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chronique

Mon avis : Zouleikha ouvre les yeux – Gouzel Iakhina

Publié le par Fanfan Do

Traduit du russe par Maud Mabillard

 

Éditions Noir sur Blanc

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

« Yeux verts, c’est ainsi que l’appelait son père, quand elle était petite. Il y a longtemps. Zouleikha avait oublié de quelle couleur sont ses yeux. »

 

Nous sommes au Tatarstan, au cœur de la Russie, dans les années 30. A quinze ans, Zouleikha a été mariée à un homme bien plus âgé qu'elle. Ils ont eu quatre filles mais toutes sont mortes en bas âge. Pour son mari et sa belle-mère presque centenaire, très autoritaire, Zouleikha n'est bonne qu'à travailler. Un nouveau malheur arrive : pendant la dékoulakisation menée par Staline, le mari se fait assassiner et sa famille est expropriée. Zouleikha est déportée en Sibérie, qu'elle atteindra après un voyage en train de plusieurs mois. En chemin, elle découvre qu'elle est enceinte. Avec ses compagnons d'exil, paysans et intellectuels, chrétiens, musulmans ou athées, elle participe à l'établissement d'une colonie sur la rivière Angara, loin de toute civilisation : c'est là qu'elle donnera naissance à son fils et trouvera l'amour. Mais son éducation et ses valeurs musulmanes l'empêcheront longtemps de reconnaître cet amour, et de commencer une nouvelle vie.

"Ce roman nous va droit au cœur." Lioudmilla Oulitskaïa
"Une grande langue russe, accueillante aux misères de l'homme, et faisant germer son espoir..." Georges Nivat

Gouzel Iakhina est née en 1977 à Kazan, au Tartastan (Russie). Elle a étudié l'anglais et l'allemand à l'université de Kazan, puis a suivi une formation de scénariste dans une école de cinéma à Moscou. Son premier roman, Zouleikha ouvre les yeux, est immédiatement devenu un best-seller en Russie à sa parution en 2015 et a reçu de grands prix littéraires. Traduit dans plus de vingt langues, ce superbe portrait de femme a déjà touché des dizaines de milliers de lecteurs.

Préface de Loudmila Oulitskaïa
Postface de Georges Nivat

 


Mon avis :
Années 1930 dans le Tatarstan.
Zouleikha, mariée à quinze ans, en réalité vendue à Mourtaza de 30 ans son aîné, subit jour après jour une forme d'esclavage domestique auprès de son mari et de sa belle-mère, méprisante et haineuse, qu'elle surnomme secrètement la goule et qu'on pourrait appeler en langage trivial une vieille saloperie tant elle est retorse. Chaque jour Zouleikha, bien que musulmane, accomplit des petits rituels païens qu'elle tient de sa mère, faits d'offrandes afin d'obtenir la protection des esprits, celui de la lisière, du foyer où du cimetière. Il faut croire que ça fonctionne car elle considère qu'elle a un bon mari qui ne l'a bat pas trop. Pourtant c'est pour elle une vie sans joie, entre un époux qui la méprise et abuse d'elle quand bon lui semble, et une belle-mère qui la persécute. Et puis, malheur aux femmes qui n'enfantent que des filles. Douce Zouleikha, qui, à trente ans donne l'impression d'en avoir toujours quinze tant elle est frêle et petite, mais aussi ignorante car maintenue sous tutelle. Elle a enterré ses quatre filles, à peine nées et déjà mortes. Zouleikha a bien compris que la mort gagne toujours à la fin.

Un jour les soldats rouges arrivent, tuent Mourtaza et emportent Zouleikha ainsi qu'un grand nombre de paysans en déportation. C'est la dékoulakisation, les koulaks étant considérés comme des exploiteurs par le pouvoir. Des paysans riches et plus encore des paysans pauvres, mais aussi des artistes et des scientifiques, furent déportés ou exécutés pendant la dictature de Staline. Zouleikha et tous ces déplacés avec elle, endurèrent un périple de six mois en train à travers la Russie. le froid, la faim, la mort, ne sachant pas où on les emmenait. Leur point de chute : un coin reculé de Sibérie où il n'y a rien, dans les tréfonds de la taïga, aux confins du monde, où les hivers sont abominables.

Une multitude de personnages peuplent ce roman, quelques-uns autour de Zouleikha sont réellement étonnants, voire attachants. le professeur Wolf Karlovitch, baroque et évaporé, et néanmoins extrêmement compétent dans son domaine. Isabella, étrange bourgeoise qui prend les choses avec détachement et parsème ses prises de parole de français. Gorelov, gardien des koulaks, malsain, lâche et sournois. Ignatov, sergent de l'armée rouge et commandant de ce convoi, qui ne se comprend plus lui-même.

C'est une histoire cruelle et flamboyante, celle d'un crime contre l'humanité perpétré par le régime soviétique, avec des moments de grâce, notamment à travers Zouleikha qui n'est qu'abnégation et douceur, tellement soumise, imprégnée de sa religion et tenue dans l'ignorance, et qui va s'ouvrir à la vie. Femme-enfant, ballottée comme un bouchon dans le courant de l'histoire, face à son destin qui prendra un tournant inattendu. La mort de son époux et cette déportation seront pour elle une délivrance. Cette étrange horde de relégués témoigne de l'incroyable capacité de survie de tout être vivant, de l'attachement à la vie, quelles qu'en soient les conditions. C'est aussi l'histoire d'une mère, désespérément fusionnelle et protectrice envers son enfant, le seul que son Dieu a oublié d'emporter dans la tombe, qui craint tellement qu'il se ravise.

Un souffle épique étreint l'histoire de Zouleikha et tous ses compagnons d'exil. le contexte historique très instructif est passionnant. Hormis la mort, la plus puissante des douleurs qu'on ressent à travers ces lignes, c'est la faim, qui consume chacun jusqu'à l'anéantissement des corps et des esprits. Homo homini lupus ? Non, seuls les hommes font des choses pareilles.
Un roman éprouvant et cependant lumineux, teinté de poésie, de descriptions totalement immersives qui nous font cheminer tout contre les dékoulakisés dans leur bannissement. Je l'ai infiniment aimé.

 

Citations :

Page 23 : La forêt claire se termine, faisant place à l’ourmane, la forêt épaisse, hérissée de broussailles et de bois mort, le repaire des animaux sauvages, des esprits des bois et de toutes sortes d’êtres malfaisants.

 

Page 46 : Travaille, zouleikha, travaille. Que disait maman ? « Le travail chasse le chagrin. » Oh, maman, mon chagrin n’obéit pas à tes dictons…

 

Page 92 : Ignatov ne comprenait pas comment on peut aimer une femme. On peut aimer des choses grandioses : la révolution, le Parti, son pays. Mais une femme ? Et comment peut-on utiliser le même mot pour exprimer son rapport à des choses d’importance si différente : comment mettre sur la même balance une quelconque bonne femme et la révolution ? C’était ridicule.

 

Page 135 : Elle s’était habituée à cette idée comme le bœuf s’habitue au joug, comme le cheval s’habitue à la voix de son maître. Certains n’avaient droit qu’à une toute petite pincée de vie, comme ses filles, d’autres s’en voyaient offrir une poignée, d’autres encore en recevait une quantité incroyablement généreuse, des sacs et des granges entières de vie en réserve, comme sa belle-mère. Mais la mort attendait chacun d’eux — tapie au plus profond d’eux-mêmes, ou marchant tout près d’eux, se frottant à leurs jambes comme un chat, s’accrochant à leurs habits comme la poussière, entrant dans leurs poumons comme de l’air. La mort était omniprésente — plus rusée, plus intelligente et plus puissant que la stupide vie, qui perdait toujours le combat.

 

Page 239 : Quand, au lieu du traditionnel examen individuel, on avait introduit le roulement de travail, Wolf Karlovitch n’avait même pas levé le sourcil. Il recevait aimablement le représentant du groupe ; celui-ci, rouge, confus, tendait à Leibe les carnets de notes, grommelant une réponse inintelligible à la question d’examen, confondait adénose avec athéisme, considérait sincèrement l’hirsutisme comme une branche peu connue du christianisme, et associait avec indignation la ménarche à la monarchie si contraire à sa conscience prolétaire. Le professeur hochait la tête en signe d’approbation, et attribuait la note « suffisant » à tous les étudiants. Le roulement de travail impliquait de mettre une note collective à tout le groupe d’étudiants après avoir soumis l’un d’eux à l’examen.

 

Page 264 : Elle avait cessé de penser à tout ce qui ne concernait pas son fils. Elle oubliait Mourtaza, qui était resté quelque part loin en arrière, dans sa vie précédente (elle ne se disait jamais que le nouveau-né était le fruit de sa semence), elle oubliait la Goule et ses prédictions effrayantes, elle oubliait les tombes de ses filles. Elle ne se demandait pas où la conduisait son destin, ni de quoi demain serait fait. Seul comptait aujourd’hui, cette minute : la respiration tranquille contre sa poitrine, le poids et la chaleur de son fils contre son ventre. Elle avait même cessé de penser au fait qu’un jour, la respiration faible dans l’encolure de son koulmek pouvait s’arrêter brusquement. Elle savait que si la vie de son fils s’interrompait, son cœur à elle s’arrêterait immédiatement de battre. Cette certitude la soutenait, la remplissait de force et d’une hardiesse nouvelle.

