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roman lgbt

Mon avis : My policeman – Bethan Roberts

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Claire Allouch

 

Éditions Hauteville

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Mon policier ne ressemble en rien a Michael. C'est l'une des raisons pour lesquelles il me plaît. Les mots qui me viennent a l'esprit quand je pense a lui sont « lumière » et « délices », mais mon policier est très dangereux, malgré la lumière et les de lices qu'il m'inspire.

 Brighton, années 1950. Marion rencontre Tom et en tombe éperdument amoureuse. Il lui apprend à nager sur la célèbre jetée, et lui révèle sans le savoir un monde sensuel dont elle a tout à apprendre. Quand Tom fait la connaissance de Patrick, sa vie en est bouleversée. Ce conservateur de musée l'entraîne dans son univers sophistiqué fait de voyages, d'art, de beauté. Dès lors, Tom n'est plus un simple officier de police, il est « leur » policier à tous les deux. Mais il est plus prudent pour lui d'épouser Marion et de fréquenter Patrick en secret. Quand on aime si résolument, on se croit capable d'aimer pour deux, mais jusqu'où Marion et Patrick seront-ils capables de partager leur passion ?

Une histoire vibrante de désir, librement inspirée de la vie sentimentale tumultueuse de E.M. Forster, tiraillé entre son mariage et la passion que lui inspira Bob Buckingham, un policier, dans une société régie par une morale asphyxiante.

 

 

Mon avis :
Première partie, 1999. Marion, la narratrice, parle à Patrick, qui lui, ne peut plus parler. Elle lui raconte sa rencontre avec Tom dont elle était secrètement amoureuse il y a bien longtemps, dans les années 50, lorsqu'elle était adolescente, puis de sa rencontre avec lui, Patrick, plus tard, présenté par Tom. Dans ces années là, on n'attendait pas des filles qu'elles fassent des études, on ne couchait pas avant le mariage et on taisait l'homosexualité, la sienne ou celle de ses proches.

Le rythme est très lent et convient parfaitement à l'histoire qu'il raconte.  C'est l'histoire d'un amour sacrificiel, un amour impossible, un amour interdit, un amour passion, un amour raisonnable, où mieux vaut des miettes que rien du tout. C'est l'histoire d'un triangle amoureux où il n'y a pas de gagnant. Une histoire d'abnégation et de générosité mais aussi de trahison.
La lenteur, les non-dits et les silences que l'autrice met dans ce récit font tellement d'époque qu'on est en immersion dans les années 50, totalement dans l'ambiance.

La deuxième partie donne la parole à Patrick, en 1957, quand il était conservateur du musée. Et là, le rythme change, le point de vue évidemment, et ça devient plus explicite. À travers ce récit on se rend compte de la peur qu'avaient les homosexuels d'être découverts, insultés, humiliés, de la persécution qu'ils pouvaient subir. Obligés de se cacher, ne pas pouvoir être eux-mêmes, c'est terrifiant. L'homophobie était totalement normalisée, voire même de bon ton. Et donc le mariage et une double vie était parfois la solution.
Puis la troisième partie redonne la parole à Marion et ainsi de suite, on alterne entre eux deux.

Sans doute que la lenteur de la narration, et l'alternance entre les deux narrateurs nous permet de mieux appréhender la douleur et l'injustice de certaines règles qui régissaient la société. Quant à l'homophobie, je me demande si c'est si différent à notre époque. Bien sûr cest mieux accepté, pour beaucoup totalement, en tout cas je l'espère. Mais il reste encore trop de gens haineux qui n'acceptent pas, bien que ça ne les regarde en rien.

J'ai trouvé ce roman à deux voix très étrange dans son rythme, prenant sans être transcendant bien que l'intérêt augmente à mesure qu'on avance dans l'histoire. Pourtant c'est un sujet qui me passionne, comment vivre caché dans une société étriquée, intolérante et punitive qui emprisonnait les homosexuels  et leur disait qu'ils étaient pervers, répugnant, anormaux ? C'est la société elle-même qui les obligeait à travestir leur vraie nature, occasionnant des blessures collatérales, des vies gâchées inutilement. Et j'avais oublié qu'il y a pas si longtemps que ça, on appelait les homosexuels des bougres. Étrange terme, sûrement plein de mépris à l'époque, qui a totalement changé de sens de nos jours.
J'ai aimé les personnages, Marion et Patrick en qui j'ai trouvé de la grandeur, mais aussi Sylvie et Julia, beaucoup moins Tom et sa colère contenue, autoritaire et égoïste.

 

Citations :

Page 30 : Ce soir-là, j’ai écrit dans mon carnet : « Son soleil est comme la lune des moissons. Mystérieux. Plein de promesses. » J’étais très contente de ces mots, je m’en souviens. Et chaque soir après ça, je noircissais mon carnet du manque que suscitait Tom en moi. « Cher Tom », écrivais-je. Ou parfois : « Mon cher Tom », ou même « Tom chéri », mais je me permettais rarement cette petite transgression. La plupart du temps, il me suffisait de voir son nom apparaître en caractères tracés par ma main. À l ‘époque, j’étais facile à satisfaire. Parce que, quand on est amoureux pour la première fois, le nom de l’être aimé suffit. Voir mes doigts former le nom de Tom me comblait. Presque.

 

Page 36 : Un après-midi ensoleillé, peu de temps après, je suis allée avec Sylvie à Preston Park. Nous nous sommes assises sous les ormes qui bruissaient joliment, et elle m’a annoncé ses fiançailles avec Roy.

Nous sommes très heureux, a-t-elle déclaré avec un petit sourire entendu.

Je lui ai demandé si Roy avait abusé d’elle, mais elle a secoué la tête, et son petit sourire s’est élargi.

 

Page 60 : Je me suis lancé un petit défi : étais-je capable de ne pas regarder vers le Palace Pier ? Je savais qu’il allait arriver par là. Les yeux rivés sur l’océan, je l’imaginais sortir des flots tel Neptune, drapé dans du varech, le cou orné de bernacles, un crabe pendant de ses cheveux ; il enlèverait la créature et la remettrait à l’eau, rejetant les vagues d’un coup d’épaule. Il avancerait sur la berge jusqu’à moi sans faire un bruit, malgré les galets, et me prendrait dans ses bras pour m’emporter là d’où il venait.

 

Page 74 : J’ai songé à la bouche de Roy, béante et pleine de gâteau, à son irrépressible envie de pousser Sylvie devant lui sur la piste de patin à roulettes, à son incapacité à faire la différence entre un sujet de conversation valable et un autre dénué d’intérêt. C’était un véritable crétin.

 

Page 104 : J’ignore exactement quand arrive le moment fatidique, celui où une femme est considérée comme une vieille fille. Chaque fois que j’y pensais, je visualisais une vieille horloge, dont le tic-tac marquait le passage des jours. Beaucoup des filles que j’avais connues à l’école étaient déjà mariées. Je savais que j’avais encore quelques années, mais si je n’y prenais pas garde, les autres professeurs me regarderaient comme ils regardaient Julia, une femme seule ; une femme obligée de travailler pour gagner sa vie, qui lit trop de livres, qui a été vue en train de faire ses courses un samedi avec un chariot au lieu d’une poussette ou d’un bambin qu’elle tiendrait par la main, qui porte des pantalons et ne semble jamais pressée de rentrer chez elle. Jamais pressée d’aller où que ce soit en fait.

 

Page 189 : Quelqu’un a sifflé : « Saleté de pédéraste » et quelques femmes ont gloussé depuis le trottoir d’en face.

 

Page 329 : Les hommes ont tellement de liberté ! Même ceux qui sont mariés.

 

Page 369 : C'est d'une injustice criante, mais c'est comme ça. Je crois qu'il y a des comités, des pétitions, des lobbyistes et ce genre de choses qui essaient de faire changer la législation. Mais, dans l'esprit britannique, l'intimité entre deux hommes est aussi inacceptable que l'agression physique, le vol à main armée et l'escroquerie.

