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Mon avis : Miracle à la Combe aux Aspics - Ante Tomic

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Marko Despot

 

Éditions Noir sur Blanc

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Loin dans les collines perdues de Dalmatie, dans un hameau à l'abandon, vivent Jozo Aspic et ses quatre fils. Leur petite communauté aux habitudes sanitaires et sociales contestables n'admet ni l’État ni les fondements de la civilisation - jusqu'à ce que le fils aîné, Krešimir, en vienne à l'idée saugrenue de se trouver une femme. La recherche d'une épouse se révèle rapidement beaucoup plus hasardeuse que la lutte quotidienne des Aspic pour le maintien de leur insolite autonomie.

Ce road-movie littéraire qui dépeint les mœurs d'une famille vivant à l'écart du monde est une somme d'humour et de dérision qui, lors de sa publication en Croatie, a rencontré un immense succès populaire. Un roman plein de rebondissements ébouriffants, en cours d'adaptation cinématographique, mais aussi la découverte savoureuse d'un auteur inédit en français.


 

 

Mon avis :
Jozo Aspic vit à la Combe aux Aspics, hameau loin de tout, dans les montagnes, avec sa femme Zora, et leur quatre fils, Krešimir, Branimir, Zvonimir et Domagoj. Tout le monde a quitté ce lieu pour aller en ville sauf eux. Jozo n'a jamais voulu partir. Zora ne le lui a jamais pardonné. le jour de sa mort, elle a un ultime mot d'amour pour lui "Tu es une merde". Il reste seul avec ses fils, avec qui l'amour et le respect sont à peu près du même niveau qu'avec sa défunte épouse, la testostérone en plus.

Et donc, cet homme et ses quatre fils vivent en autarcie. La loi, c'est eux. Ils se foutent totalement du reste, tout ce qu'ils veulent c'est vivre sur leur bout de territoire avec leurs propres règles et qu'on ne leur parle pas de factures d'électricité au risque d'essuyer des tirs de kalachnikov. Une vraie tribu de cinglés enragés, armés jusqu'aux dents.

Seulement voilà, depuis que la mère n'est plus là, plus rien ne va dans la maison. La vaisselle est sale, la maison est sale, la couture n'est pas faite correctement et la nourriture est infecte : variantes de polenta à tous les repas. le curé leur conseille une femme dans la maison, pour redresser la situation ménagère. Et voilà donc l'aîné, Krešimir, qui part à la ville en quête d'une femme, mais pas n'importe laquelle. Il veut Lovorka, rencontrée "quelques" années plus tôt.

Ça devient la quête du Graal, la recherche de la perle rare, presque une affaire d'état, en tout cas l'affaire des anciens combattants. Ça tourne à la guérilla urbaine et c'est d'une telle drôlerie par moments ! j'ai beaucoup ri.
Je suppose que pour qui connaît bien la Croatie cette histoire prend une autre dimension. Car d'un côté, la police corrompue et tortionnaire est ridiculisée ainsi qu'une bande de néo-nazis, quand par ailleurs on voit des anciens combattants de la guerre contre la Serbie toujours prêts à donner l'assaut pour une bonne cause, surtout si c'est pour un frère d'armes. Et que dire de certains endroits qui sont inconnus de tous, telle la Combe aux Aspics ? Quant à Jozo, le père, soit c'est le timbré en chef genre prêcheur fou, soit c'est un vil manipulateur qui déteste les femmes et veut garder ses fils pour lui tout seul. D'ailleurs il déteste absolument tout le monde.

On suit les péripéties de ce petit monde un peu en dehors du monde et on a une galerie de personnages tous plus bizarres et réjouissants les uns que les autres. Tumultueux, désopilant et déjanté, ça va à cent à l'heure, on ne s'ennuie jamais.

Joyeusement iconoclaste et délicieusement irrévérencieux, ce roman croate est une énorme bulle d'oxygène, une bouffée de gaz hilarant. Car bien qu'il y ait parfois beaucoup de violence, c'est d'une drôlerie incroyable, c'est enthousiasmant et lumineux. Dans l'ensemble très réjouissant, et, pour ceux qui pensent que l'homme est le chef de famille, on voit bien que les femmes en sont le moteur et la clé de voûte.

À peine avais-je terminé ce roman que les personnages truculents de cette espèce de Horde sauvage mâtinée de O.K. Corral déjanté sauce croate ont commencé à me manquer. J'ai vraiment adoré cette histoire de fous qui m'a provoqué quelques fous rires inextinguibles.

 

Citations :

Page 29 : — Les sourdes, les aveugles, les éclopées, les dindes, les muettes, celles aux oreilles décollées, aux grandes gueules, les crasseuses, les salopes, les gouines, s’emporta l’oncle, tout ce qui est femelle se trouve un mari de nos jours.

 

Page 94 : Le fils cadet se tordait les mains de terreur en attendant les jeux amoureux de son frère et de sa belle-sœur, leurs mugissements inhumains, glapissements déchaînés, brames joyeux, bêlements forcenés, piaillements affectueux, beuglements fiévreux, miaulements caressants, grognements menaçants et aboiements réjouis.

 

 

 

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Mon avis : Sur la piste des aigles – Adrien Sarrault

Publié le par Fanfan Do

Éditions Daphnis et Chloé

 

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Quatrième de couverture :

Entrepreneur couronné de succès dans le domaine de l’intelligence artificielle, Édouard Neuville décide soudainement de vendre sa société pour se lancer en politique. Entouré de son précieux collaborateur Antoine Berlioz et de sa très belle épouse Valentine, assisté des meilleurs experts, son charisme, son érudition et son discours disruptif lui assureront rapidement notoriété et popularité dans un pays secoué par de multiples crises. Mais parviendra-t-il à pénétrer les cercles du pouvoir ? Sur fond de fresque sociale et politique, une fiction à suspense qui nous interpelle aussi sur les transformations de nos sociétés par l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies associées.

 

Grand voyageur, cosmopolite, ingénieur en MBA, Adrien Sarrault observe ses congénères et le monde qui change. Après Un buisson d’amarante, un roman d’apprentissage incisif, drôle et profond dont l’action se déroule sur 4 continents, Sur la piste des aigles est son deuxième titre.

 

 

Mon avis :
Roman reçu dans le cadre de Masse Critique Privilégiée. Merci à Babelio

•Antoine Berlioz, jeune cadre, stressé par la pression au travail et sa relation tendue avec Victoire sa sublime maîtresse.
•Édouard Neuville, son patron, stressé par la pression au travail, marié à une sublime créature.
•Jacques Sanchez, Investment Banker, perpétuellement angoissé par la peur de tomber dans la misère. Car c'est un transfuge de classe, tout comme Antoine d'ailleurs.
•Valentine Neuville, épouse d'Édouard, femme idéale, parfaite, de bonne famille et belle réussite dans les études mais ancienne complexée.
Voilà pour les quatre personnages du début que j'ai tout de suite trouvés, hélas, très "cliché". Je me suis demandé si on allait avoir droit tout le long à des stéréotypes, voire des poncifs. Pourtant il est vrai que souvent les hommes très riches ont des femmes très belles.

Beaucoup trop d'anglicismes m'ont exaspérée, ça n'arrête pas, même si je me doute que dans le monde des affaires ça doit être ainsi. Seulement voilà, ça m'a vraiment fait penser au sketch des Inconnus quand ils se moquent outrageusement de ces snobinards de publicitaires.

