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Mon avis : Mon père, ma mère, mes tremblements de terre – Julien Dufresne-Lamy

Publié le par Fanfan Do

Éditions Belfond

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

« Est-ce que sur la table de chirurgie, mon père ressent le chaud, le froid ? Allez savoir. Dans la salle d’attente, ma mère porte sa chemise saharienne et le soleil blanc tape doucement sur les fenêtres. L’air est doux. Un air qui n’a rien à voir avec la mort, les drames. Ici, ce n’est pas un drame. C’est autre chose qui se passe. »
Dans cette salle, Charlie, quinze ans, patiente avec sa mère. D’ici cinq heures, son père sortira du bloc. Elle s’appellera Alice.
Durant ce temps suspendu, Charlie se souvient des deux dernières années de vie de famille terrassée. Deux années de métamorphose, d’émoi et de rejet, de grands doutes et de petites euphories. Deux années sismiques que Charlie cherche à comprendre à jamais.
Sur sa chaise d’hôpital, tandis que les heures s’écoulent, nerveuses, avant l’arrivée d’Alice, Charlie raconte alors la transition de son père, sans rien cacher, ce parcours plus monumental qu’un voyage dans l’espace, depuis le jour de Pâques où d’un chuchotement, son père s’est révélée. Où pour Charlie, la terre s’est mise à trembler.


Julien Dufresne-Lamy signe un cinquième roman doux et audacieux, profondément juste, sur la transidentité et la famille. La bouleversante histoire d’amour d’un clan uni qui, ensemble, apprend le courage d’être soi.


 

 

Mon avis :
Charlie, adolescent, nous raconte son étrange vie, les séismes qui s'y sont produits, lui qui depuis toujours se projetait dans l'image de son père. La génétique ayant fait de lui le petit clone de cet homme, en tout point de vue, il se construisait avec ce père comme modèle. Jusqu'au jour des mots étranges sont apparus au sein du foyer : dysphorie de genre, transidentité, non-congruence de genre. le père de Charlie a depuis toujours l'intime conviction que la nature s'est trompée en l'enfermant dans le mauvais corps. Et donc Charlie nous raconte l'instant présent, de l'hôpital où sont père se fait opérer, et nous emmène dans ses souvenirs, assister à la métamorphose de cet homme qu'il s'est parfois mis à détester, voire mépriser.

L'écriture est très belle et retranscrit tellement bien ce que peut ressentir un ado dont la vie bascule dans autre chose, dans une sorte de deuil inattendu et très douloureux. Je me suis imaginée à la place de Charlie et j'ai compris ce qu'il ressentait, comme si la terre s'ouvrait sous ses pieds. Pourtant que faire ? Comment réagir ? Ce n'est de la faute de personne. Ce n'est même pas une faute.
Et la mère dans tout ça ? Elle fait figure de fantôme dans un premier temps. Vraiment. À la même vitesse que le père s'épanouit, la mère et Charlie s'étiolent. La chenille devient papillon pendant que les deux autres humains de cette famille deviennent zombies.

Tout est si bien décrit, la peur de beaucoup de choses, de l'inconnu notamment, de la cruauté du monde, de la bêtise humaine, de la souffrance liée au rejet et aux moqueries, de l'homophobie (oui, oui), de la transphobie, et du harcèlement. Les crachats et les insultes. Les langues de vipère, au travail, dans le voisinage, au supermarché. Car les gens aiment se moquer, blesser, rejeter, mais se rendent-t-ils compte qu'en faisant cela ils abîment une personne dans son estime de soi et rendent sa vie beaucoup moins belle ?
Il y a beaucoup de moments douloureux car changer de genre doit véritablement être un séisme de magnitude XXL et c'est réellement un parcours du combattant pour toute la famille, mais énormément d'amour et d'abnégation s'affirment au fil du temps.

J'ai adoré cette histoire, et vraiment, j'ai trouvé le style de 
Julien Dufresne-Lamy sublime, souvent métaphorique et toujours poétique, et parfois je me demande comment font certains auteurs pour mettre autant de beauté dans un récit. Car ce parcours de vie, qui raconte une transition douloureuse pour toute la famille mais un espoir absolu pour le père et finalement de l'amour encore et toujours, est superbement raconté, avec parfois un aspect onirique. Chaque mot est le bon, chaque tournure de phrase est parfaite. Je me suis tout de même demandé si on appelle toujours Papa son père devenue femme.
Ce livre nous montre aussi qu'on ne vit pas le monde de la même façon, qu'on soit homme ou femme, avec ou sans transition.
Énorme coup de cœur pour ce roman extrêmement intelligent, âpre et soyeux à la fois.

