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Mon avis : La disparition d’Hervé Snout – Olivier Bordaçarre

Publié le par Fanfan Do

Éditions Denoël

 

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Quatrième de couverture :

Odile Snout s'affaire dans la cuisine de son pavillon cossu. Le bœuf bourguignon qui a mijoté toute la journée est prêt. Avec ses deux adolescents, elle attend son époux, dont on fête ce soir-là l'anniversaire. Les heures passent et Hervé ne se montre pas. Quelque chose ne tourne pas rond chez les Snout et l'angoisse commence à monter.

 

Le lendemain matin, à la gendarmerie, le lieutenant ne semble pas inquiet. Hervé finira par rentrer chez lui, et reprendre son travail.

 

On a bien le droit de disparaître.


Dans sa langue incisive d'où émerge une poésie du quotidien, Olivier Bordaçarre brosse une analyse glaçante du monde du travail, du couple et de la famille.


 

 

Mon avis :
Ce livre qui était dans ma wishlist depuis sa sortie, j'ai eu la chance de le gagner avec Lecteurs.com. Merci à eux ainsi qu'aux Éditions Denoël

Prologue : 2004 - Ça commence comme une belle histoire avec les Raybert, Nadine, Alain et Gabin leur fils, famille d'accueil pour enfants placés, douce, généreuse et équilibrée.
Première partie : 16 avril 2024 - Chez les Snout, Hervé et Odile les parents, Eddy et Tara les jumeaux de quatorze ans, petits bourgeois bien élevés, superficiels et imbus d'eux-mêmes à part Tara, les hommes doivent être puissants, des tueurs, et les femmes désirables, et surtout il faut montrer son niveau de vie. Ce 16 avril, Hervé Snout ne rentre pas chez lui alors que c'est son anniversaire. le lendemain non plus il ne réapparaît pas et peu à peu l'angoisse monte.

Assez rapidement il y a une sorte d'ironie dans le ton, dans la narration, qui vise à se moquer de cette famille mais en réalité de la société toute entière qui juge à l'emporte pièce, décide qui est bien ou pas, intelligent ou stupide selon de quelle milieu il vient, condamne sans état d'âme, le déterminisme social comme credo inconscient. On comprend très vite que chez les Snout on soigne les apparences, on étale sa réussite, mais qu'il s'agit d'une famille qui souffre d'incommunicabilité. On rumine son mal être chacun dans son coin. Car c'est en réalité la cohabitation de quatre personnes terriblement seules.

Deuxième partie : 23 février 2024 (53 jours avant la disparition). On fait connaissance avec Hervé Snout, patron d'un abattoir, super carnivore, et passionné depuis toujours par la découpe de la viande, sans la moindre raison atavique, bien au contraire. Une sorte de hyène élevée par des agneaux. On a droit à toutes les descriptions de ce qu'est l'abattoir et le sarcasme n'est jamais loin concernant les mangeurs de viande "Il était le maître du muscle comestible, du muscle de l'autre exploité, du muscle au service de l'humanité". Comme si le morceau de barbaque dans l'assiette n'avait pas été avant, un être vivant, qui aurait tellement voulu rester vivant. Mais bien sûr, le Snout se fout des animaux et de leurs souffrances. Lui, il voit le plaisir gustatif et la rentabilité. Si je n'étais pas déjà végétarienne, après ça je le serais devenue. le sort des animaux, de leur naissance jusqu'à l'abattoir est abominable. Dans le marché de la viande, zéro compassion, la vie d'un animal est réduite à ce qu'il rapporte et sa souffrance, le boss s'en fout. Leur vie est courte et épouvantable. Et les tueurs des abattoirs ? Certains s'alcoolisent pour supporter ce qu'ils font, quand d'autres y prennent plaisir. J'ai eu tellement de peine pour ce petit cochon, nommé "tendrement" FR 35ABC 501215. Et pour les agneaux. Et pour les vaches, y compris gestantes. Les abattoirs ne sont pas l'antichambre de l'enfer, ils sont l'enfer.

Et à part ça, tout y passe, l'ennui du quotidien, la dérive du couple, le devoir conjugal, le sexe joyeux et le sexe triste, un vrai plaidoyer contre le mariage, et même de la vie à deux tout simplement, ou les joies d'avoir  des enfants MDR. le harcèlement, la rancœur, le racisme, la misogynie, la bêtise, le sadisme traversent cette histoire. Heureusement il y a aussi de l'amour et quelques moments totalement hilarants. Et toujours cette ironie mordante. Deux familles, deux façons d'en être une, aux antipodes l'une de l'autre.

J'ai adoré l'idée de reprendre les chose en amont et de nous mener nous, lecteurs, à émettre des hypothèses sur les possibles motivations de la disparition de cet individu aigri et sadique. Toutes les extrapolation semblent imaginables, il y a un vrai suspense qui laisse la porte ouverte à de multiples présomptions tant le champs des possibles est ouvert.

Et merci, merci, merci à 
Olivier Bordaçarre d'avoir écrit ce livre qui dénonce tout ce qui me révolte dans ce monde égoïste et absurde, qui court à sa perte, et de l'avoir dit si bien avec cette écriture absolument magnifique !
En sortant de là,  j'ai été un peu plus en colère que d'habitude envers cette société d'hyper consommation, parce que ce qui se passe dans les abattoirs est tout simplement ignoble, indigne, cruel, inutile.
"Si les abattoirs avaient des murs en verre, tout le monde serait végétarien."

Paul McCartney

 

Citations :

Page 35 : Eddy a bouffé sa bidoche ; Odile n’a pas insisté quand Tara rechigné à finir la sienne. D’ailleurs, elle a décidé d’être végétarienne à partir de maintenant. Elle ne supporte plus d’imaginer toutes ces bêtes confinées des heures durant dans des camions à étages, débarquées dans des hangars, poussées dans des couloirs et tuées à la chaîne, chaque jour, partout. Un véritable carnage. Elle s’est bien renseignée, Tara, avant de prendre cette décision. Elle donne à Leïla le nombre d’animaux abattus tous les jours dans le monde : quatre milliards.

 

Page 75 : Daniel Obrisky est divorcé de Mélanie Louvet avec laquelle il a failli éduquer deux enfants. Il a coutume d’affirmer que sa capacité de résistance à la boisson est la principale des compétences requises quand on ambitionne d’entrer dans la gendarmerie.