Néanmoins, quelque chose donne envie de poursuivre. le cynisme de certains ? La découverte du chômage par d'autres ? Les différentes classes sociales et le choc des cultures ? L'abjection de certaines méthodes et mentalités ? L'envie de savoir jusqu'où ça peut aller ? Sûrement tout ça… Mais aussi la condescendance de ceux qu'on appelle les élites (je déteste ce mot qui nous ramène au rang de peu de chose, nous, le peuple) et dont on se rend compte que quasiment rien ne les arrête. Ces manipulateurs qui ont du pouvoir, que ce soient les grands patrons ou les politiques
Peut-être tout simplement ai-je aimé la critique de notre société qui part à vau-l'eau sans que ça n'inquiète réellement nos dirigeants, perchés qu'ils sont sur leur Olympe, à se regarder le nombril.

Et donc ce roman parle des affaires, de magouilles financières, de réorientation professionnelle, d'intrigues politiques, d'intelligence artificielle, de hackers éthiques, de requins de la finance, de femmes fatales, de cocufiages, de scrupules mais pas trop car, ce que femme veut… on connaît la chanson,  et les scrupules sont vite étouffés par la concupiscence. Et d'un autre côté il y a des consommateurs de femmes, à la chaîne…
L'auteur étrille clairement le pouvoir en place et les puissants en général, et bordel, que c'est bon !!! Et il nous donne une lueur d'espoir et d'idéalisme via les "hacktivistes".

L'écriture est belle et nombreuses sont les références philosophiques, politiques, historiques et littéraires. Mais alors, ce qui m'a vraiment dérangée, car ça revient plusieurs fois au début, c'est "en vélo", "en trottinette". "En" veut dire dans, donc en voiture, en bus, en train, mais à vélo, à trottinette, à moto, tout comme à cheval, où là, la faute n'est jamais faite. Et je trouve que dans les livres, il ne devrait pas y avoir de fautes.

Cependant, tout le côté politico-financier décrit ici ainsi que les magouilles informatiques et politiques, les manipulations qui visent à faire tomber des gens, j'ai trouvé tout ça passionnant. Trop d'argent nuit sûrement à la santé mentale, et le pouvoir corrompt, j'en suis sûre. À croire que dans les milieux qui brassent des sommes énormes, il y a des Judas partout en embuscade, prêts à vous poignarder pour prendre votre place. Et moi qui n'entends rien à tout ça, j'ai appris plein de choses qui m'ont confortée dans mon idée que l'humanité est souvent retorse, cupide et mégalomane. Heureusement, il y a des rêveurs.

Et alors qu'au départ j'y croyais moyennement, contre toute attente j'ai dévoré cette lecture. Et je me suis instruite ! Par exemple concernant le pari de Pascal, dont j'ignorais la théorie… à laquelle je n’adhérerai pas car mon âme est perdue XD.

 

Citations :

Page 58 : Le déjeuner avait été organisé dans la salle à manger que Neuville avait aménagé au siège de la société. C’était là que se tenaient tous ces déjeuners d’affaires quand il était à Paris. Il détestait aller au restaurant. Surtout les restaurants gastronomiques, où il se retrouvait toujours bloqué pendant des heures devant des défilés d’amuse-gueules, d’entrées, de plats, d’entremets, de viandes, de fromages, de desserts et de mignardises auxquels il ne goûtait guère. Dans sa « lunch room », le menu était toujours le même : salade, sushis et fruits frais. Et ni champagne ni Margaux, et encore moins de Petrus. On n’y buvait que de l’eau. Les convives qui n’appréciaient pas ce régime n’étaient pas obligés d’accepter ni de revenir.

 

Page 83 : J’étais alors chez Steve Jobs, je suis maintenant chez Paul Emploi. Sic transit gloria mundi, s’amusa-t-il à penser.

 

Page 93 : — Tu veux donc commencer une carrière de révolutionnaire ? Bonne chance ! Tu as du talent et de l’argent. Mais te rends-tu compte de l’énormité de ce que tu me dis ? Notre démocratie est fondée sur des institutions qui sont quand-même bien installées, et qui sont acceptées par tous, et aussi par un contre-pouvoir médiatique, qui est certes critique mais qui est connivent. Et tu retrouves cette situation dans tous les pays importants de la planète. Et tout cela est renforcé par une multitude de traités entre États.

 

Page 127 : À contrario, intéressons-nous au fonctionnement de la démocratie représentative, avec ses 577 députés, ses 348 sénateurs, ses 4058 conseillers généraux, ses 79 élus au Parlement européen, les 233 membres du Conseil économique et social dont on ne sait pas toujours d’où ils viennent. Et je ne cite pas le reste, la liste serait trop longue. Dès le début du courant des Lumières, courant intellectuel fondateur et dominant dans la pensée politique française depuis le XVIIe siècle, on a su que ces solutions de démocratie ont pour principal défaut de ne pas répondre à l’idéal démocratique pur. Avec elles, Nous sommes vraiment très loin du contrat social de Jean-Jacques Rousseau.

 

Page 158 : La désinformation est une pratique aussi ancienne que l’humanité, mais avec l’IA on disposera d’une arme redoutable pour détruire la réputation d’une personne.

 

Page 173 : La prison ! Le gnouf ! Le trou ! Le ballon ! Les geôles de la République… Tout cela pouvait faire penser à Alexandre Dumas et au Comte de Monte-Cristo. Mais hélas, il n’y avait rien de romantique dans ce qu’il risquait de lui arriver. Pour lui, il n’y aurait pas d’abbé Faria, pas de trésor caché dans une île à aller récupérer, pas de vengeance à aller orchestrer dans les salons du Second Empire. En prison, en France, au XXIe siècle, il n’allait croiser que des chefs de gangs, des voyous sans foi ni loi, des assassins, des drogués, des pervers et des psychopathes qui allaient lui faire souffrir mille maux, ou pire tenter de le transformer en vulgaire sodomite…

 

 

 

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Mon avis : L’homme qui savait la langue des serpents – Andrus Kivirähk

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’estonien par Jean-Pierre Minaudier

 

Éditions Le Tripode

 

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Quatrième de couverture :

Empreint de réalisme magique et d'un souffle inspiré des sagas islandaises, L'homme qui savait la langue des serpents révèle l'humour et l'imagination délirante d'Andrus Kivirähk.
Le roman qui connaît un immense succès depuis sa parution en 2007 en Estonie, retrace dans une époque médiévale réinventée la vie d'un homme qui, habitant dans la forêt, voit le monde de ses ancêtres disparaître et la modernité l'emporter.
Grand Prix de L'Imaginaire 2014

 

 

Mon avis :
Amis des bêtes, bienvenue dans ce drôle de monde et cette époque où les humains étaient proches de la nature, où un ours pouvait séduire une femme mariée, où les hérissons étaient de gros crétins, où certains savaient la langue des serpents car ils étaient leurs frères. Hélas, à part Leemet, tout le monde a oublié... Il est le dernier à la parler. Et il nous raconte.

On navigue dans un univers fantasque où on rencontre des femmes qui se flagellent nues en haut des arbres, un vieil ivrogne quasi végétal, un sage des vents, un cul-de-jatte qui fabrique de la vaisselle un peu spéciale, un très vieux poisson barbu, et le Christ est l'idole des jeunes... Il suffit de se laisser porter et permettre à l'enfant qui est en nous de refaire surface, pour croire aux anthropopithèques qui élèvent des gros poux délirants, à la salamandre volante, à Ints la jeune vipère et meilleur ami, à l'Ondin esprit du lac, aux ours tombeurs de ces dames, aux louves laitières... c'est jubilatoire ! Il y a d'un côté ceux de la forêt un peu doux dingues mais parfois plus dingues que doux, qui vivent en harmonie avec la flore mais dominent la faune, dont certains croient aux génies, et de l'autre ceux du village, qui ont tout renié de leur mode de vie passé, qui sont sous l'emprise de la religion, et donneurs de leçons. Les villageois qui passent leur temps à cultiver les champs et aller à la messe, les forestiers qui mangent de l'élan encore et encore et beaucoup trop, entre deux flâneries dans les bois.