 

 

 

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Mon avis : Mon père, ma mère, mes tremblements de terre – Julien Dufresne-Lamy

Publié le par Fanfan Do

Éditions Belfond

 

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Quatrième de couverture :

« Est-ce que sur la table de chirurgie, mon père ressent le chaud, le froid ? Allez savoir. Dans la salle d’attente, ma mère porte sa chemise saharienne et le soleil blanc tape doucement sur les fenêtres. L’air est doux. Un air qui n’a rien à voir avec la mort, les drames. Ici, ce n’est pas un drame. C’est autre chose qui se passe. »
Dans cette salle, Charlie, quinze ans, patiente avec sa mère. D’ici cinq heures, son père sortira du bloc. Elle s’appellera Alice.
Durant ce temps suspendu, Charlie se souvient des deux dernières années de vie de famille terrassée. Deux années de métamorphose, d’émoi et de rejet, de grands doutes et de petites euphories. Deux années sismiques que Charlie cherche à comprendre à jamais.
Sur sa chaise d’hôpital, tandis que les heures s’écoulent, nerveuses, avant l’arrivée d’Alice, Charlie raconte alors la transition de son père, sans rien cacher, ce parcours plus monumental qu’un voyage dans l’espace, depuis le jour de Pâques où d’un chuchotement, son père s’est révélée. Où pour Charlie, la terre s’est mise à trembler.


Julien Dufresne-Lamy signe un cinquième roman doux et audacieux, profondément juste, sur la transidentité et la famille. La bouleversante histoire d’amour d’un clan uni qui, ensemble, apprend le courage d’être soi.


 

 

Mon avis :
Charlie, adolescent, nous raconte son étrange vie, les séismes qui s'y sont produits, lui qui depuis toujours se projetait dans l'image de son père. La génétique ayant fait de lui le petit clone de cet homme, en tout point de vue, il se construisait avec ce père comme modèle. Jusqu'au jour des mots étranges sont apparus au sein du foyer : dysphorie de genre, transidentité, non-congruence de genre. le père de Charlie a depuis toujours l'intime conviction que la nature s'est trompée en l'enfermant dans le mauvais corps. Et donc Charlie nous raconte l'instant présent, de l'hôpital où sont père se fait opérer, et nous emmène dans ses souvenirs, assister à la métamorphose de cet homme qu'il s'est parfois mis à détester, voire mépriser.

L'écriture est très belle et retranscrit tellement bien ce que peut ressentir un ado dont la vie bascule dans autre chose, dans une sorte de deuil inattendu et très douloureux. Je me suis imaginée à la place de Charlie et j'ai compris ce qu'il ressentait, comme si la terre s'ouvrait sous ses pieds. Pourtant que faire ? Comment réagir ? Ce n'est de la faute de personne. Ce n'est même pas une faute.
Et la mère dans tout ça ? Elle fait figure de fantôme dans un premier temps. Vraiment. À la même vitesse que le père s'épanouit, la mère et Charlie s'étiolent. La chenille devient papillon pendant que les deux autres humains de cette famille deviennent zombies.

Tout est si bien décrit, la peur de beaucoup de choses, de l'inconnu notamment, de la cruauté du monde, de la bêtise humaine, de la souffrance liée au rejet et aux moqueries, de l'homophobie (oui, oui), de la transphobie, et du harcèlement. Les crachats et les insultes. Les langues de vipère, au travail, dans le voisinage, au supermarché. Car les gens aiment se moquer, blesser, rejeter, mais se rendent-t-ils compte qu'en faisant cela ils abîment une personne dans son estime de soi et rendent sa vie beaucoup moins belle ?
Il y a beaucoup de moments douloureux car changer de genre doit véritablement être un séisme de magnitude XXL et c'est réellement un parcours du combattant pour toute la famille, mais énormément d'amour et d'abnégation s'affirment au fil du temps.

J'ai adoré cette histoire, et vraiment, j'ai trouvé le style de 
Julien Dufresne-Lamy sublime, souvent métaphorique et toujours poétique, et parfois je me demande comment font certains auteurs pour mettre autant de beauté dans un récit. Car ce parcours de vie, qui raconte une transition douloureuse pour toute la famille mais un espoir absolu pour le père et finalement de l'amour encore et toujours, est superbement raconté, avec parfois un aspect onirique. Chaque mot est le bon, chaque tournure de phrase est parfaite. Je me suis tout de même demandé si on appelle toujours Papa son père devenue femme.
Ce livre nous montre aussi qu'on ne vit pas le monde de la même façon, qu'on soit homme ou femme, avec ou sans transition.
Énorme coup de cœur pour ce roman extrêmement intelligent, âpre et soyeux à la fois.

 

Citations :

Page 14 : Dans quatre heures, Papa aura disparu.

Une mort, pas vraiment.

Une absence pour toujours.

Quatre heures, comme le temps d’un pique-nique. C’est court. Parfois long, comme un film hongkongais primé à Venise ou un repas chez les grands-parents une fin de dimanche, quand la carcasse du poulet gît dans l’huile.

 

Page 17 : Avant, je pensais que sous les meubles, on ne cachait que les armes du crime. Les affaires sales. Les bouteilles d’alcool ou les boites de capotes. Maintenant, c’est différent. J’ai compris qu’on pouvait même y cacher une vie.

 

Page 51 : Face à moi, ma mère buvait son vin comme du petit-lait, mon père portait sa robe de femme sur sa peau d’homme et, ce soir-là, on a dévoré des frites à même les doigts.

 

Page 69 : Dans mon journal, je rédigeais les étapes de mon père. Ce qui nous attendait, lui, ma mère et moi.

La peau qui s’affinerait. Les muscles qui fondraient comme neige au soleil. La voix qui s’adoucirait tandis qu’autour les gens persifleraient. Les épaules qui s’arrondiraient, les hanches, le bassin, le ventre, les cuisses et les seins qui un jour ou l’autre surgiraient. J’allais tout écrire. Ce qui ne se verra jamais. L’émotivité. La vulnérabilité. Les doutes dans les yeux bleus de mon père. Les précipices, la transe et le trac. La foi. Tous les dangers d’être femme ou minorité dans notre impitoyable société.

 

Page 102 : Est-ce que ma mère pense que les gens autour de nous sont mieux lotis ? Des familles avec grain de beauté suspect mais sans papa frappadingue qui subitement s’enfile des robes et des négligés.

 

Page 183 : — Transsexuel, c’est un terme insultant et pathologisant. Un mot de psy pour parler de troubles psychosexuels.

 

Page 201 : Ce jour-là, j’ai aimé ma mère plus que l’univers.

 

 

 

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Mon avis : Chasse à l’homme – Gretchen Felker-Martin

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Héloïse Esquié

 

Éditions Sonatine

 

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Quatrième de couverture :

Une épidémie a transformé tous les êtres humains à haut niveau de testostérone en des créatures uniquement mues par leurs besoins les plus primaires : se nourrir, violer, tuer. Tous les individus masculins sont ainsi devenus des zombies. Beth et Fran, deux femmes transgenres, sont chasseuses d'hommes. Elles ont en effet besoin d'absorber les œstrogènes contenus dans les testicules de ces derniers pour éviter la contagion. Bientôt, elles vont devoir affronter une armée de féministes radicales, qui haïssent davantage encore les transgenres que les hommes.


 

 

Mon avis :
On entre directement dans le vif du sujet avec un zombie répugnant dont on apprend que c'est à cause de sa testostérone qu'il en est là. Car oui, un immonde virus, le T. rex, transforme tous ceux dont le taux de testostérone est élevé. Donc les hommes sont touchés ainsi que les trans nés garçons qui n'ont pas eu le temps d'achever leur transition en se faisant faire une orchidectomie (oh le joli mot pour designer quelque chose de visuellement pas très beau MDR). Dès lors, ils ne pensent plus qu'à dévorer, tuer, violer.

Des trans femmes doivent consommer des testicule de zombies riches en œstrogènes pour contrer le virus qui risque de s'attaquer à eux. Iels (ah que ce pronom est pratique !) sont aussi la cible de TERF, féministes radicales, qui veulent les éradiquer car elles haïssent tout ce qui porte un chromosome Y, qu'iel soit devenu(e) femme ou pas. Donc pour Fran et Beth, deux trans femmes, il y a la traque des zombies pour leur becqueter les roubignoles tout en faisant attention de ne pas devenir leur objet sexuel et leur repas car ces derniers sont retournés à un état primaire, et la fuite devant une bande de TERF hyper agressives et dangereuses. La survie en permanence, le danger absolument partout et de toute nature. L'enfer sur terre.