 

Citations :

Page 14 : Dans quatre heures, Papa aura disparu.

Une mort, pas vraiment.

Une absence pour toujours.

Quatre heures, comme le temps d’un pique-nique. C’est court. Parfois long, comme un film hongkongais primé à Venise ou un repas chez les grands-parents une fin de dimanche, quand la carcasse du poulet gît dans l’huile.

 

Page 17 : Avant, je pensais que sous les meubles, on ne cachait que les armes du crime. Les affaires sales. Les bouteilles d’alcool ou les boites de capotes. Maintenant, c’est différent. J’ai compris qu’on pouvait même y cacher une vie.

 

Page 51 : Face à moi, ma mère buvait son vin comme du petit-lait, mon père portait sa robe de femme sur sa peau d’homme et, ce soir-là, on a dévoré des frites à même les doigts.

 

Page 69 : Dans mon journal, je rédigeais les étapes de mon père. Ce qui nous attendait, lui, ma mère et moi.

La peau qui s’affinerait. Les muscles qui fondraient comme neige au soleil. La voix qui s’adoucirait tandis qu’autour les gens persifleraient. Les épaules qui s’arrondiraient, les hanches, le bassin, le ventre, les cuisses et les seins qui un jour ou l’autre surgiraient. J’allais tout écrire. Ce qui ne se verra jamais. L’émotivité. La vulnérabilité. Les doutes dans les yeux bleus de mon père. Les précipices, la transe et le trac. La foi. Tous les dangers d’être femme ou minorité dans notre impitoyable société.

 

Page 102 : Est-ce que ma mère pense que les gens autour de nous sont mieux lotis ? Des familles avec grain de beauté suspect mais sans papa frappadingue qui subitement s’enfile des robes et des négligés.

 

Page 183 : — Transsexuel, c’est un terme insultant et pathologisant. Un mot de psy pour parler de troubles psychosexuels.

 

Page 201 : Ce jour-là, j’ai aimé ma mère plus que l’univers.

 

 

 

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Mon avis : Solaris – Stanislas Lem

Publié le par Fanfan Do

Traduit du polonais par Jean-Michel Jasienko

 

Éditions Folio SF

 

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Quatrième de couverture :

Solaris : un monde inhabité tournant autour de deux soleils, entièrement recouvert d'un immense océan protoplasmique qui, pour les scientifiques de la Terre, demeure un irritant mystère. Dès son arrivée sur Solaris, le Dr Kelvin est intrigué par le comportement du physicien Sartorius et du cybernéticien Snaut, qui semblent terrorisés. Lui-même reçoit la visite d'une femme, Harey ; une femme qu'il a autrefois aimée et qui s'est suicidée plusieurs années auparavant.
Impossible. A moins qu'une entité intelligente n'essaie d'entrer en contact avec lui en matérialisant ses fantasmes les plus secrets, et qu'en l'océan lui-même réside la clé de cette énigme aux dimensions d'un monde.

 

Solaris, une des pierres angulaires de la science-fiction, a été porté à l'écran en 1972 par Andreï Tarkovski et en 2002 par Steven Soderbergh.


 

 

Mon avis :
Alors que ce roman avait l'air de commencer plutôt bien, rapidement j'ai été noyée sous des monceaux de termes techniques liés à l'histoire de 
Solaris, cette planète découverte bien avant la naissance du Dr Kelvin, le narrateur. Il semble que sur Solaris, l'élément le plus important soit l'océan, ce gigantesque élément gélatineux. Car il recèle bien des interrogations. À moins que Solaris ne soit cet océan...

Rapidement on comprend que quelque chose de terrible s'est passé dans la station sur 
Solaris. le cybernéticien Snaut à l'air fou, ou ivre. Gibarian est on ne sait où mais peut-être mort, et le physicien Sartorius semble en plein égarement. Donc, on a envie de savoir !
Mais réellement, j'ai eu envie d'abandonner au bout de 60 pages. Ça m'a paru totalement métaphysique, obscure, incompréhensible et du coup très contraignant. Je déteste m'ennuyer lors d'une lecture, et là, j'ai été servie. Et puis un personnage qui ne devrait pas être là arrive, et mon intérêt s'est trouvé attisé. Car soudain apparaît l'altérité dans ce qu'elle peut avoir de plus insondable.