Ce roman c'est, transposé au temps des chevaliers, le monde ancien contre le monde moderne. Et vraiment, c'est l'ancien qui est le plus attrayant, féerique, enchanteur, fabuleux, ensorcelant, flippant... Ah !... Ça se voit que j'ai aimé ? Adoré ? Surkiffé ? Oui ! Ce roman est une bulle d'oxygène sylvestre, de croyances ancestrales, de fantasmagorie et aussi de drôlerie. Car oui, c'est joyeux, drôle, et parfois hilarant.

L'auteur se moque allègrement, à travers ses personnages, des croyances et superstitions païennes et de celles liées à la religion et de la récupération qu'ils font, toujours en leur faveur, des événements, tendant à prouver que rien de ce qui arrive n'est dû aux mérites des individus car ils sont forcément l'instrument de Dieu, ou du diable s'il n'y a que de l'indignité et pas de gloire à s'approprier. Il égratigne au passage les sociétés, les pouvoirs en place qui veulent tout contrôler, ne voir qu'une tête, et surtout pas de libres penseurs, la religion toute puissante qui asservit les gens par la peur et l'ignorance, pourvoyeuse de la pensée unique. le contrôle de la nature, et vade retro la liberté ! Des peuples sous le joug de têtes pensantes prosélytes qui haïssent l'apostasie, l'athéisme, le paganisme. Et ça, c'est intemporel. Il faut avouer que la religion en prend pour son grade, à moins que ce ne soit plutôt les ecclésiastiques, mais avec énormément d'humour. Cela dit, le mage aussi prend cher avec ses lutins, ses génies, sa bêtise, sa méchanceté et ses désirs de domination. Et les peuples qui se comportent en bons petits moutons mais jugent durement ceux qui ne marchent pas comme eux dans le rang. Ça m'a mis une chanson en tête : Non les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux.

C'est foisonnant, il s'y passe tant de choses, des joies, des douleurs, le monde qui change, l'amitié, l'amour, la mort, les affres de l'obscurantisme, de l'ignorance et du fanatisme. C'est l'histoire de toute une vie, celle de Leemet le narrateur, et il nous la raconte d'une façon enthousiasmante, enjouée et très drôle, mais aussi douloureuse parfois et quelquefois résignée. J'ai tellement aimé que je ne vais pas m'arrêter là quant à ma découverte des romans de 
Andrus Kivirähk !

 

Citations :

Page 32 : Dites donc à vos parents qu’ils arrêtent avec leurs âneries ! Tous ceux qui ont quelque chose dans la cervelle viennent s’installer au village. À notre époque, c’est idiot de s’enterrer au fin fond d’un fourré en se privant de tous les acquis de la science contemporaine. Ça me fend le cœur de penser à ces pauvres gens qui continuent à végéter dans des cavernes alors que d’autres vivent dans des châteaux ou des palais ! Pourquoi les estoniens devraient-ils être les derniers à se civiliser ? Nous aussi, nous avons droit aux mêmes plaisirs que les autres peuples ! Dites(le à vos parents. S’ils ne pensent pas à eux, qu’ils aient au moins pitié de leurs enfants. Qu’est-ce que vous allez devenir si vous n’apprenez pas à parler allemand et à servir Jésus-Christ ?

 

Page 36 : « Il y en a qui croient aux génies et fréquentent les bois sacrés, et puis d’autres qui croient en Jésus et qui vont à l’église. C’est juste une question de mode. Il n’y a rien d’utile à tirer de tous ces dieux, c’est comme des broches ou des perles, c’est pour faire joli. Rien que des breloques pour s’accrocher au cou ou pour faire joujou. »

 

Page 160 : Ce fut un automne sinistre, peut-être le plus désespéré de tous ceux que j’ai vécus, car même si plus tard j’ai connu des temps encore plus tristes et qu’il m’est arrivé des choses bien plus terrible, à l’époque mon cœur n’était pas encore endurci comme il s’est endurci par la suite, ce qui me rendit les souffrances plus supportables. Pour parler serpent, je n’avais pas encore mué comme je le fis à plusieurs reprises, plus tard, au cours de mon existence, me glissant dans des enveloppes de plus en plus rudes, de plus en plus imperméables aux sensations. À présent, peut-être que rien ne traverse plus. Je porte une pelisse de pierre.

 

Page 164 : Je nageais dans le sommeil, il me roulait dessus comme des vagues, je pouvais pratiquement le toucher ; je le sentais doux comme de la mousse, et en même temps il me glissait entre les doigts comme du sable. Il était tout autour de moi, il comblait tous les vides et tous les orifices, il était chaud et frais en même temps, il flottait partout comme un souffle de vent qui caresse et radoucit l’atmosphère.

 

Page 199 : J’étais vraiment sidéré qu’un être humain puisse être à ce point sans défense, tel un misérable oisillon, qu’il se laisse mordre par un reptile. Bien sûr, j’avais vu de mes propres yeux Ints tuer le moine, mais pour moi les moines et les hommes de fer n’appartenaient pas vraiment à l’espèce humaine vu qu’ils ne comprenaient ni la langue des gens ni celle des serpents, et bafouillaient des choses parfaitement incompréhensibles. C’était comme des espèces de scarabées, on pouvait les mordre et les tuer tant qu’on voulait.

 

Page 234 : Les gens sont toujours en train d’inventer un quelconque croquemitaine pour se décharger sur lui de leurs responsabilités.

 

Page 274 : « Le gamin a mal tourné, désolé. Peut-être parce qu’il a perdu sa mère très tôt. Je n’ai pas su l’élever. Mais qu’est-ce que je peux y faire, c’est quand-même mon fils, je ne peux quand-même pas l’abattre parce qu’il s’est fait moine. »

 

 

 

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Mon avis : Le cercueil de Job – Lance Weller

Publié le par Fanfan Do

Traduit par François Happe

 

Éditions Gallmeister - Totem

 

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Quatrième de couverture :

Alors que la Guerre de Sécession fait rage, Bell Hood, jeune esclave noire en fuite, espère gagner le Nord en s’orientant grâce aux étoiles. Le périple vers la liberté est dangereux, entre chasseurs d’esclaves, combattants des deux armées et autres fugitifs affamés qui croisent sa route. Jeremiah Hoke, quant à lui, participe à l’horrible bataille de Shiloh dans les rangs confédérés, plus par hasard que par conviction. Il en sort mutilé et entame un parcours d’errance, à la recherche d’une improbable rédemption pour les crimes dont il a été le témoin. Deux destinées qui se révèlent liées par un drame originel commun, emblématique d’une Amérique en tumulte.
 

