape, heureusement. Trop de bons sentiments, compensés par de la folie meurtrière, font de ce roman un véritable page turner.

Il y a un ton féministe dans cette histoire. La condition des femmes y est mise en avant. Soit qu'elles devaient se marier car c'était pratiquement un destin inévitable pour elles, ou travailler pour un salaire de misère, au contact d'hommes qui passaient leur temps à leur faire des propositions douteuses qu'elles devaient parfois accepter si elles voulaient payer leur loyer et se nourrir. Quant à celles retrouvées assassinées, c'était la quasi-indifférence générale, à peine trois lignes dans le journal.

Voilà donc un livre agaçant quelquefois, mais aussi enthousiasmant parfois, et cependant terriblement oppressant, qui se dévore et ne laisse aucun répit jusqu'à la toute fin !!! J'ai tout aimé, y compris le côté volontairement manichéen.

 

Citations :

Page 36 : Je n’ai pas d’occupation, expliqua-t-il. Je suis entièrement oisif, j’en ai peur. Mon père nous a légué à ma mère et moi un patrimoine très convenable, peut-être même trop convenable, en tout cas en ce qui concerne le développement de mon caractère.

 

Page 249 : Des dizaines de femmes disparaissaient chaque année, dans les rues, les pensions et les magasins de tapis de New York. Leurs descriptions — tout un nuancier de beautés — remplissaient trois cartons au bureau des personnes disparues de Centre Street.

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Mon avis : Rebecca – Daphne du Maurier

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff

 

Éditions Le Livre de Poche

 

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Quatrième de couverture :

Un manoir majestueux : Manderley. Un an après sa mort, le charme noir de l’ancienne propriétaire, Rebecca de Winter, hante encore le domaine et ses habitants. La nouvelle épouse, jeune et timide, de Maxim de Winter pourra-t-elle échapper à cette ombre, à son souvenir ?
Immortalisé au cinéma par Hitchcock en 1940, le chef-d’œuvre de Daphné du Maurier a fasciné plus de trente millions de lecteurs à travers le monde. Il fait aujourd’hui l’objet d’une traduction inédite qui a su restituer toute la puissance d'évocation du texte originel et en révéler la noirceur.

 

 

Mon avis :
J'ai rêvé la nuit dernière que je retournais à Manderley. Qui ne connais pas cette phrase, même sans avoir lu ce roman de Daphne du Maurier ?

La narratrice, dont on ignore le nom, est la deuxième épouse de Maximilian de Winter, veuf de Rebecca. Elle nous emmène dans ses souvenirs lorsqu'elle était jeune, demoiselle de compagnie de Mme Van Hopper, vieille peau de vache snobe et cancanière, et qu'elle rencontra son futur époux. Rapidement je me suis laissé emporter dans cette histoire où cette jeune biche met les pieds dans quelque chose qui la dépasse. Petit détail qui m'a laissée dubitative, peut-être normal pour l'époque... un homme fait sa demande en mariage et parle aussitôt après de la marque de ses laxatifs 😳. Ah bon ?

Il y a néanmoins quelque chose de mystérieux chez Maxim de Winter, il est très secret. Oui, en fait c'est un homme quoi... Et de fait, jusque assez loin dans le récit on ne sait pas que penser de lui. Loyal ? Ou pas ?

Il y a quelque chose de sublime, quand il est question du moment présent, cet instant fugace de plénitude qui ne laissera pas de trace à tout le monde. Pas dans la mémoire de ceux qui ne craignent pas l'avenir. J'adore ces instants d'éternité.

À Manderley, Rebecca la défunte épouse de Maxim semble bénéficier d'une aura particulière, faite de vénération, d'admiration, mais aussi de mystère. On vante ses mérites constamment sans aucun tact pour la nouvelle épouse qui se sent comparée continuellement, à son grand désarroi. Elle est si jeune, se sent tellement insipide à côté de ce que semble avoir été Rebecca, dont la mort reste étrangement un sujet tabou.