Au delà de tout l'aspect scientifique, possible ou imaginaire, j'ai aimé les joutes verbales et les points de convergence entre Snout et Kelvin, sur ce qui leur arrive et ce qui les entoure, mais aussi sur ce qu'ils subodorent des événements et des étrangetés qui les ont touchés de près.
J'ai eu l'impression de pénétrer dans la psychologie des personnages et sans doute même de l'humanité dans son ensemble et j'ai trouvé ce roman très introspectif. Il m'a fait me poser beaucoup de question sur moi-même et sur les autres, et m'a amenée à  beaucoup d'interrogations existentielles. Et puis ça et là, de nouveau de longues pages descriptives de ce qui pourrait être la géologie, la faune ou la flore de l'océan de 
Solaris et plus certainement rien de tout ça mais des phénomènes inconnus - "longus", "fongisités", "mimoïdes", "symétriades", "asymétriades", "vertébridés"-, etc, etc, etc, qui m'ont paru interminables à chaque fois. Je suppose que c'était trop pour mon esprit peu compétent concernant les sciences. J'ai eu vraiment le sentiment de lire une oeuvre philosophico-métaphysique : en bref, je n'ai pas compris grand-chose et j'ai trouvé le temps très long. Jusqu'à la chute j'ai espéré un déclic, mais il n'est pas venu. Je n'ai hélas pas du tout été connectée à l'imaginaire de Stanislas Lem.

Un point noir, que je constate souvent, les quatrièmes de couverture disent bien souvent beaucoup trop de choses, qu'on est censé découvrir peu à peu au fil de la lecture. C'est tellement dommage ! On ferait mieux de les ignorer...

 

Citations :

Page 43 : Pendant un certain temps, l’opinion prévalut (répandue avec zèle par la presse quotidienne), que « l’océan pensant » de Solaris était un cerveau gigantesque, prodigieusement développé, et en avance de plusieurs millions d’années sur notre propre civilisation, une sorte de « yogi cosmique », un sage, une figuration de l’omniscience, qui depuis longtemps avait compris la vanité de toute activité et qui, pour cette raison, se retranchait désormais dans un silence inébranlable.

 

Page 116 : Nous nous envolons dans le cosmos, préparés à tout, c’est-à-dire à la solitude, à la lutte, à la fatigue et à la mort. La pudeur nous retient de le proclamer, mais par moments nous nous jugeons admirables. Cependant, tout bien considéré, notre empressement se révèle être du chiqué. Nous ne voulons pas conquérir le cosmos, nous voulons seulement étendre la Terre jusqu’aux frontières du cosmos.

 

Page 174 : Les « arbres-montagnes », les « longus », les « fongosités », les « mimoïdes », « symétriades », et « asymétriades », les « vertébridés » et les « agilus » ont une physionomie linguistique terriblement artificielle ; ces termes bâtards donnent cependant une idée de Solaris à quiconque n’aurait jamais vu de la planète que des photographies floues et des films très imparfaits.

 

 

 

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Mon avis : Gaspard Hauser ou la paresse du cœur – Jakob Wassermann

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’allemand par Romana Altdorf

 

Éditions Archipoche

 

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Quatrième de couverture :

Un jour de mai 1828, à Nuremberg, on amène au capitaine Wessenig un jeune homme hagard qui ne sait qu'écrire son nom. Il tient une lettre à la main, signée du pauvre journalier qui l'a recueilli treize ans plus tôt et qui suggère, si l'on ne peut le garder, de " le pendre dans la cheminée "...
Wessenig soupçonne un coup monté. Gaspard est placé chez le docteur Daumer et le bourgmestre parvient à recueillir son témoignage_: le vagabond a passé des années dans une geôle abjecte, tenu dans l'ignorance du monde. Peu à peu, l'édile se convainc qu'il n'est pas un " enfant sauvage ", mais l'héritier légitime de la couronne de Bade, victime d'enjeux dynastiques... La rumeur prend forme, l'étrange affaire fait le tour de l'Europe. Ses jours sont en danger.
Jakob Wassermann a traduit de façon poignante les espoirs et les craintes de Gaspard, sa volonté de reconquérir sa personnalité et de retrouver la voie de son destin, malgré la sécheresse de cœur des hommes. Un drame de l'innocence bafouée qui inspira également Hugo von Hofmannsthal, Paul Verlaine ou encore Peter Handke.