 

Mon avis :
Mars 1864.
Dexter et Bell Hood, deux  esclaves en fuite pendant la guerre de sécession. Bell Hood a été marquée au fer rouge sur le visage lorsqu'elle était toute petite, pour punir son père qui était un fugitif récidiviste.
Alors qu'elle est pleine de l'envie de marcher la tête haute et de ne plus jamais courber l'échine, Dexter vit dans sa peur de l'homme blanc, instillée en lui depuis son premier jour, et ploie constamment sous le poids de sa couardise. Puis apparaît June, esclave en fuite comme eux.
Au contact de ces trois personnages on découvre peu à peu l'horreur qu'ils ont subi de la part de l'homme blanc.
On ignore l'âge de Bell Hood mais on se rend compte rapidement qu'elle est beaucoup plus mûre que les seize ans qu'elle prétend avoir.
Son repère pour atteindre la liberté est 
le cercueil de Job, un groupe d'étoiles sur la sphère céleste.

Avril 1862.
Jeremiah Hoke, fait d'une enfance douloureuse, de souvenirs amers et de remords obsédants, soldat sudiste, juste avant, pendant et après la bataille de Shiloh, cette immonde boucherie au cours de laquelle il restera mutilé.

On comprend que les routes de Bell Hood et de Jeremiah Hoke vont converger et se télescoper, qu'ils sont destinés à se trouver.
Avant cela, d'autres personnages traversent ce roman, tous avec un passé terrible, martyrisés, une vie de douleur dans leur sillage, le cœur plein de cicatrices, la tête emplie de cauchemars. On lit avec effroi le pouvoir de nuisance de beaucoup d'êtres humains.
L'auteur alterne les chapitres entre les protagonistes et les années 1864 et 1862 pendant lesquelles on découvre ce qu'ont été leurs vies, jusqu'à arriver tout doucement au point de rencontre. C'est une histoire qui se passe en deux temps, et personnellement j'adore ça.

Tout le long, ce récit pose la question du respect et du droit qu'on s'est inventé pour légitimer l'asservissement d'une partie de l'humanité. En quoi l'esclavage est-il pertinent et digne, comment des gens qui se revendiquent croyants peuvent-ils perpétrer une abomination pareille !?... Ce sont les questions en filigrane de ce roman, mais il y  a bien d'autres sujets, notamment l'absurdité de la guerre, le désir de rédemption, le prix à payer pour ses lâchetés, le poids des remords. Il y a pourtant de l'espérance. Malgré la noirceur ambiante, il y a de la bienveillance parfois qui vient mettre un peu de baume au cœur. Cependant, 
Lance Weller pousse le réalisme jusqu'à évoquer les bruits et les odeurs infectes de crasse et de matières organiques émanant de tous les orifices, y compris pendant l'agonie, on s'y croirait. C'est répugnant mais tellement immersif.

La construction de l'Amérique, thème de prédilection de 
Lance Weller, avec tout ce qu'elle a entraîné de désolation et de cruautés nous est racontée une nouvelle fois avec son immense talent. Il nous communique la douleur des personnages ainsi que cet effarant sentiment d'horreur et de malheur qui accompagnaient le commun des mortels en ces temps difficiles. Et toujours avec une écriture qui confine au sublime. J'ai pourtant un peu moins aimé que ses deux précédents romans, comme s'il m'avait manqué un petit quelque chose pour m'attraper totalement par le cœur. Alors qu'il y a tant de vrais beaux personnages.

 

Citations :

Page 17 : Ils avaient marqué les joues de Bell au fer rouge parce que son père avait essayé de s’enfuir. Plus d’une fois, il avait essayé de s’enfuir. C’était ainsi que cela avait commencé. Le fer rouge avait été le début d’un parcours dont le terme avait été la corde au bout de laquelle le père de Bell avait été pendu.

 

Page 65 : Dexter l’examina à nouveau : ses hanches, ses mains et ce visage à l’air totalement innocent qui aurait dû être dépouillé depuis bien longtemps de cette candeur qui luisait pourtant toujours dans ses yeux, comme un faisceau lumineux provenant d’un monde meilleur qu’il pouvait peut-être espérer atteindre un jour.

 

Page 73 : Mais la pluie s’était calmée et on voyait qu’un temps plus clément s’annonçait, que l’air allait se réchauffer et que tout allait bien, à présent, parce qu’à en croire ce que disaient la plupart d’entre eux, c’était le jour où la guerre allait prendre fin — une fin déterminée à l’avance. Peut-être ce matin même, une fois qu’ils auraient repoussé Grant et l’armée de l’Union dans la Tennessee River. Le seul ennui, en fait, c’était que tout serait terminé avant même que leur brigade ait été lancée dans la bataille — c’était du moins ce que la plupart d’entre eux clamaient haut et fort. Vrai ou non, Hoke s’en fichait parce qu’il savait d’expérience qu’une chose aussi insignifiante qu’un carnage ne mettait jamais fin à rien.

 

Page 94 : Ce n’est pas vrai et tu le sais. On le sait tous. C’est pour ça qu’on se retrouve dans ce pétrin. Parce qu’on sait que personne n’appartient à une espèce différente des autres. On le sait, mais on préfère verser notre sang plutôt qu’affronter l’énormité de nos péchés.

 

Page 112 : Les deux jours que dura la bataille de Shiloh, ainsi que Hoke l’apprit par la suite, furent terribles pour les officiers. Terribles pour les soldats aussi. Et plus terrible encore pour les chevaux.

 

Page 250 : — Ce sont des êtres humains que vous avez enchaînés, dit Liddell de cette voix profonde qui ne paraissait pas cadrer avec sa personne. Et vous les conduisez vers une vie de malheur. Vous ne pouvez pas ne pas le voir.

 

Page 349 : Ils se mirent en route, passant au milieu de guirlandes de corps toujours étendus dans les champs. Ils passèrent devant des rangées de cadavres alignés le long d’ornières creusées par les chariots. Il était difficile de distinguer les combattants de l’Union de ceux de la Sécession, parce qu’ils étaient tous autant morts les uns que les autres, et tous autant couverts de boue, de sang et d’un calme transcendant. Il y avait des mouches partout. Des cochons, échappés de quelque fermes, fouissaient le sol avec enthousiasme ; des détachements de soldats affectés au ramassage des corps, éparpillés dans les collines, tiraient sur eux, pour se distraire autant que par zèle, et le silence était ponctué des couinements des cochons agonisants et de ce bruit d’abattoir — un choc mou suivi d’un sifflement — que faisaient les balles frappant les morts et libérant brusquement leurs gaz corporels.

 

 

 

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Mon avis : Épépé – Ferenc Karinthy

Publié le par Fanfan Do

Traduit du hongrois par Judith et Pierre Karinthy

 

Éditions France Loisirs

 

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Quatrième de couverture :

Un linguiste nommé Budaï s'endort dans l'avion qui le mène à Helsinki pour un congrès. Mystérieusement, l'appareil atterrit ailleurs, dans une ville immense et inconnue de lui. Surtout, la langue qu'on y parle lui est parfaitement inintelligible. Ni la science de Budaï - il maîtrise plusieurs dizaines de langues - ni ses méthodes de déchiffrement les plus éprouvées ne lui permettent de saisir un traître mot du parler local. Tandis qu'il cherche désespérément à retrouver sa route, le mur d'incompréhension se resserre. Sous les apparences familières d'une grande cité moderne, tout paraît étrange et inhumain. Au plus profond de l'incommunicabilité, Budaï fait un séjour en prison, connaît des amours éphémères et participe même à une insurrection à laquelle il ne comprend décidément rien.