J'ai trouvé l'histoire cruelle, des gens bêtes et superficiels, parfois méchants telle Mme Danvers, la mégère en chef de Manderley, celle qui se charge de tout. L'ombre de Rebecca plane partout, tout le temps. Rebecca l'infernale rivale. L'atmosphère est tellement glaçante par moments.

Ce roman, c'est tout une ambiance, continuellement pesante car, à qui la nouvelle épouse peut-elle faire confiance ? Elle qui se sent toute petite et insipide, si seule, mais surtout elle craint d'être jugée en permanence dans cette immense demeure au personnel nombreux où plane l'ombre de la défunte, cette femme si belle, si aimable, si parfaite...

Les cent premières pages m'ont paru longues, mais passé ce cap j'ai été totalement emportée dans ce récit. C'est l'histoire d'un amour éperdu, absolu, qui parfois confine au désespoir, où rien n'est vraiment clair, où le doute est omniprésent, où la nouvelle épouse ne semble pas avoir sa place. L'intrigue s'écoule lentement et immerge le lecteur dans ce monde de nantis un peu suranné avec ses codes et ses règles, sa vanité et la haute idée qu'ils se font d'eux-mêmes. Les caractères des personnages servent un suspense qui monte lentement jusqu'au dénouement assez inattendu.

Manderley, ce manoir, imposante bâtisse, massive et parfois inquiétante mais majestueuse, est un personnage à part entière dans cette atmosphère étouffante.

C'est un roman sépulcral et incandescent.

J'ai adoré !

 

 

Citations :

Page 37 : Je sentais que ma présence juvénile mettait un frein à leur conversation, un peu comme celle d’une soubrette pendant le repas : ils ne pouvaient pas barboter aussi librement dans la mare aux scandales et aux insinuations. Les hommes adoptaient une sorte de jovialité forcée pour me poser des questions facétieuses sur l’histoire ou sur la peinture, présumant que je venais tout juste de quitter l’école et devais être incapable d’aborder d’autres sujets.

 

Page 63 : Heureusement qu’elle ne peut survenir deux fois cette fièvre du premier amour. Car c’est bien une fièvre, et aussi un fardeau, quoi qu’en disent les poètes.

 

Page 138 : J’étais très impressionnée, je me souviens ; impressionnée et un rien épouvantée par la magnificence dudit petit déjeuner. Il y avait du thé, dans une grande fontaine à thé en argent, et aussi du café, et puis, sur le réchaud, bien brûlants, des plats d’œufs brouillés,de bacon, et un autre de poisson. Il y avait également des œufs à la coque, dans leur cuiseur spécial, et du porridge, dans une jatte en argent. Sur une autre desserte, il y avait un jambon et de la charcuterie. Il y avait aussi des scones, sur la table, et des toasts, et divers pots de confiture, marmelade ou miel, tandis que des compotiers, débordants de fruits, trônaient à chaque extrémité. Il me semblait étrange que Maxim, qui, en Italie et en France, se contentait d’un croissant et d’un fruit avec une tasse de café, s’attable chez lui, sûrement jour après jour, année après année, devant ce petit déjeuner, assez copieux pour douze personnes, sans voir dans cet excès aucun ridicule, ni aucun gaspillage.

 

Page 308 : Son mari était mort depuis quarante ans, son fils depuis quinze. Elle était obligée d’habiter ici dans cette pimpante maison aux pignons rouges avec son infirmière jusqu’à ce qu’arrive pour elle l’heure de mourir. Je me dis que nous ne savions pas grand-chose de ce que ressentent les personnes âgées. Les enfants, nous les comprenons, nous comprenons leurs peurs, leurs espoirs et leurs chimères. Hier encore, j’étais une enfant. Je n’avais pas oublié. Mais la grand-mère de Maxim, emmitouflée dans son châle avec ses pauvres yeux aveugles, qu’éprouvait-elle, quelles étaient ses pensées ? Se doutait-elle que nous étions là parce que, selon nous, il le fallait, c’était notre devoir, afin qu’en rentrant chez elle ensuite Beatrice puisse dire : « Ouf, voilà ma conscience apaisée pour trois mois. »