Alors vu comme ça, ça peut paraître complètement déjanté ! Et vraiment c'est le sentiment que j'ai eu tout de suite. Mais ça traite d'un sujet de société terrible pour celleux qui le subissent : la transphobie. Et en amont, le sentiment d'injustice d'être né dans le mauvais corps et de pas parvenir à l'aimer tel qu'il est, l'incompréhension et le rejet de la plupart des gens y compris la famille, et le mépris, et la haine. Et puis dans ce monde là, les femmes trans sont terrifiée par le danger que leur biologie interne leur fait courir, à savoir se transformer en zombie.

Comment fabriquer un avenir à l'humanité quand celle-ci est amputée d'une moitié indispensable à sa pérennité ?
Ce roman nous dit que l'être humain sait s'adapter, n'est jamais à bout de ressource, mais parfois en pure perte.

Agressions, viols, trafics d'êtres humains, un monde chasse l'autre et tout perdure, mais cette fois c'est dans une société matriarcale. Une multitude de viragos qui veulent créer un monde à leur image, qui ne vaut pas mieux que celui d'avant, celui des hommes.

J'ai beaucoup aimé ce roman qui pourtant est d'une violence inouïe, où il est énormément question de sexe et de fureur guerrière dont l'unique but est de réduire à néant les porteurs du chromosome Y. On y trouve cependant infiniment d'amour, de loyauté, de solidarité et d'humour. Cette histoire est une déclaration d'amour et de sororité aux femmes transgenres et une dénonciation de l'intolérance.

 

Citations :

Page 16 : Sur son front, juste au-dessus de l’arête de son petit nez mutin en pente de ski, un tatouage austère : XX. Chatte certifiée 100 % naturelle par les Filles de la Sorcière-Qu’On-Ne-Peut-Pas-Brûler ou la quelconque divinité merdique du festival de musique Womyn’s du Michigan à laquelle la TERFocratie du Maryland prêtait allégeance. Merde.

 

Page 40 : Un hurlement d’homme s’éleva de nouveau dans les bois, pas très loin cette fois, et par un accord tacite, elles s’arrêtèrent pour regarder les oiseaux s’envoler des arbres en nuées tourbillonnantes. Beth se demanda, et ce n’était pas la première fois, s’ils se sentaient seuls, ces êtres qui étaient autrefois des hommes. Si leurs femmes, leurs mères, leurs filles, leurs copines et leurs dominatrices leur manquaient. Mais peut-être qu’ils étaient heureux désormais, libres de violer, de tuer et de manger qui ils voulaient, libres de chier, de pisser et de se branler dans la rue.

Peut-être ce monde était-il celui qu’ils avaient toujours voulu.

 

Page 152 : Pendant un an et demi, après avoir laissé tomber ses études, elle avait habité, au premier étage, un placard dégueulasse en guise de chambre, sortant à tour de rôle avec un casting tournant de colocs et d’ami.e.s d’ami.e.s : transboys maigrelets, gouines en cuir vénères, demi-sexuel.l.e.s à la coupe au bol à moitié ironique qui passaient des heures sur Tumblr à parler du genre et s’interrogeaient pour savoir si le nœud papillon était un marqueur de la lutte des classes, jusqu’à ce que chaque relation médiocre, inévitablement, se consume pour laisser place à une rancœur silencieuse, cassante.

 

Page 216 : Même si vous pensez sincèrement avoir eu une enfance de fille, en réalité, vous avez été élevés comme des hommes. Vous avez été élevés pour brutaliser, pour voler, pour mépriser les femmes qui vous ont élevés et ont sacrifié leur vie pour protéger la vôtre.

 

Page 346 : La fille battue lécha ses lèvres desséchées.
« Ce qu’on leur fait... » Sa voix était un croassement rauque, guère plus qu’un murmure. « C’est exactement la même chose que ce les hommes nous faisaient avant.

Ce sont des hommes.

Non. » La paupière de Karine se baissa. « Elles n’en sont pas, et je crois que vous le savez. »

 

 

 

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Mon avis : Des milliers de lunes – Sebastian Barry

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Laetitia Devaux

 

Éditions Joëlle Losfeld

 

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Quatrième de couverture :

Bien qu’il s’agisse d’une histoire à part entière, nous retrouvons Winona Cole, la jeune orpheline indienne lakota du roman Des jours sans fin, et sa vie dans la petite ville de Paris, Tennessee, quelques années après la guerre de Sécession.
Winona grandit au sein d’un foyer peu ordinaire, dans une ferme à l’ouest du Tennessee, élevée par John Cole, son père adoptif, et son compagnon d’armes, Thomas McNulty. Cette drôle de petite famille tente de joindre les deux bouts dans la ferme de Lige Magan avec l’aide de deux esclaves affranchis, Tennyson Bouguereau et sa sœur Rosalee. Ils s’efforcent de garder à distance la brutalité du monde et leurs souvenirs du passé. Mais l’État du Tennessee est toujours déchiré par le cruel héritage de la guerre civile, et quand Winona puis Tennyson sont violemment attaqués par des inconnus, le colonel Purton décide de rassembler la population pour les disperser.
Magnifiquement écrit, vibrant de l’esprit impérieux d’une jeune fille au seuil de l’âge adulte, Des milliers de lunes est un roman sur l’identité et la mémoire, une sublime histoire d’amour et de rédemption.

 

 

Mon avis :
Ce roman, qui peut se lire indépendamment mais a mon avis c'est pas une bonne idée, fait suite à 
Des jours sans fin, superbe histoire qui nous parlait de John Cole et Thomas McNulty, tour à tour soldats puis artistes travestis sur scène, compagnons de route et amants.

Peu après la guerre de sécession, Winona Cole nous raconte. Elle est lakota et orpheline. Elle a été sauvée par Thomas McNulty lors du massacre de son peuple, puis adoptée par lui et son compagnon, 
John Cole. Elle nous parle de la tristesse, du vide, du manque de sa famille, elle l'enfant dont on a détruit les racines. Elle nous dit que dans l'Amérique de ce temps-là, un noir n'était rien, mais un indien encore moins que ça. Elle nous dit aussi l'amour de ses deux pères. J'ai immédiatement été saisie par la beauté de l'écriture.

Un monde dans lequel survivre est un combat quotidien, car si Thomas McNulty est un immigrant irlandais, 
John Cole, l'amour de sa vie, a du sang indien, et ils sont les pères d'une indienne. Deux esclaves affranchis vivent sous leur toit, frère et soeur. Une famille totalement hors-normes donc.

Winona parle de ce monde implacable, peuplé d'hommes brutaux, et de ce que beaucoup de prédateurs se permettent de faire aux femmes. Cet acte immonde de domination depuis la nuit des temps. Mais aussi de l'injustice faite aux noirs, aux indiens, aux femmes encore et toujours. Un sentiment d'errance de beaucoup d'hommes qui étaient soldats pendant la guerre de sécession, qui ne savent plus quoi faire de leur violence et qui l'exercent à tort et à travers. La guerre était abominable, l'après guerre est une autre forme d'horreur, où la fureur et l'insécurité règnent.

Après l'agression de Winona, dont elle a tout oublié, puis de Tennyson l'esclave affranchi, tous espèrent réparation, même l'avocat Briscoe pour qui Winona travaille. Pourtant ils savent que les noirs sont peu de chose aux yeux du monde, et les indien même pas des citoyens.

J'ai adoré cette histoire qui a fait faire du yoyo à mon coeur à la toute fin, et l'a fait rager tout le long. Car il y a là toute l'injustice du monde envers certaines catégories de personnes, et la noirceur de l'âme humaine s'étale au grand jour. Heureusement il y a aussi infiniment d'amour et d'abnégation.

Mais voilà que j'ai envie de relire 
Des jours sans fin car ma lecture de celui-ci date de plusieurs années.