 

Page 104 : Encore combien de repas à voir les autres se remplir la panse de bêtes mortes sans dire un mot ? C’est dégoûtant. De toute manière, ils ne mangent pas de la viande parce que c’est bon pour la santé, mais parce qu’ils aiment ça. Ils aiment dominer, s’estimer supérieurs, jouir de ce sentiment de puissance que leur procure le muscle cuit, justifier le carnage par des arguments préhistoriques, convoquer les chasseurs-cueilleurs à la rescousse sans envisager une seule seconde de tuer eux-mêmes les bêtes qu’ils consomment.

 

Page 129 : Il dominait la viande en la tranchant. Il l’affaiblissait en la hachant. Il l’attendrissait en lui cognant dessus. Il la nettoyait de son gras, la libérait de ses nerfs, la dégageait de ce qui avait fait d’elle une part vive de l’animal, la réduisait à rien d’autre qu’un réservoir de protéines, un cube de chair sanguinolent, un aliment plein de vitamines. Il était le maître du muscle comestible, du muscle de l'autre exploité, du muscle au service de l'humanité.

 

Page 131 : Ses yeux se révulsent, son groin remonte et ses narines s’élargissent, ses lèvres dévoilent ses dents jaunes et ses mâchoires comprimées. Le quintal de viande électrocuté grelotte de tous ses muscles — supplie-t-il pour que finisse la géhenne ? — et de violents spasmes le secouent à intervalles réguliers. Le cochon est à genoux, de la merde sort de lui par jets tendus puis ramollis, il ne flanche pas comme le font habituellement les animaux étourdis, mais gémit dans des écumes de bave.

 

Page 149 : Lors de l’intervention des services sociaux de l’aide à l’enfance, le médecin ne peut dénombrer ni les fractures ni les brûlures de cigarette. Les deux femmes sont incarcérées et l’enfant recueilli débute une nouvelle période de son existence où, aidé par d’autres, il tente de récupérer les mille morceaux de son être éparpillé et de les recoller un à un, patiemment, pour qu’ils tiennent tous ensemble debout.

 

Page 193 : Son regard échoue subrepticement sur les yeux de la vache. Les globes oculaires cernés de cils blonds semblent secoués de spasmes, appellent dans toutes les directions, les paupières ne se ferment plus. Des larmes coulent. La vache pleure. On dirait qu’elle supplie.

 

Page 321 : Ce n’est pas grâce aux flics qu’il y aura moins de violence, moins de drogués, moins de truands, moins de viols. On ne sert à rien d’autre qu’à traiter les effets. Les responsables des causes courent toujours. On vide un bateau qui coule à la petite cuillère. Ceux qui nous ordonnent d’éteindre le feu sont les pyromanes.

 

 

 

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Mon avis : La vraie vie – Adeline Dieudonné

Publié le par Fanfan Do

Éditions L’Iconoclaste

 

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Quatrième de couverture :

C’est un pavillon qui ressemble à tous ceux du lotissement. Ou presque. Chez eux, il y a quatre chambres. La sienne, celle de son petit frère Gilles, celle des parents, et celle des cadavres. Le père est chasseur de gros gibier. La mère est transparente, amibe craintive, soumise aux humeurs de son mari. Le samedi se passe à jouer dans les carcasses de voitures de la décharge. Jusqu’au jour où un violent accident vient faire bégayer le présent.
Dès lors, Gilles ne rit plus. Elle, avec ses dix ans, voudrait tout annuler, revenir en arrière. Effacer cette vie qui lui apparaît comme le brouillon de l’autre. La vraie. Alors, en guerrière des temps modernes, elle retrousse ses manches et plonge tête la première dans le cru de l’existence. Elle fait diversion, passe entre les coups et conserve l’espoir fou que tout s’arrange un jour.
D’une plume drôle et fulgurante, Adeline Dieudonné campe des personnages sauvages, entiers. Un univers acide et sensuel. Elle signe un roman coup de poing.

 

 

Mon avis :
Quand commence l'histoire, la narratrice a dix ans. Elle aime passionnément son petit frère Gilles qu'elle protège. Dès les premières lignes on comprend que le père est une espèce d'ogre à la masculinité toxique, et la mère une victime, incolore, inodore et sans saveur car terrorisée.

Et alors que les deux enfants tentent de survivre dans ce bourbier familial, un événement terrible se produit, indépendant de la perversité ambiante, qui aura des répercutions catastrophiques sur eux.

Cette histoire parle de regrets, ou pire, de remords mais aussi de l'infinie capacité à rêver qu'ont les enfants, et celle des adultes d'oublier qu'ils ont été des enfants. C'est surtout l'histoire d'une famille malsaine, avec un père phallocrate complètement taré et véritable tyran domestique, une mère terrifiée et terriblement seule, et des enfants dont je n'ai pas su quoi penser, du moins dans un premier temps. Enfin, rapidement je me suis demandé comment pouvait-on à ce point ne pas aimer sa mère et ça m'a révulsée. Et puis j'ai fini par les détester. Mais comme rien n'est immuable...

Il y a aussi la douleur d'être femme dans un milieu où on les assigne à une place précise, une fonction définie : sois belle et tais-toi. Ici, les femmes n'ont pas la parole, car trop stupides et émotives. Mais la narratrice, "la gosse", se réfugiera dans les sciences où elle excelle pour inventer la machine à remonter le temps, avant le drame, pour que tout redevienne comme avant.

J'ai beaucoup aimé les tournures de phrases de l'autrice, sa façon de raconter, de décrire, d'imager son propos. Par contre, à chaque fois que des animaux sont maltraités ou torturés dans un roman, je regrette de l'avoir lu. Et arrivée à la moitié de l'histoire, je me suis dit que c'était d'une cruauté insupportable. Ce récit est plein de fureur et de douleur. C'est totalement flippant. C'est une espèce de dégringolade dans les abysses de la folie.
La narratrice est un monstre d'égoïsme qui ferme toutes les écoutilles afin d'éviter la compassion pour tout autre que son frère, qui est aussi un monstre à sa façon. Mais rien n'est immuable... Je crois bien être passée par tous les états, la colère, l'horreur, le dégoût, le mépris, la peine, la rage, la compassion, et l'espoir.
C'est un livre qui se dévore mais qui laisse un goût amer. Une écriture ciselée au service d'une lecture éprouvante mais addictive.