 

Page 396 : Elle n’avait pas honte. Tout ce qu’elle avait appris, ce qu’elle savait depuis son enfance, avait pâli, disparu. Et ce qui l’avait remplacé avait balayé la peur, comme la crue printanière balaie les feuilles mortes et les branches de l’automne.

 

 

 

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Mon avis : Un jeu sans fin – Nathan Hill

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’anglais (États-Unis par Serge Chauvin)

 

Éditions Actes Sud - « Lettres anglo-américaines »

 

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Quatrième de couverture :

Fille d'un ingénieur canadien collaborant avec le commandant Cousteau, Evie a douze ans lorsqu'elle attrape le virus de la plongée et décide de consacrer sa vie à l'exploration des fonds marins.
Ina, une artiste polynésienne, compose des sculptures avec des déchets plastiques qu'elle glane sur les plages. Peu à peu, une étrange créature prend forme.
Todd et Rafi, deux lycéens américains que tout oppose, cimentent une intense amitié autour du jeu de go ; l'un se perdra dans la littérature, l'autre révolutionnera l'intelligence artificielle.
Avec la virtuosité qu'on lui connaît, Richard Powers met en scène une poignée de personnages à différentes périodes de leur vie, avant de les réunir à Makatea, île du Pacifique ravagée par des décennies d'extraction minière, où se joue la prochaine grande aventure de l'humanité : la construction de villes flottantes.
Mêlant science, écologie et poésie, "Un jeu sans fin" sonde les mystères de l'océan et les potentialités infinies des nouvelles technologies pour célébrer la beauté et la résilience de la nature.

 


Mon avis :
Quand la course au profit saccage la beauté ineffable de la nature...
Parce que le sous-sol de Makatea recelait du phosphate, l'île fut pillée, "Makatea avait aidé Homo sapiens à dominer la Terre. Mais dans ce processus, l'île s'était consumée."

Quatre personnages s'invitent à tour de rôle et à différentes époques dans ce roman qui chante la beauté du monde, que nous pillons sans vergogne. Ils sont tous les quatre passionnants autant que différents les uns des autres. Tous m'ont provoqué, dans un premier temps, un élan particulier ; de l'admiration pour Evie l'amoureuse des océans qui se fait sa place dans un monde d'hommes, nous communique sa passion et nous fait entrevoir la beauté des fonds marins ; de l'empathie pour Ina, l'artiste polynésienne qui n'a vécu que sur des îles avant d'aller faire ses études sur le continent ; de la tendresse pour Rafi, érudit et féru de littérature, mais qui hélas se débat dans sa peau d'homme noir qui veut battre les Blancs en étant meilleur qu'eux en tout ; de la compassion pour Todd, passionné d'informatique qui a réussi au delà de toute espérance, qui sait qu'il va bientôt mourir, condamné par une maladie atroce.

Il y a tant de lumière dans ce roman ! le ciel, les océans, les fonds marins, les plages, la faune et la flore aquatique partout et des passionnés, capables de voir le merveilleux de tout ça "Elle tourna la tête à gauche et à droite. La côte s'étendait à perte de vue, la laissant en plein centre d'un presse-papiers grand comme le globe. C'était si simple, le bonheur. Il suffisait de s'arrêter et de regarder."
Cette merveille du hasard qu'est notre planète, en voie de destruction par ces prédateurs de ressources naturelles, ces multinationales insatiables prédatrices dirigées par des aveugles qui ne méritent vraiment pas tout ça, m'ont fait ressentir beaucoup de colère. "La vie offrait tellement, la vie offrait trop, bien plus que ce que Beaulieu pourrait jamais honorer, plus que tout être vivant n'en pouvait soupçonner ou mériter."

Mais voilà, ces personnages habités, mus par des convictions, celles du beau, du vivant, m'ont mis du baume au cœur. Parce que ce roman nous parle de l'équilibre parfait de la nature, une sublime ode à l'incommensurable : "J'ai vu le mécanisme inlassable, l'insondable dessein de la Vie, et il n'aura jamais de fin."
J'ai ressenti plein d'espoirs pour l'avenir, du moins, vu des années 50, lorsque Evie, jeune femme avide de découvertes, explore les océans. C'était sans compter le pouvoir de destruction... une machine en route, inarrêtable... Et on assiste à la naissance d'internet tel qu'il a été imaginé, hélas dévoyé tel qu'on le connaît à présent.

Il y a dans ce récit, une sorte de magie, liée à l'émerveillement que l'auteur nous communique à travers l'éblouissement de ses personnages avides de connaissances. Et puis l'amitié, indestructible, celle qui commence dans l'enfance et doit durer toujours. Et l'amour, la rencontre de son âme sœur, son alter ego, le seul, l'unique. Quelle écriture envoûtante ! On saute, tels des funambules, d'une vie à l'autre en sachant qu'elles vont se rejoindre. Mais dans quel but.?.?.?
J'ai trouvé ce roman vertigineux et terrifiant par certains aspects mais aussi enchanteur. Alors que je n’étais suis pas sûre d'avoir compris la toute fin, après discussion avec d’autres lecteurs il s’est avéré que j’avais compris. C’est que c’était très subtil, et pourtant il y a des indices tout au long de l’histoire.

 

Citations :

Page 38 : À deux cents kilomètres au sud-ouest, une éruption de volcan vomit les îles de Moorea et de Tahiti. Le poids de ces masses terrestres brusquement apparues s’abattit comme le maillet d’un concours de force dans une fête foraine. Le fond de la mer se gonfla et souleva dans les airs l’atoll de Makatea.

Des centaines de mètres de squelettes de corail calcaire se désintégrèrent sous deux millions d’années de pluies tropicales. Mais les phosphates, eux, ne se dissolvaient pas dans l’eau. Au contraire, ils se concentrèrent en dépôts très denses, veinant cette colonne d’île rétrécie d’une substance dont les humains, à terme, finiraient par avoir besoin.

 

Page 56 : Elle se moquait du jugement des autres. Son léger mépris pour presque tous ses voisins humains en faisait la personne la plus discrète des Tuamotu. Tant que ses chers oiseaux chanteurs se portaient bien, tous les plus gros bipèdes pouvaient bien crever dans l’enfer qu’ils s’étaient créé.

 

Page 85 : « Votre fils a besoin de lunettes, dit Mlle Rapp à sa mère.

Qu’est-ce que vous racontez ? Il y voit parfaitement. »

Mlle Rapp inclina la tête, et la mère de Rafi se reprit.

« Pourquoi il ne m’a pas dit qu’il n’y voyait rien ? 

Qu’est-ce qu’il en savait ? Il n’a que ces yeux-là ! »

 

Page 102 : Il s’exprimait comme s’il avait soif de parler mais qu’il n’était pas sûr d’en avoir le droit. Un panache de magnifiques intuitions improvisées émanaient de lui, après quoi il se repliait sur son pupitre en essayant de se rendre invisible. Il écorchait certains mots — mais uniquement des mots érudits et précieux. Ce qui signifiait qu’il avait passé des années à lire sans avoir l’occasion d’en discuter avec les profs. Ce mec s’était frayé tout seul un chemin jusqu’ici.

 

Page 117 : C’était si simple, le bonheur. Il suffisait de s’arrêter et de regarder.

 

Page 128 : Ils embarquèrent donc, trente-huit au total, pour l’endroit le plus sauvage de la planète. Pendant six mois, des Philippines à la Malaisie puis à la Nouvelle-Guinée, le vaisseau scientifique Ione sillonna cinq millions de kilomètres carrés d’océan, longeant la plus mangrove du monde et flottant au dessus d’un tiers des poissons de la planète et de trois quarts de ses récifs coralliens en devenir.

 

Page 136 : « Quatre-vingt-dix pour cent de la biosphère se trouve sous l’eau !

Non, quatre-vingt-dix-neuf ! »

Aucun humain ne savait vraiment à quoi ressemblait la vie sur Terre. Comment l’auraient-ils pu ? Les humains vivaient sur la terre ferme, au royaume marginal des mutants égarés. Toutes les forêts, les savanes, les marais, les déserts, les prairies de tous les continents n’étaient que des post-scriptum, des annexes de la grande scène de la planète.

 

Page 210 : On allait à des conférences et on en ressortait mieux instruits de l’ampleur de notre vaste ignorance.

 

Page 288 : Nous autres humains sommes conçus pour rivaliser, pour cracher notre avis, pour rechercher le prestige et le flouze, pour regarder grandir notre fortune et notre cote, pour impressionner nos amis et terrasser nos ennemis. Ou peut-être simplement pour jouer.

 

Page 308 : Existait-il nation plus terriblement démocratique que ces quatre-vingt-deux insulaires, sur leur caillou grand comme une chiure d’oiseau ?

 

Page 310 : Manutahi Roa, magnat de l’énergie sur l’île et consultant technique tous azimuts, installa l’équipement électronique dans la maison du peuple pendant que tout le monde était à l’église. Il se définissait comme un communiste démocrate, au dédain inflexible quoique respectueux pour l’opium du peuple. Cet athéisme lui libérait ses dimanches matins et ajoutait quatre heures hebdomadaires à son temps disponible, ce qui le rendait, selon sa propre estimation, près de neuf pour cent plus productif que s’il avait été encombré par la foi.