 

Citations :

Page 13 : Quand un pauvre fait quelque chose, il doit le faire de façon discrète. Par exemple, quand un pauvre tue, il doit le faire très discrètement puis courir aussi vite que les petites biches qui jaillissent des bois.

 

Page 55 : La plupart des Blancs ne voient que l’esclave ou l’Indien. Ils ne voient pas une âme. Ils ne voient pas que ce sont des empereurs pour qui les aime.

 

Page 64 : Je n’étais pas la seule à l’époque à vouloir calmer le regard des hommes avec l’apparence d’un garçon, et j’avais appris quelle folie c’était de ne pas le faire.

 

Page 93 : Aucun acte de compassion ou de cruauté de l’Amérique blanche n’avait jamais eu lieu sans correspondre à un bout de papier quelque part. Même une jeune Indienne comme moi qui se faisait passer pour un garçon au visage bien propre savait ça. Je ne doutais pas que les miens aient été tués dans le respect de la loi. Mais pas notre loi, car notre loi n’était constituée que de mots balayés par le vent.

 

Page 176 : J’ai entendu Rosalee parler tout à coup très fort puis éclater de rire. C’est incroyable que toutes ces paroles qui parcourent nos vies ne soient jamais prises en considération, qu’on n’en garde aucun souvenir.

 

Page 193 : Il ne me quittait pas des yeux, il guettait ma réaction. Je ne souriais pas vraiment, mais ce n’était pas comme si je ne souriais pas du tout. Je me suis dit : « Winona, ne chavire pas. Tu ne dois pas oublier comme ce monde est dangereux, qu’ici est un endroit puissamment dangereux, mais tu dois y survivre. Sois sage, Winona, et tu survivras. Il y a toujours des ennuis qui arrivent, ce n’est pas la peine d’espérer autrement. Mais il faut s’en affranchir. Pour ressurgir de l’autre côté. S’il y a un autre côté. »

 

Page 227 : « T’es vraiment de la vermine, tu sais ? Il a dit. Des sauvages sans pitié, voilà ce que dit cette bonne vieille déclaration sur vous aut’. C’est pour ça qu’on a fait c’te guerre. Pour éliminer la vermine que t’es d’la surface de la terre comme ces rats ou ces loups qu’vous êtes. »

 

 

 

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Mon avis : Le syndrome du canal carpien – John Boyne

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Sophie Aslanides

 

Éditions Le Livre de Poche

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Les Cleverley sont britanniques, célèbres et riches. Ils n’ont aucune conscience de la fragilité de leurs privilèges… jusqu’au jour où un tweet les fait basculer dans le désastre. George, le père, un animateur de télévision – un trésor national (selon sa propre expression) –, sa femme, Beverley, romancière reconnue (pas autant qu’elle le souhaiterait), et les enfants, Nelson, Elizabeth et Achille : tous cachent sous les apparences des secrets qui sont autant d’inéluctables catastrophes.
Ensemble, ils découvrent les affres de la vie moderne, où les réputations sont détruites en un clin d’œil, et ils apprennent combien le monde se révèle impitoyable lorsque l’on s’écarte du chemin tout tracé.

Avec l’humour unique qui le caractérise, John Boyne dresse un portrait irrésistible de notre époque et de ses travers.

Une comédie sur les défauts contemporains et l’addiction aux réseaux sociaux, une fiction pleine de rage et de finesse sur la duplicité humaine. Christine Ferniot, Télérama.

C’est hilarant, joyeusement méchant et vengeur. Christilla Pellé-Douël, Psychologies magazine.

 

 

Mon avis :
George Cleverley, animateur de télévision, semble être un homme parfait. Citoyen parfait, mari parfait, père parfait, homme tolérant et engagé dans des combats justes, marche des fiertés, protection animale, humaniste et anti sexiste. Jusqu'au jour où, coup de canif dans le contrat, et un bébé adultérin se profile à l'horizon.
Berverley, son épouse est une romancière à succès, totalement superficielle et nombriliste.
Leur fils aîné, Nelson est quelqu'un de très bizarre et gentiment névrosé.
Elizabeth, leur fille est un pur produit de notre époque, très autocentrée et qui se rêve influenceuse.
Le fils cadet, Achille, ouh là là le petit escroc !


John Boyne passe à la moulinette, avec son humour ravageur, les travers de notre époque hyper connectée. Les réseaux sociaux, les haters, le wokisme, le body shaming, les platistes, les offusqués pour tout, le speed dating, l'excès de tolérance qui vire à l'intolérance, les narcissiques, les femmes qui détestent les hommes, les hommes qui méprisent les femmes, les sites de rencontres, les non binaires, la bêtise, les complotistes, l'hypocrisie, le tribunal d'internet qui salit et blesse les gens le temps d'envoyer un tweet, tout, tout, tout y passe avec une ironie mordante que j'ai adorée. L'auteur étrille gaiement les aspects négatifs des réseaux sociaux et c'est jubilatoire.

Des personnages hauts en couleur, des dialogues parfois absurdes mais tellement drôles et des choix désastreux nous emmènent de péripéties en catastrophes. Les Cleverley, fantasques et totalement anticonformistes, ont le don de se mettre dans des situations impossibles. J'ai trouvé chaque membre très attachant, même si j'ai mis plus de temps pour apprécier Beverley la mère et Elizabeth la fille, qui semblent totalement égocentriques et creuses. Avec tous les personnages qui gravitent autour, y compris la tortue, c'est un peu la raison du plus fou et c'est joyeusement féroce.

C'est un roman incroyable qui dit avec humour beaucoup de choses sur nos sociétés puériles et vaniteuses, où moins on en sait et plus on l'ouvre. 
John Boyne tourne en ridicule "une génération de crétins dont les mains sont greffées à leurs Smartphone", mais en réalité il se moque de tous ceux qui ne pensent plus qu'avec leur téléphone portable et internet, toutes générations confondues. Je me suis délectée de chaque moment, de chaque analyse de nos travers. Et j'ai beaucoup ri ! Et j'aime définitivement passionnément John Boyne !!!

 

Citations :

Page 64 : Beverley se pencha vers son interlocutrice. « Il faut que je vous dise. Je suis une personne incroyablement créative. Je l’ai toujours été. L’inspiration me coule dans les veines. Et j’adore totalement la littérature. Je lis six ou sept livres par an, incroyable, non, ce qui est probablement la raison pour laquelle je suis l’une des autrices les plus populaires du pays.

 

Page 192 : Des gens meurent, d’autres vivent. Et la planète continue à tourner. Nous sommes tellement nombreux que Dieu ou Bouddha ou Elvis ou la personne qui se trouve là-haut doit bien réveiller un volcan endormi de temps en temps, juste pour contrôler la prolifération.

 

Page 258 : Et quand il commit l’erreur d’ouvrir Twitter sur son portable en fin d’après-midi, des milliers de messages étaient apparu dans ses notifications, tous provenant des mêmes idéalistes compatissants #SoyezBienveillants qui lui disaient qu’il était vieux, gros, stupide, ignorant, raciste, homophobe, antisémite, transphobe, un Remoaner, misogyne, hypocrite, un dinosaure, un violeur d’enfants, un fasciste, un français, un connard, un con, un patient atteint de démence, un mauvais conducteur, un mangeur bruyant, un violeur, un lecteur du Daily Mail, un Tory, un Républicain irlandais, un soutien du Hamas et un fan de Michael Bublé.

 

Page 364 : Wilkes ne croit pas en l’éjaculation dans une femme. Il la considère comme une forme d’irruption coloniale.

 

Page 429 : J’essayais en réalité d’apporter mon soutien, mais dans leur infinie sagesse, les grands esprits des réseaux sociaux ont décidé que je n’aidais pas de la bonne façon. Ainsi, comme il n’avaient rien d’autre pour occuper leur matinée, parce qu’ils avaient déjà passé une demi-heure à vérifier que tous leurs doigts et tous leurs orteils étaient bien présents et en bon état, ils ont reporté leur colère sur moi. Enfin vous savez, ce n’est pas parce que vous appartenez à une minorité que vous êtes automatiquement qualifié pour être un saint. Vous pouvez aussi être étroit d’esprit, narcissique et tyrannique.