 

Citations :

Page 26 : Les têtards, vous savez, il y a des gens qu’il ne faut pas approcher. Vous apprendrez ça. Il y a des gens qui vont vous assombrir le ciel, qui vont vous voler la joie, qui vont s’asseoir sur vos épaules pour vous empêcher de voler. Ceux-là, vous les laissez loin de vous.

 

Page 51 : À la maison, j’ai fabriqué de nouvelles marionnettes, inventé de nouvelles histoires. Il s’asseyait devant moi, mon tout petit spectateur. Je lui parlais de princesses qui se prennent les pieds dans leur robe, de princes charmants qui font des prout, de dragons qui ont le hoquet…

 

Page 127 : Un peu d’acné, quelques rapports sexuels, les études, les gosses, le boulot et hop ! Ils seront vieux et ils n’auront servi à rien. Moi, je voulais être Marie Curie. Je n’avais pas de temps à perdre.

 

Page 157 : Je suis rentrée à l’école dans l’année supérieure. Les autres élèves avaient un an de plus que moi, mais je les voyais toujours comme une armée de crétins cruels et frivoles. Ça se reniflait le derrière, sans oser passer à l’action. Les filles avaient peur de passer pour des traînées et les garçons, pour des obsédés. Alors qu’ils étaient simplement des organismes étourdis par la cacophonie de leur système hormonal en pleine mutation. Et il n’y avait aucune honte à ça.

 

 

 

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Mon avis : Les aiguilles d’or – Michael McDowell

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’américain par Jean Szlamonwicz

 

Éditions Monsieur Toussaint Louverture

 

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Quatrième de couverture :

An de grâce 1882. New York fête la nouvelle année entre opulence et misère. Dans les beaux quartiers, le juge Stallworth a pour grand projet d'éradiquer le vice de l'un des coins les plus gangrenés de la ville, le tristement célèbre Triangle noir. Avec l'aide de son fils, Edward, pasteur moralisateur aux sermons incendiaires, et de son gendre, Duncan, jeune avocat promis a un brillant avenir, le juge compte bien faire un exemple retentissant en annihilant une lignée corrompue de criminelles : les Shanks.


 

 

Mon avis :
Deux familles dans le New-York de l'année 1882, aux antipodes l'une de l'autre.
Les Stallworth, aisés, du bon côté de la loi, vaniteux, imbus d'eux-mêmes et la bonne conscience de faire ce qu'il faut, d'être à la bonne place.
Les Shanks, clan de la matriarche Lena la Noire, voleuses, receleuses, avorteuses, et pas la moindre mauvaise conscience car le crime, pour elles, au départ a été une simple question de survie.

New-York 31 décembre 1881 juste avant minuit, on voit défiler toute la misère du monde, dehors où des enfants meurent dans un froid glacial, dans des pubs sordides où des gens s'alcoolisent sans joie, une petite pièce où officie une avorteuse... tandis qu'à quelques rues de là des nantis font bombance.

On découvre les coutumes de ceux qui font dans les mondanités et j'ai tout de suite aimé le dépaysement qu'apporte l'ambiance de ce 1er janvier New-Yorkais du XIXe siècle. C'est tellement superficiel et étonnant ! L'auteur nous parle d'une pratique étrange qui consiste, pour les hommes riches qui veulent se montrer, à aller présenter des vœux dans un maximum de maisons le 1er de l'an où, à chaque fois, on leur offre un verre d'alcool. Pourtant ce sont de bons chrétiens ! Mais ils s'enivrent tous les 1er janvier avec la bénédiction de leurs épouses. Ainsi sont les Stallworth, famille de la bonne société new-yorkaise. Hypocrites, suffisants et dénués d'empathie, y compris pour leurs proches. Des chrétiens sans une once de charité chrétienne.

Benjamin, accro au jeu et brebis galeuse de la famille Stallworth, s'aventure dans le New-York de la nuit, interlope, dangereux et malsain. Hélène sa sœur s'y aventure aussi mais pour faire le bien auprès des démunis. Tout est si bien décrit. La misère, la crasse, la maladie, la mort, la puanteur, les rues, les intérieurs miteux, les fumeries d'opium, la rage des pauvres, la bêtise et l'arrogance des riches qui veulent éradiquer le crime en enfermant les pauvres. le juge Stallworth veut faire des exemples, à coup de sentences expéditives, peu lui importe qu'elles soient fondées ou totalement injustes. Mais parfois, entre les principes que prônent ces gens, et leurs comportements, il y a un gouffre, et le grain de sable... Ce roman c'est toute une ambiance dans laquelle on se trouve en totale immersion.

Les destins de ces deux familles vont se télescoper assez violemment, de plusieurs façons. L'imbécillité et l'orgueil des Stallworth n'ont d'égal que la haine et le désir de vengeance qu'ils sont parvenus à susciter chez les Shanks.
Parce que le juge Stallworth, par pure ambition, s'est acharné sur la famille Shanks avec l'aide de ses proches, Lena la Noire va leur promettre sa malédiction. Ce sera œil pour œil, dent pour dent.

J'ai absolument adoré et dévoré ce roman qui nous entraîne dans les tréfonds du Triangle Noir, ce quartier épouvantable de New-York, autant que dans ceux de l'âme humaine. Car ici, personne n'est épargné, ni les riches, ni les pauvres. D'ailleurs jai trouvé les deux familles presque aussi antipathiques l'une que l'autre, à part les enfants et une ou deux exceptions. Enfin si, je dois avouer que j'ai trouvé les Stallworth à vomir. Sous leurs airs de respectabilité ils sont parfaitement méprisables.
Une belle galerie de personnages, tous plus passionnants les uns que les autres, où l'auteur a réussi à éviter l'écueil du manichéisme pour nous offrir une histoire haletante, intelligente, immersive, très visuelle et totalement addictive.
J'avais beaucoup aimé Blackwater, j'ai aimé encore plus cette histoire.
Un petit mot sur la couverture ? Ben, elle est juste sublime ! Mais ça... c'est la marque de fabrique de 
Monsieur Toussaint Louverture !!!