 

 

 

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Mon avis : Toujours là pour toi – Kristin Hannah

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Matthieu Farcot

 

Éditions Le Livre de Poche

 

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Quatrième de couverture :

Dès leur rencontre durant l’été 1974, Tully et Kate nouent une amitié sans faille. Les deux adolescentes deviennent inséparables, malgré leurs différences. Tully n’a de cesse de prouver sa valeur au monde : abandonnée petite par sa mère, elle veut être aimée à tout prix. Elle cherche d’abord la reconnaissance dans les bras des hommes avant de se vouer à son travail. Son métier de journaliste vedette et son ambition lui apportent la célébrité, le succès… et la solitude. Kate, elle, n’a qu’un rêve : tomber amoureuse et avoir des enfants. Durant plus de trente ans, elles partagent leurs joies, affrontent les affres de la jalousie, du ressentiment aussi, mais restent l’une pour l’autre d’un soutien indéfectible. Jusqu’à ce qu’une fracture, une trahison intime, éprouve réellement le pacte qui les lie : « meilleures amies pour la vie ».

Ce roman a été adapté en série par Netflix en 2021.

Cet ouvrage a été précédemment publié sous le titre La Route des Lucioles aux éditions Michel Lafon.

 

 

Mon avis :
Une femme se rappelle son adolescence, son double inséparable, son amie perdue.
TullyEtKate. Kate et Tully.
En 1974, Tully vient habiter avec sa mère en face de chez Kate. Elles ont quatorze ans, Tully est aussi belle et populaire que Kate est insignifiante et seule. Contre toute attente elles deviennent amies, complices, inséparables. C'est l'histoire d'une amitié profonde, qui commence à l'adolescence, faite pour durer toujours, qu'on va suivre pendant une trentaine d'années. C'est aussi une histoire de famille, de deux familles. L'une est ordinaire, aimante, c'est celle de Kate. L'autre, celle de Tully, est dysfonctionnelle et elle rêverait d'avoir la famille de son amie. Elle aimerait tant qu'on lui dise comme à son amie "Fais pas ci, fais pas ça". Mais elle, on la laisse pousser comme une herbe folle. Sa mère du moins. Ses grands-parents veillent, mais de loin.

Ce roman parle d'amour, de cette forme particulière et puissante d'amour qu'est l'amitié, qui se joue des différences, qui est tolérante et généreuse, qui ne ment pas, qui console, qui donne de la force et fait pousser des ailes. Tallulah la solaire, l'ambitieuse que rien n'arrête, pas même les blessures qu'on lui a infligées, et Kathleen la timide, qui manque de confiance en elle et se sent invisible, ces deux filles là vont marcher main dans la main sur le chemin qu'elles se sont tracé, où plutôt sur le chemin tracé par Tully. Chacune apporte à l'autre ce qui lui manque. Pour Tully c'est le sentiment de compter pour quelqu'un, et Kate celui de n'être enfin plus invisible. Elle sont complémentaires, un caractère fort face à un caractère conciliant.

La famille Mullarkey devient une famille de substitution pour Tully. Margie, la mère de Kate est LA Maman américaine, celle qui ouvre grand ses bras et sa maison et qui apporte des plats préparés par elle-même à ses nouveaux voisins. Tully, parce qu'elle a un immense besoin d'amour et de reconnaissance, va avoir des ambitions démesurées qu'elle se donnera les moyens d'atteindre, entraînant Kate dans son sillage, en bonne working girl des années 80 !

C'est une histoire qui se dévore, entraînée par la tornade Tully, d'autant plus pour moi que les deux amies sont de ma génération. Je m'y suis retrouvée à travers l'histoire du monde, la guerre du Vietnam, 
Ronald Reagan président des États-Unis, la guerre au Koweït, la mort de Lady Di, le scandale Clinton-Lewinsky, les attentats contre les tours jumelles, la musique qui traverse ces époques, les parents qui poussaient leurs filles à faire des études pour être indépendantes, ne pas forcément se marier et avoir des enfants. En revanche pas du tout par le mode de vie ni la mentalité bien sûr, l'Amérique et nous, c'est tellement différent ! Bizarrement, alors qu'elles entrent dans l'âge adulte, pendant l'apparition du sida qui a été un séisme absolu, il n'en est jamais fait mention ici.