 

 

Mon avis :
Le linguiste Budaï, qui devait atterrir à Helsinki pour un congrès, se retrouve dans une ville inconnue où tout le monde parle une langue qu'il n'a jamais entendue, ni même lue. Lui qui maîtrise un grand nombre de langues n'arrive pas à déchiffrer celle qu'il entend partout autour de lui. de plus, dans cette ville il y a des multitudes de piétons et de véhicules qui vont sans cesse en tous sens, et de longues files d'attente partout, tout le temps, pour récupérer ses clés à l'hôtel, pour manger, pour téléphoner d'une cabine.
C'est assez inquiétant et ça m'a évoqué les cauchemars de mon enfance, quand les rêves étaient totalement absurdes et que rien n'avait de sens, quand tout ce qu'on connaît à disparu et que pourtant c'est normal. Quand on veut crier mais qu'aucun son ne sort. Quand on se retrouve seul au monde sans personne qui puisse nous aider. L'angoisse totale.

À part le fait que j'ai trouvé l'ambiance oppressante pratiquement dès le début, au bout de 50 page je me suis demandé si ça allait être comme ça pendant 313 pages. Des descriptions de cohues, de taxis bondés de passagers, de piétons pressés qui bousculent ceux qui ne se poussent pas, des files d'attente interminables partout tout le temps et du coup un ennui terrible car c'est répétitif et il ne se passe rien de nouveau. Ah ! Enfin le métro ! Et des couloirs, des dédales de couloirs, remplis de gens, qui vont, qui viennent,  comme dans une immense fourmilière... Et puis un marché, des camelots qui vendent tout et n'importe quoi et je peux dire que j'en ai eu des palpitations à force. Errer dans une foule aussi dense et se sentir si seul au monde, c'est affreux.

Au bout d'un moment, Budaï comprend que pour s'y retrouver il doit suivre le mouvement, le courant, le flot de la foule. Il décrypte les comportements. Et il boit.
Il y a cependant beaucoup d'opiniâtreté chez Budaï, mais aussi de l'espoir sans cesse renouvelé, sinon à quoi bon avancer. C'est cette espérance qui m'a fait persister dans ma lecture. Car je me suis demandé comment j'allais tenir jusqu'au bout de cet étrange roman... Mais j'avoue que j'ai voulu connaître le fin mot de l'histoire.

Bien sûr, en bon linguiste qu'il est, rompu à la réflexion méthodique, il cherche à déchiffrer cette langue qui lui échappe et on se dit qu'il finira sans doute par y arriver, en tout cas on l'espère, car sinon comment rentrera-t-il chez lui un jour ?
J'ai pensé à une parabole évoquant le bloc de l'est, car ce roman a été écrit en 1970. Ça m'a fait penser à L'URSS, une prison à l'échelle d'un pays, un lieu dont on ne peut pas sortir. Ou alors la métaphore d'autre chose, mais quoi ? Ou peut-être Budaï a-t-il glissé dans une dimension parallèle. Ou il a perdu la raison. Ou encore il dort. En tout cas, au bout d'une bonne centaine de pages j'ai fini par être totalement absorbée par cette étrange histoire.

J'ai trouvé intéressant et amusant le regard de l'auteur sur les comportements humains et l'effet de mimétisme qui en découle parfois, sans en avoir conscience. Et ces brefs et enrichissants aperçus de linguistique qui reviennent çà et là.
Et Épépé,  Dédé, Bébé, Vévé, Etèt, Tiétié, Dédéd
é, Pépé, Ébébé, Tété, Épépép...

Il semble toutefois que ce livre ait des effets secondaires très bizarres. Pendant ma lecture, j'ai fait un cauchemar qui y ressemble étrangement : j'avais été plantée par des amis dans une ville inconnue, sans mon sac donc pas de papiers, ni d'argent, ni de téléphone. J'essayais de téléphoner avec ma main en faisant mon propre numéro dans ma paume sans parvenir au delà de 06... et la peur de n'avoir nulle part où dormir. Oups !

J'en suis venue à bout, un peu laborieusement quand-même. C'est réellement un roman étonnant, une expérience unique. J'ai hélas trouvé le temps long trop souvent.

 

Citations :

Page 16 : Il a tout le temps pour observer les gens qui font la queue avec lui. Des Blancs et des gens de couleur ; devant lui deux jeunes nègres noir de suie à cheveux lisses, plus loin, une femme jaune, les yeux bridés, avec sa petite fille, quelques hommes grands de type germanique, un gros de type méditerranéen, le visage luisant de sueur en manteau à poil de chameau, des Malais basanés, des Arabes ou des Sémites, une blonde à taches de rousseur en pull bleu avec une raquette de tennis : il serait difficile de trouver une race ou une ethnie majoritaire, tout au moins là, devant ce restaurant.

 

Page 21 : Par son métier, il a un sens linguistique particulièrement aiguisé : sa spécialité proprement dite c’est l’étymologie, l’étude de l’origine des mots. Dans le cadre de son travail il aborde les langues les plus diverses : parmi les langues finno-ougriennes, le hongrois et le finnois bien sûr, mais aussi quelque peu le vogoul et l’ostiaque, et puis le turc, un peu l’arabe et le perse ainsi que le slavon, le russe, le tchèque, le slovaque, le polonais et le serbo-croate. Mais ce langage que l’on parle ici n’en rappelle aucune, pas plus le sanscrit, l’hindi, le grec ancien ou moderne, mais il ne peut pas non plus être germanique ; de plus il se débrouille en allemand, en anglais et éventuellement en hollandais.

 

Page 44 : Pendant ce temps-là le soir tombe, les lumières s’allument à l’extérieur ; la veille c’est à peu près à la même heure que l’autobus l’a amené. Donc vingt-quatre heures déjà. Pour l’instant il ne s’attarde pas à cette pensée, il poursuit sa pesante marche en avant, l’âme rongée d’inquiétude : il a appris à se battre, à pousser et bousculer pour avancer, tout comme les autres…

 

Page 85 : C’est en lui-même que doit résider la faute, dans son caractère auquel toute agressivité, toute bousculade sont étrangères, cette révélation vient de s’imposer à lui, tout endormi et ivre qu’il est. Tant qu’il n’arrivera pas à vaincre sa modestie pusillanime, sa crainte d’importuner, il n’arrivera jamais à partir d’ici, ni même à donner de ses nouvelles afin que quelqu’un puisse lui porter secours.

 

Page 96 : Il recommence donc, comme les autres fois, à essayer de communiquer en diverses langues, allemand, hollandais, polonais, portugais, et même turc et perse, et aussi en grec ancien, mais l’autre n’accroche pas, il l’interrompt :

Chérédérébé todidi hodové guruburu pratch… Antapratch, vara lédébédimé karitchaprati…

 

Page 109 : Quelles explications ses proches, ses amis, ses collègues de travail se donnent-ils de ce mystère, et sa femme avant tout, que peut-elle ressentir ? Et son petit garçon, et son chien ?…

 

Page 169 : À proprement parler, n’importe quel habitant de la ville serait en mesure de lui enseigner sa langue, les mots, les règles au fur et à mesure, à condition de lui consacrer suffisamment de temps et de patience. Mais c’est précisément cela qui manque le plus chez les gens d’ici, un peu de courtoisie, de serviabilité, de disponibilité dans leur hâte immodérée et leur éternelle bousculade, quelqu’un qui l’écouterait demander ce dont il a besoin, qui une fois au moins daignerait témoigner de l’intérêt pour ses gesticulations de sourd-muet. Jamais personne n’a pris le temps pour cela depuis son arrivée, personne ne lui a permis de nouer une quelconque relation humaine. Sauf peut-être une seule…

 

Page 173 : Ce sont les soirs qui lui font le plus peur, sa chambre lui semble une cellule de prison ; s’il avait au moins quelque chose à lire dans n’importe quelle langue familière ! Impossible de s’immerger éternellement dans ces rebus indéchiffrables, il ressent un manque affreux de nourritures spirituelles, de détente, il craint d’en devenir fou.