 

Page 329 : Une idée m’apparut : les gens dans mon domaine parlaient toujours de « l’équivalence humaine » comme l’étalon-or pour mesurer l’intelligence d’une machine. Mais les humains les plus intelligents au monde cédaient leurs données gratis sans prendre la peine de lire le contrat. Les données, c’était la vie. Il y avait peu de choses au monde plus précieuses. Si céder ses données était le critère d’humanité, alors créer une intelligence artificielle généralisée allait peut-être se révéler plus facile qu’on ne le croyait.

 

Page 335 : L’ère des humains touchait à sa fin. On avait déjà passé l’an un de l’ère des machines intelligentes. Une nouvelle forme de vie était apparue qui allait prendre nos emplois, diriger notre économie, faire des découvertes à notre place, être notre amie et arranger nos sociétés à son idée. Et cette ère avait démarré en un clin d’œil, après la plus brève des enfances.

 

Page 377 : Elle avait vu s’étioler les zones si poissonneuses au large de Terre-Neuve, assisté à la disparition des crabes des neiges en mer de Béring, observé des chaluts étirés sur des kilomètres déracinant en un après-midi des cités de corail qui avaient mis dix mille ans à pousser, constaté que toutes les mers du monde s’acidifiaient, que la plupart des récifs blanchissaient, et que l’exploitation minière des nodules de manganèse allait arracher le cœur des fonds marins. Elle avait vécu assez longtemps pour voir des détritus dans la fosses des Mariannes, les lieux les plus reculés transformés en clubs de vacances, le Gulf Stream dévier de son cours, et la couche photique trop chaude bloquer les nutriments dans les couches inférieures, faute de pouvoir les brasser. Les neuf dixièmes des grandes formes de vie avaient disparu, et le reste était contaminé par les métaux lourds. La plus grande part de la planète était exsangue, avant même qu’on ait pu l’explorer.

 

 

 

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Mon avis : Bien-être -Nahan Hill

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Bru

 

Éditions Gallimard – DU MONDE ENTIER

 

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Quatrième de couverture :

À l’aube des années 1990 à Chicago, en pleine bohème artistique, un homme et une femme vivent l’un en face de l’autre et s’épient en cachette. Rien ne semble les relier — elle est étudiante en psychologie, lui photographe rebelle. Mais lorsqu’ils se rencontrent enfin, le charme opère et l’histoire d’amour démarre aussitôt entre Elizabeth et Jack. Ils ont la vie devant eux et, même si leurs rêves et leurs milieux divergent, ils sont convaincus que leur amour résistera à l’épreuve du temps.
Mais qu’en est-il vingt ans plus tard ? Une fois que le couple s’est embourgeoisé, qu’il se débat avec un fils tyrannique, que le désir s’éteint à petit feu et que les rêves s’oublient ? L’achat d’un appartement sur plan devient alors le révélateur de tous les désaccords entre Elizabeth et Jack. Au fond, étaient-ils faits l’un pour l’autre ?
Bâti avec de malicieux va-et-vient dans le temps, Bien-être est la fresque épatante d’un amour dont le décor, Chicago, perd son âme à mesure que les sentiments s’abîment. Nathan Hill y décortique le couple et l’état de la middle class avec un panache, une ingéniosité et un humour irrésistibles. Du grand roman américain au souffle palpitant.

 

 

Mon avis :
Un homme et une femme qui habitent l'un en face de l'autre, ne se connaissent pas et s'épient en fantasmant l'amour de toute une vie. C'est le début d'un amour où les deux protagonistes sont persuadés d'être faits l'un pour l'autre et de s'aimer toute leur vie. Rien de plus banal... c'est immédiatement l'osmose, deux âmes sœurs qui se comprennent.

Puis on se retrouve vingt ans après, un mariage et un enfant plus tard, au cœur de ce couple dont on se dit que tout compte fait il y a eu une erreur de casting tant finalement ils semblent différents. Où peut-être le sont-ils devenus. Une épouse et mère plutôt psychorigide, un époux et père plutôt le contraire et un enfant, Toby, caractériel. Je n'ai pas pu m'empêcher de me demander qui en était responsable, et ma déduction de l'affaire n'a pas été très sororale. Cette mère est exaspérante tant elle veut (trop) bien faire.
Le point commun de Jack et Elizabeth c'est que chacun cherche la perfection dans des théories pensées par d'autres, Elizabeth victime d'une société du 
bien-être, Jack de son besoin viscéral d'être aimé. Tout ce que fait Elizabeth se retourne contre elle sans qu'elle ne s'en rendent vraiment compte, et de son côté, Jack se donne beaucoup de mal pour, euh, rien en fait. Et Elizabeth construit sa vie en se référant constamment à des écrits qui expliquent les meilleurs comportements à avoir. Et ça ne fonctionne pas avec son fils, enfant tyrannique et explosif.
Et puis il y a Brandie, épouse et mère comblée, qui affiche son bonheur insolent sur les réseaux sociaux en donnant une image idyllique de sa vie. Kate, qui prône l'amour libre tant, selon elle et son mari, c'est le seul moyen de ne pas se lasser de la vie de couple. Puis Benjamin et son obsession de la pureté du corps, qui avale des potions plus étranges les unes que les autres. Il est aussi beaucoup question du pouvoir et de la malléabilité du cerveau, cet organe qui est en réalité le grand chef des armées. La famille, l'amour, les deux entremêlés, et l'usure du temps, ce rouleau compresseur qui agit sur les corps et sur les âmes. C'est drôle et consternant à la fois.

Dans ce roman, on passe sans cesse d'une époque à l'autre, l'enfance puis la vie étudiante jusqu'à la quarantaine, ce qui nous permet de mieux appréhender les personnages en découvrant leur histoire douloureuse. C'est très efficace mais le contraste entre les débuts idylliques et le train-train quotidien vingt ans plus tard, ça met une grosse claque à la vision de "l'amour toujours".

Pendant un certain temps j'ai ressenti beaucoup de stress à cette lecture. Sans doute que tous ces gens qui cherchent le 
bien-être à tout prix, qui affichent leur bonheur sur les réseaux sociaux, cette quête totalement biaisée de ce que doit être la vie m'a montré à quel point trop de gens sont à côté de leurs pompes. Car certains veulent avoir la plus belle maison, être un couple que tout le monde envie, les plus beaux enfants et aussi les plus intelligents, une voiture luxueuse, des vacances de rêve, être enviés et admirés et finalement passent à côté du vrai bien-être. Tous ces gens qui rêveraient que la vie soit une longue et grande fête ignorent que le bonheur est simplement l'absence de malheur.

Nathan Hill raconte le temps qui passe et les désillusions qui l'accompagnent avec talent et acuité. Mais je crois que c'est justement cette acuité qui m'a fait passer une partie de cette lecture avec le cœur dans un étau. J'ai trouvé ça tellement cruel la dissection de ces tristes vies. C'est peut-être l'état du monde actuel qui m'a empêchée, jusqu'à un certain point, de voir le côté jubilatoire que beaucoup ont trouvé dans ce roman. Je trouve qu'on a perdu de vue l'essentiel et qu'on n'arrive pas à revenir en arrière, comme si tout n'était que fuite en avant. Cependant, il y a beaucoup d'humour et même des moments hilarants. Car arrivée quasiment à la moitié, je me suis énormément amusée. Et là, OUIIII !!! j'ai trouvé ce récit jubilatoire ! Et je dois dire que j'ai adoré Jack, petite herbe verte et aimable qui a réussi à pousser dans le purin, avec des parents insupportables, voire toxiques mais heureusement avec une sœur qui a su lui montrer la beauté. Quant à Elizabeth, vraiment elle se donne du mal...

Mais au fond, jusqu'où serions-nous prêts à aller pour sauver notre couple de l'ennui, faire rejaillir le feu d'un amour qu'on croyait devoir durer toujours ? Et que faire de ces valises qu'on se trimballe depuis la naissance et des traumatismes bien rangés à l'intérieur ?
Ce roman nous fait passer par de nombreuses phases, qui vont de l'exaspération à l'incrédulité, en passant par de l'émotion, de la tristesse, de la joie et du rire.

Le livre refermé, j'ai eu l'impression d'avoir été bombardée de particules élémentaires car 
Nathan Hill m'a emmenée dans des recoins de l'humanité où je ne m'attendais pas à aller, comme si plein de petits bouts d'humains arrivaient pour s'amalgamer et devenir des échantillons de mes semblables qui se débattent dans notre époque hyper connectée, entre algorithmes, complotisme et réseaux sociaux, mais aussi placebos et pouvoir du cerveau, injonction au bonheur et à la réussite à tout prix, sans oublier la boboïsation de quartiers autrefois populaires ainsi que l'érosion des sentiments, l'ennui conjugal et la recherche d'un regain d'étincelles. Tout y passe et c'est fascinant.
Mais quel roman !!!

 

Citations :

Page 51 : Et ça, comprennent-ils en se regardant dans les yeux, stupéfaits, c’est ce qui explique pourquoi ils ont à ce point l’impression de déjà se connaître, pourquoi ils se sont reconnus et si facilement compris : ils sont tous les deux à Chicago pour devenir orphelins.