 

Citations :

Page 42 : La coutume consistant à se rendre visite le Jour de l’an fut instaurée par les Hollandais au XVIIè siècle et, bien que deux cents ans aient passé, que la taille de la ville ait crû plusieurs fois au centuple et que les mœurs, vêtements et accents hollandais fassent désormais l’objet de parodies dans les théâtres de variété, le Nouvel An, dans toute sa frénésie bavarde et accablante, reste l’évènement incontournable de la saison mondaine.

 

Page 70 : Ce n’était pas la première fois qu’on lui faisait sentir qu’il avait déshonoré les siens. Son père avait souvent fait remarquer qu’il donnait corps à cet adage selon lequel les fils de pasteur sont incontrôlables, et son grand-père notait avec froideur qu’il n’avait cependant ni l’énergie ni les tripes pour être une véritable brebis galeuse. Il ne valait guère mieux qu’un enfant faible d’esprit qui, incapable d’inspirer l’horreur, n’était que méprisable.

 

Page 155 : Votre dévotion à l’égard de votre mari dans ses heures les plus sombres aurait pu être touchante si votre vie commune n’était pas que perversité criminelle – une union dont les fondations ont été bâties sur les sables mouvants du péché.

 

Page 375 : – Et vous cherchez une place de nourrice ?

Oui ! S’écria Katie. Vous savez où je peux en trouver une ? Chaque soir je regarde les annonces des journaux, mais les postes partent vite et tout le monde n’est pas prêt à embaucher une Irlandaise.

En effet, dit Marian d’un ton songeur, pas si elle ressemble à la plupart des Irlandaises, qui sont vulgaires, illettrées et dont les cheveux roux jurent invariablement avec le mobilier. Mais, ajouta-t-elle plus gentiment, vous n’avez pas l’air d’une Irlandaise ordinaire. Vous semblez considérablement plus raffinée.

 

 

 

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Mon avis : Marseille, porte du Sud – Albert Londres

Publié le par Fanfan Do

Éditions Payot

 

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Quatrième de couverture :

Marseille, Albert Londres ne faisait qu'y passer lorsqu'il embarquait en reportage. En 1926, il décide de s'y poser pour saisir l'âme d'une ville-monde ouverte sur l'ailleurs. Ode à la gloire du Vieux-Port et de la Canebière, du quartier Noailles où se croisent toutes les immigrations, de la Grande Jetée et du célèbre bassin de la Joliette, des docks et du phare du Planier, son livre est un éloge du cosmopolitisme et de la diversité humaine, de l'énergie, de la fierté des Marseillais - et une formidable invitation au voyage : «Faites votre choix, ici on embarque pour toutes les mers ! »

 

Albert Londres (1884-1932) est le père du grand reportage moderne. Il considérait que la mission du journaliste était de « prêter une voix à ceux qui n’ont pas le droit de parler ».


 

 

Mon avis :
Au premier chapitre 
Albert Londres fait De Marseille la narratrice de sa propre histoire et aussitôt je me suis sentie propulsée à travers le monde, vers toutes les destinations qu'offre le port de cette ville immense et cosmopolite.
Marseille est un voyage en elle-même : "Gravissez les coupées de mes bateaux. Je vous conduirai vers toutes les merveilles des hommes et de la nature. Je mène à Fez, aux Pyramides, au Bosphore, à l'acropole, aux murailles de Jérusalem. Je mène aux temples indous du Sud au Tadj Mahall, à Angkor, à la baie d'Along et même jusqu'à Enoshima." Alger. Tunis. Suez. Djibouti. Zanzibar. La Réunion. Colombo. Java. Sydney. Nouméa. Papeete…
Pour moi ce livre a les senteurs de l'enfance, quand je rêvais de pirates, de voyages au long cours, tel Marius du fond du bar de la Marine sur le vieux port.
Ce livre nous fait sentir que Marseille est une porte ouverte sur le monde. C'est une superbe invitation au voyage, quasi onirique.
Mais moi qui ai vécu à Marseille, ce n'est pas tout à fait ce que je vois. le monde a changé, les voyages lointains en avion ont remplacé les bateaux. Pourtant je viens de faire un beau voyage, dans le passé, en un tout petit chapitre.

Puis on traverse l'Italie, les territoires arabes, la Grèce, le Congo, le Sénégal, juste en changeant de quartier. On peut acheter les journaux de tous les pays.
Marseille, plate-forme d'où toutes les marchandises possibles et imaginables, et même désolantes, partent, ou arrivent de partout dans le monde. Car c'est le Marseille de 1926 qui est décrit ici, époque où on pouvait trouver des éléphants aux pattes entravées sur le port. C'est aussi une époque où il était plus facile de traverser tous les pays, car ils n'étaient pas tous en furie comme aujourd'hui. C'est en tout cas ce qu'on ressent à travers le récit d'
Albert Londres.

En 128 pages on parcours les nombreux quartiers de la cité phocéenne et on fait le tour du monde sans jamais la quitter. 
Albert Londres nous raconte cette ville particulière avec souvent un ton facétieux quand il est question des gens, qu'ils soient d'ici ou de passage. Et puis il nous narre des anecdotes, comme celle du détatoueur, que je n'ai pas très bien comprise, oups ! J'ai cependant été un peu dubitative, voire gênée, par des idées, des termes utilisés dans ce texte, qui ne sont plus du tout acceptés à notre époque car jugés insultants par certaines catégories de personnes, à juste titre à mon avis.

Histoire de Marseille autant que de toutes les ethnies qui la peuplent, leurs origines et leurs destins, ce petit livre est une invitation au voyage. On imagine les différents pays et on perçoit leurs senteurs. Il y a aussi hélas déjà la "guerre" silencieuse de l'opium et tant d'autres maux inhérents aux cités portuaires.
Marseille, carte postale de 1926, belle et sordide à la fois.

À la fin, je me suis demandé, Marseille, ville de voyages, est-elle féminine ou est-il masculin ? Car j'en parle au féminin au début, et au masculin à la fin, sans qu'aucune des deux possibilités ne me choquent.

"Allez à Marseille. Marseille vous répondra. Cette ville est une leçon. L'indifférence coupable des contemporains ne l'a désarme pas. Attentive, elle écoute la voix du vaste monde et, forte de son expérience, elle engage, en notre nom, la conversation avec la terre entière.
Une oriflamme claquant au vent sur l'infini de l'horizon, voilà Marseille."