 

Page 264 : Sur le plan matériel il doit faire des choix : ou il économise pour du linge, ou il boit, or en toute sobriété et après réflexion il opte pour la boisson car sans alcool son existence est carrément insupportable.

 

 

 

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Mon avis : Le dernier amour de Baba Dounia – Alina Bronsky

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’allemand par Isabelle Liber

 

Éditions Actes Sud

 

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Quatrième de couverture :

Après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, les alentours de la centrale désaffectée se repeuplent clandestinement : Baba Dounia, veuve solitaire et décapante, entend bien y vieillir en paix. En dépit des radiations, son temps s’écoule en compagnie d’une chaleureuse hypocondriaque, d’un moribond fantasque et d’un centenaire rêvant d’amour.

Mais qui est l’auteur de la lettre à Baba Dounia, écrite dans une langue qu’elle ne comprend pas ?

D’une plume à la fois malicieuse et implacable, Alina Bronsky invente la comédie humaine post-cataclysmique.
 

 

Mon avis :
L'histoire se passe environ trente ans après la catastrophe de Tchernobyl.
Dans ce récit il y a de la nostalgie pour le temps d'avant, quand la vie grouillait dans ce qui est devenu la zone d'exclusion, quand les petits-enfants venaient passer les trois mois d'été chez leur grands-parents.
Baba Dounia est revenue vivre dans sa maison à Tchernovo, après l'explosion de la centrale nucléaire, "après le réacteur" comme elle dit. À son grand âge elle n'a que faire des radiations. Autour d'elle, d'autres sont revenus, telle Maria qui vit dans le souvenir de son défunt mari, enjolivant sans en avoir conscience ce qu'elle se rappelle de son affreuse vie conjugale, ou encore Petrov, rongé par le cancer mais qui ne veut pas cultiver son jardin car tout est contaminé. Un comble ! Mais aussi Sidorov, les Gavrilov, Lenotchka, tous ces gens revenus là où ils se sentent chez eux. Même Yegor, le défunt mari de Baba Dounia est là, pour lui faire la conversation.

Il y a dans la narration de Baba Dounia un souffle facétieux qui rend les choses joyeuses alors qu'on est après et sur le lieu de la pire catastrophe nucléaire que l'humanité ait connu.
C'est beau parce que l'individualisme n'existe pas à cet endroit. Il n'y a la place que pour la solidarité, la générosité, la convivialité, l'amitié. La vie dans ce qu'elle a d'essentiel. Donc tout va pour le mieux chez les irradiés, jusqu'à un grain de sable qui vient gripper les rouages de ces vies heureuses.

J'ai aimé ce roman qui nous parle de ceux qui sont revenus vivre chez eux, dans cette zone polluée par l'atome pour des siècles, en dépit de toute sécurité, où les morts cohabitent avec les vivants, humains comme animaux. J'ai adoré cette façon de parler de la mort, des morts, des radiations et du danger, avec cette pointe d'humour permanente. Comme si, bah… c'était rien quoi !

J'ai trouvé ce livre étonnant, tant l'histoire qui s'y déroule est farfelue et drôle. Baba Dounia est une espèce d'électron libre, totalement fantaisiste et pourtant d'une grande sagesse, au service d'un récit exquis (et attention !.. Je n'utilise jamais le mot exquis, c'est dire si ça l'est...).
C'est une tranche de vie, ponctuée de souvenirs. Dounia a des réflexions intéressantes, un peu désabusées et justes sur la vie, sur sa vie, et parfois j'ai eu l'impression qu'elle parlait de ma vie. Sans doute parce que sa vision de la vie pourrait s'appliquer à toutes les femmes. Ah oui vraiment, j'ai aimé ce roman d'
Alina Bronsky, née russe, devenue allemande et qui donc écrit en allemand sur le pays de ses origines.

 

Citations :

Page 7 : comme chaque matin, j’ai un moment de surprise en regardant mes pieds, larges et noueux dans les sandales de marche allemandes. Ce sont des sandales solides, à toute épreuve. Dans quelques années, je ne serai plus, mais elles, elles seront sûrement encore là.

 

Page 9 : Je n’arrive toujours pas vraiment à me faire à l’idée que c’est le même soleil qui brille pour tout le monde : pour la reine d’Angleterre, pour le nègre qui préside l’Amérique, pour Irina en Allemagne, pour Constantin, le coq de Maria.

 

Page 43 : L’erreur, ce n’était pas d’avoir choisi le mauvais. L’erreur, c’était de s’être mariée. J’aurais très bien pu élever Irina et Alexei toute seule, et personne n’aurait jamais été autorisé à me dire ce que je pouvais ou non faire de mes pieds.

 

Page 67 : J’oublie régulièrement l’âge que j’ai. Je suis tout étonnée d’entendre mes articulations grincer, de sentir l’effet de la gravité le matin, en me levant, de voir ce visage fripé et inconnu dans le miroir rayé.

 

Page 74 : Même quand la situation est tout sauf normale, il faut s’adresser aux autres en utilisant le prénom et le nom paternel. Surtout quand on n’a pas gardé les vaches ensemble.

 

Page 108 : Et puis, je sais que j’émets autant de radiations que notre terre et tout ce qu’elle produit. Juste après le réacteur, comme beaucoup d’autres, j’ai passé des examens — je suis allée à l’hôpital de Malichi, je me suis assise sur une chaise, j’ai donné mon nom et mon année de naissance tandis qu’un compteur crépitait à côté de moi et qu’une assistante médicale notait les résultats dans son carnet. Plus tard, le biologiste m’a expliqué que ce truc était dans mes os et irradiait tout ce qui m’entourait, si bien que j’étais moi-même comme un petit réacteur.

 

Page 116 : J’ai l’impression que quelqu’un nous observe. Si j’étais croyante, je dirais que c’est Dieu. Sauf que dans notre pays, Dieu a été supprimé quand j’étais petite et que je n’ai pas réussi à le ramener à la vie depuis. Il n’y avait pas d’icône dans la maison de mes parents et on ne priait pas. Dans les années 1990, je ne me suis pas fait baptiser comme tant d’autres, parce que je les trouvais ridicules, ces adultes qui plongeaient dans une bassine entre des volutes de fumée parfumée. Et pourtant, avec tout ce qu’on entend sur lui, je suis bien d’avis que Jésus-Christ était quelqu’un de tout à fait convenable.

 

Page 150 : J’irai dans la forêt récolter de l’eau de bouleau. Pas parce que je veux devenir centenaire, mais parce que c’est un sacrilège de refuser les dons de la nature.

 

 

 

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Mon avis : Dis-moi pourquoi les chats… - Véronique Aïache

Publié le par Fanfan Do

Éditions Trédaniel

 

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Quatrième de couverture :

Dis-moi pourquoi les chats sont-ils les compagnons

préférés des médiums ? Pourquoi adorent-ils s’étaler

sur les claviers d’ordinateur ? Pourquoi étaient-ils

emmurés vivants dans les maisons du Moyen-Âge ?

Pourquoi préfèrent-ils le salé au sucré ?

 

Qu’ils soient de campagne, de gouttière ou de salon, d’hier ou d’aujourd’hui, les chats demeurent pour leurs amis humains la plus énigmatique des petites merveilles animales. Reste à savoir qui de leur Histoire ou de leur génétique explique le plus de mystères ? Qui de leurs ronrons ou de leur désinvolture éveille le plus notre curiosité ? Pour y répondre, ce livre ne se contente pas de visiter un monde fait de tendresse et d’improbables. À destination des ailurophiles actuels ou à venir, il révèle sous forme de questions/réponses les secrets de fabrication de la plus légendaire des espèces félines.