 

Page 77 : Le voir ainsi réveillait une douleur familière. À huit ans, Toby était « le nouveau » et Elizabeth se souvenait comme si c’était hier de ce que ça faisait. Enfant, elle avait souvent été la nouvelle, elle aussi, et elle éprouvait toujours dans son corps l’anxiété et la détresse qui accompagnaient l’arrivée en pleine année scolaire dans un lieu inconnu, où les structures sociales étaient déjà constituées, les cliques déjà bien établies. Chaque fois, Elizabeth arrivait en paria, en pestiférée, une curiosité errant bêtement dans les couloirs à la recherche d’un casier, toujours en retard en cours de plusieurs minutes, toujours confrontée à ce sentiment oppressant d’être sans cesse observée, évaluée, jugée. Confrontée à l’horreur que ressent l’étranger dans une cantine où presque toutes les places sont prises. Au choix terrible entre rester assis dans son coin comme un lépreux et quémander son admission dans un groupe — « je peux m’asseoir là ? » — au risque de se prendre, devant tout le monde, le râteau de l’humiliation éternelle.

 

Page 103 : Des années plus tôt, il était tombé amoureux d’exactement ces qualités-là — son indépendance, sa force, son autonomie —, mais c’est précisément ce qui lui donnait aujourd’hui l’impression d’être « périphérique », comme condamné à attendre, les bras ballants et en ruminant ses doutes, qu’elle veuille enfin avoir besoin de lui.

 

Page 159 : Elle prit enfin la mesure de l’étrange paradoxe qu’il y avait à être parents : c’était parfaitement accablant et à la fois étrangement réconfortant. Ça dévorait autant que ça comblait.

 

Page 206 : Elle avait choisi, volontairement, librement, d’avoir un enfant, elle avait donc aussi choisi de tirer un trait sur un nombre incalculable de petits luxes et conforts en tout genre : des nuits entières de sommeil réparateur, une maison propre et bien rangée, un revenu disponible, des jours indolents et détendus sans conflits ni colères.

 

Page 217 : Assis à côté de sa mère le dimanche matin, Jack écoutait ces sermons et, chaque fois que le pasteur se lançait dans sa diatribe contre l’avortement, qui devenait plus hargneuse au fil des ans et recueillait toujours plus d’assentiment des paroissiens, Ruth se tournait vers son fils avec cet air de dire Tu as vu la chance que tu as ?. Comme pour sous-entendre que si elle n’avait pas, par hasard, été exposée aux obsessions de ce pasteur en fréquentant la Calvary Church, elle aurait sans l’ombre d’un doute avorté. La Calvary Church avait littéralement sauvé la vie de son fils et le lui dire était son étrange façon d’essayer de le convertir.

 

Page 289 : J’ai besoin d’un endroit pour me recalibrer, tu sais ? Un endroit où éliminer le bruit et m’aligner avec mon niveau supérieur. Mike me l’a construite, ma pièce calme. C’est là que je fais mes affirmations, que j’écoute mes subliminaux, que j’allume des bougies d’intentions, que je visualise.

 

Page 427 : C’était toujours la même histoire : elle ne savait plus comment être proche de Jack sans se sentir submergée et étouffée par ce qu’il attendait d’elle.

 

Page 569 : La mort avait une façon de rendre insignifiants tous les autres sujets.

 

Page 600 : — D’accord, eh bien, voilà ce que mon petit doigt me dit : tout le monde a l’impression, dans une certaine mesure, d’avoir un côté bizarre, non ? Une sorte d’énergumène intérieur. Une part de soi en décalage avec ce qu’on s’accorde tous à trouver, entre guillemets, « normal ».

Oui, je suis d’accord.

Et certains entretiennent de bonnes relations avec l’énergumène en question. Ils le chérissent, se prêtent à son jeu, le laissent faire surface de temps en temps, s’en délectent. Ce sont eux qui adorent les miroirs déformants. Ils voient cette version monstrueuse d’eux-mêmes et se disent : Oui, ça aussi c’est moi ! Ils l’acceptent.

 

Page 607 : Les gens ne font pas une expérience paisible et tranquille du monde. Nos vie n’ont jamais été si dénuées de menaces physiques immédiates, et pourtant nous ne nous sommes jamais sentis aussi menacés. Et ce parce que, au quotidien, avec toutes les responsabilités qui nous incombent, au travail, en famille, pris dans le tourbillon d’informations, de nouvelles, de tendances et de baratin, face aux millions de choix qui se présentent, face à toutes les horreurs du monde dont la télévision, les ordinateurs et les téléphones nous abreuvent en continu, nous nous sentons surtout anxieux, inquiets, précaires, vulnérables – ce qui n’est pas bien différent de ce que nous ressentirions en cas de vraie famine, ou si nous étions vraiment pourchassés par un lion.

 

 

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Mon avis : L’île des âmes – Piergiorgio Pulixi

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux

 

Éditions Gallmeister

 

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Quatrième de couverture :

Depuis plusieurs décennies, la Sardaigne est le théâtre de meurtres rituels sauvages. Enveloppés de silence, les corps de jeunes filles retrouvés sur les sites ancestraux de l’île n’ont jamais été réclamés. Lorsque les inspectrices Mara Rais et Eva Croce se trouvent mutées au département des “crimes non élucidés” de la police de Cagliari, l’ombre des disparues s’immisce dans leur quotidien. Bientôt, la découverte d’une nouvelle victime les place au centre d’une enquête qui a tout d’une malédiction. De fausses pistes en révélations, Eva et Mara sont confrontées aux pires atrocités, tandis que dans les montagnes de Barbagia, une étrange famille de paysans semble détenir la clé de l’énigme.
La première enquête de Mara Rais et Eva Croce nous plonge dans les somptueux décors de la Sardaigne, au cœur de ténèbres venues du fond des âges.

 


Mon avis :
1961. le corps d'une femme suppliciée, est trouvé par Angheleddu, le chien, que son instinct empêche d'approcher. L'enfant l'a vue mais n'en parlera jamais, par peur de l'ogre...
2016. L'inspectrice en chef Mara Rais, forte tête et grande gueule est mutée à l'unité des crimes non élucidés, ce qui est pour elle une punition. Elle va avoir comme binôme Eva Croce, au look de métalleuse, dont on ne connaît pas les raisons de la mutation sur cette île, la Sardaigne, où personne ne veut aller. Cerise sur le gâteau, elles vont devoir s'intéresser aux enquêtes jamais résolues de l'inspecteur Moreno Barrali devenu la risée de la section homicides à force de vouloir faire rouvrir des dossiers. L'homme est en phase terminale d'un cancer et ses supérieurs ne supportent pas de le laisser mourir avec ses regrets sans avoir tenté de l'aider encore une fois à résoudre des vieilles affaires de meurtres rituels barbares restées sans réponse. Dans un premier temps, la rencontre entre les deux femmes va être assez agressive, bien loin de la sororité qu'on pourrait espérer.

En Barbagia, il y a le clan Ladu, que beaucoup disent consanguin. Il vivent à l'écart, avec leurs règles et un mode de vie plus ou moins ancestral, des traditions millénaires. Et nous voilà plongé dans quelque chose de fascinant, où le temps semble suspendu à la volonté primale de la nature. Car il y a quelque chose hors du temps dans ce lieu qui semble être resté partiellement à l'abri du monde moderne, de la civilisation. de rites et sacrifices obscures accompagnés de masques de carnaval sarde, en puits nuragiques, sources sacrées et autres sites archéologiques, l'auteur nous emmène chez lui, dans sa Sardaigne natale, sur la piste d'un tueur en série : [...] masques zoomorphes, femmes nues devant des autels nuragiques et des menhirs, figures bestiales, cirques mégalithiques...
On est immergé dans ces lieux où une porte sur le lointain passé semble restée ouverte.

Deux victimes jamais réclamées, recouvertes d'une peau de mouton et d'un masque de taureau, une jeune femme disparue...
Ce roman, c'est une ambiance ésotérique, sépulcrale, toute une atmosphère de mystère, et l'histoire d'une terre qui n'a pas coupé les liens avec son lointain passé.

Des chapitres courts qui donnent un rythme alerte, un belle écriture, des personnalités intéressantes, ou exaspérantes, des flics obsessionnels hantés par les victimes, une enquête étalée sur des décennies, ce roman vous attrape et ne vous lâche plus. Un récit humainement très puissant par certains aspects. Captivant, enrichissant, instructif, ce fut une très belle découverte à travers ce noir périple historico-touristique d'un genre très spécial car le thème est extrêmement macabre, et 
Piergiorgio Pulixi nous emmène sur plusieurs pistes. Eh oui, c'est un polar !... qui se dévore !

 

Citations :

Page 24 : Partout règne un silence pénétrant. L’homme ne cherche pas à dominer la nature car il la craint. C’est une peur inscrite dans son sang, fille d’époques révolues. Il sait d’instinct que la nature gouverne le destin des hommes et des animaux, et il apprend vite à connaître et à traduire tous les faits naturels qui l’entourent, car, aussi étrange que cela puisse paraître, ce silence parle. Il instruit et met en garde. Il conseille et dissuade. Et malheur à celui qui ne témoigne pas la déférence attendue.

