Mon avis : My policeman – Bethan Roberts
Traduit par Claire Allouch
Éditions Hauteville
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Quatrième de couverture :
Mon policier ne ressemble en rien a Michael. C'est l'une des raisons pour lesquelles il me plaît. Les mots qui me viennent a l'esprit quand je pense a lui sont « lumière » et « délices », mais mon policier est très dangereux, malgré la lumière et les de lices qu'il m'inspire.
Brighton, années 1950. Marion rencontre Tom et en tombe éperdument amoureuse. Il lui apprend à nager sur la célèbre jetée, et lui révèle sans le savoir un monde sensuel dont elle a tout à apprendre. Quand Tom fait la connaissance de Patrick, sa vie en est bouleversée. Ce conservateur de musée l'entraîne dans son univers sophistiqué fait de voyages, d'art, de beauté. Dès lors, Tom n'est plus un simple officier de police, il est « leur » policier à tous les deux. Mais il est plus prudent pour lui d'épouser Marion et de fréquenter Patrick en secret. Quand on aime si résolument, on se croit capable d'aimer pour deux, mais jusqu'où Marion et Patrick seront-ils capables de partager leur passion ?
Une histoire vibrante de désir, librement inspirée de la vie sentimentale tumultueuse de E.M. Forster, tiraillé entre son mariage et la passion que lui inspira Bob Buckingham, un policier, dans une société régie par une morale asphyxiante.
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Mon avis :
Première partie, 1999. Marion, la narratrice, parle à Patrick, qui lui, ne peut plus parler. Elle lui raconte sa rencontre avec Tom dont elle était secrètement amoureuse il y a bien longtemps, dans les années 50, lorsqu'elle était adolescente, puis de sa rencontre avec lui, Patrick, plus tard, présenté par Tom. Dans ces années là, on n'attendait pas des filles qu'elles fassent des études, on ne couchait pas avant le mariage et on taisait l'homosexualité, la sienne ou celle de ses proches.
Le rythme est très lent et convient parfaitement à l'histoire qu'il raconte. C'est l'histoire d'un amour sacrificiel, un amour impossible, un amour interdit, un amour passion, un amour raisonnable, où mieux vaut des miettes que rien du tout. C'est l'histoire d'un triangle amoureux où il n'y a pas de gagnant. Une histoire d'abnégation et de générosité mais aussi de trahison.
La lenteur, les non-dits et les silences que l'autrice met dans ce récit font tellement d'époque qu'on est en immersion dans les années 50, totalement dans l'ambiance.
La deuxième partie donne la parole à Patrick, en 1957, quand il était conservateur du musée. Et là, le rythme change, le point de vue évidemment, et ça devient plus explicite. À travers ce récit on se rend compte de la peur qu'avaient les homosexuels d'être découverts, insultés, humiliés, de la persécution qu'ils pouvaient subir. Obligés de se cacher, ne pas pouvoir être eux-mêmes, c'est terrifiant. L'homophobie était totalement normalisée, voire même de bon ton. Et donc le mariage et une double vie était parfois la solution.
Puis la troisième partie redonne la parole à Marion et ainsi de suite, on alterne entre eux deux.
Sans doute que la lenteur de la narration, et l'alternance entre les deux narrateurs nous permet de mieux appréhender la douleur et l'injustice de certaines règles qui régissaient la société. Quant à l'homophobie, je me demande si c'est si différent à notre époque. Bien sûr cest mieux accepté, pour beaucoup totalement, en tout cas je l'espère. Mais il reste encore trop de gens haineux qui n'acceptent pas, bien que ça ne les regarde en rien.
J'ai trouvé ce roman à deux voix très étrange dans son rythme, prenant sans être transcendant bien que l'intérêt augmente à mesure qu'on avance dans l'histoire. Pourtant c'est un sujet qui me passionne, comment vivre caché dans une société étriquée, intolérante et punitive qui emprisonnait les homosexuels et leur disait qu'ils étaient pervers, répugnant, anormaux ? C'est la société elle-même qui les obligeait à travestir leur vraie nature, occasionnant des blessures collatérales, des vies gâchées inutilement. Et j'avais oublié qu'il y a pas si longtemps que ça, on appelait les homosexuels des bougres. Étrange terme, sûrement plein de mépris à l'époque, qui a totalement changé de sens de nos jours.