 

 

 

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Mon avis : Ce que je sais de toi – Eric Chacour

Publié le par Fanfan Do

Éditions Philippe Rey

 

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Quatrième de couverture :

Le Caire, années 1980. La vie bien rangée de Tarek est devenue un carcan. Jeune médecin ayant repris le cabinet médical de son père, il partage son existence entre un métier prenant et le quotidien familial où se côtoient une discrète femme aimante, une matriarche autoritaire follement éprise de la France, une sœur confidente et la domestique, gardienne des secrets familiaux. L'ouverture par Tarek d'un dispensaire dans le quartier défavorisé du Moqattam est une bouffée d'oxygène, une reconnexion nécessaire au sens de son travail. Jusqu'au jour où une surprenante amitié naît entre lui et un habitant du lieu, Ali, qu'il va prendre sous son aile. Comment celui qui n'a rien peut-il apporter autant à celui qui semble déjà tout avoir ? Un vent de liberté ne tarde pas à ébranler les certitudes de Tarek et bouleverse sa vie.
Premier roman servi par une écriture ciselée, empreint d'humour, de sensualité et de délicatesse, Ce que je sais de toi entraîne le lecteur dans la communauté levantine d'un Caire bouillonnant, depuis le règne de Nasser jusqu'aux années 2000. Au fil de dévoilements successifs distillés avec brio par une audacieuse narration, il décrit un clan déchiré, une société en pleine transformation, et le destin émouvant d'un homme en quête de sa vérité.

 


Mon avis :
Ce roman était dans ma wishlist, j'ai eu la chance de le recevoir grâce à Lecteurs.com alors MERCI MERCI MERCI.

Le Caire - 1961.
Ce roman débute en un temps où les enfants ne choisissaient généralement pas ce qu'ils feraient dans la vie. À la question de son père lui demandant ce qu'il aimerait plus tard, de fil en aiguille Tarek dit involontairement qu'il voudra être médecin. Donc il sera médecin, comme son père. Il suivra ce chemin tracé pour lui de longue date, tranquillement, consciencieusement.

L'histoire fait des allers-retours dans plusieurs époques et m'a appris un certains nombre de choses sur l'histoire de l'Égypte et le cosmopolitisme cairote.
Ce qui m'a sauté aux yeux très rapidement, c'est que l'auteur décrit les sentiments, les pensées et les comportements humains magnifiquement. C'est comme s'il m'avait donné les clés qui me permettaient soudain de comprendre mes semblables : […] il n'y a pas d'adultes au comportement d'enfant, il n'y a que des enfants qui ont atteint l'âge où le doute est honteux.
Une chose m'a attristée et heurtée, seul Tarek semble avoir de l'importance aux yeux de ses parents. Ce que dit ou pense Nesrine, sa sœur cadette, n'est jamais entendu. Elle est quantité négligeable.
Par ailleurs, le narrateur s'adresse à Tarek et le tutoie. Cette façon de faire, très inhabituelle, m'a énormément plu. Il lui parle, et de fait nous raconte son histoire et ça rend le tout assez intime. Mais Tarek et son côté humaniste qui ne se satisfaisait plus uniquement de la médecine pour les riches et de la petite vie convenable qu'elle engendre, au fond s'est-il trouvé où s'est-il perdu ? Car son chemin tout tracé va prendre des voies sinueuses qui affecteront le cours de sa vie.

J'ai beaucoup aimé la narration qui met une petite distance entre les personnages et nous tout en nous invitant dans leurs vies et surtout celle de Tarek, avec ce qu'il faut de pudeur, sans jamais aucun voyeurisme ni pathos. On finira par apprendre qui est le narrateur puis d'autres choses, auxquelles je ne m'attendais pas du tout et je l'ai ressenti comme le second souffle de cette histoire.

Une écriture belle et envoûtante, tout en nuances et délicatesse qui nous raconte l'histoire d'une vie qui finalement n'entre pas dans les cases qui lui avaient été assignées. Combien de gens regardent en arrière et regrettent ? Sans doute beaucoup. Pourtant, à quoi bon ?
J'ai adoré ce roman qui nous parle de la vie et des choix, ou non-choix, qu'on fait, qui peuvent être aux antipodes de ce qu'on aurait pu imaginer de plus fou, qui forgent irrémédiablement nos existences. C'est peut-être ça qu'on appelle le destin et qui pourtant n'est que le résultat de nos décisions. Ce roman nous emmène de 1961 à 2001, du Caire à Montréal. C'est aussi l'histoire d'une quête, du besoin de combler un manque, le manque de quelque chose d'essentiel.

 

Citations :

Page 17 : Tu appréciais davantage la compagnie des adultes que celle des enfants de ton âge. Tu étais ébloui par ceux qui n’hésitent jamais. Ceux qui, avec le même aplomb, peuvent critiquer un Président, une loi ou une équipe de football. Ceux dont chaque geste semble affirmer qu’ils détiennent la vérité pleine et entière. Ceux qui régleraient en un claquement de doigts les questions de la Palestine, des Frères musulmans, du barrage d’Assouan ou des nationalisations. Tu finissais par croire que c’était cela , l’âge adulte : la disparition de toute forme de doute.

 

Page 35 : De même que les zabbalines du Moqattam dédiaient leur existence à redonner vie aux objets qui finissaient entre leurs mains, tu t’appliquais à soigner ces corps malmenés, ces membres disloqués, ces plaies purulentes dont personne ne distinguait plus l’odeur tant ce bidonville concentrait à lui seul les exhalaisons les plus fétides.

 

Page 182 : Je ne comprenais pas ces lettres mais je les aimais. Elles te disaient. Je ne pouvais pas encore m’en rendre compte, mais elles étaient à la fois honteuses et sublimes. Elles étaient rédigées dans l’arabe empêché de celui qui a dû apprendre tard à l’écrire. Elles avaient le tracé hésitant, la syntaxe malmenée, elles respiraient l’effort, le doute, la sueur. Elles portaient en chaque mot la crainte, celle d’être ridicules, perdues ou interceptées, de ne jamais te parvenir. Elles sentaient le mauvais papier, la nature et le manque. Elles ne disaient jamais « Je t’aime ». Elles disaient toutes « Je t’aime ». Elles ne disaient jamais ce qu’elles disaient vraiment mais j’étais, à cet âge, bien loin de l’entrevoir.

 

Page 279 : La nouvelle année est pourtant vieille de quelques semaines, mais le temps ne se mesure pas de la même manière dans un hôpital. Ceux qui savent qu’ils s’en sortiront cherchent à le tuer, les autres tentent d’en gagner un peu.

 

 

 

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Mon avis : Les fureurs invisibles du cœur – John Boyne

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Sophie Aslanides

 

Éditions JC Lattès Le Livre de Poche

 

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Quatrième de couverture :

Cyril n’est pas « un vrai Avery » et il ne le sera jamais – du moins, c’est ce que lui répètent ses parents, Maude et Charles. Mais s’il n’est pas un vrai Avery, qui est-il ? Né d’une fille-mère bannie de la communauté rurale irlandaise où elle a grandi, devenu fils adoptif des Avery, un couple dublinois aisé et excentrique, Cyril se forge une identité au gré d’improbables rencontres et apprend à lutter contre les préjugés d’une société irlandaise où la différence et la liberté de choix sont loin d’être acquises.

Une grande fresque sur l’histoire sociale de l’Irlande transformée en épopée existentielle. Florence Bouchy, Le Monde des livres.

John Boyne partage avec le chef-d’œuvre de John Irving, Le Monde selon Garp, un même souffle épique. Delphine Peras, L’Express.

Une éducation sentimentale et politique portée par l’art d’un romancier qui sait sonder les reins et les cœurs. Christophe Ono-dit-Biot, Le Point.

 

 

Mon avis :
Magie de la littérature, j'ai adoré ce roman dès les premières lignes. Immédiatement, il ne vous lâche plus, il vous emporte avec lui. J'aurais voulu m'abstraire du monde et rester dans ma lecture jusqu'au mot fin sans devoir m'arrêter.