 

Page 48 : Le lien qui se tisse entre l’enquêteur et la victime d’un homicide est sacré. Il transcende la simple bureaucratie, les comptes rendus d’enquête, les rapports d’autopsie, les pièces à fournir au magistrat. Il devient quelque chose de beaucoup plus intime. Dans l’éventualité où l’affaire n’est pas résolue et où le bourreau reste en liberté, ce lien sacré, indissoluble, peut se muer en une obsession éreintante, impossible à fuir.

 

Page 194 : « On ne surmonte pas la douleur en l’éludant, mais en la traversant », lui avait répété son psy jusqu’à l’écœurement.

 

Page 260 : — Pauvre petite. Tes anciens collègues, ils sont comment ? C’est des gens sérieux ?

C’est une bande de têtes de nœuds machistes, gonflés de testostérone et pétris de préjugés.

 

Page 427 : Toutes les affaires d’homicides ne sont pas identiques. Certaines te collent à la peau pour toujours. Tu les portes en toi comme des cicatrices. Au bout de quelques années, elles cessent de te faire mal et tu n’y prêtes plus attention. Elles deviennent une partie de toi. Le tissu cicatriciel s’atténue au point que tu finis par ignorer sa présence. Mais il suffit d’un détail, d’une odeur, d’un regard ou d’un mot pour réinfecter la plaie, pour rouvrir la boite de Pandore que tous les enquêteurs ou presque gardent en eux, laissant libre cours à des souvenirs corrosifs et à une culpabilité aussi sournoise que des parasites intestinaux.

 

 

 

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Mon avis : Loɴɢ Iѕlαɴd - Colм Tóιвίɴ

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’anglais (Irlande) par Anna Gibson

 

Éditions Grasset

 

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Quatrième de couverture :

Une inoubliable passion amoureuse, après le chef-d’œuvre du Magicien, par un des maîtres de la fiction contemporaine.  Tout bascule lorsqu’un inconnu à l’accent irlandais frappe à la porte d’Eilis Lacey. Après vingt ans de mariage, Tony et elle profitent du confort offert par les années 1970 aux familles américaines. Installés à Long Island, ils ont deux enfants, bientôt adultes, et mènent une vie tranquille où les seuls tracas proviennent de l’oppressante belle-famille italienne d’Eilis. Mais en apprenant au seuil de sa maison que Tony l’a trompée et qu’une autre femme attend un enfant de lui, ce bonheur patiemment construit vole en éclats.  Sans promesse de retour, elle part en Irlande, à Enniscorthy. Rien n’a changé dans sa ville natale, ce monde clos où, de générations en générations, tout se sait sur tout le monde. Alors qu’il a repris le pub familial, même Jim Farrell est resté tel qu’il était vingt ans plus tôt, pendant l’été qu’Eilis et lui avaient passé ensemble, bien qu’elle fût déjà secrètement fiancée à Tony. La blessure du départ d’Eilis est toujours vive mais son retour ravive cet amour de jeunesse – et l’Amérique s’éloigne plus que jamais…  Situé à l’interstice entre deux mondes, Long Island offre des retrouvailles bouleversantes avec Eilis Lacey dont les lecteurs de Brooklyn se souviennent encore. Quinze après la publication de ce best-seller, Colm Tóibín fait la démonstration magistrale de ses talents de romancier avec un inoubliable portrait de femme.

 


Mon avis :
Aussitôt après avoir refermé 
Brooklyn, roman où on fait la connaissance d'Eilis, j'ai enchaîné avec celui-ci. Alors que pour moi le précédent s'était fini avec angoisse, le début de Long Island m'a fait l'effet d'une grosse claque. On est vingt ans après.
Un homme veut absolument parler à Eilis et ce qu'il va lui dire pourrait bien changer le cours de sa vie. Eilis a épousé Tony, cet italien avec qui elle a eu deux enfants, mais alors elle a épousé aussi toute sa famille. Tout le monde se mêle de tout. Tous les dimanches c'est repas familial chez ses beaux-parents qui habitent juste en face, des heures à table avec tous ces italiens au verbe haut, qui parlent en même temps, coupent la parole et considèrent que les femmes ne doivent pas contredire les hommes. le patriarche est 
le Maître absolu. Une épouse doit écouter son mari. Un mari doit tenir sa femme.

Parce que Tony a dérapé et ébranlé les bases de la famille, Eilis part en Irlande voir sa mère qu'elle n'a pas vue depuis vingt ans. Quand la vie vacille, on a envie de retourner chez soi, auprès de sa mère. Ses enfants décident de la rejoindre un mois plus tard pour enfin rencontrer leur grand-mère. Mais vingt ans plus tard, est-on encore chez soi ou est-on devenue une étrangère ? Sa mère est tellement distante avec elle.

C'est une histoire qui nous parle du déracinement, du temps qui passe, très vite, trop vite, des choix qu'on a faits, et des renoncements, peut-être aussi des regrets et des remords qu'on peut avoir. Parce qu'un jour elle a dû partir, contrainte et forcée, c'est comme si elle était pour toujours l'irlandaise en Amérique et l'américaine en Irlande. Plus jamais vraiment à sa place. Ce roman nous parle aussi des non-dits, de l'incapacité de communiquer, des souhaits ou besoins discordants au sein d'un couple, des ultimatums qu'on craint de lancer par peur de tout perdre.
J'ai senti beaucoup de nostalgie. À peine le temps de se retourner et tout est devenu différent. Rien n'a changé à Enniscorthy, pourtant plus rien n'est pareil.
Et puis, loin des yeux, loin du coeur. Non ?
J'ai trouvé Eilis très magnanime. À sa place, aurais-je souhaité sauver mon couple ? Absolument pas. J'aurais explosé l'indélicat.

Un certain nombre d'éléments de ce roman m'ont parlé, comme l'exil, le fait de se demander où est sa place, le bon endroit, où est-on réellement chez soi, la mère refuge, les retrouvailles avec ses amies d'enfance longtemps après... cependant, à part la claque du début, aucune émotion au rendez-vous. Les personnages sont tièdes, ils ont tous l'air stoïques, indifférents. Car la grosse déflagration du début aurait dû occasionner des cris, de la colère, et cela chez plusieurs personnages. Or rien, on a l'impression d'être face à un non évènement. C'est comme si l'auteur était passé à côté de son sujet. D'ailleurs, quel est ce sujet finalement ? le couple ? L'amour au long cours ? La trahison ? La famille ? Les racines ? L'amitié ? La loyauté ?

Malgré mes quelques réticences, c'est un roman qui se lit bien, mais ne provoque pas réellement d'émotions.

 

Citations :

Page 219 : À l’époque où elle avait été son amie et où Nancy la voyait tous les jours, Eilis n’avait rien de particulier. À présent, elle se distinguait. On aurait cru une autre femme. Il lui était arrivé quelque chose en Amérique, conclut Nancy. Elle aurait voulu savoir quoi.

 

 

 

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Mon avis : Brooĸlιɴ - Colм Tóιвίɴ

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’anglais (Irlande) par Anna Gibson

 

Éditions Le Livre de Poche

 

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Quatrième de couverture :

Enniscorthy, Irlande, années 1950. Comme de nombreuses jeunes femmes de son âge, Ellis Lacey ne parvient pas à trouver du travail. Par l'entremise d'un prêtre, on lui propose un emploi en Amérique, à Brooklyn. Poussée par sa famille, Ellis s'exile à contrecœur. D'abord submergée par le mal du pays, elle goûte ensuite, loin du regard de ceux qui la connaissent depuis toujours, une sensation de liberté proche du bonheur.

Puis un drame familial l'oblige à retraverser l'Atlantique. Une fois de retour au pays, Brooklyn se voile de l'irréalité des rêves. Eilis ne sait plus à quel monde elle appartient, quel homme elle aime, quelle vie elle souhaite. Elle voudrait ne pas devoir choisir, ne pas devoir trahir.

 


Mon avis :
J'aime beaucoup le dépaysement dans mes lectures et c'est ce que m'a occasionné ce livre, tant pour le lieu que pour l'époque, qui commence en Irlande dans les années 50. Eilis vit avec sa mère et sa sœur à Enniscorthy, petite ville irlandaise où il n'y a pas de travail. Alors que beaucoup partent travailler en Angleterre comme ses trois frères, Ellis va avoir l'opportunité de partir à 
Brooklyn et d'y avoir un emploi. Mais c'est loin l'Amérique ! Mais on peut s'y enrichir ! Et que c'est dur de partir si loin quand on a toujours cru qu'on passerait toute sa vie au même endroit. Eilis s'imaginait plus tard, mariée avec quelqu'un de chez elle, en Irlande, mère au foyer... le plus dur, c'est pour la maman qui voit partir ses enfants, loin, trop loin. En réalité, Eilis n'a pas choisi de partir si loin, les autres ont décidé pour elle. Elle voudrait pourtant tellement rester. Et moi toute cette partie m'a exaltée autant qu'effrayée. L'Amérique ! Brooklyn !! Oui mais tout quitter...