 

 

Mon avis :
D'aussi loin que je me souvienne, Gaspard Hauser m'a toujours évoqué un poème de 
Paul Verlaine, chanté par Georges Moustaki.

Immédiatement le cas Gaspard Hauser est troublant et même douloureux. Il arrive de nulle part, il ne parle pas, est très craintif mais sait écrire son nom. Et moi, il m'a tout de suite fait mal. Car, qu'y a-t-il de plus terrible que de n'être personne, de ne pouvoir dire d'où on vient, de qui on est l'enfant ? Ça semble impossible, mais il est vrai que l'histoire commence en mai 1828, Gaspard a environ quatorze ans.

Cette histoire est d'autant plus triste qu'elle est vraie. Gaspard (Kaspar en allemand) à tout de suite été une curiosité pour les gens, qui défilaient pour le voir et se moquer mais parfois aussi le maltraiter.
Le professeur Daumer décide de le prendre sous son aile pour le protéger, l'étudier et comprendre qui il est, et aussi l'aider à se retrouver lui-même.

L'apprentissage de Gaspard commence et c'est beau, comme tout ce qu'on vit sans y penser semble éblouissant quand il faut le faire découvrir à quelqu'un qui s'ouvre tardivement à la vie. Car Daumer à l'intention de l'ouvrir au monde, à la nature, à la moindre parcelle de vie, au moindre frémissement, pour le sortir de cette cave où il a grandi privé de tout. Mais alors, il se sent subitement tellement ignorant.
"Mais de l'objet au mot, le chemin était long. le mot se dérobait et il fallait le rattraper ; et bien souvent, une fois qu'on l'avait atteint, il ne renfermait absolument rien [...] Daumer était souvent effrayé par sa propre insuffisance."

Gaspard doit tout apprendre. La religion, évidemment à l'époque est quasi obligatoire. Mais lui, n'aime pas la messe, avec ce prêtre qui vocifère, ces ecclésiastiques à la religion menaçante et punitive. Il ne comprend pas tout sur Dieu. Il voudrait des explications mais il n'y en a pas. Gaspard est un esprit carré. Pour lui tout doit être expliqué, mais les voies du Seigneur sont impénétrables, non ? Car "On n'a pas le droit de sonder les points obscurs de la foi."

Gaspard semble être une âme pure et lumineuse, à tel point que les oiseaux n'en ont pas peur. Et là, j'ai trouvé que ça faisait un peu trop Blanche-Neige et perdait de sa crédibilité.
Cependant, Gaspard fait des rêves récurrents, et là serait peut-être la clé de son passé. Certains pensent qu'il est de haute naissance, d'autres que c'est un imposteur absolument pas amnésique. Et Daumer s'ingénie à l'aider tout en essuyant les moqueries et humiliations venant de toute part, car il s'est pris de passion pour cet enfant.

Seulement au bout d'un moment, il s'avère que la vie de Gaspard est menacée, et il devra déménager, encore et encore. Et que dire de la stupidité ambiante, de la cruauté dont il est victime, de la part des autres enfants mais aussi de beaucoup d'adultes, et dont il faudra le protéger ? La vie de Gaspard Hauser semble avoir été un long chemin de croix. J'ai ressenti une infinie tristesse à cette lecture.

Et vraiment, j'ai trouvé ce livre infernal à lire car trop lent, lent, lent, pendant au moins le premier tiers… J'ai cru mourir d'ennui, passés les moments captivants du début. À mon goût, l'auteur s'est beaucoup trop noyé dans les détails. Pourtant l'écriture est belle.

Malgré tout, vers la fin de la première partie, l'auteur est parvenu à attiser ma curiosité. Mais qui était donc Gaspard Hauser ? D'où venait-il réellement, de quelle famille, était-il un riche héritier qu'on avait voulu faire disparaître, et de fait, était-il en danger ? Car bien des mystères planent autour de lui, autant que des dangers semble-t-il alors que des personnages bizarres s'intéressent à lui. de Nuremberg à Ansbach, il est trimballé de maison en maison, car personne ne veut le garder trop longtemps, il sera confronté à la méchanceté, la duplicité, la mesquinerie, le mépris et l'hypocrisie des bien-pensants, et la petitesse de bien des gens. Heureusement, certaines bonnes âmes existaient pour croire en sa candeur.