Le narrateur nous raconte sa vie, depuis sa conception dans le péché, car sa mère n'avait que seize ans et ça se passait en 1945. Elle fut chassée par ses parents après avoir été copieusement insultée par le curé pendant la messe. Elle accoucha à Dublin, où, seule et sans argent, elle confia son fils à l'adoption.
C'est ainsi que Cyril, enfant à la maturité étonnante, grandit chez les Avery ses parents adoptifs, un couple dysfonctionnel passablement déjanté.

J'ai eu sans cesse l'impression d'être parachutée dans un monde inconnu. L'Irlande, pays étrange pour moi qui n'en connaissais que le nom et la situation géographique, m'est apparu extrêmement puritain et intolérant, presque moyenâgeux. D'ailleurs l'auteur le dit explicitement que "L'Irlande est épouvantablement rétrograde, dirigée par des curés malveillants, malintentionnés et sadiques [...]"

J'ai adoré Cyril qui, à sept ans avait déjà un regard acéré sur ce qui l'entourait, qui se rendait bien compte qu'il ne fonctionnait pas comme la majorité des gens, et qui acceptait la place étrange qu'il occupait auprès de ses parents adoptifs, pas vraiment un meuble mais pas un enfant non plus. D'ailleurs les parents sont des phénomènes dans leur genre, complètement inconséquents, égoïstes et superficiels mais jamais malveillants. En réalité, tous les personnages sont incroyables et souvent très drôles.

Cyril est torturé par sa conscience : il déteste le mensonge. Or, à l'époque, l'homosexualité était pénalement réprimée en Irlande ce qui l'obligeait à cacher ce qu'il avait compris sur lui-même depuis très longtemps. Sans parler de l'homophobie ambiante totalement assumée par tout un chacun et la violence qui en résultait à l'encontre des homosexuels considérés comme des pervers et des moins que rien.

Les nombreux personnages et leurs destinées sont passionnants.
Chose à laquelle je ne m'attendais pas en commençant ce livre, j'ai énormément ri ! Des dialogues totalement hilarants ponctuent ce roman. C'est d'une drôlerie incroyable alors que le sujet est douloureux dans les époques que le narrateur traverse, toutefois sans jamais donner dans le pathos, bien au contraire, tout en étant très émouvant par moments.
C'est un énorme coup de cœur que ce roman qui nous dit la difficulté, la douleur et la peur souvent, de vivre son homosexualité selon l'endroit et l'époque où l'on naît. L'auteur met en exergue la beauté intérieure de ceux qui en sont pourvus, nous éclaire sur les liens invisibles et les pirouettes du destin qui se jouent de nous.
J'ai adoré ce récit d'une vie entière et de toutes celles dans son sillage, raconté avec tant de verve et de délicatesse aussi, qui nous montre l'évolution de la société irlandaise qui a eu bien du mal à s'ouvrir l'esprit, de 1945 à nos jours.

Une chose est sûre, c'est que je vais poursuivre la découverte de l’œuvre de 
John Boyne qui vient d'entrer dans mon panthéon des auteurs incontournables auprès de Yasmina KhadraPat ConroyJeanine CumminsLance WellerAnne SteigerMaria José SilveiraLaurent Gaudé et Paul Auster entre autres.
Les 853 pages lues en cinq jours, c'est dire si l'histoire est prenante.

 

Citations :

Page 33 : Non, je suis enfant unique. Après ma naissance, ma mère ne pouvait plus en avoir d’autre et père ne lui a jamais pardonné. Il va voir ailleurs. Il a plusieurs petites amies et personne ne dit jamais rien parce que d’après le curé, un homme a le droit de s’attendre à ce que sa femme lui donne une maison pleine d’enfants, et un champs stérile ne peut être semé.

 

Page 39 : Je n’ai rien avalé d’autre qu’un petit sandwich aujourd’hui, je pourrais dévorer un petit protestant si quelqu’un voulait bien lui verser un peu de sauce sur la tête.

 

Page 88 : Sa mère était fille-mère, aimait à dire Charles. Et nous, dans un acte de charité, l’avons pris chez nous et lui avons donné un foyer. Une sœur rédemptoriste bossue nous l’a apporté. Si vous voulez un enfant un jour, ce sont les nonnes qu’il faut appeler, je vous assure. Elles en ont plein. Je ne sais pas où elles les stockent, ni comment elles les trouvent, à vrai dire, mais il n’y a jamais pénurie.

 

Page 116 : Mon Dieu, cette femme m’a fait des choses qu’aucune ne m’a jamais faites. Tant que tu n’auras pas eu de fellation de ta mère adoptive, Cyril, tu ne sauras pas vraiment ce qu’est une pipe de qualité.

 

Page 184 : Nous étions en 1959, après tout. Je ne savais presque rien de l’homosexualité, en dehors du fait que succomber à ce genre de désir était un acte criminel en Irlande qui donnait lieu à une peine de prison. À moins que j’entre dans les ordres, dans ce cas, il s’agissait d’un avantage en nature de la profession.

 

Page 304 : C’était une période difficile, pour un Irlandais âgé de vingt et un an attiré par les hommes. Quand on possédait ces trois caractéristiques simultanément, on devait se situer à un niveau d’hypocrisie et de duplicité contraire à ma nature.

 

Page 317 : Beaucoup de garçons ont eu des sentiments identiques, depuis les Grecs de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Les pervers, dégénérés et cinglés ont toujours existé, ne pensez pas une seconde que vous êtes spécial.

 

Page 382 : Je crois que ce sont des gens qu’on appelle communément des mondains, déclara-t-elle, la voix pleine de dédain. La définition du dictionnaire doit être quelque chose comme : un paquet d’individus égocentriques, narcissiques, physiquement attrayants mais intellectuellement sans profondeur, dont les parents ont tellement d’argent qu’ils n’ont absolument pas besoin de travailler. Ils vont de fête en fête, dans le seul but de se faire voir, tandis qu’ils s’érodent de l’intérieur, comme une batterie vide, à cause de leur manque d’ambition, de perspicacité ou d’esprit.

 

Page 486 : Je n’ai pas mis les pieds en Irlande depuis trente-cinq ans et il faudrait une armée entière de mercenaires pour m’y traîner. Un pays atroce. Des gens horribles. Des souvenirs terribles.

 

Page 488 : L'Irlande est épouvantablement rétrograde, dirigée par des curés malveillants, malintentionnés et sadiques, et le gouvernement est aussi asservi par le pouvoir religieux qu’un chien mené au bout d’une laisse.

 

Page 815 : Vous ne pouvez pas comprendre, mais c’est quelque chose dont toutes les filles se rendent compte à un moment donné dans leur vie, généralement vers quinze ou seize ans. Peut-être que maintenant, cela arrive encore plus tôt. Elles comprennent qu’elles ont plus de pouvoir que tous les hommes de la pièce réunis, parce que les hommes sont faibles, se laissent gouverner par leurs désirs et leur envie frénétique de posséder des femmes. Mais les femmes sont fortes. J’ai toujours pensé que si les femmes pouvaient mobiliser toutes ensemble le pouvoir qu’elle détiennent, elles dirigeraient le monde.

 

Page 818 : Les curés tenaient les rennes du pays à cette époque-là, et ils détestaient les femmes. Oh, mon Dieu, comme ils haïssaient les femmes et tout ce qui était en rapport avec elles, avec le corps, les idées, les désirs des femmes. Chaque fois qu’ils avaient l’occasion d’humilier une femme, de la briser, ils s’en donnaient à cœur joie. Je crois que c’était parce qu’ils les désiraient sans pouvoir les avoir. Sauf, bien sûr, quand ils en avaient une en douce. Ce qui arrivait souvent.

 

 

 

 

 

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Mon avis : Homo sapienne – Niviaq Korneliussen

Publié le par Fanfan Do

Traduit du danois par Inès Jorgensen

 

Éditions 10 18 LA PEUPLADE

 

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Quatrième de couverture :

Nuuk, capitale du Groenland. Cinq jeunes mêlent leurs voix pour raconter ce qui, jusqu’à maintenant, a été laissé sous silence : Fia découvre qu’elle aime les femmes, Ivik comprend qu’elle est un homme, Arnak et Inuk pardonnent, et Sara choisit de vivre. Sur « l’île de la colère », où les tabous lentement éclatent, chacune et chacun se déleste du poids de ses peurs.