 

Citations :

Page 12 : Je te ferai sentir la chaleur mortelle ; entendre les vents des déserts ; observer toutes les religions. Peut-être te montrerai-je un typhon. Je suis le port de Marseille. C’est moi qui te parle. Vois mes bateaux qui s’en vont…

 

Page 35 : La circulation à Marseille est régie par une loi unique : « toute voiture doit, par tous les moyens, dépasser la voiture qui la précède. » On se croirait au temps des cochers verts et des cochers bleus de Constantinople. C’est une course de chars. Qui arrivera premier et déclenchera l’enthousiasme populaire ?

 

Page 61 : Il a économisé son passage piastre à piastre. Il était ?…

— … commis boucher d’agneaux.

C’est honorable. Mais quel bourreau ! Combien de bêlants petits agneaux n’a-t-il pas dû décapiter pour gagner de quoi être émigrant. Il vaut mieux ne pas y songer.

 

Page 91 : L’opium n’est pas la coco. Il est vraiment de plusieurs classes au-dessus. La coco est un peu « trottoir ». L’opium est demeuré « salon ». Le trafiquant qui opère dans un vil milieu reste un trafiquant ; s’il sert des hommes qui comptent il devient un fournisseur. Une dignité s’attache à son négoce.

 

Page 124 : Qu’un pays soit à dis jours de nos côtes, aussitôt plus personne ne sait si le pays est en Asie, en Afrique, ou en Amérique. Donnons l’ordre à cent étudiants de partir sans délai pour la Grande Comore, et nous en verrons cinquante prendre le train à la gare Montparnasse !

Sommes-nous donc une nation enfermée dans ses montagnes ?

La France a une vue magnifique sur tout le reste du monde. Mais nous regardons pousser nos betteraves !

L’Anglais se sent grand et marche comme s’il était l’envoyé spécial de Dieu sur la terre parce qu’il porte son regard au-delà de son île.

Au-delà de nos côtes, nous possédons le deuxième empire de la terre.

On ne s’en douterait pas !

 

 

 

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Mon avis : Le bikini de diamants – Charles Williams

Publié le par Fanfan Do

Traduit l’américain par Laura Derajinski

 

Éditions Gallmeister - Totem

 

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Quatrième de couverture :

Cette année-là, Billy passe l'été chez son oncle Sagamore. Entre les visites du shérif, persuadé que Sagamore distille de l'alcool clandestinement, et le lac où il apprend à nager, le garçon ne va pas s'ennuyer. Mais ses vacances deviennent véritablement inoubliables au moment où Choo-Choo Caroline, strip-teaseuse pourchassée par des gangsters, se réfugie dans la propriété. Lorsque celle-ci disparaît, l'oncle Sagamore décide d'orchestrer comme la plus lucrative des fêtes foraines une chasse à l'homme pour la délicieuse Caroline uniquement vêtue de son bikini de diamants.

Porté à l’écran sous le titre Fantasia chez les ploucs, Le Bikini de diamants est un monument de drôlerie et un inégalable roman noir.


 

 

Mon avis :
Billy, sept ans, nous raconte sa drôle de vie entre son père adepte des champs de courses hippiques, et les Foyers où le placent les dames de l'Assistance à chaque fois que Pop fait un séjour en prison. Tous deux sillonnent l'Amérique au gré des champs de courses. Jusqu'au jour où Pop décide de s'arrêter au Texas chez son frère Sagamore Noonan qui vit lui aussi d'une façon que la loi réprouve, en pleine campagne, isolé, loin de tout. À proximité, l'oncle Finnley qui se prend pour le nouveau 
Noé, plante des clous.

Le shérif du comté a un but dans la vie, coffrer Sagamore pour libérer le voisinage de cet indésirable dont l'activité illégale empeste tout le secteur. Quand il découvre qu'un deuxième Noonan est arrivé, il est au bord de la crise de panique. Pourtant, bientôt quelque chose de pire va lui donner des raisons d'avoir des sueurs froides.

Un monde d'adultes pas mal retors raconté par un enfant de sept ans qui bien sûr ne comprend pas le second degré, pas plus que les mensonges qu'on lui sert, est totalement jubilatoire. Et quand un "médecin" en costard-cravate armé jusqu'au dents prend Sagamore et Sam Noonan pour des ploucs idiots avec une histoire de chasseurs de lapins, c'est tellement drôle !

Cette histoire de gangsters venus régler des comptes là où vit un petit paysan super filou et producteur de tord boyaux illégal, avec un shérif hyper zélé qui n'en peux plus, flanqué de deux adjoints stupides, m'a beaucoup amusée. Il y a des moment d'une drôlerie absolue, que ce soit dans les dialogues ou visuellement. C'est un roman réjouissant, où les hommes n'ont pas forcément le beau rôle, plutôt en mode crevards dès qu'il est question d'une très jolie fille à poil. Un peu comme les loups de 
Tex Avery.
J'ai beaucoup ri pendant cette lecture.

J'ai le souvenir du film que j'ai vu quand j'étais petite, d'un fou rire de ma mère et de 
Mireille Darc, vêtue juste d'un bikini en diamant, qui court dans l'eau. Et bien sûr Jean Yanne et Lino Ventura.

 

Citations :

Page 16 : Il faut qu’un homme soit jeune et plein d’entrain, prêt à tout essayer, ou alors qu’il ait un sacré paquet d’argent. Faut pas rigoler, avec le Texas. Y a pas de champs de courses à mille cinq cents kilomètres à la ronde. Si un type tombait en panne d’essence en plein milieu, il serait peut-être obligé de trouver un travail ou un truc dans le genre. C’est vraiment pas un coin sûr.

 

Page 46 : Voilà ce qui s’est passé. Y a deux ans, je crois bien, Vergil a eu une bonne récolte de coton et ils ont compris qu’ils allaient se faire du fric même après avoir remboursé leurs dettes. Mais avant que Vergil ait eu le temps d’aller à la ville s’acheter une autre Buick d’occasion, Viola s’est glissée en douce à l’hôpital et elle s’est fait retirer pour environ quatre cents dollars de trucs. Surtout des trucs de femme, j’crois bien ; elle avait jamais trop rien utilisé passqu’elle a pas arrêté de parler assez longtemps depuis qu’ils se sont mariés pour que Vergil ait le temps de la connaître de façon plus familière. Je sais pas pourquoi mais un homme a beau essayer de toutes ses forces, il risque pas d’être au mieux de ses performances si sa femme déblatère vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur son foutu calcul biliaire.