Tout le long de cette histoire d'amitié, la famille est au cœur de tout. Celle dont on est issu, celle qu'on se fabrique, celle qu'on choisit lorsqu'on on n'en a pas vraiment.
Les choix auxquels les femmes sont confrontés semblent toujours déchirants et culpabilisant... carrière ou famille.
Il y a néanmoins quelque chose que j'ai détesté dans ce roman, ce sont les nombreuses descriptions très détaillées de leurs tenues vestimentaires. Ça donne un côté girly que j'ai trouvé insupportable. Mais comme ça se passe en grande partie dans le monde de la télé, paillettes et superficialité sont au rendez-vous. Et puis ça m'a  rappelé la mode des années 80 : larges épaulettes, grosses ceintures, couleurs vives, et la cerise sur le gâteau : le brushing exubérant totalement improbable. Mais quelle horreur !!!

Vraiment, un roman qui se dévore et m'a fait penser qu'une amie pour la vie, mais qu'est-ce que c'est bon !!!

 

Citations :

Page 44 : Votre génération a tellement de chance. Vous pouvez être tout ce que vous voulez. Mais vous devez parfois prendre des risques. Faire un pas en avant. Je peux te dire une chose avec certitude, nous ne regrettons que ce que nous ne faisons pas dans la vie.

 

Page 107 : — Entrez dans mon bureau, mademoiselle Hart.

Madame Hart, corrigea-t-elle.

Il valait toujours mieux partir du bon pied. Gloria Steinem disait que l’on ne se faisait jamais respecter si on ne l’exigeait pas.

M. Rorbach la regarda en clignant des yeux.

Pardon ?

Je préfère « madame Hart », si ça ne vous dérange pas, ce dont je suis sûre. Comment une personne ayant obtenu une maîtrise de littérature anglaise à Georgetown pourrait-elle être hostile au changement ? Je suis certaine que vous êtes à la pointe de la conscience sociale.

 

Page 129 : Tully ressentit soudain une certaine nostalgie de leur jeunesse. À cet endroit, durant la plus grande partie d’un été, elles avaient pris leurs deux vies solitaires et les avaient entrelacées pour former une corde d’amitié.

 

Page 244 : Tully était de la soie couleur pomme d’amour, Kate, du coton beige.

 

Page 275 : Les Mularkey voyaient tous l’amour comme une chose durable, solide, facile à identifier. Tully était peut-être jeune, mais elle savait qu’ils se trompaient. L’amour pouvait être plus fragile qu’un os de moineau.

 

Page 421 : Rapidement, Tully fit rire Kate. C’était la particularité avec les meilleures amies. Comme des sœurs et des mères, elles pouvaient vous mettre hors de vous, vous faire pleurer et vous briser le cœur, mais en définitive, en cas de coup dur, elles étaient là et vous faisaient rire, même dans les pires moments de votre existence.

 

 

 

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Mon avis : L’ultime guerre – Anna Raymonde Gazaille

Publié le par Fanfan Do

Éditions LE MOT ET LE RESTE

 

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Quatrième de couverture :

Dans un monde dystopique, une secte nommée les Adeptes du Tout-Puissant sème la terreur dans les Territoires du Sud. Depuis les Territoires du Nord, des soldats et la Légion des Guerrières de la liberté luttent contre leur invasion et l’asservissement des femmes qu’ils tentent brutalement d’imposer. Ainsi débute l’odyssée de Tessa, une enfant soldat errant sur un champ de bataille, recueillie par trois Guerrières avec lesquelles elle entame un long et périlleux voyage à travers les ruines d’un monde dévasté. S’accrochant aux liens tissés avec ses sœurs d’armes, elle s’acharne à survivre, en dépit de tout ce qu’elle a subi, apprivoisant les fantômes qui la hantent. Son périple et cette quête vers la terre nordique feront surgir en elle un puissant sentiment d’appartenance à une humanité qu’elle avait condamnée.