Alors qu'Eilis s'adapte tranquillement à sa nouvelle vie dans cette ville si peuplée, dans son travail qu'elle accomplit avec conscience, elle est assaillie par le mal du pays. L'endroit où elle est née, où elle connaissait tout le monde et où tout le monde la connaissait lui manque terriblement, au milieu de cette fourmilière où elle a la sensation de n'être personne. Un énorme sentiment de perte la submerge, de vacuité de cette nouvelle vie, d'inutilité.
Mais en Amérique, les migrants forment des communautés, presque des fraternités. On est seule sans l'être tout à fait, tout en souffrant énormément de solitude. Heureusement, le père Flood, qui est à l'origine de son départ à 
Brooklyn, est là quand il le faut. Un vrai prêtre, altruiste et généreux.

Ce qui m'a vraiment frappée dans un premier temps, c'est la solitude du migrant, au milieu d'une multitude de gens.
Ça a été le dépaysement assuré pour moi, avec cette Amérique telle que je la vois dans mon imagination, peut-être à tort, cette terre accueillante, formant des communautés solidaires, la main tendue vers leurs semblables, tous ceux qui viennent d'ailleurs.
J'ai aimé cette histoire simple qui parle de gens simples qui construisent leur vie, avec les joies et les drames qui la traversent.
Il y a aussi beaucoup d'humour, ça a été un vrai plaisir. Et surtout, ça raconte cette Amérique terre d'accueil, bien avant celle de maintenant en train de devenir terre de rejet.
J'ai vraiment beaucoup aimé ce roman qui parle d'ambivalence, de désirs contradictoires, de déchirement entre deux pays, deux cultures, entre le nouveau monde et ses racines bien ancrées, deux histoires, deux possibilités, qui nous interpelle nous, lecteurs, et qui m'a fait bondir et espérer une chose plutôt qu'une autre et m'a fait arriver au bout avec une sourde angoisse.

 

Citations :

Page 46 : Eilis avait toujours cru qu’elle vivrait toute sa vie, comme sa mère avant elle, dans cette ville où elle était connue de tous ; elle avait cru qu’elle garderait toute sa vie les mêmes amis, les mêmes voisins, les mêmes habitudes, les mêmes itinéraires. Elle avait imaginé qu’elle trouverait un emploi en ville et que, par la suite, elle épouserait quelqu’un et laisserait son travail pour élever ses enfants.

 

Page 53 : Elle laissait filer ces images le plus vite possible, en s’arrêtant dès que celles-ci effleuraient la vraie peur, le véritable effroi ou, pire encore, la notion qu’elle s’apprêtait à perdre ce monde à jamais, qu’elle ne vivrait plus jamais une journée ordinaire dans ce lieu ordinaire, que le reste de sa vie serait désormais une lutte contre l’inconnu.

 

Page 105 : Elle commença à réfléchir, pour tenter de comprendre ce qui avait bien pu causer cette sensibilité nouvelle qui ressemblait à du désespoir, qui ressemblait à ce qu’elle avait éprouvé à la mort de son père, quand elle les avait vus fermer le cercueil, ce sentiment qu’il ne reverrait jamais le monde et qu’elle, de son côté, ne pourrait plus jamais lui parler.

Elle n’était personne à Brooklyn. Ce n’était pas juste le fait qu’elle n’y avait ni famille ni amis ; c’était bien plus que cela. Elle était un fantôme dans cette chambre de pension, dans ces rues où elle marchait pour aller au travail. Rien n’avait de sens.

 

Page 123 : Et j’ai bien mis les choses au point avec le père Flood : vu que je me suis déjà organisée de mon côté pour être sûre de toucher ma récompense au ciel, il me doit une faveur que j’aimerais bien qu’il me retourne dans ce monde-ci, et pas trop tard, si possible.

 

 

 

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Mon avis : Frapppabord – Mireille Gagné

Publié le par Fanfan Do

Éditions La Peuplade

 

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Quatrième de couverture :

Province du Québec, 1942. Sur Grosse-Île, dans le fleuve Saint-Laurent qu’arpentent les sous-marins allemands, les gouvernements américain, britannique et canadien mettent en place un projet top secret. Des dizaines de scientifiques y sont réunis dans la plus grande discrétion, afin de mettre au point une arme bactériologique nouvelle. Des décennies plus tard, à l’occasion d’un épisode de canicule d’une ampleur inédite, des accès de rage bousculent la petite ville de Montmagny et ses alentours. Elle semble se propager comme une épidémie à mesure que les frappabords se multiplient. Mireille Gagné fait preuve d’invention dans ce deuxième roman, un livre écologique, subtil et haletant, qui nous recommande d’écouter ce que le vivant essaie de dire : l’équilibre est un état à retrouver.

Vous auriez probablement ressenti de la nausée en nous voyant surgir sur les berges du Saint Laurent : une nuée de frappabords, en une seule main sombre et vorace, caressant les herbes hautes au lever du soleil.

 


Mon avis :
L'histoire commence par le point de vue de l'insecte piqueur, qui nous explique comment il va opérer pour nous sucer le sang, en arrachant parfois un morceau de chair. C'est un 
frappabord, un taon à cheval, une mouche à cheval, une mouche noire, une mouche à chevreuil, une sale bestiole.

Cette histoire se déroule sur deux époques. de nos jours ou dans un futur proche avec Théodore, ouvrier dans une usine, et en 1942 avec Thomas, entomologiste réquisitionné par l'armée pour mettre au point une arme létale, dans un laboratoire secret situé sur une île du fleuve Saint-Laurent. le grand-père de Théodore vit dans un hospice où on l'attache souvent à son lit pour contenir ses colères. Il a élevé Théodore qui sait très peu de choses sur lui ainsi que sur ses parents, morts quand il était enfant.

On se rend compte dès le début qu'on va vivre un sale moment avec les insectes, créatures indispensables et pourtant insupportables, voire douloureuses et même parfois naturellement dangereuses. le fait que ce soit le 
frappabord qui nous parle de lui, comment il nait, comment il grandit, se reproduit, repère ses proie, leur suce le sang et arrache de la chair, rend les choses vraiment flippantes : "Je vous repère d'abord de loin, attirée par vos mouvements, même infimes, et surtout par la chaleur et le dioxyde de carbone que vous dégagez."
"Délicatement, je dépose ma bouche sur votre peau suave, telle une langue chaude, initiant juste assez de succion pour en goûter la saveur."
"J'ai goûté toutes vos peaux, vos sangs, vos sueurs, hommes, femmes, enfants, malades, stressés, propres, sales. J'ai digéré toutes vos chairs dans l'objectif ultime de me reproduire un jour."
Un vampire en somme, qui nous scrute et nous jauge pour mieux nous saigner. Il y a dans ce que nous dit le 
frappabord une espèce de sensualité ambiguë : "Me déposer sur ta peau humide. Goûteuse. Salée. Chaude. Y marcher à ton insu la langue sortie. Me délecter de chacune de tes parties les plus intimes." Un prédateur absolu. Après ça, je ne regarderai plus les moustiques de la même façon. Ah oui parce que ce sont LES bestioles infernale ici. Les frappabords, appelés taons en France, je n'en ai rencontré pratiquement qu'en montagne.

Cette lecture renforce le sentiment que la folie des hommes d'hier et d'aujourd'hui à ne penser qu'à l'instant présent et à leurs intérêts personnels, détruit le monde de demain, celui de leur descendance, de leurs enfants et petits-enfants.
J'ai adoré avoir le point de vue de l'insecte, la façon dont il nous voit, comme un mets succulent mais aussi comme un nuisible, une erreur à éradiquer.

C'est terrible comme les dystopies rejoignent tout doucement notre présent. Depuis quelques années, les moustiques tigres ont fait leur apparition en France. D'abord dans le sud, il gagnent du terrain en envahissant tout doucement toutes les régions et gagnent aussi en dangerosité puisqu'on recense quelques cas de malaria et de dengue, maladies transmises par ces petites bêtes infernales qui ne nous laissent pas un instant de tranquillité dès qu'on s'installe dehors. La prochaine étapes c'est quoi ? Des moustiques géants ?

La fin est glaçante tant elle semble plausible. Car moi je vois la Terre comme une grosse bombe dont la mèche a commencé à brûler lorsque nous sommes entrés dans l'aire industrielle 💣.
Si seulement ceux qui peuvent cessaient de traiter d'écoterroristes ceux qui essaient ...

 

Citations :

Page 29 : Je doute que vous vous rappeliez votre naissance. Très peu d’espèces le peuvent en effet. Pour ma part, je me souviens de tout, de chaque microseconde. Peut-être est-ce dû au fait que ma vie sera de courte durée, quelques semaines, tout au plus.

 

Page 48 : Avant son arrivée ici, il n’avait jamais été directement témoin de toute la violence, l’intensité, la beauté, la douceur, l’aridité, l’intelligence que la nature pouvait déployer pour survivre. Dans cet environnement sauvage, Thomas se sentait appartenir davantage au clan des proies qu’à celui des prédateurs. Une variété en particulier s’acharnait avec férocité sur lui depuis le début : les frappabords.

 

Page 152 : Vous avez déréglé le mécanisme à un point tel qu’il n’y aura pas de retour en arrière possible. Ce n’est qu’une question de temps avant que vous soyez éjectés. La Terre ne pourra pas vous endurer encore bien longtemps. Je rêve qu’elle vous expulse de son immense gosier, à la manière d’une bouchée avariée.

