Mon avis : Un jour viendra – Giulia Caminito
Traduit de l’italien par Laura Brignon
Éditions Gallmeister - Totem
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Quatrième de couverture :
À Serra de’ Conti, sur les collines des Marches italiennes, Lupo et Nicola vivent dans une famille pauvre et sans amour. Fils du boulanger Luigi Ceresa, le jeune Lupo, fier et rebelle, s’est donné pour mission de protéger son petit frère Nicola, trop fragile, trop délicat avec son visage de prince. Flanqués de leur loup apprivoisé, les deux frères survivent grâce à l’affection indestructible qui les unit. Leur destin est intimement lié à celui de Zari, dite Sœur Clara, née au lointain Soudan et abbesse respectée du couvent de Serra de’ Conti. Car un mensonge sépare les frères et un secret se cache derrière les murs du monastère. Alors que souffle le vent de l’Histoire, et que la Grande Guerre vient ébranler l’Italie, le jour viendra où il leur faudra affronter la vérité.
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Mon avis :
Un prologue plein d'une menace à faire dresser les cheveux sur la tête vous emporte brutalement dans ce roman sans qu'aucune résistance ne soit possible.
𝐓𝐨𝐢 𝐪𝐮𝐢 𝐞𝐧𝐭𝐫𝐞𝐬 𝐢𝐜𝐢 𝐚𝐛𝐚𝐧𝐝𝐨𝐧𝐧𝐞 𝐭𝐨𝐮𝐭𝐞 𝐞𝐬𝐩𝐞𝐫𝐚𝐧𝐜𝐞.
Voilà ce que j'ai ressenti.
L'Italie au début du XXème siècle dans un coin où vivent des gens frustes, pauvres, durs, car leur vie est d'une âpreté extrême. Ça sent le soleil et la chaleur, le gargouillis des ruisseaux et le vent dans les arbres, le bêlement des moutons, le bruit des outils, l'amertume des pères, les cris des mères. C'est tout une ambiance qui est décrite ici, celle de l'Italie pauvre et reculée qui vit dans la crainte de Dieu, qui n'aime pas les gens instruits, loin de l'industrialisation, loin des rêves, les pieds dans la terre. L'Italie de ces gens seulement nés pour le travail.
Lupo et Nicola, deux frères d'une nombreuse fratrie où chacun meurt l'un après l'autre, élevés sans amour, dans la violence de leur père et l'indifférence de leur mère. Lupo rebelle et généreux dont la révolte est le souffle vital, Nicola fragile et cérébral qui vit dans une terreur constante. Ils s'aiment et se soutiennent. Ils ont fait un pacte… parce qu'ils ont un rêve, au moins un.
Un jour la rébellion est arrivée au coeur de ces montagnes, un mouvement libertaire amené par ceux de la ville, contre l'indifférence et l'égoïsme des riches et des curés. Certains l'ont adopté, les autres ont continué à trimer et à aller à l'église le dimanche.
J'ai furieusement aimé Lupo le ténébreux et Nicola le solaire, dont l'attachement qui les uni pourrait être saccagé par un lourd secret.
Il y a de la beauté dans cette histoire douloureuse qui raconte la misère poisseuse qui colle à la peau, de la naissance jusqu'au tombeau, où l'absence d'amour est une évidence parce qu'il n'y a pas de temps pour ça, où chaque matin il faut survivre jusqu'au soir. Ce récit est empreint de hargne, de combativité, de douleur, mais aussi de foi, en la possible justice sociale, et spirituelle avec Clara, la Moretta, l'abbesse de Serra de' Conti, née au Soudan et devenue religieuse dans ce monastère qui jouxte le village, où le silence est la règle. La vie de ces petites gens dans le tumulte de l'Histoire qui gronde nous est contée avec une grâce infinie. J'ai été envoûtée par les émotions et la profondeur des mots.
Tout petit bémol, les changements d'époques et de personnages ne sont pas toujours très clairs. C'est néanmoins une histoire passionnante, magnifiquement écrite qui raconte la vie au coeur de l'agitation du monde dans les prémices de la première guerre jusqu'aux champs de batailles de cette immonde boucherie puis la reconstruction du désir de vivre, peut-être…
Citations :
Page 20 : On t’a gâté, voilà pourquoi tu es devenu comme ça, aussi inutile qu’un fils de prince. Les gens qui doivent travailler on pas le temps d’avoir peur, s’ils s’activent pas ils crèvent de faim.
Page 44 : Sœur Clara avait étudié ce visage d’une beauté pure, doux, cette peau tiède, ces pommettes de lait, ces lèvres de pastèque, ces cheveux de fumée.
Page 63 : Ils nous font payer le paradis, ils demandent de l’argent à ceux qui n’en ont pas pour quelque chose que personne n’a jamais vu.
Page 83 : Il resta debout derrière lui, faillit lui dire je me suis trompé, pardonne-moi, viens dormir avec moi, tu es à moi, on ne sera jamais adultes et on ne nous séparera jamais, mais il n’en fit rien et se coucha sur son matelas.
Page 106 : Il les conduirait sur l’Olympe, en ferait des hommes glorieux, gravés en colonne sur des plaques de marbre des places, admirés de tous, on déposerait des couronnes de fleurs en leur mémoire les jours de fête, on lirait leurs noms en passant distraitement, date de naissance et de mort, Carmine, Francesco, Augusto.
Page 153 : Son Excellence, nous sommes en pleine guerre, ce village et les villages alentour se trouvent dans une situation terrible, les femmes, les jeunes gens, les invalides, les enfants, les personnes âgées ont besoin de nous, de ne pas se sentir abandonnés, les religieuses sont leur point de repère dans leurs prières, elles contribuent à leur subsistance, nous sommes auprès de ces gens, nous agissons pour eux, si nous les quittons ils se sentirons vaincus, dit sœur Clara, sans lâcher des yeux cet homme qui avait gravi les échelons ecclésiastiques non en vertu de sa foi mais de son sexe, parce qu’il était un homme il était à la place qu’elle aurait mérité d’occuper et tous deux, incontestablement, le savaient.
Page 159 : Le lieu des bonnes sœurs était pour elles, gamines et jeunes filles, une tanière effrayante : attachées aux lits, obligées de rester debout pour prier même la nuit, pendues par les chevilles en guise de punition, les novices étaient martyrisées par de vieilles nonnes édentées et terrifiantes.
Page 221 : Comme le disait Giuseppe, comme le disaient les anarchistes, les prêtres n’étaient même pas bons à jeter dans la soupe, sous leurs soutanes c’étaient des hommes qui désiraient le pouvoir et le confort, ils étaient mesquins, leurs mots ne reflétaient jamais leurs pensées, ils disaient ceci et puis faisaient cela, ils avaient appris à mentir et excellaient dans cet art.
Page 246 : Lupo était et avait grandi avec les idées claires, solides, dures comme la pierre, dès l’enfance il avait suivi son parcours lumineux, qui paraissait tout tracé et sans surprise, comme son grand-père il se rebellait contre l’ordre établi, contre ce qui était imposé aux dépens de la vie des gens, par intérêt pour l’argent, il voulait combattre tout ce qui avait été inventé pour exploiter, tromper, opprimer.