 

 

Mon avis :
Dans un futur indéterminé le monde a basculé. Des hordes d'hommes asservissent les femmes, qui sont reléguées au statut d'inférieures, de ventres, d'esclaves. "Les armes étaient interdites, mais nous savions tous que les plus puissants en possédaient. C'est ce qui faisaient d'eux les plus puissants." Tessa, une orpheline de douze ans, nous raconte ce monde en ruine, ces villes détruites, ces édifices si hauts qu'on n'en distingue pas le sommet mais aussi la peur, la douleur et le deuil.
Des femmes, les Combattantes du Nord, luttent. Ce sont les Guerrières de la liberté.
On en revient toujours à cette réalité sordide énoncée par 
Simone de Beauvoir "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question." Alors l'apocalypse.
Mais dans ce monde, quasiment personne n'a de droits, sauf les plus forts.

Tessa suit trois Guerrières, Manu, Pat et Cum, qui doivent rejoindre leur bataillon. À partir de là, on change de narratrice au gré des chapitres. On découvre ce monde en guerre, le fanatisme contre la liberté, avec des villes çà et là dont certaines tentent la neutralité mais vivent dans la corruption, pendant que d'autres sont presque des modèles de démocratie. le Sud où règnent la guerre et la mort, le Nord où la civilisation a perduré.

À travers ces lignes on sent la rage de ces femmes qui luttent pour leur liberté. Toutes ont perdu beaucoup, elles se battent pour ce qui leur reste : elles-mêmes, leurs choix, leur libre arbitre et une societe égalitaire. C'est dans ce monde là que Tessa va devoir avancer à l'aveugle en se méfiant de tout le monde. Pourtant il ne m'a pas semblé si différent du nôtre. Partout le fanatisme religieux explose, le sexisme et l'intolérance aussi, ainsi que le patriarcat et ses prérogatives que certains veulent voir perdurer au détriment des femmes et de leur liberté. Ce roman, c'est peut-être le monde de demain dans une perspective cauchemardesque.

Alors, j'ai bien aimé. Ça se lit bien et on est embarqué dans ces vies cabossées de femmes. Cependant j'ai trouvé que plusieurs personnages auraient gagné à être plus approfondis, moins éphémères. Et puis l'ensemble m'a semblé un peu fourre-tout, avec un mélange de sociétés et d'époques qui seraient réunis dans un espace assez réduit tout en étant aux antipodes les unes des autres. Un peu comme si un univers barbare côtoyait une société plutôt bien rangée, Mad Max VS Bienvenue à Gattaca. Presque un anachronisme. Néanmoins, une dystopie féministe, moi je dis bravo !
Merci à Babelio Masse Critique et aux Éditions le Mot Et le Reste.

 

Citations :

Page 16 : Dans le camp, il y avait bien sûr des hommes, beaucoup moins nombreux que les femmes et les enfants, mais ils commandaient. Ils formaient des bandes, la plupart du temps rivales. Ils se battaient, trafiquaient. Les armes étaient interdites, mais nous savions tous que les plus puissants en possédaient. C'est ce qui faisaient d'eux les plus puissants.

 

Page 27 : Tout brûle. Je songe aux dépouilles des guerrières qui gisent parmi tous ces livres. Dans le ciel flamboyant du couchant s’élèvent les flammes tout aussi rougeoyantes. J’aimerais que les mots de toutes les histoires incendiées crient leur colère.

 

Page 42 : J’ai demandé à Cum ce qu’elle en pensait. Elle a plongé ses yeux dans les miens : « Les dieux n’existent pas. Pas plus celui de ces déments qui enferment les femmes en cage et les traitent en esclaves, que les déesses, créatrices de cette humanité qui court à sa perte. »

 

Page 105 : Quand il ne reste que ton corps et à peine de quoi le couvrir, la valeur de la liberté prend toute la place et la vie s'allège pour ne plus désirer que l'essentiel.

 

 

 

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