 

Page 68 : Je suis allé au bureau du Trésor l’autre jour et je leur ai dit qu’ils étaient pas obligés de m’envoyer mon salaire tant que j’aurais pas libéré le comté de votre présence, et que si les gens me réélisaient pas dans les deux ans à l’automne, je continuerais à servir bénévolement avec le nouveau shérif jusqu’à ce qu’on trouve les preuves suffisantes pour vous coller en taule, qu’on ait plus honte de donner naissance à des enfants innocents dans un monde où vous vous baladez en toute liberté.

 

Page 118 : — Les mules, c’est vraiment comme les femmes, a continué l’oncle Sagamore. Elles se mettent à penser à un truc ridicule qui s’est passé il y a dix, quinze ans de ça, et puis elles cogitent un moment, et pis elles commencent à bouder d’un coup et elles vous causent plus pendant des semaines. Et le pire emmerdement, dans tout ça, c’est que t’as pas la moindre idée de ce qui les a foutues en rogne.

 

Page 159 : — Sagamore qu’aurait un problème avec un pauvre vieux putois ridicule ? Jamais de la vie. Le putois qui lui tiendra tête, il est pas encore né.

 

Page 159 : Les putois, c’est comme les mules et les bonnes femmes. Faut juste essayer de raisonner avec eux. Ça sert à rien de donner des ordres à un putois, mais si tu prends le temps de lui expliquer la situation, en général, il comprend ton point de vue.

 

 

 

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Mon avis : Une fin heureuse – Maren Uthaug

Publié le par Fanfan Do

Traduit du danois par Françoise et Marina Heide

 

Éditions Gallmeister

 

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Quatrième de couverture :

Comme sa mère, son grand-père et tous les hommes de la famille avant lui depuis sept générations, Nicolas est croque-mort et adore son métier. Il tient désormais les rênes de la florissante entreprise familiale. Pourtant, il s'apprête à prendre la décision la plus difficile de sa vie. En plus d'un héritage déjà bien lourd à porter, le voici à présent obsédé par des pulsions inavouables. Tandis qu'il emmène ses deux enfants en voyage, Nicolas tente de comprendre sa part d'ombre et retrace l'histoire de cette lignée d'excentriques au service des défunts. D'une île perdue au milieu de l'océan Pacifique au XIXe siècle, berceau de leur généalogie, à l'actuelle Copenhague, se dessine une incroyable saga familiale où les gènes décident de l'avenir de chacun. Car la question se pose : une dynastie qui vit des morts depuis des siècles peut-elle vraiment connaître une fin heureuse ?
Maren Uthaug réinvente la saga nordique, en l'épiçant d'humour noir et de provocation.


 

 

Mon avis :
Dès les premières lignes on apprend que Nicolas, le narrateur, est issu d'une lignée de croque-morts et croque-mort lui-même, qu'il est envahi par des pulsions nécrophiles et qu'il en a honte. Et là, d'emblée, je me suis demandé si j'avais envie de me marrer, ou pas. Ou plutôt je me suis demandé si mes gloussements n'allaient pas être un tantinet démoniaques. Immédiatement ça sent l'humour noir à plein nez et j'adore ça.

Nicolas attaque par la description de ses ancêtres, puis sa mère, puis sa fille et son fils jumeaux, cette famille où visiblement tout le monde est un peu "spécial". Donc voilà qu'il nous raconte l'histoire de cette lignée de Christian, car ils se nomment tous ainsi de père en fils, jusqu'au jour où patatras, sa mère s'appelle autrement et lui aussi. Les filles s'appellent toutes Liliane, mais pas sa mère.
Il part donc du premier Christian au XIXe siècle, naufragé sur une île de Polynésie dont les habitants avaient trouvé  une méthode particulière pour empêcher la surpopulation, et nous raconte la naissance de cette vocation à aider les morts à accepter leur sort, de Christian Christiansen en Christian Christiansen.

C'est bien louftingue, c'est drôle, c'est jouissif. C'est politiquement incorrect, totalement irrévérencieux et j'ai adoré, comme un tout petit qui va sortir des bordées d'injures alors que c'est interdit Hi Hi ! Car oui, on a affaire à une vraie famille de barjots ! Et malhonnêtes avec ça ! Mais ça rapporte et puis, si ça rassure les endeuillés... Et au fond ils ne sont pas vraiment malhonnêtes, puisqu'ils font du bien aux gens. Oups !

Les chapitres, qui commencent tous par un arbre généalogique, se suivent et nous parlent tour à tour de Christian I, puis Christian II, Puis III, puis IV, et Nicolas et sa mère indigne, et son père pas comme tout le monde, et on découvre la dynastie Christiansen et ses spécificités. Chaque Christian a une particularité, mais celle de Christian IV est vraiment très spéciale car paranormale, alors que Christian V, lui, est atteint d'un toc envahissant. Et que dire des Liliane ??? Pas très nettes non plus ! C'est comme si à chaque génération, les tares de la famille augmentaient d'un cran. J'ai quand-même eu un peu de mal parfois à m'y retrouver parmi tous les membres de cette famille qui, de génération en génération portent le même prénom. Ou presque.

Et puis les morts. Pas physiques, non ! Ceux qui nous entourent et que nous ne voyons pas. Ils en ont des choses à dire et à faire ! Par exemple regretter leur courte vie parfois, ou tenter d'entrer en contact avec nous, la plupart du temps en vain.