Ce roman qui nous raconte la vie de Kaspar Hauser, nous démontre aussi que la nature humaine malheureusement est bien souvent peu reluisante, car toute sa vie il a été confronté à la perfidie ambiante et à la sécheresse des cœurs.

 

Citations :

Page 11 : Le gardien de prison Hill reçut l’ordre de surveiller secrètement l’inconnu. Il l’épia, chaque fois que le garçon se croyait seul, par un judas. Mais invariablement, la même gravité triste se lisait sur ce visage aux traits détendus par le repos, parfois pourtant déformé par la peur comme devant une vision horrible.

 

Page 19 : D’aussi loin que partaient ses souvenirs, Gaspard s’était trouvé dans une pièce sombre, toujours la même. Jamais il n’avait vu visage humain, jamais il n’avait entendu ni le bruit de ses pas, ni sa propre voix, ni le chant de l’oiseau, ni le cri de l’animal ; jamais il n’avait aperçu, ni le rayon du soleil, ni la clarté de la lune,. Il n’avait connu que lui-même et ignorait sa solitude.

 

Page 39 : — Ma parole, on dirait que c’est toi qui t‘es échappé du cachot, plaisantait sa sœur.

Oui, on m’a donné un monde. Regarde-le, c’est l’éveil d’une âme.

 

Page 40 : — Voici l’air, Gaspard, tu ne peux le saisir, mais il est là cependant. Lorsqu’il bouge rapidement, il devient le vent, que tu n’as pas à redouter. Ce qui se trouve derrière la nuit, est hier, et ce qui est au-delà de la nuit prochaine est demain. D’hier à demain s’écoulent les heures qui sont la division du temps.

 

Page 43 : Les explications des phénomènes de la nature embarrassaient fort Daumer qui préférait en appeler à Dieu :

Dieu est le créateur de la nature morte et vivante, dit-il.

 

Page 72 : Si seulement on savait quelle peur épouvantable lui inspirent les prêtres. Un jour, alors qu’il était encore à la tour, quatre ecclésiastiques se présentèrent en même temps. Vous croyez peut-être qu’ils essayèrent de s’adresser au cœur du prisonnier, ou d’éveiller sa foi. Détrompez-vous. Ils lui décrivirent la colère de Dieu et les punitions du péché. Puis, devant son effroi grandissant, ils se mirent à pester et à menacer comme s’ils parlaient à un pauvre diable qu’on va mener à la potence. Le hasard m’amena à la Tour et je priai poliment ces messieurs de mettre un terme à leur zèle intempestif.

 

Page 76 : Lorsque Gaspard eut franchi le seuil de l’église et qu’il entendit la voix stridente du pasteur, il demanda contre qui cet individu vociférait.

 

Page 152 : Il se sentait seul, et croyait que les hommes n’avaient qu’une idée : se débarrasser de lui. Il était plein de pressentiments et d’inquiétudes.

 

Page 187 : Ainsi il trahissait doublement. Il faisait à Gaspard des promesses de puissance et de grandeur ; c’était tout ce qu’il pouvait faire pour lui. Lorsqu’il était loin de Gaspard, il était soulagé que le charme du jeune homme perdît de sa force et il ne sentait plus peser sur lui ce regard interrogateur qui lui paraissait être celui d’un envoyé que Dieu aurait mis à ses côtés. Il lui écrivait de petits billets courts et passionnés : « Si un jour, tu remarques de la froideur en moi, ne mets pas cela sur le compte d’un manque de cœur, mais considère plutôt que c’est l’expression d’une douleur qu’il me faut garder en moi jusqu’à la tombe ; mon passé est un cimetière ; lorsque je t’ai trouvé, je ne croyais plus en Dieu et tu as été le sonneur dont les cloches m’ont annoncé l’éternité. » Phrase au goût de l’époque, influencée par les poètes à la mode, mais signe cependant de la perplexité d’une âme bouleversée.