 

 

Mon avis :
J'ai eu la chance de recevoir mon choix préféré lors de la dernière édition Masse Critique organisée par Babelio. Je vis avec quatre chats, ou peut-être que je vis chez eux mais j'aime à penser qu'on est colocs même si c'est moi qui paie tout. En contrepartie ils me font plein de câlins et de ronrons en m'apportant de la zénitude et de l'amour.

Donc, l'idée de découvrir les secrets des matous m'enchantait, car je voue une adoration totale à mes petits poilus. Et j'ai bien raison car après lecture de cet ouvrage, j'ai la confirmation que les félins sont des petites merveilles de la nature.
Ce livre est découpé en quatre parties.
Première partie : du côté de la génétique. Et là on apprend, entre autre, que nos chats sont champions d'équilibrisme grâce à un corps absolument parfait, qu'ils sont gauchers ou droitiers et là je peux dire que je vais les observer de près pour voir ça de mes yeux 👀, que les chats noirs sont en meilleure santé, que les félins font de l'automédication par le ronron...
Deuxième partie : du côté du comportement. Alors bon, qui vit avec eux en connaît un rayon. À cohabiter avec eux on a fini par être de la même famille et forcément on les comprend. D'ailleurs je vais envisager de prendre des cours de "destressage" félin auprès d'eux, il paraît qu'ils excellent dans ce domaine qui consiste à faire retomber leur stress, alors que moi... Néanmoins pour ceux qui adoptent leur premier chat, ce livre pourra les aider à éviter des erreurs. Car les chats sont des petites personnes sensibles, faciles à comprendre pour peu qu'on ait décrypté les messages qu'ils nous font passer, comme par exemple : y'a trop de bruit, je cherche une connerie à faire, je veux des câlins, je suis content, je t'aime, je ne suis pas d'humeur, lâche-moi les baskets j'ai pas envie d'être touché, etc... Après tout, le consentement ça vaut aussi pour les animaux !
Troisième partie : du côté de l'étrange. Des choses insolites nous sont rapportées, comme les cat's eyes sur les bords des routes britanniques, ou la capacité des chats de neutraliser des nœuds de courants électromagnétiques, mais aussi gardiens métaphysiques de l'harmonie spirituelle pour les médiums, et pourquoi ils ont neuf vies, et le feng shui...
Quatrième partie : du côté de l'histoire. Là malheureusement on apprend que les chats n'ont pas toujours été à la fête, même en Égypte. Ils ont servi de remèdes dans beaucoup de pays. En France, au Moyen-âge, on sait à quel point les chats noirs (mais pas que) ont été exterminés à cause de ces arriérés d'ecclésiastiques.
Cette dernière partie évoque essentiellement ce que les humains ont fait subir aux chats de tous temps, et j'ai détesté lire ça. La cruauté liée à la bêtise dont l'humanité est capable est affligeante. Mais merci la nature, la peste à vengé les chats au Moyen-âge.

Ce livre est une mine d'informations, j'adore ! Par contre, sur la nécessité de laver son chat une fois par mois... je ne m'y risquerai pas.

Donc, si comme moi on vit avec des fauves miniatures depuis de nombreuses années, cet ouvrage est intéressant pour l'aspect génétique car on apprend des choses étonnantes. Sur le comportement on apprend le pourquoi de certains aspects sale gosse de nos petites merveilles comme quand ils jettent les objets par terre, mais aussi pourquoi ils aiment le silence, pourquoi ils marchent parfois en crabe... J'ai aussi été détrompée sur des comportements que je croyais avoir compris et en réalité mal interprétés, qui me laissent cependant perplexe sur certains de mes chats. Sur l'étrange, eh bien... les chats sont étranges, mais pas tant que ça pour qui les aime et les comprend, mais ils sont fascinants sans aucun doute. L'histoire est la partie dont je me serais bien passée. Trop cruelle...

Après cette lecture, nos nyctalopes adorés n'auront plus de secrets (ou si peu) pour les ailurophiles dont je fais partie. Ah oui, j'ai découvert un mot !! Oui, je suis une vraie de vraie ailurophile ! En plus de mes quatre chats, j'ai plein de statuettes de chats, et dans la rue je parle aux chats que je ne connais pas.
En tout cas, en rentrant, je vais sûrement m'adresser à mes matous avec déférence tant j'ai le sentiment (confirmé par ce livre) qu'ils sont des petits êtres supérieurs et qu'un jour ils domineront le monde ;D et le monde s'en portera bien mieux XD.

 

Citations :

Page 8 : Pourquoi regarde-t-elle parfois dans le vide avec tant d’insistance ? Pourquoi ses ancêtres étaient-ils déifiés au temps des Égyptiens ? Pourquoi pianote-t-elle sur moi en ronronnant ? Pourquoi les chats sont-ils les compagnons préférés des médiums ? Pourquoi le mien dort-il souvent avec une patte sur les yeux ? Pourquoi la sérénité féline est-elle à ce point contagieuse ? Pourquoi… ? Pourquoi… ?

 

Page 30 : N’oublions-pas que le chat est un éternel enfant, un animal dit « néoténique ». Cela signifie qu’il conserve toute sa vie ses caractéristiques juvéniles comme le jeu, le ronron et le patounage.

 

Page 54 : Qu’il soit de race ou de gouttière, sauvage de son état ou monarque de salon, un chat reste avant tout un chat. Un animal fidèle aux lois de la nature. Un petit compagnon hors du commun qui n’a pas fini de nous surprendre.

 

Page 70 : Notre petit compagnon de vie n’a pas volé sa réputation d’animal « le plus propre de la Création ». Il consacre environ un tiers de son temps d’éveil à faire sa toilette et s’y livre chaque fois comme un homme pieux peut le faire lors de ses rituels de purification.

 

Page 77 : Tous les yeux félins parlent de douceur et de mystères, d’élégance et de profondeur. Ils expriment à la fois la même sagesse et la même vivacité. Ils traduisent la force de leur identité et la noblesse de leur caractère.

 

Page 90 : Petits êtres libres par excellence, les chats ont fait de l’insoumission un véritable art de vivre. Résolument attachants bien qu’impossibles à attacher, tout porte à croire qu’ils portent en eux les gènes de la solitude. Celle qui, au risque de sembler égoïstes et dédaigneux, les monte au pinacle de l’indépendance. Et pourtant, il suffit un tant soit peu de les connaître pour se rendre compte rapidement qu’ils se lient sincèrement à leurs pairs comme aux membres de toute autre espèce. Ils savent mieux que quiconque trouver l’équilibre parfait entre la vie en groupe et les instants de solitude.

 

 

 

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Mon avis : La montagne en sucre – Wallace Stegner

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Eric Chédaille

 

Éditions Gallmeister Totem

 

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Quatrième de couverture :

Dakota, 1905. La jeune Elsa a fui les plaines du Minnesota dans l’espoir de fonder un foyer. Lorsqu’elle rencontre Bo Mason, bourlingueur en quête d’aventures et de fortune, elle voit en lui la promesse d’un monde nouveau. Elle n’imagine pas la vie à laquelle les désirs de grandeur de Bo les destinent. Saloons clandestins, conquête de la terre, mine d’or, trafic d’alcool… Bo Mason, héros américain par excellence, se réinvente au fil des opportunités qui se présentent à lui, entraînant les siens dans sa poursuite effrénée d’un horizon qui semble se dérober au fur et à mesure qu’il s’en approche. Et pendant ce temps-là, l’Amérique continue à se construire et à charrier des mythes.