En passant on apprend des choses sur l'histoire de Copenhague, crasseuse et puante comme toutes les grandes villes autrefois, pleines de miasmes et qui empestaient la mort et amenaient des maladie, car les cadavres et les déjections polluaient tout, l'air qu'on respirait et l'eau qu'on buvait. Et les épidémies du XXe siècle, telles la grippe espagnole ou la polio. Puis plus tard la montée du nazisme avec ses idéologies nauséabondes, et la guerre, et l'après-guerre. On voit aussi à travers les décennies l'évolution du rapport à la mort.
Alors qu'autrefois on veillait les morts un certain temps, à présent on expédie et on cache ce moment difficile, comme si ne pas voir les morts faisaient disparaître la mort. Même le terme de mort fait peur aux gens. de nos jours on préfère dire "il est décédé", ou bien "elle est partie". Et l'incinération qui se répand.
Et les plats préparés, en boîte, en plein essor dans les années 60...
On assiste aux changements dans la société.

Voilà que j'ai terminé ce livre désopilant, mais aussi immoral souvent, voire amoral, avec des passages bien écœurants. Oui car la nécrophilie, c'est quand-même un sacré tabou, et heureusement ! Mais s'il n'y avait que ça de répugnant... Une vraie famille de dingues vous dis-je !!!
J'ai aimé ce roman réjouissant, bien que je l'aie trouvé très déroutant et parfois dérangeant. Je ne suis pas sûre qu'il puisse être mis entre toutes les mains, tant il évoque certains sujets vraiment prohibés, à juste titre.

 

Citations :

Page 10 : Les rêves ne se soucient pas de ce que nous trouvons convenable, hélas. Ils se fichent complètement des barrières que la société met au désir et de ce qui peut faire déferler les orgasmes.

 

Page 78 : Les médecins ne savaient à quel saint se vouer. Ils tentaient de recourir aux classiques saignées, sans constater d’effet sur les malades, leur frottaient le corps avec des linges imbibés de camphre et d’huile de térébenthine, leur appliquaient des ventouses, leur posaient des sangsues sur les tempes. Ils torturaient leurs patients en leur faisant subir des séances de sudation, des cures d’opium ou de sel. Ils les enveloppaient de couvertures et les faisaient asseoir au-dessus de pierres chauffées que l’on arrosait de vinaigre, ou encore, suivant les conseils de leurs confrères anglais, leur administraient des préparations à base de mercure et leur prescrivaient des bains de vapeur, des vomitifs et des laxatifs.

 

Page 152 : Au fil des années, on avait fini par interdire les inhumations en dehors du cimetière. Désormais, les enfants non baptisés, les suicidés et les criminels avaient tous droit à leurs trois poignées de terre à l’intérieur de l’enclos. Mais ce n’était pas du ressort du pasteur. Ce genre de petites cérémonies miteuses était en principe le lot du sacristain. Même si les malheureux qui avaient renoncé à vivre étaient admis en terre sacrée, l’image du Dieu vengeur avait la vie dure, ce Dieu qui punirait tout le monde si l’on faisait entrer au cimetière, en grande pompe, les gens indignes.

 

Page 207 : L’école le rongeait. S’il était auparavant un enfant malingre et pâlichon, ces années-là le rendirent presque évanescent.

 

Page 220 : Même si on avait fait appel au jeune homme pour s’assurer que le mort, simplement, était mort, Christian IV considérait comme son devoir d’aider ce dernier à comprendre ce qu’il en était. Il n’avait pas beaucoup de temps devant lui, car contrairement aux gens des époques antérieures, ceux de maintenant souhaitaient qu’on les débarrasse du corps et qu’on le dépose à la chapelle le plus vite possible. À mesure que s’enchaînaient les révélations de la médecine sur les potentielles sources de contamination, l’idée d’avoir un mort au milieu du salon devenait plus déplaisante. Ce qu’on ressentait autrefois comme intime et festif n’était plus qu’effrayant et macabre.

 

Page 282 : La grippe espagnole était vicieuse : elle laissait tous les membres d’une famille se réveiller au matin frais, dispos et pleins d’espoir, pour les éliminer ensuite jusqu’au dernier avant le coucher du soleil. Ou bien elle en épargnait un seul, de préférence une mère ou un père épuisé et misérable, qui devait user de ses maigres forces pour enterrer un à un tous ceux qu’il avait aimés.

 

Page 293 : Les humains, comme on le sait, ont besoin dans l’existence d’une certaine dose de danger pour pouvoir être heureux, faute de quoi ils s’inventent des névroses, des phobies et autres fantaisies dont leur esprit se divertit pour éviter les affres de l’ennui.

 

Page 336 : En regardant ma mère fourrer une quantité insolente de poulet dans sa bouche, je me suis demandé si elle avait toujours été aussi méchante, ou si ça avait empiré avec les années. Je n’arrivais pas à savoir. Enfant, on est capable de trouver tout normal.

 

Page 366 : La polio fut la dernière épidémie qui poussa les Danois à s’enfermer chez eux et à garder leurs distances. Durant les années 50 et 60, la mort se confronta de nouveau à la science qui ne cessait d’inventer des vaccins. Anéantir plusieurs personnes en même temps ne s’avérait plus aussi facile qu’autrefois, mais la mort ne fut pas désarmée bien longtemps. Ironiquement, l’homme faisait toujours des trouvailles qui décuplaient ses possibilités.

À cette époque, il n’y avait pas encore beaucoup de voitures dans les rues. Chaque mois, les accidents de la route faisaient pourtant trois fois plus de victimes qu’aujourd’hui. Non pas parce que les véhicules étaient moins sûrs et les gens de piètres conducteurs, mais parce que beaucoup avalaient dix bières avant de prendre le volant. Pratique que personne ne remettait en cause.

 

Page 375 : Elle n’était pas bonne cuisinière, mais ça ne faisait rien, car dans les années 60, les plats préparés étaient en pleine popularisation. Tout pouvait s’acheter en boite. Elle servait donc des quenelles, du pot-au-feu, des boulettes de viandes et autres plats en mettant simplement les boites dans l’eau chaude, avant de les ouvrir et de verser leur contenu dans les assiettes.

 

 

 

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Mon avis : Melnitz – Charles Lewinsky

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’allemand par Léa Marcou – Traduit avec le concours du Centre National du Livre

 

Éditions Le Livre de Poche

Lu en Lecture Commune

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Quatrième de couverture :

Melnitz renoue avec la tradition du roman familial du XIXe siècle : la saga des Meijer, une famille juive suisse, court sur cinq générations, de la guerre franco-prussienne à la Deuxième Guerre mondiale. 1871 : le patriarche Salomon, marchand de bestiaux, vit à Endingen, l’une des seules bourgades helvétiques où les juifs sont autorisés à résider. La famille commence son ascension sociale, sans jamais parvenir à s’affranchir du destin des exclus. 1945 : l’oncle Melnitz, revenu d’entre les morts, raconte. Il est le grand récitant de cette admirable fresque, hommage au monde englouti de la culture et de l’humour yiddish, tour de force romanesque salué comme un chef-d’œuvre par une critique unanime.

