Mon avis : Société anonyme – Jean d’Espinoy
Éditions Laléa
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Quatrième de couverture :
« À notre arrivée, deux bonnes sœurs nous reçurent : -un accident de voiture ; monsieur est mort sur le coup, madame n’a survécu que quelques heures… Nous étions orphelins. Lorsque j’explore mes plus intimes tréfonds, il ne me revient de ce moment que la voix chevrotante d’une vieille nonne m’enjoignant de poser les lèvres sur le front glacé de ma mère, et l’indicible répugnance avec laquelle j’avais obéi à cet ordre. »
Ceci est l’histoire d’un baiser, d’un baiser tragique et contraint donné au fond d’une morgue. Un soir de réveillon trois hommes se trouvent fortuitement réunis autour d’une table de restaurant et se mettent à évoquer leurs souvenirs. Trois inconnus que rien a priori ne destinait à se rencontrer ni à partager l’intimité de leur mémoire. Mais est-ce vraiment le hasard qui les a rassemblés pour cette veillée de Noël ? Au fur et à mesure de leurs récits, ils découvriront avec stupeur que cette rencontre n’est en rien fortuite.
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Mon avis :
Un vieux professeur de Lettres Classiques obsédé par la gent féminine, un chauffeur de taxi qui a eu une autre vie avant… et le patron du restaurant dans lequel ils sont attablés dînent tous les trois ensemble un soir de Noël et vont se raconter leurs vies.
C'est extrêmement bien écrit, c'est plein de poésie et de spiritualité, et deux des trois personnages sont dans une constante introspection qui leur a permis de se comprendre eux-mêmes dans le chemin qui a été le leur.
C'est aussi une balade en gastronomie, dans la bonne chère et les bons vins, des plats qui sont une promenade à travers le temps et les lieux. le patron du restaurant en bon maître de cérémonie voue une vénération à son métier qui confine au sacerdoce.
Le professeur de Lettres est très vieux jeu dans son approche des femmes. Non pas antédiluvien quand-même, quoique, mais anté-metoo c'est sur. Pour lui les femmes ne sont que beauté et assouvissement des désirs… "Ogre avec les femmes", il considèrent qu'elles veulent toutes être cueillies, même si elles envoient des signaux contraires. Pour lui, l'amour charnel est un combat dont l'homme doit toujours sortir victorieux : "Je n'ai d'autre image de l'amour que celle de voiles déchirées, d'outrances, de sacrilèges, de blasphèmes et d'un paganisme profanateur." Ah Godferdom !!!
Ceci étant, on découvre au fil de pages les raisons de son tempérament de Don Juan. Par ailleurs j'ai adoré son côté iconoclaste. C'est pas exactement qu'il bouffe du curé, mais il met à mal la religion et ses grandes théories.
Entre lui et le chauffeur de taxi la contradiction s'installe dans un débat philosophico-religieux rempli de références culturelles.
Une belle histoire de rédemption !
Merci Jean d'Espinoy pour l'envoi de ce roman.
Citations :
Page 22 : Contraint à l’univers monotone et compassé qui m’échut, j’enviai parfois la maison de ceux qu’on appelait chez nous « les pauvres ». Il m’arriva quelques fois, par hasard, d’en franchir le seuil, d’en pénétrer le ventre chaud. Tout y était exigu, replié mais protecteur. Tout, jusqu’au moindre recoin, y était habité, vivant. Moi, enfant esseulé, je déambulais dans une maison immense et compliquée, vide et silencieuse, triste et morte : j’y pris la mesure de mon hiver.
Page 39 : De ma vie, heureux homme que je suis, je ne me suis attaché à aucune femme, aucun enfant, aucune maison, même pas à un chien, même pas à une idée. On est si vite l’esclave de ce qu’on abrite ! L’esclave ou le tyran, c’est pareil, c sont toujours des chaînes que l’on se met aux pieds.
Page 46 : Il y a un temple en tout homme, fût-il le plus rustre, le plus méprisable, le plus mécréant. Il l’a élevé dans les limbes de l’enfance, lorsque la pesanteur de la raison logique n’avait pas encore empesé son esprit.
Page 56 : Je m’avançais vers une toilette de noyer et de marbre blanc sur laquelle sommeillaient des peignes, des brosses, des ustensiles de maquillage, des épingles à cheveux, des fioles de parfum, des flacons de fond de teint, toute la panoplie du paraître. Ce furent mes premiers pas dans l’univers féminin dont je découvrais sans toutefois les comprendre les artifices, l’hémertisme impénétrable.
Page 64 : Enfants, on nous mettait en demeure d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre pensée, de toute notre âme, de toute notre force, d’aimer son Fils sacrifié pour nous, à cause de nous. Nous ne lui avions rien demandé ! L’amour, je ne sais pas ce que c’est sinon une invention perverse de l’Église, un mot bien commode enfoui dans vos brumes d’encens, un as de cœur que vous sortez quand le jeu l’exige, quand l’absurdité de l’existence vous prend à la gorge.
Page 115 : Elle était en train de me profaner, de me violer, de fixer avec une lucidité implacable ma condition d’homme mortel déjà en train de mourir, de glisser sur le versant obscur de l’existence. Je fus terrifié. Ce n’était pas une putain qui me regardait avec une impassibilité glaciale mais un miroir, un miroir froid, un miroir vrai.
Page 125 : Pour un homme étranger aux réalités de ce bas monde, je dois dire que mon hôte avait organisé ce périple de façon remarquable. Mais tant de choses deviennent faciles dès lors que l’argent les porte.