 

 

Mon avis :
En commençant ce roman je me suis demandé si c'était une montagne facile à gravir ou l'Annapurna. Car il fait 836 pages et c'est écrit assez petit. Un bon gros pavés quoi. Pas grave, j'aime les pavés. D'ailleurs j'ai tout de suite été embarquée dans cette histoire qui nous raconte cette Amérique du début du XXème siècle. C'était comme si j'y étais.

1905. Elsa 18 ans, fâchée contre son père et sa meilleure amie part vivre chez son oncle dans le Dakota. Elle y rencontre Bo, un peu plus âgé qu'elle, qui lui aussi a quitté sa famille. Ils tombent amoureux et se marient.

Bo est un éternel insatisfait plein d'ambition. Il veut gagner de l'argent. Il n'aime pas travailler pour les autres. Il veut être son propre patron, trouver la fortune, sa montagne en sucre.

Elsa aime Bo, elle croit en lui. D'ailleurs cette histoire montre bien l'abnégation dont souvent les femmes font preuve. Elsa, blessée au bras, craint d'être un fardeau pour son mari. Elle craint que leurs enfants aussi ne le soient, que tous trois ne soient un frein à ses ambitions. Car Bo trouve les responsabilités pesantes, il est impatient et impétueux. Il est dans une perpétuelle fuite en avant, une course sans fin à la fortune.

Parfois, l'amour ne suffit pas pour être heureux et la vie est souvent cruelle. Mais il s'agit d'une époque où on se quittait pas. Quoi qu'il arrive, on continuait ensemble mais était-ce vraiment une bonne chose ? Elsa est extrêmement conciliante et patiente avec son mari. En réalité ils sont complémentaires et j'ai été admirative de la personnalité d'Elsa. Car si Bo peut être attachant, il est assez pénible, égoïste, parfois explosif. Ils ont des aspirations différentes. Bo et ses rêves de grandeur, Elsa et son envie d'une vie simple et stable. Elsa rêve de sédentarité alors que Bo ne tient pas en place. Mais l'histoire nous montre qu'une vie se construit patiemment, jour après jour, et qu'elle est faite de concessions. Surtout de la part des femmes. Elsa supportera avec amour et sang-froid tous les fardeaux que lui imposera Bo.

En fait ce roman est foisonnant. La famille Mason est une famille nomade et il semble que ce soit dans 
L ADN des américains cette bougeotte, et ce, pour le plus grand plaisir du lecteur qui découvre des villes, des paysages, une faune et une flore grandioses. C'est aussi le vert paradis de l'enfance, à travers Chet et Bruce, les fils du couple. J'ai eu l'impression de lire un feu d'artifice souvent, même s'ils traversent des tempêtes tout au long de leurs vies. Tout m'a semblé beau dans ces descriptions de ce qu'était la vie quand il restait encore des grands espaces préservés. Hélas, les rêves de grandeur et les choix De Bo auront des effets délétères sur sa famille. Des joies, des drames, la vie…

J'ai adoré ce roman, mais j'ai eu ma dose de cruauté envers les animaux. C'est sûrement une question d'époque, mais tout le monde semblait considérer qu'il était bien de tuer les animaux cruels, ceux qui tuent pour le plaisir, oubliant au passage que c'est nous, l'être humain, le pire prédateur, celui qui tue pour rien, juste pour le plaisir.

Le total manque de compassion pour les martres et les gauphres pris dans les pièges m'a fait dresser les cheveux sur la tête.

Bref, un superbe roman qui nous emporte dans le rêve américain du début du XXème siècle, qui nous fait traverser la vie de la famille Mason sur plusieurs décennies et nous montre que des mauvais choix ont des répercussions sur tous les membres d'une tribu.

Et qu'elle écriture !!! Qui décrit si bien absolument tout.

Cependant, alors que j'ai été captivée de bout en bout, à aucun moment je n'ai été émue par les douleurs et les tragédies de cette famille. Je suppose que l'auteur n'a pas su, ou pas voulu rendre les Mason attachants. Ou bien c'est moi qui ai manqué d'atomes crochus.

 

Citations :

Page 54 : Les trains regorgeaient de familles russes et norvégiennes encombrées d’objets personnels, les quais croulaient de malles et de ballots, de caisses et de machines agricoles, les murs des gares étaient placardés d’affiches, il y avait partout de la terre à vendre, de nouvelles lignes de chemin de fer traversaient la fertile vallée de la Red River et poussaient vers l’ouest jusqu’aux confins de l’État.

 

Page 79 : — On atteint la tête du nègre et on emporte un excellent cigare à dix cents ! Déclamait le forain. Dix cents les trois balles, messieurs-dames. Mesurez votre adresse et votre précision. Touchez la tête de ce joli négro et vous repartez avec une splendide canne et un fanion.

 

Page 243 : Neuf ans plus tôt, jeunette, naïve, pénétrée de ce qu’elle entendait faire de sa vie, elle avait fui Indian Falls, Henry Mossman et une existence aussi paisible que débilitante ; et voici qu’à présent elle déplorait presque de n’avoir pas pris le parti inverse.

 

Page 358 : L’été, c’étaient la ferme et, avec elle, la liberté, la solitude, l’exacerbation des sens, le sentiment d’une forte identité personnelle au centre d’un vaste monde aux bornes clairement définies ; mais durant le reste de l’année c’était la ville, cette bourgade nichée au fond d’une très ancienne vallée et bordée de collines érodées, et c’était là une autre vie.

 

Page 366 : Il alla à la fenêtre pour regarder le carré de jardin où, deux ans plus tôt, il avait avec optimisme semé du gazon. Les deux épicéas qu’il était allé chercher jusque dans les Cypress Hills se dressaient, complètement morts et desséchés, de part et d’autre de la maison. Il en allait ainsi dans ce fichu patelin. Tout commençait tambour battant pour ensuite dépérir inexorablement.

 

Page 369 : Bo s’était arrêté. Son regard allait se perdre vers l’autre rive et ses épais taillis de saules, d’aulnes et de bouleaux. C’était couru d’avance : on se cassait la tête pour s’en sortir, et puis quelque chose foirait.

 

Page 423 : Elle revoyait encore le vieux Barber avec ses bajoues, ses mains agitées de tremblements, complètement saturé d’on ne sait quelle drogue. Il fallait qu’il ait été pas mal parti pour ingurgiter de l’alcool dénaturé, comme il l’avait fait suite à un pari. Il apparut à Elsa que partout où Bo et elle avaient vécu il y avait quelqu’un comme ce Dr Barber, perdu, déboussolé, faisant peine à voir. Elle se demanda si l’on trouvait de ces personnalités en tous lieux ou bien si ça tenait tout simplement à ce que Bo emmenait toujours sa petite famille en marge de la civilisation, là où venaient échouer tous les laissés-pour-compte et autres pauvres diables sans attaches.

 

Page 741 : Pendant un moment, la tête lui tourna. La mémoire était un piège, un gouffre, un labyrinthe. Elle vous amenait à regarder en arrière et l’on se voyait sous une autre forme, plus petite, et avec une vision plus étroite, mais plus alerte dans l’exercice des cinq sens ; et sous cet avatar aussi l’on considérait le passé. L’on se rencontrait dans ce temps révolu et s’y reconnaître constituait un choc soudain et brutal, comme de s’immerger dans une eau trop froide.

 

 

 

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