Mon avis : La disparition d’Hervé Snout – Olivier Bordaçarre
Éditions Denoël
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Quatrième de couverture :
Odile Snout s'affaire dans la cuisine de son pavillon cossu. Le bœuf bourguignon qui a mijoté toute la journée est prêt. Avec ses deux adolescents, elle attend son époux, dont on fête ce soir-là l'anniversaire. Les heures passent et Hervé ne se montre pas. Quelque chose ne tourne pas rond chez les Snout et l'angoisse commence à monter.
Le lendemain matin, à la gendarmerie, le lieutenant ne semble pas inquiet. Hervé finira par rentrer chez lui, et reprendre son travail.
On a bien le droit de disparaître.
Dans sa langue incisive d'où émerge une poésie du quotidien, Olivier Bordaçarre brosse une analyse glaçante du monde du travail, du couple et de la famille.
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Mon avis :
Ce livre qui était dans ma wishlist depuis sa sortie, j'ai eu la chance de le gagner avec Lecteurs.com. Merci à eux ainsi qu'aux Éditions Denoël
Prologue : 2004 - Ça commence comme une belle histoire avec les Raybert, Nadine, Alain et Gabin leur fils, famille d'accueil pour enfants placés, douce, généreuse et équilibrée.
Première partie : 16 avril 2024 - Chez les Snout, Hervé et Odile les parents, Eddy et Tara les jumeaux de quatorze ans, petits bourgeois bien élevés, superficiels et imbus d'eux-mêmes à part Tara, les hommes doivent être puissants, des tueurs, et les femmes désirables, et surtout il faut montrer son niveau de vie. Ce 16 avril, Hervé Snout ne rentre pas chez lui alors que c'est son anniversaire. le lendemain non plus il ne réapparaît pas et peu à peu l'angoisse monte.
Assez rapidement il y a une sorte d'ironie dans le ton, dans la narration, qui vise à se moquer de cette famille mais en réalité de la société toute entière qui juge à l'emporte pièce, décide qui est bien ou pas, intelligent ou stupide selon de quelle milieu il vient, condamne sans état d'âme, le déterminisme social comme credo inconscient. On comprend très vite que chez les Snout on soigne les apparences, on étale sa réussite, mais qu'il s'agit d'une famille qui souffre d'incommunicabilité. On rumine son mal être chacun dans son coin. Car c'est en réalité la cohabitation de quatre personnes terriblement seules.
Deuxième partie : 23 février 2024 (53 jours avant la disparition). On fait connaissance avec Hervé Snout, patron d'un abattoir, super carnivore, et passionné depuis toujours par la découpe de la viande, sans la moindre raison atavique, bien au contraire. Une sorte de hyène élevée par des agneaux. On a droit à toutes les descriptions de ce qu'est l'abattoir et le sarcasme n'est jamais loin concernant les mangeurs de viande "Il était le maître du muscle comestible, du muscle de l'autre exploité, du muscle au service de l'humanité". Comme si le morceau de barbaque dans l'assiette n'avait pas été avant, un être vivant, qui aurait tellement voulu rester vivant. Mais bien sûr, le Snout se fout des animaux et de leurs souffrances. Lui, il voit le plaisir gustatif et la rentabilité. Si je n'étais pas déjà végétarienne, après ça je le serais devenue. le sort des animaux, de leur naissance jusqu'à l'abattoir est abominable. Dans le marché de la viande, zéro compassion, la vie d'un animal est réduite à ce qu'il rapporte et sa souffrance, le boss s'en fout. Leur vie est courte et épouvantable. Et les tueurs des abattoirs ? Certains s'alcoolisent pour supporter ce qu'ils font, quand d'autres y prennent plaisir. J'ai eu tellement de peine pour ce petit cochon, nommé "tendrement" FR 35ABC 501215. Et pour les agneaux. Et pour les vaches, y compris gestantes. Les abattoirs ne sont pas l'antichambre de l'enfer, ils sont l'enfer.
Et à part ça, tout y passe, l'ennui du quotidien, la dérive du couple, le devoir conjugal, le sexe joyeux et le sexe triste, un vrai plaidoyer contre le mariage, et même de la vie à deux tout simplement, ou les joies d'avoir des enfants MDR. le harcèlement, la rancœur, le racisme, la misogynie, la bêtise, le sadisme traversent cette histoire. Heureusement il y a aussi de l'amour et quelques moments totalement hilarants. Et toujours cette ironie mordante. Deux familles, deux façons d'en être une, aux antipodes l'une de l'autre.
