Mon avis : L’incivilité des fantômes – Rivers Solomon
Éditions Aux Forges De Vulcain
Traduit par Francis Guévremont
Mon avis sur Insta c'est ici
Quatrième de couverture :
Aster est une jeune femme que son caractère bien trempé expose à l’hostilité des autres. Son monde est dur et cruel. Pourtant, elle se bat, existe, et aide autant qu’elle le peut, avec son intelligence peu commune, ceux et celles qu’elle peut aider. Mais un jour, un type la prend en grippe. Et Aster comprend qu’elle ne peut plus raser les murs, et qu’il lui faut se tenir grande. Sa rébellion est d’autant plus spectaculaire qu’elle est noire, dans un vaisseau spatial qui emmène les derniers survivants de l’humanité vers un improbable Éden, un vaisseau où les riches blancs ont réduit en esclavage les personnes de couleur.
Un premier roman qui prend pour prétexte la science-fiction pour inventer un microcosme de l’Amérique, et de tous les maux qui la hantent, tels des fantômes.
Rivers Solomon est une personne transgenre, née aux Etats-Unis, qui vit désormais en Grande-Bretagne. L’incivilité des fantômes est son premier roman.
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Pourquoi j’ai voulu lire ce livre :
J’avais ce livre depuis quasiment sa sortie, sans doute le fait que l’autrice soit afro-américaine transgenre m’a attirée. Je savais bien qu’un jour je le lirai ! Mais quand ? Et puis Léa Touch Book, admin du Picabo River Book Club a eu envie de mettre la SF américaine à l’honneur pour cet été 2021 ? Et celui-ci a fait partie d’une sélection d’une quinzaine de romans qu’elle nous a proposés.
Mon avis :
Dès le départ le décor est planté, transidentité et intersexualité sont du voyage.
Il a fallu que je m'habitue au pronom "iel" que je n'avais jamais concrètement lu nulle part jusqu'ici.
Les humains ont quitté la terre pour un voyage dont ils ignorent s'il aura un aboutissement, s'ils trouveront un jour un endroit où se poser, à bord d'un vaisseau dont le gigantisme est inimaginable. Toutes les couches de la société, y travaillent, cultivent et font de l'élevage, séparés par leurs niveaux de pauvreté ou de richesse. On dirait un vaisseau-monde, tellement immense que c'est difficile de se le figurer.
C'est une société de fin du monde effarante, où quittant une Terre agonisante, ils sont partis à la recherche d'un nouveau monde en prenant bien soin que conserver toute l'iniquité de l'ancien monde : le racisme avec la notion de races inferieures et les classes sociales très basses au service des classes sociales élevées, l'extrême richesse et l'extrême pauvreté, au lieu de tirer des leçons de leurs erreurs. Il y a les haut-pontiens, qui se prennent pour la crème de l'humanité et les bas-pontiens, qui ne comptent pas.
Ils ont aussi emporté la religion avec tout ce qu'elle peut comporter d'intolérance, de misogynie et de préjugés. Sans oublier l'homophobie et la transphobie. Il s'agit là d'un monde totalement rétrograde. Ça m'a d'ailleurs énormément fait penser au système de castes en Inde.
Aster, métisse née fille mais non binaire, vit dans le souvenir de Lune, sa mère qu'elle n'a pas connue et qui a laissé un journal codé.
Elle est amie avec Gisèle, étrange personnage, un peu folle et bipolaire, cynique, cruelle, révoltée et survoltée, et Théo le chirurgien, introverti et très pieux, qui a fait vœu de chasteté et dont elle est l'assistante. Et puis il y a Mélusine, sa tante qui l'a élevée mais qui n'a pourtant aucun instinct maternel.
On découvre une société cauchemardesque qui vit depuis un temps infini dans Matilda, ce vaisseau qui doit les amener vers la terre promise mais qui pour les bas-pontiens est surtout une prison de fer, antichambre de la mort depuis les nombreuses coupures de courant qui les privent de chauffage et leur font endurer des températures glaciaires, pendant que les haut-pontiens vivent dans une opulence indécente. Ce monde futur est arriéré, cruel et violent. J'ai trouvé cette option intéressante car inhabituelle il me semble.
Aster cherche quelque chose, aspire à comprendre, à découvrir le message secret de Lune, qui sans doute lui apportera bien des réponses.
J'ai aimé l'histoire, toujours étonnée que je suis par la force vitale qui anime tout ce qui est, même dans les pires difficultés de l'existence et la résilience dont certains sont capables même quand l'espoir est si ténu qu'il est quasi inexistant. Et j'ai aimé les réflexions sur le subjectif, le futile, la superficialité, et la vanité de tout ça.
C'est un bel écho à notre société, qui hélas nous laisse penser qu'on n'a aucune chance de s'améliorer, qu'il y aura toujours des tordus machiavéliques et cruels, des despotes, des tyrans imbus d'eux-mêmes. Car quelle que soit l'époque dans laquelle on vit, l'humanité reste ce qu'elle est.
Citations :
Page 119 : Je crois que c’est ma nounou, Mélusine, qui a fait de moi ce que je suis. Une tapette. Un homme qui ne fait pas ce que les hommes doivent faire, qui n’est pas ce qu’un homme doit être.
Page 270 :-Vous avez de la chance, tu sais, qu’il y ait si peu de miroirs dans les bas-ponts. Vous finiriez tous par vous suicider, si vous deviez voir vos horribles tronches partout, à tout moment.
Page 277 : Flick hurlait, hurlait, et Aster sut, à ce moment précis, que les dieux n’existaient pas, car les dieux, s’ils avaient existé, auraient immédiatement mis fin à cette horreur. Il leur suffirait de claquer des doigts et c’en serait fini. C’en serait fini de l’humanité tout entière.
Page 349 : Parfois, malgré elle, Aster se disait avec inquiétude qu’elle n’était pas assez jolie. Pourquoi ? Il était étrange de s’inquiéter du fait d’être joli ou non. La beauté était une catégorie subjective, fallacieuse. La beauté ne pouvait être recréée dans un laboratoire.