Prix du meilleur livre étranger 2008.

Un torrent furieux qui vous entraîne au bout de quatre jours (quatre heures ?) de lecture frénétique, au bout d’une histoire folle et forte, tour à tour comique et tragique. 

Philippe Chevilley, Les Échos.

 


Mon avis :
De 1871 à 1945, on suit la vie des Meijer, famille suisse de confession juive, discrète et affable. On se rend rapidement compte que le sort des juifs est à peu près partout le même, y compris en Suisse. Ils sont tolérés mais doivent rester dans leur coin sans faire de bruit. D'ailleurs les non juifs pratiquent un antisémitisme sans complexe, les ostracisent, s'adressent à eux comme s'ils étaient forcément sournois et cupides, ne cachent pas leur mépris et se permettent de leur parler de leurs "youpineries". Néanmoins la Suisse pratique un antisémitisme sans complexe comme tant d’autres pays.

L'humour des Meijer affleure au fil des pages, leur donnant un côté facétieux qui m'a fait sourire plus d'une fois. Une galerie de personnages dont la plupart sont très attachants, avec vraiment pour moi une préférence pour Zalman, tellement nature et foncièrement bon, mais aussi Arthur l'altruiste, Hinda la généreuse,  Désirée la rêveuse, le bon Pin'has, l'étrange Monsieur Grün, beaucoup moins Mimi, éternelle gamine totalement égocentrique. Mais voilà,  ses raisonnement sont drôles tant ils sont stupides. Et 
Melnitz. L'oncle Melnitz, absent et pourtant là, quand il le faut. Un sage, sorte de mousquetaire de la famille Meijer dans le genre un pour tous ! Il est inénarrable, taquin, espiègle, et tellement avisé et utile. Il est un peu la voix off qui nous permet de comprendre tant de choses, la mémoire de la famille, et du peuple juif.

À aucun moment ce pavé de 960 pages ne m'a paru long ! J'ai suivi avec un infini plaisir les joies et les peines de la famille Meijer sur plusieurs générations, leur réussite sociale, le mépris qu'ils ont eu à subir, leur désir de s'intégrer tout en étant systématiquement gardés à une certaine distance. J'ai appris beaucoup sur leur mode de vie, leurs rituels, et j'ai été impressionnée par la religion qui régit absolument tous les moments de la vie.

Ce roman, qui commence à la fin de la guerre avec la Prusse et se termine après la libération en 1945, qui nous fait traverser une page d'histoire de la Suisse, mais aussi de l'Europe, au coeur de la communauté juive, est réellement passionnant ! Et douloureux ! Et émouvant ! Et joyeux !!! On passe par toutes sortes de sentiments, liés entre autre aux tragédies de l'Histoire et à la fureur nazie mais aussi à l'intransigeance des religions qui parfois blessent durablement, quand par ailleurs les joies de la vie de famille apportent la lumière. Et moi qui suis athée, j'ai été impressionnée par cette foi qu'ils ont, chevillée à l'âme et qui leur sert de guide.

À travers la vie de la famille Meijer-Pomeranz-Kamionker, 
Charles Lewinsky nous raconte la destinée du peuple juif à travers deux guerres, essentiellement en Suisse qui a été épargnée par la Shoah, sur soixante-quatorze années, avec la douceur d'une brise légère balayée par le vent de l'histoire qui laisse un souvenir brutal, amer, et six millions d'absents, effacés par la fureur et la haine.

Ah mais quel roman ! Un coup de cœur +++++

Sans oublier les échanges passionnants avec mes co-lectrices, que du bonheur !

Citations :

Page 110 : Ils n’oublient jamais rien. Plus c’est absurde, mieux ils s’en souviennent. Ils se souviennent qu’avant Pessah, nous égorgeons des petits enfants et faisons cuire leur sang dans la pâte des matze. Cela n’est jamais arrivé, mais cinq cents ans plus tard, ils sont capables de raconter la scène comme s’ils l’avaient vu de leurs yeux.

 

Page 111 : Oublier ? Ils n’oublient rien. Sauf peut-être la vérité. Mais pas les mensonges. Ils connaissent sur le bout des doigts les calomnies que les Romains et les Babyloniens ont inventés contre nous, et ces histoires, ils continuent de les raconter, et ils y croient.

 

Page 322 : Il décrit avec tant de justesse la soumission aveugle avec laquelle des gens par ailleurs fort intelligents suivent pieusement les troupeaux de leur religion, flanqués en permanence par les chiens glapissant des feux de l’enfer et de la damnation éternelle.

 

Page 459 : Rien qu’à cause de maman, il n’avait jamais compris pourquoi, à la prière du matin, les hommes remercient Dieu de ne pas les avoir crées femme.

 

Page 566 : Il n’avait jamais encore été amoureux, et, longtemps, ne sut interpréter l’état où il se trouvait plongé, cette maladie. On ne lui avait jamais dit que l’amour est essentiellement désarroi.

 

Page 677 : À Vienne, ils mangèrent au célèbre restaurant koscher de Schmeidel Kalish. De si bon appétit qu’après Ruben fut prit de crampes. Il n’était plus habitué à des repas copieux.

 

Page 725 : C’était un Allemand, « un Berlinois », pensa Rachel, qui n’y connaissait rien en dialectes et qualifiait de berlinois tout ce qui lui paraissait teutonique.

 

Page 772 : L’un des membres du comité directeur de la communauté, un ancien combattant de la dernière guerre, nationaliste allemand convaincu, avait juré de ne jamais se laisser chasser de sa patrie, et avait fait ses valises sur-le-champ après que, voulant envoyer un télégramme par téléphone, il se fut entendu expliquer, par une voix polie, qu’il était désormais interdit d’épeler au téléphone des noms juifs, car c’était incompatible avec la dignité raciale d’un postier allemand.

 

 

 

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