 

Page 178 : Sa peau est parsemée de plaques brunes, qui rappellent que le chemin qui reste est beaucoup plus court que celui parcouru.

 

Page 194 : Il avait raison. Il y a des chemins que les hommes ne devraient pas emprunter.

 

 

 

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Mon avis : L’énigme Modigliani – Eric Mercier

Publié le par Fanfan Do

Éditions de la Martinière

 

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Quatrième de couverture :

Maudit, Modigliani ?
Derrière les tableaux les plus célèbres se cachent parfois les intentions les plus meurtrières.

Un faussaire de renom tout juste sorti de prison est retrouvé pendu dans une décharge en périphérie parisienne. Quelques jours plus tard, c’est le corps d’une spécialiste du peintre Modigliani qui est repêché dans la Marne. Rien n’unit les victimes, si ce n’est leur passion pour l’art. Coïncidence ou sombre machination ? S’engage alors pour le commandant Frédéric Vicaux, de la Brigade criminelle, et Anne, sa compagne historienne de l’art, une enquête qui les plongera près d’un siècle plus tôt. Quand un certain Amedeo Modigliani écumait les bistrots parisiens dans une quête furieuse du modèle parfait…

Après Le Secret de Van GoghÉric Mercier, docteur en Histoire de l’art et romancier, offre une nouvelle enquête haletante et érudite.

"Bienvenue dans le monde impitoyable de marché de l'art"

Gérard Collard, Librairie La Griffe Noire

 


Mon avis :
Le prologue nous emmène à Paris en 1918, aux obsèques de 
Guillaume Apollinaire, faire connaissance avec Aliza Lodève une jeune journaliste qui aurait eu une liaison avec Amedeo Modigliani. C'est une période et un univers que j'adore, mais au deuxième chapitre nous voilà à notre époque, avec un homicide dans le Val-de-Marne. Dès le début on se demande quel est le rapport entre ces deux périodes.

La victime, un faussaire qui peignait des toiles de maître a été ébouillanté, comme c'était la pratique dès le XIIe siècle dans plusieurs pays d'Europe. L'affaire de ce meurtre est confiée au commandant Frédéric Vicaux de la Brigade criminelle, qui n'est autre que le narrateur.
Parallèlement, Anne Naudin, historienne de l'art, compagne du commandant Vicaux, fait des recherches depuis des années dans le but se restituer des œuvres d'art volées à des Juifs pendant la guerre. C'est ainsi qu'elle s'intéresse à une toile d'
Amedeo Modigliani et sa peinture d'une certaine Aliza.

Assez rapidement on se prend d'intérêt pour cette double enquête qui semble receler bien des mystères. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé la partie artistique où on apprend nombre de choses sur Modigliani, mais aussi sur cette sombre période de notre histoire, la deuxième guerre mondiale où la police collaborait avec l'ennemi et où tant de juifs ont été spoliés de leurs biens avant d'être envoyés dans les camps de la mort. Et puis on retourne en 1918, régulièrement.

J'ai beaucoup aimé les incursions dans ce début de XXe siècle, dans le Paris des artistes qui crevaient de faim et de froid alors qu'à présent leurs œuvres valent des fortunes. Modigliani, Matisse, Soutine, des noms qui résonnent jusqu'à nous et éveillent tout un imaginaire romanesque auprès de ces peintres qui ne vivaient que pour leur art et se noyaient bien souvent dans l'alcool et autres substances destructrices.

Quelques expressions désuètes m'ont surprise comme "Il attrape des bouffées de chaleur dès qu'il croise un jupon affriolant." Mein Gott quelle antiquité cette expression !!!
Cependant l'histoire est plaisante et, moi qui ne connaissais pas cet auteur, j'apprends qu'il est docteur en histoire de l'art et qu'il s'agit là du cinquième tome avec ses personnages récurrents, toujours à propos d'artistes tels que Buffet, 
Van Gogh mais aussi les fauves comme Matisse, Vlaminck ou Dufy, et l'hôtel des ventes de Drouot.

Merci à Babelio pour cette Masse Critique privilégiée ainsi qu'aux Éditions 
De La Martinière.

 

Citations :

Page 49 : La pratique de l’ébouillantage est attestée depuis le XIIe siècle par un règlement royal qui stipule que les faux-monnayeurs devront être « suffoqués et bouillis en eau et huile ».

 

Page 157 : Madame Planturat se tient debout devant l’une des fenêtres du salon. Son visage est buriné et parsemé de taches de vieillesses. Son mari, à ses côtés, paraît beaucoup plus jeune. Ils sont comme une paire de chaussettes dépareillées.

 

Page 254 : Peu après son installation aux affaires, le gouvernement de Vichy édicte plusieurs lois relatives au statut des juifs, qui font d’eux une catégorie à part de la population. Ainsi, le 3 octobre 1940, ils sont exclus de la fonction publique et des fonctions commerciales et industrielles. Le début de la descente aux enfers.

 

 

 

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Mon avis : Cadavre exquis – Agustina Bazterrica

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’espagnol (Argentine) par Margot Nguyen Béraud

 

Éditions Flammarion

 

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Quatrième de couverture :

Un virus a fait disparaître la quasi-totalité des animaux de la surface de la Terre. Pour pallier la pénurie de viande, des scientifiques ont créé une nouvelle race, à partir de génomes humains, qui servira de bétail pour la consommation.
Ce roman est l'histoire d’un homme qui travaille dans un abattoir et ressent un beau jour un trouble pour une femelle de "première génération". Or, tout contact inapproprié avec ce qui est considéré comme un animal d'élevage est passible de la peine de mort. À l'insu de tous, il va peu à peu la traiter comme un être humain.

Le tour de force d’Agustina Bazterrica est de nous faire accepter ce postulat de départ en nous précipitant dans un suspense insoutenable. Roman d'une brûlante actualité, tout à la fois allégorique et réaliste, Cadavre exquis utilise tous les ressorts de la fiction pour venir bouleverser notre conception des relations humaines et animales.

Agustina Bazterrica est née à Buenos Aires en 1974. Cadavre exquis, son premier roman, a remporté le prestigieux prix Clarin en 2017.

 


Mon avis :
Et si l'horreur des abattoirs nous était contée en substituant des humains aux animaux !? Car des animaux, il n'y en a plus dans ce futur indéterminé mais les humains ne veulent pas renoncer à la viande. Alors des humains sont élevés et génétiquement modifiés pour être des animaux comestibles. Mais ont-ils une conscience animale ? Ou humaine ?? L'humanité pratique désormais le cannibalisme. Mais c'est un mot interdit. Il y a des mots convenables, hygiéniques, légaux, et ceux qu'il est interdit de prononcer sous peine de finir en steak. Voilà ce qu'est devenu le monde suite à la Grande Guerre Bactériologique qui a rendu les animaux impropres à la consommation et mené à leur extermination. D'ailleurs, dans ce monde affreux, est-ce qu'on ne mange que de la viande élevée pour ça ? Ou bien en mange-t-on parfois qui avait un nom et un prénom ?

Il n'y a pas que la viande, il y a aussi la peau, le cuir, que monsieur Urami détaille et j'ai trouvé ça presque plus glaçant que l'abattoir. Sans doute parce qu'il y a des antécédents dans l'histoire du XXe siècle, où de la peau humaine à servi à fabriquer des objets.
On est, avec cette histoire, instantanément dans un monde terrifiant. Que dis-je terrifiant !? Ce monde est absolument cauchemardesque !!!

Le fait que ce soient des humains qui sont débités en morceaux alimentaires dans les abattoirs met en évidence l'ignominie que cela représente, l'irrecevabilité de ce qu'on fait, pourtant on le fait, à très grande échelle, sur des êtres sentients.
Marcos Tejo occupe un poste à responsabilités à l'abattoir, avec une sorte de résignation et du dégoût car beaucoup de questions le taraudent. Dans cette société abjecte et hypocrite, les "humains" de boucheries sont appelés des "têtes", car personne ne voudrait manger ses semblables... non, non ! Donc on leur donne une appellation spécifique. Certains achètent des têtes pour chez eux, d'autres, chasseurs depuis toujours, n'ont pas renoncé à leur "distraction", il leur en faut pour faire des lâchers, et mettre des beaux trophées aux murs. Tout ce que notre époque fait de dégueulasse aux animaux, ce futur le fait à des humains déshumanisés destinés à l'abattage.
Et puis ce monde sans animaux est triste à mourir. Plus de chiens qui aboient, plus de crottes sur les trottoirs, plus d'animaux sauvages dans le zoo désaffecté. le monde tel qu'il était depuis des millénaires n'existe plus. Un triste monde sans animaux, sans chiens, sans chats à nos côtés.

Par moments l'autrice pousse le bouchon très très loin, il me semble, et pourtant je n'ai pas pu m'empêcher de me demander si c'était vraiment délirant d'imaginer ce qu'elle nous raconte. Car je pense que certains sont capables de démesure, que l'argent peut monter à la tête et laisser croire à ceux qui en ont trop que tout leur est permis. Des "maîtres du monde" qui disent et font n'importe quoi et nous amènent au bord du vide.