Niviaq Korneliussen manie une langue crue, sensible et indomptée. Avec ce roman choral vibrant et semblable à nul autre, elle s’impose comme la nouvelle voix d’une jeunesse groenlandaise qui se cherche, mais aussi, par-delà les frontières, d’une génération avide de liberté sexuelle.

 

« Un roman étonnamment moderne, follement décomplexé. »

L’Obs


 

Mon avis :
Le couple, dans tout ses états, et surtout dans un état de décomposition avancée. Une histoire d'amour sans amour, sans amour partagé, comme une erreur de casting. Des couples qui se font et se défont. Puis la découverte de soi autrement.

Des dialogues très étranges qui ne ressemblent pas à des dialogues, où on passe sans transition d'un interlocuteur à l'autre dans la même phrase, elle-même ponctuée de bouts de phrases en anglais, voire de paragraphes entiers, et parfois de mots danois ou inuits. Ça a été compliqué pour moi qui ai laissé mon anglais loin derrière, dans mes dernières années de lycée, il y a longtemps. Cela dit, ça semble avoir été une piqûre de rappel parce que j'ai fini par comprendre ce que je lisais.

Cinq jeunes, quatre filles, un garçon. Chaque chapitre a le nom d'un des protagonistes dont on suit les émotions, les sentiments, les espoirs, les blessures.

Dès le premier chapitre j'ai cru que j'allais m'ennuyer à mourir et détester ce court roman, tant il est étrange. Contre toute attente je l'ai beaucoup aimé ! Pourtant je n'ai pas tout compris tout de suite. La chronologie m'a semblé totalement décousue. C'est plein de jeunes, qui s'aiment, se quittent, se soûlent, s'envoient en l'air, vomissent, et recommencent.

Ce livre semble fait de petits récits qui racontent une fuite en avant, qui nous parlent d'amour et du mal qu'on peut se faire, des révélations à soi-même et l'acceptation de ce qu'on est, de transidentité, de coming out, de rejet, de peurs.

Bousculer l'ordre établi paraît être le credo de ce roman qui nous raconte une certaine jeunesse groenlandaise LGBTQI+ et nous dit que l'amour est universel.

 

 

Citations :

Page 24 : Foutu roi de la tranquillité, depuis quand n’as-tu pas été un peu excitant ? Ai-je envie de gueuler.

 

Page 124 : J’ai moi aussi commencé à me poser des questions. Je me posais des questions sur la raison pour laquelle ils se posaient des questions. Ma famille a commencé à avoir des doutes sur moi. Ils avaient des doutes sur qui j’étais. Quand ma famille s’est mise à avoir des doutes sur moi, cela m’a fait douter. Je me suis mise à avoir des doutes sur la raison pour laquelle ils avaient des doutes sur moi.

 

Page 157 : Quand les contractions deviennent plus fortes, les os de mes doigts sont sur le point de se briser, mais je ne sens que les douleurs de ma sœur. Son visage est rouge foncé. Son corps est si gonflé que je suis sûre qu’il exploserait si on y enfonçait une aiguille. J’aperçois ce qui essaie de sortir et je suis effrayée.

Je refuse de m’évanouir et essaie de ne pas imaginer une grosse tête en train de sortir d’un petit trou. C’est impossible que ce soit possible. Je ne sais pas à quoi ça ressemble. Merde, sérieusement, je ne sais vraiment pas à quoi ça ressemble !

 

 

 

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Mon avis : Un jour je serai trop célèbre – Raziel Reid

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Patricia Barbe-Girault

 

Éditions La Belle Colère

 

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Quatrième de couverture :

Jude est un ado atypique, prisonnier d’une ville ensevelie sous une neige brassée par les roues des 38 tonnes, où l’avenir se résume à la mine et à pondre des gamins. Il sait qu’il doit s’évader, car c’est une star, une étoile digne de l’âge d’or du cinéma. Dans le film de sa vie qu’il tourne au quotidien, il défile sur le tapis rouge de son sous-sol en tenue échancrée, paupières pailletées et lèvres brillantes, rendu aveugle au monde et à ses figurants haineux par les flashs des paparazzis. Seulement Jude a quelque chose à accomplir : amoureux de Luke, il a une flamme à déclarer, même si elle doit précipiter son destin.

Inspiré de l’histoire vraie de Lawrence King, ce roman est un tourbillon sans tabou, la chronique d’un drame ordinaire où toute différence est bannie et où l’intolérance pousse à commettre l’irréparable. Mais c’est aussi une vie sur grand écran, le long-métrage trash d’une nouvelle génération où sexe, drogue et alcool maquillent la dureté et le désespoir d’une existence à la recherche de l’étincelle qui la fera exploser vers l’âge adulte. Raziel Reid livre une œuvre qui se joue des genres pour porter son héros en martyr étincelant dans un monde où aucune ­différence n’a le droit de briller.

Né en 1990, Raziel Reid est un romancier canadien proche de la cause LGBTQ+. Après des études de cinéma, il publie son premier roman, Un jour, je serai trop célèbre, qui fera de lui, à 24 ans, le plus jeune lauréat du prestigieux Governor General’s Awards. Il vit à Vancouver où il anime un atelier d’écriture consacré à la littérature young adult. Depuis son premier succès, Raziel Reid a écrit deux autres ouvrages, Kens, publié en 2018, et Followers, paru en 2020.

 

 

 

Pourquoi j’ai voulu lire ce livre :

Le sort des minorités m’a toujours intéressée autant que révoltée.

 

Mon avis :


Jude aime s'habiller avec les vêtements de sa mère, se maquiller même pour aller au collège, porter des talons hauts. Il aime Luke l'hétéro, la défonce, et son amie Angela.
Il nous raconte sa vie, y compris sexuelle onaniste et fantasmée. Comme il dit : ses histoires d'amour sont toujours unilatérales. C'est souvent cru et grossier, comme on aime l'être à l'adolescence.

Jude est totalement obsédé par le sexe, en bon ados-cocotte-minute-bourrée-d'hormones. D'ailleurs Angela aussi est complètement obsédée. Étrangement, les horreurs colportées sur eux via le net les amusent, flattent leur ego. Ils ont l'air de penser : Tout plutôt que d'être invisible. Ils prétendent adorer leurs haters. C'est que Jude lui, rêve de gloire, persuadé que sa vie sera remplie de paillettes et qu'il sera la nouvelle 
Marilyn Monroe. Un peu drama queen, franchement starlette hollywoodienne dans sa tête, avec une mère aimante mais dépassée, il rêve de partir de ce bled paumé où comme il dit "il y avait tout ce qu'il fallait pour peu qu'on n'ait besoin de rien". Il fait de sa vie un film, voit tout comme un scénario écrit spécialement pour lui.

Il pense sans doute qu'en étant dans la provocation il est le maître du jeu et non pas une victime. Pourtant, comment espérer gagner contre la bêtise et la mesquinerie de l'homophobie quand on est seul contre tous ? Il peine tant à trouver sa place.

J'ai rapidement pensé que ce roman ne m'était pas du tout destiné. Pourtant il arrive souvent que j'apprécie des romans Young Adult, mais là j'ai cru être tombée dans une dimension parallèle. Beaucoup trop ado, autodestructeur et au bord du gouffre en permanence, comme sur une corde raide au dessus du vide, comme si l'état d'adulte en ligne de mire ne pouvait offrir que désillusions. Néanmoins j'ai fini par adorer Jude le fantasque avec son gros grain de folie et ses rêves de gloire, qui étouffe dans sa petite ville à l'esprit étriqué.

Ce roman parle de la différence, de l'homophobie "ordinaire", si cruelle et destructrice qui fait vivre un enfer, parfois jusqu'à l'inéluctable, mais aussi d'une jeunesse qui veut tout expérimenter trop vite, au risque d'être blasé beaucoup trop tôt, et des chimères de la célébrité.

 

Citations :

Page 23 : Je ne vous dirai pas dans quelle ville j’habitais, parce que c’était un trou paumé et que ça ne ferait que vous donner le cafard. Il y avait tout ce qu’il fallait pour peu qu’on n’ait besoin de rien.