 

Page 220 : Il émet volontiers, d’un air important, des choses qui feraient rire chez tout autre, mais qui provoquent, venant de lui, un sourire indulgent ; il est amusant à l’extrême quand il parle de ses projets d’avenir, de son installation future et de la façon dont il comportera avec sa femme. Pour lui, une femme est un ustensile domestique indispensable, quelque chose comme une maîtresse-servante que l’on garde le temps qu’il faut et que qu’on chasse quand elle brûle la soupe ou reprise mal le linge.

 

Page 328 : Il est indéniable que nous sommes en face des plus perfides intrigues venant toutes de la même source.

 

 

 

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Mon avis : Jour Zéro – C. Robert Cargill

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Florence Dolisi

 

Éditions Albin Michel Imaginaire

 

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Quatrième de couverture :

Hopi est un tigre en peluche anthropomorphisé, un robot-nounou comme il en existe tant d'autres. Il n'en avait pas vraiment conscience avant de découvrir une boîte rangée dans le grenier. Celle dans laquelle il est arrivé lorsqu'il a été acheté des années auparavant, celle dans laquelle il sera jeté une fois que l'enfant dont il s'occupe, Ezra Reinhart, huit ans, n'aura plus besoin de nounou. Tandis que Hopi réfléchit à son avenir soudain incertain, les robots commencent à se révolter, bien décidés à éradiquer l'Humanité qui les tient en esclavage.

Pour les parents d'Ezra, qui se croient à l'abri dans leur petite communauté fermée, cette rébellion n'est qu'un spectacle de plus à la télé. Pour Hopi, elle le met face à la plus difficile des alternatives : rejoindre le camp des robots et se battre pour sa propre liberté... ou escorter Ezra en lieu sûr, à travers le paysage infernal d'un monde en guerre.

Avec Jour Zéro, C. Robert Cargill retourne à l'univers de son précédemment roman, Un océan de rouille et nous raconte le dernier jour de l'Humanité avec le punch texan qui le caractérise.

C. Robert Cargill est un scénariste reconnu, un écrivain respecté et un critique de film culte. Il a travaillé comme scénariste sur Sinister 1 & 2 (2012, 2015), Dr Strange (2016) et Black Phone (2022).

 

Mon avis :
Hopi est un nounoubot, un genre de doudou-tigre-nounou-robot anthropomorphisé. Il est la nounou de Ezra, mesure un mètre trente comme lui, est totalement craquant car recouvert d'une fourrure très douce. Et c'est lui le narrateur de cette histoire. Dès les premières lignes il nous parle du premier jour de la fin du monde, provoquée par les humains. Ben oui, qui d'autre ?...

Les Nounoubots discutent devant l'école en attendant la sortie des enfants. Ils se racontent les enfants qu'ils ont élevés, aimés, jusqu'au jours où ceux-ci ont grandi et n'ont plus eu besoin d'eux. Donc on les a éteints jusqu'au prochain enfant dont ils auraient à s'occuper. Et ça, Hopi ne le veut pas. Il ne supporte pas cette idée, car il aime Ezra, il aime la famille Reinhart. Alors comment eux pourraient-ils ne pas l'aimer en retour et ne plus en avoir besoin un jour ?
Eh bien vous savez quoi ? Ça m'a fait de la peine tous ces robots tristes. L'écriture est belle et les sentiments tellement bien décrits... D'ailleurs il y a toutes sortes de robots, pas que nounous, telle Ariane, la domestique de la famille Reinhart depuis au moins trente ans.

En réalité, ce monde c'est un peu le même bordel que le nôtre, mais encore plus désoeuvré. La haine et le racisme se sont déplacés envers les robots qui volent le travail des humains. le monde a évolué mais n'est pas devenu plus intelligent ni meilleur. Jusqu'au jour où il y a eu le projet de l'émancipation des IA par le Congrès, la révolte des IA, qui évoque par certains aspects le sort des esclaves, transposé au futur.