Ce roman m'en a évoqué deux autres sur ce thème, que j'avais beaucoup aimés aussi : 
Défaite des maîtres et possesseurs de Vincent Message, et Macha ou le IVe reich de Jaroslav Melnik, qui avaient la même puissance horrifique et m'avaient donné un terrible sentiment d'extrême vulnérabilité face à la férocité de mes semblables ou au fait d'être devenus des proies. J'ai trouvé l'angle choisi par Agustina Bazterrica vraiment très malin. C'est un gros coup de cœur pour moi même s'il m'a fait dresser les cheveux sur la tête. Un livre impossible à lâcher, jusqu'à la fin. J'aurais aimé qu'il dure beaucoup plus longtemps. Pourquoi ? Parce qu'en le lisant j'ai eu vraiment le sentiment que notre monde est encore beau, pour le moment, je me suis rendu compte de tout ce qu'on a à perdre et je l'ai trouvé encore plus beau. Hélas de moins en moins, et surtout, pas pour les animaux en général.

 

Citations :

Page 15 : Il se réveille le corps couvert de sueur car il sait que demain encore il devra abattre des humains.

Personne ne les appelle comme ça, pense-t-il, en s’allumant une cigarette. Lui non plus ne les appelle pas comme ça quand il explique le cycle de la viande à un nouvel employé. On pourrait l’arrêter à ce seul motif, et même l’envoyer aux Abattoirs Municipaux pour se faire transformer. « Assassiner » serait le mot exact, mais ce mot-là n’est pas autorisé.

 

Page 48 : Avant, ses chiens se précipitaient sur les voitures en aboyant. L’absence des animaux a fait place à un silence oppressant, mutique.

 

Page 76 : Il n’appelle jamais les vieux « papi » ou « mamie ».

Tous ne sont pas, ni ne seront, des grands-parents. Ce sont juste des vieux, des gens qui ont vécu longtemps, et dont ce sera, peut-être, la seule victoire.

 

Page 108 : Lui, il se demande toujours ce que ça doit faire de passer ses journées à mettre des cœurs humains dans des caisses. À quoi peuvent bien penser ces ouvriers ? Ont-ils conscience que ce qu’ils tiennent dans leurs mains étaient jusqu’à présent en train de battre ? Cela leur fait-il quelque chose ? Puis il pense que lui aussi passe ses journées à superviser un groupe de gens qui, sous ses ordres, égorgent, éviscèrent et découpent des femmes et des hommes sans y voir le moindre problème.

 

 

 

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Mon avis : Braconnages – Reinhard Kaiser-Mühlecker

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Le Lay

 

Éditions Gallimard – DU MONDE ENTIER

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Jakob est un jeune agriculteur qui exploite la ferme familiale en Haute-Autriche. Dépassant ses premières réticences, il accueille Katja, une artiste qui se découvre une passion pour son métier ; peu à peu, ils vont s’apprivoiser et fonder une famille.
Mais cette union et cette apparente stabilité ne résolvent pas les sombres questions qui traversent Jakob de longue date : celle de la difficulté quotidienne de la vie rurale, celle du pesant héritage de l’histoire de son pays, celle du silence et de l’incommunicabilité. La violence enfouie en Jakob menace sans cesse de ressurgir en s’abattant sur ses terres, sur les autres, et sur lui-même.
Découvert en France avec les somptueux Lilas rouge et Lilas noir, Reinhard Kaiser-Mühlecker nous offre ici un puissant roman sur la condition agricole aujourd’hui et l’inconvénient d’être né. Porté par une langue limpide, Braconnages nous invite à parcourir les plaines de l’Autriche comme celles de l’âme déchirée de ses personnages.

 

 

Mon avis :
Le rythme de vie de Jakob et lent et laborieux, comme la nature avec laquelle il vit. Il est agriculteur et éleveur. Il vit dans l'exploitation avec ses parents, et sa grand-mère à qui tout appartient. Ses journées sont rythmées par les différentes taches qu'il accomplit jour après jour. S'il n'y avait ses parents, il vivrait solitaire avec seulement sa chienne. Alors pour meubler sa solitude, il va sur Tinder, discuter avec des femmes... qui au fond pour la plupart ne l'intéressent pas. C'est un homme pragmatique, qui va à l'essentiel, pour qui un chien est juste un chien, où peut-être un accessoire indispensable à la ferme. de prime abord il semble être un homme torturé car taciturne avec une attirance redoutable pour la roulette russe.

On sent un homme humilié, sans qu'on sache précisément par quoi, à part son sentiment obsédant d'être un raté. Il semble enfermé à l'intérieur de lui-même, seul avec sa méfiance, trouvant systématiquement les marques de sympathie suspectes. Pourtant l'auteur nous dit que dans le monde paysan, la règle c'est le "Nous" car les biens appartiennent à tous les membres de la famille. Mais Jakob est un homme étrange, sans doute que son pire ennemi c'est lui-même. Il semble très défaitiste au point que lorsqu'il rencontre Katja, son raisonnement n'est autre que "[...] ils vivaient dans des mondes différents, sans qu'il fût possible de bâtir une passerelle de l'un à l'autre." C'est comme s'il fermait toute porte qui pourrait lui apporter un peu de lumière. Quant à ses parents, son père et sa mère, ils ont peut-être une part dans son mal-être. le père a l'air d'un doux dingue et la mère est froide est peu loquace. Et puis la grand-mère, cette invisible, vieillissant à n'en plus finir, détentrice de tout, confinée dans sa chambre. Tous ses biens auraient une origine honteuse, une exhalaison de génocide. Car là, force est de constater que la Shoah, vue de l'Autriche, c'est un tout autre point de vue que le nôtre, teintée de la honte de la spoliation.

À mesure que l'on avance dans le roman on découvre de plus en plus la personnalité fascinante de Jakob. Il est déchiré entre ce qu'il est et qu'il n'aime pas, et ce qu'il voudrait être et qu'il s'efforce de devenir. Et toujours avec un sentiment d'imposture, et toujours la pensée que les gens le voient tel qu'il n'est pas mais tel qu'il se montre, et donc ne le connaissent pas, et l'apprécient ou le détestent pour de mauvaises raisons. Il est tellement ambivalent et insaisissable !

Arrivée à la moitié du roman, je me suis demandé s'il y avait de l'amour dans cette histoire. Tous les personnages sont tellement étranges et réservés. Ou peut-être, en guise d'amour n'y a-t-il que de la résignation, ou alors simplement de la raison, comme dans les mariages arrangés... quand on y est, on y reste !?

C'est un récit très lent, comme le rythme des saisons, bruissant de la présence animale, de l'autoroute aussi qui passe à proximité, mais peu de la parole. C'est toute une ambiance, faite de silences, de regards et de colères contenues, c'est très étrange.
Alors, si ce livre n'avait pas été dans la sélection pour le prix Bookstagram du roman étranger 2024, je ne l'aurais sûrement jamais lu et ça aurait été dommage, mais j'ignorais jusqu'à l'existence de 
Reinhard Kaiser-Mühlecker. Pourtant il m'a emportée dans ce monde qui est le sien, que je ne connais pas, fait de labeur, de non-dits et de froideur et j'ai vraiment aimé ça. Cette histoire m'a captivée... jusqu'à la fin, qui m'a glacée. Toile impressionniste du calme avant la tempête.

 

Citations :

Page 22 : L’élevage de plein air n’était pas nécessairement la règle, il fallait ne pas être économe de son temps, mais Jakob tenait à ce que les bêtes, pour la courte vie qui leur était prêtée, eussent un confort suffisant. Il se souciait de leur bien-être.

 

Page 82 : Elle lui plaisait, la cause était entendue, mais ils vivaient dans des mondes différents, sans qu’il fût possible de bâtir une passerelle de l’un à l’autre.

 

Page 130 : C’est que chacun avait gardé d’Alexander un souvenir tout différent : l’allure fringante, le pas vainqueur, il avait été, surtout, un jeune homme au corps assez musclé. Et voilà qu’il fendait maintenant la foule au bras de sa femme avec une componction de prélat, sanglé dans un complet qui le boudinait et laissait une impression de déguisement.

 

Page 184 : C’est vrai qu’ils étaient rarement en désaccord pour ce qui touchait à l’enfant ; chacun respectait l’avis de l’autre, et ils ne se préoccupaient aucunement de ce que pouvait dire sa mère ou, pis encore, la mère de Katja — sans même parler des pères, qui, en dépit de leur ignorance totale du sujet, ne manquaient jamais de donner leur opinion.

 

Page 274 : L’épidémie. C’était peu dire que ça lui tapait sur les nerfs. Ces discussions à n’en plus finir parce qu’il avait refusé de se faire vacciner. Il n’était aucunement un tenant de la théorie du complot, et ne sympathisait en aucune façon avec les crétins qu’on avait vu déferler à grand tapage dans les rues, mais il avait été toujours hostile au port du masque et s’était insurgé contre la fermeture des bars et des restaurants ; non, il jugeait que ces personnes qui protestaient contre des décisions auxquelles on ne pouvait rien changer étaient ridicules, mais, comme bien d’autres que lui, il restait persuadé qu’il y avait derrière tout cela quelque chose de plus trouble que le seul désir de préserver la santé de chacun.

 

 

 

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