 

Page 178 : Il n’y a pas à dire, la célébrité, c’est le sida de votre génération.

 

 

 

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Mon avis : L’épouse d’Amman – Fadi Zaghmout

Publié le par Fanfan Do

Éditions L’Asiathèque

 

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Quatrième de couverture :

Ce roman se situe à Amman, en Jordanie. Quatre jeunes femmes et un jeune homme, Hayat, Rana, Salma, Leila et Ali prennent la parole tour à tour pour dire leurs souffrances et leurs interrogations devant les situations dramatiques et les choix de vie auxquels leur destin les confronte. Face à une société conservatrice qui les contraint et les humilie, on voit s'affirmer, à travers drames et vicissitudes, leur être profond et leur volonté de liberté.
Au-delà d'une évocation de la condition des femmes : soumission au chef de famille, primauté du mariage sur les études, importance de la virginité, l’Épouse d'Amman est un des premiers romans à parler ouvertement des questions LGBT dans le monde arabe.

 

Fadi Zaghmout est un intellectuel jordanien habitant Dubaï qui s'est focalisé sur les problèmes de genre dans le monde arabe. II tient depuis aoo6 un blog traitant de différents sujets de société au Moyen-Orient, " fadizaghmout.com ", avec des analyses en anglais et en arabe. Arous Amman, publié en noir, a été un best-seller controversé, sans pour autant être censuré.

 

 

Pourquoi j’ai voulu lire ce livre :

Depuis toujours les histoires de femmes m’intéressent, mais aussi l’histoire des minorités qui souffrent de l’intolérance du monde.

 

Mon avis :
Ce roman choral nous emmène à Amman en Jordanie. Au fil des chapitres on entend à tour de rôle les voix de Leila, Salma, Hayat, Rana, Ali.
Ces jeunes femmes nous racontent que leur but, imposé par la société, est de se marier, car une femme toujours célibataire à trente ans n'a plus aucune chance de convoler car trop vieille, donc adieu l'espoir d'avoir des enfants. De mère en fille les femmes perpétuent cette iniquité en faisant les entremetteuses. Car pour une fille sans mari, c'est sur la mère que rejaillit la honte. Mais pour trouver un mari, elles doivent posséder un diplôme qui leur permettra d'avoir un travail et donc un salaire, elles doivent être jeunes, jolies, gentilles, bonne ménagères, bonne cuisinière. Des robots ménagers en quelque sorte, mais avec le sourire.
Et les hommes ??? Bah, ils ont juste besoin d'avoir un travail… Et alors qu'ils n'ont qu'une seule casquette, ils seront les chefs absolus au sein de leur foyer. Ah ! le patriarcat !
Et Ali, lui, a un secret. Un secret bien lourd, une sacrée casserole pour cette culture. Une douleur qu'il traîne dans les tréfonds de son être.

On fait une incursion dans ce monde violent et révoltant où les femmes ne sont rien, complètement soumises à l'autorité des hommes, qui souvent en usent et en abusent. Ces hommes qui parlent beaucoup d'honneur quand il s'agit des femmes mais passent leur temps à le bafouer quand c'est pour eux-mêmes.

Leila pense avoir enfin trouvé le bonheur. Ali espère la rédemption. Hayat est dans la survie. Rana aime en dehors de sa religion. Salma n'attend plus rien, quoi que… Peut-on jamais jurer de rien ? Ces choses insignifiantes chez nous sont insurmontables dans certains pays. Et si la transgression était la voix vers l'émancipation !
L'auteur donne la parole à celles et ceux qui n'ont pas voix au chapitre. Il dénonce les abus du patriarcat, de la masculinité toxique, de la virilité abusive.
C'est scandaleux révoltant, terrifiant, mais au fond, il n'y a pas si longtemps c'était à peu de chose près la même chose en occident. J'ai trouvé très intéressante cette exploration des pensées existentielles des différents protagonistes, en proie à un mal-être induit par cette société intolérante de mâles dominants.

Maternité, homosexualité, harcèlement, adultère, inceste, émancipation, religion, amour, transidentité, discrimination, crime d'honneur, loyauté, féminisme, amitié, Sororité, tels sont les thèmes abordés dans ce roman qu'on ne peut pas, qu'on ne veut pas lâcher, suspendu à l'appréhension de ce qui pourrait arriver, de ce qui risque de se produire.

C'est un roman puissant qui décrit extrêmement bien le chemin chaotique qu'est la vie, et dont la tension va crescendo jusqu'à la fin, tant on ne peut qu'être en empathie avec les personnages.
Énorme coup de cœur pour moi.

 

Citations :

Page 8 : « Ça va pas non ? Tu vas pas te faire battre par une fille ? »

Depuis, l’écho de ce sarcasme du père a résonné pour moi comme une alarme. Cela m’a stimulée. Il m’a fallu m’appliquer, exceller, « battre » Louay, son père et toute la gent masculine.

Oui, je suis une fille. Et s’il y a bien une phrase que j’espère entendre dans la bouche des autres, c’est : « Elle est excellente ! »

 

Page 14 : Le compte à rebours commence après la remise des diplômes, parfois même avant. Et toutes les femmes se lancent dans une course contre la montre vers cette ligne d’arrivée qu’est mariage, chacune selon ses capacités. C’est un parcours darwinien qui sélectionne celles qui auront la chance de se caser. Le marathon peut durer des années. La voie se fait plus étroite à chaque seconde jusqu’à l’âge de trente ans, limite après laquelle les retardataires sont cataloguées comme des faillites sociales.

 

Page 32 : Les hommes, eux, n’ont d’autre devoir que de se consacrer à leur emploi et de ramener de l’argent à la maison. Demander à leur femme de les aider financièrement ne leur fait plus honte, mais partager avec elle les tâches ménagères reste un déshonneur.

 

Page 77 : Comme si le chemin qui s’ouvrait devant moi était parsemé de pétales de roses. J’aurai bientôt le meilleur diplôme qu’une femme puisse espérer : un certificat de mariage.

 

Page 112 : Le rôle de bourreau et de victime s’inverse. L’homme devient la victime du désir provoqué par le plus innocent geste d’une femme. La criminelle, c’est elle. C’est elle qui le provoque et l’excite ; le viol n’est que la conséquence de son comportement.

 

Page 117 : Lorsque j’ai décidé de suivre mon désir, je l’ai fait après m’être réapproprié mon corps. Mon corps est à moi et à moi seule. J’ai décidé de le libérer et d’exercer mes droits en tant que femme, en tant qu’être humain libre qui possède la chose la plus élémentaire du monde : un corps.

 

Page 122 : Aujourd’hui j’ai échappé à la lapidation, en un autre lieu et en un autre temps, j’aurais fini sur le bûcher, ou bien j’aurais été assassinée par un peloton d’exécution, ou pendue au bout d’une corde, ou encore écartelée et mise en pièces.

 

Page 124 : Au téléphone, il s’adresse à son compagnon au féminin pour que personne ne puisse deviner son secret. Moi aussi je camoufle mes appels avec Amer en faisant mine de parler avec une copine. Un jour, Samir aborde ce sujet. Nous en rions, d’un rire défaitiste, révélateur du dysfonctionnement de notre société qui oblige tous les rapports humains à se conformer à un seul et unique modèle, toujours au bénéfice des hommes.

 

Page 134 : « J’ai joué le jeu, j’ai suivi tes règles et tes coutumes. J’ai été une femme obéissante et vertueuse. Je n’ai jamais fréquenté d’homme. J’ai brillé dans mes études et excellé dans mon métier. J’ai travaillé et soutenu mon père. J’ai secondé ma mère dans ses tâches. Mais tout cela n’était jamais assez »

 

Page 164 : L’amour nous joue souvent des tours. On se consume pendant des mois, voire des années. On est prêt à bâtir toute sa vie autour de l’être aimé. L’amour qu’on lui porte est le cœur de notre monde qu’il colore et parfume à son contact. Mais il peut s’évanouir aussi vite qu’il est apparu. Une touche suffit pour enclencher la passion, une autre pour la faire disparaître.

 

 

 

 

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