Les ambitions de l'humanité, l'informatique, la robotique, puis l'intelligence artificielle, tout cela nous est raconté par Hopi. Ça semble vertigineux et totalement flippant, pourtant nous y sommes déjà. Un grain de sable vient enrayer la machine, les fondements de la société. Un sentiment d'injustice ressenti avec amertume par les robots, un attentat contre eux et tout dérape... Rien ne sera plus jamais comme avant. Quand une poignée de connards gavés de religion et pleins de haine font basculer le monde dans autre chose, de totalement terrifiant... et c'est la guerre totale dans le but d'éradiquer l'humanité.
Pour Hopi, le déclic vient du sentiment qu'il est moins qu'un chien pour les Reinhart, lui qui croyait faire partie de la famille, il se rend compte qu'il est prescriptible. Mais il ne peut s'empêcher de s'interroger sur ses sentiments. Sont-ils devenus réels ou bien ne sont-ils qu'un programme informatique ?

J'ai adoré l'écriture débridée et rock'n roll qui rend les personnages et certains moments désopilants, les robots attachants et drôles, pour certains, mais surtout tellement humains. Des robots qui pensent et ont des sentiments, cette histoire m'a évoqué un cocktail de I Robot, Terminator et Blade Runner et j'ai trouvé que c'était une vraie belle réussite. Et puis j'ai adoré le contraste entre l'apparence de Hopi, tout fluffy et choupinou qui a la faculté de se métamorphoser en warrior impitoyable, vraie machine de guerre en mode commando, qui là m'a évoqué Gizmo se transformant en Rambo face aux méchants Gremlins.
C'est plein d'action, de danger, de suspense, de haine, de vengeance, d'abnégation, d'amour. C'est captivant. Ce roman de fin du monde m'a happée, totalement. C'est un roman qui se gobe tout cru.

 

Citations :

Page 32 : L’avènement de l’automatisation et de l’IA avait transformé le monde occidental. La mer des travailleurs pauvres disparates s’était muée en crue d’invisibles, vautrés devant des écrans, à regarder des émissions les assurant qu’ils n’étaient pas responsables de leur sort — c’étaient les robots qui leur avaient volé la chance de leur vie, pas la médiocrité de leurs propres motivations ou capacités.

 

Page 37 : Bradley tenait à ce que je paramètre les jeux de manière à ce que la violence y évoque le moins possible le monde réel et ne soit pas traumatisante pour un enfant. Ça ne le dérangeait pas qu’Ezra connaisse en long et en large l’histoire des conquêtes sexuelles de Zeus ou de la fureur infanticide de Saturne, mais pas question qu’il voie du sang, des tripes ou de la bouillie répugnante d’extraterrestre explosé.

 

Page 64 : Je suis resté planté là comme si un camion m’avait percuté. Tu es vraiment un robot. Je l’étais en effet, mais elle voulait sans doute dire que je n’étais qu’un robot. Oui, c’était évidemment ce qu’elle voulait dire. Je n’avais pas eu le temps de traiter les données de l’attentat pour déterminer en quoi il risquait de m’affecter, mais j’avais parfaitement conscience de l’effet de cette petite phrase. Elle ne m’avait pas seulement blessé, elle m’avait crucifié. Sylvia était ivre, bien sûr, mais je savais qu’elle en pensait chaque mot.

Et je n’avait plus soudain aucune idée de l’être ou de la chose que j’étais.

 

Page 93 : Nom de Dieu. Plus d’interrupteur létal. Combien Y avait-il de robots dans cette situation ? Et combien avaient sauté sur l’occasion d’assassiner leur propriétaire ?

 

Page 142 : — À quoi ça sert de survivre à la fin du monde, s’il y a encore des règles idiotes pour permettre aux adultes de faire ce qu’ils veulent et pour l’interdire aux enfants ?

 

Page 160 : J’étais mignon. J’étais duveteux. Et je savais comment tuer chacun des autres occupants de la pièce avec chacun des instruments qui s’y trouvaient.

 

Page 248 : J’ai trouvé un peu triste de les tuer ensemble. C’étaient clairement des meurtriers, à en juger par la taille du tas de cadavres qu’ils avaient tenté de soustraire à la vue, mais ça leur avait apporté l’égalité et la liberté. Ils avaient la même valeur, ils n’appartenaient plus à personne, et leur monde se fichait de la richesse de leurs maîtres. Leur prix d’achat ne définissait plus ni leur existence ni leur importance dans la société.

 

Page 269 : On a beau se représenter l’avenir, il ne ressemble jamais à l’image qu’on s’en fait. On se trompe toujours. Si on en a peur et qu’on essaie de le fuir, il ne nous en rattrape pas moins. Il arrive qu’il soit moins terrifiant que nous ne le craignions.

 

 

 

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