J'ai adoré l'idée de reprendre les chose en amont et de nous mener nous, lecteurs, à émettre des hypothèses sur les possibles motivations de la disparition de cet individu aigri et sadique. Toutes les extrapolation semblent imaginables, il y a un vrai suspense qui laisse la porte ouverte à de multiples présomptions tant le champs des possibles est ouvert.
Et merci, merci, merci à Olivier Bordaçarre d'avoir écrit ce livre qui dénonce tout ce qui me révolte dans ce monde égoïste et absurde, qui court à sa perte, et de l'avoir dit si bien avec cette écriture absolument magnifique !
En sortant de là, j'ai été un peu plus en colère que d'habitude envers cette société d'hyper consommation, parce que ce qui se passe dans les abattoirs est tout simplement ignoble, indigne, cruel, inutile.
"Si les abattoirs avaient des murs en verre, tout le monde serait végétarien."
Paul McCartney
Citations :
Page 35 : Eddy a bouffé sa bidoche ; Odile n’a pas insisté quand Tara rechigné à finir la sienne. D’ailleurs, elle a décidé d’être végétarienne à partir de maintenant. Elle ne supporte plus d’imaginer toutes ces bêtes confinées des heures durant dans des camions à étages, débarquées dans des hangars, poussées dans des couloirs et tuées à la chaîne, chaque jour, partout. Un véritable carnage. Elle s’est bien renseignée, Tara, avant de prendre cette décision. Elle donne à Leïla le nombre d’animaux abattus tous les jours dans le monde : quatre milliards.
Page 75 : Daniel Obrisky est divorcé de Mélanie Louvet avec laquelle il a failli éduquer deux enfants. Il a coutume d’affirmer que sa capacité de résistance à la boisson est la principale des compétences requises quand on ambitionne d’entrer dans la gendarmerie.
Page 104 : Encore combien de repas à voir les autres se remplir la panse de bêtes mortes sans dire un mot ? C’est dégoûtant. De toute manière, ils ne mangent pas de la viande parce que c’est bon pour la santé, mais parce qu’ils aiment ça. Ils aiment dominer, s’estimer supérieurs, jouir de ce sentiment de puissance que leur procure le muscle cuit, justifier le carnage par des arguments préhistoriques, convoquer les chasseurs-cueilleurs à la rescousse sans envisager une seule seconde de tuer eux-mêmes les bêtes qu’ils consomment.
Page 129 : Il dominait la viande en la tranchant. Il l’affaiblissait en la hachant. Il l’attendrissait en lui cognant dessus. Il la nettoyait de son gras, la libérait de ses nerfs, la dégageait de ce qui avait fait d’elle une part vive de l’animal, la réduisait à rien d’autre qu’un réservoir de protéines, un cube de chair sanguinolent, un aliment plein de vitamines. Il était le maître du muscle comestible, du muscle de l'autre exploité, du muscle au service de l'humanité.
Page 131 : Ses yeux se révulsent, son groin remonte et ses narines s’élargissent, ses lèvres dévoilent ses dents jaunes et ses mâchoires comprimées. Le quintal de viande électrocuté grelotte de tous ses muscles — supplie-t-il pour que finisse la géhenne ? — et de violents spasmes le secouent à intervalles réguliers. Le cochon est à genoux, de la merde sort de lui par jets tendus puis ramollis, il ne flanche pas comme le font habituellement les animaux étourdis, mais gémit dans des écumes de bave.
Page 149 : Lors de l’intervention des services sociaux de l’aide à l’enfance, le médecin ne peut dénombrer ni les fractures ni les brûlures de cigarette. Les deux femmes sont incarcérées et l’enfant recueilli débute une nouvelle période de son existence où, aidé par d’autres, il tente de récupérer les mille morceaux de son être éparpillé et de les recoller un à un, patiemment, pour qu’ils tiennent tous ensemble debout.
Page 193 : Son regard échoue subrepticement sur les yeux de la vache. Les globes oculaires cernés de cils blonds semblent secoués de spasmes, appellent dans toutes les directions, les paupières ne se ferment plus. Des larmes coulent. La vache pleure. On dirait qu’elle supplie.
Page 321 : Ce n’est pas grâce aux flics qu’il y aura moins de violence, moins de drogués, moins de truands, moins de viols. On ne sert à rien d’autre qu’à traiter les effets. Les responsables des causes courent toujours. On vide un bateau qui coule à la petite cuillère. Ceux qui nous ordonnent d’éteindre le feu sont les pyromanes.