J'ai aimé les personnages, Marion et Patrick en qui j'ai trouvé de la grandeur, mais aussi Sylvie et Julia, beaucoup moins Tom et sa colère contenue, autoritaire et égoïste.
Citations :
Page 30 : Ce soir-là, j’ai écrit dans mon carnet : « Son soleil est comme la lune des moissons. Mystérieux. Plein de promesses. » J’étais très contente de ces mots, je m’en souviens. Et chaque soir après ça, je noircissais mon carnet du manque que suscitait Tom en moi. « Cher Tom », écrivais-je. Ou parfois : « Mon cher Tom », ou même « Tom chéri », mais je me permettais rarement cette petite transgression. La plupart du temps, il me suffisait de voir son nom apparaître en caractères tracés par ma main. À l ‘époque, j’étais facile à satisfaire. Parce que, quand on est amoureux pour la première fois, le nom de l’être aimé suffit. Voir mes doigts former le nom de Tom me comblait. Presque.
Page 36 : Un après-midi ensoleillé, peu de temps après, je suis allée avec Sylvie à Preston Park. Nous nous sommes assises sous les ormes qui bruissaient joliment, et elle m’a annoncé ses fiançailles avec Roy.
— Nous sommes très heureux, a-t-elle déclaré avec un petit sourire entendu.
Je lui ai demandé si Roy avait abusé d’elle, mais elle a secoué la tête, et son petit sourire s’est élargi.
Page 60 : Je me suis lancé un petit défi : étais-je capable de ne pas regarder vers le Palace Pier ? Je savais qu’il allait arriver par là. Les yeux rivés sur l’océan, je l’imaginais sortir des flots tel Neptune, drapé dans du varech, le cou orné de bernacles, un crabe pendant de ses cheveux ; il enlèverait la créature et la remettrait à l’eau, rejetant les vagues d’un coup d’épaule. Il avancerait sur la berge jusqu’à moi sans faire un bruit, malgré les galets, et me prendrait dans ses bras pour m’emporter là d’où il venait.
Page 74 : J’ai songé à la bouche de Roy, béante et pleine de gâteau, à son irrépressible envie de pousser Sylvie devant lui sur la piste de patin à roulettes, à son incapacité à faire la différence entre un sujet de conversation valable et un autre dénué d’intérêt. C’était un véritable crétin.
Page 104 : J’ignore exactement quand arrive le moment fatidique, celui où une femme est considérée comme une vieille fille. Chaque fois que j’y pensais, je visualisais une vieille horloge, dont le tic-tac marquait le passage des jours. Beaucoup des filles que j’avais connues à l’école étaient déjà mariées. Je savais que j’avais encore quelques années, mais si je n’y prenais pas garde, les autres professeurs me regarderaient comme ils regardaient Julia, une femme seule ; une femme obligée de travailler pour gagner sa vie, qui lit trop de livres, qui a été vue en train de faire ses courses un samedi avec un chariot au lieu d’une poussette ou d’un bambin qu’elle tiendrait par la main, qui porte des pantalons et ne semble jamais pressée de rentrer chez elle. Jamais pressée d’aller où que ce soit en fait.
Page 189 : Quelqu’un a sifflé : « Saleté de pédéraste » et quelques femmes ont gloussé depuis le trottoir d’en face.
Page 329 : Les hommes ont tellement de liberté ! Même ceux qui sont mariés.
Page 369 : C'est d'une injustice criante, mais c'est comme ça. Je crois qu'il y a des comités, des pétitions, des lobbyistes et ce genre de choses qui essaient de faire changer la législation. Mais, dans l'esprit britannique, l'intimité entre deux hommes est aussi inacceptable que l'agression physique, le vol à main armée et l'escroquerie.