Mon avis : La nuit des béguines – Aline Kiner
Éditions Liana Levi
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Quatrième de couverture :
Paris, 1310, quartier du Marais. Au grand béguinage royal, elles sont des centaines de femmes à vivre, étudier ou travailler comme bon leur semble. Refusant le mariage comme le cloître, libérées de l’autorité des hommes, les béguines forment une communauté inclassable, mi-religieuse mi-laïque. La vieille Ysabel, qui connaît tous les secrets des plantes et des âmes, veille sur les lieux. Mais l’arrivée d’une jeune inconnue trouble leur quiétude. Mutique, rebelle, Maheut la Rousse fuit des noces imposées et la traque d’un inquiétant franciscain... Alors que le spectre de l’hérésie hante le royaume, qu’on s’acharne contre les Templiers et qu’en place de Grève on brûle l’une des leurs pour un manuscrit interdit, les béguines de Paris vont devoir se battre. Pour protéger Maheut, mais aussi leur indépendance et leur liberté. Tressant les temps forts du règne de Philippe le Bel et les destins de personnages réels ou fictifs, Aline Kiner nous entraîne dans un Moyen Âge méconnu. Ses héroïnes, solidaires, subversives et féministes avant l’heure, animent une fresque palpitante, résolument moderne.
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Mon avis :
Paris 1310 dans le quartier du Marais. Les béguines, des femmes libres d'étudier ou travailler et de disposer de leur argent, mi-religieuses, mi-laïques, libérées de l'autorité des hommes, refusant le mariage comme le cloître, dont un grand nombre vivaient au grand béguinage royal, parfois après une vie, des enfants et le veuvage. Il y avait de nombreuses communautés de béguines reparties dans la partie nord du pays, ce mouvement étant né à Liège en 1173. Forcément, un tel fait historique ne pouvait que m'intriguer et m'intéresser, d'autant que le Moyen-âge me fascine.
C'est ahurissant l'importance qu'avait la religion au Moyen-âge. Tout tournait autour de Dieu, des messes, des prières et gare à l'inquisition qui traquait les hérétiques ! On est à l'époque de Philippe le Bel, roi pieux, petit-fils de Louis IX (Saint Louis), hanté par la peur de l'hérésie, maître d'œuvre de la disgrâce des Templiers, ce puissant Ordre des moines-soldats. Des tortures "artistiques" ou comment broyer, briser, étirer sans jamais faire saigner pour ne pas souiller les terres de l'Église… Sacrée ambiance le Moyen-âge !!
C'est aussi le temps où les roux étaient honnis, "Roux, couleur maudite. Couleur du traître. le poil roux de Judas et Caïn, d'Esaü qui vendit son frère pour un plat de lentilles, de Ganelon qui envoya au massacre Roland et ses compagnons." Et justement, une enfant rousse a été trouvée dans le froid, prostrée et mutique. Ysabel, entrée au béguinage après son veuvage, va vouloir la protéger de l'extérieur où le danger est partout pour les femmes. Car en réalité, cette enfant, Maheut, est une jeune femme qui, semble-t-il, a été violentée. Maheut la Rousse, jeune femme rebelle et intrépide, victime des hommes, est recherchée par un moine.
Certaines femmes parfois complices du pouvoir abusif des hommes, stupides au point de croire les mensonges qu'on leur assène - "La bêtise des moutons qui hurlent avec les loups !" Néanmoins, c'est une belle histoire de sororité, de femmes entre elles, qui se soutiennent et se protègent des dangers du monde extérieur, essentiellement les hommes.
Ce roman passionnant et enrichissant met en exergue le statut des femmes de tout temps, béguine ou pas, toujours accusées de potentielle perfidie, de faiblesse, d'inconstance, et d'incapacité à penser par elles-mêmes. Mais pourquoi les hommes ont-ils à ce point peur des femmes, qu'ils essaient depuis toujours de faire taire, les traitent en sous-humains, tentent de les effacer, de se rendre maîtres d'elles ? Les béguines elles, sont accusées par beaucoup d'un double refus d'obéissance, au prêtre et à l'époux.
Femmes sur une corde raide, elles qui dérangeaient le clergé car elles ne lui étaient pas soumises. Leur statut devenu fragile sous Philippe le Bel où il était question de remettre en cause leur mode de vie. Une des leurs, Marguerite Porete, accusées d'hérésie et brûlée sur le bûcher pour avoir écrit un livre sur son amour de Dieu en dehors de tout dogme. Peut-être a-t-elle été le grain de sable qui a fait voler en éclat le statut des béguines, ou peut-être pas... car toute foi non contrôlée par l'Église semble insupportable. Et l'Église détruisait ce qu'elle ne parvenait pas à soumettre.
J'ai adoré cette très belle incursion, très immersive, dans le Moyen-âge, époque étrange et lointaine où religion et superstitions font bon ménage, où Dieu ne peut pas être bon, puisque tout le monde le craint. Les méchants n'inspirent pas l'amour, seulement la peur. J'ai aimé la balade dans ce Paris si lointain, sale, malodorant, et si plein de vie mais aussi hélas si plein des morts de l'inquisition. J'ai aimé la plupart de ces femmes, la charitable Ysabelle, l'impénétrable Ade, la bienveillante Jeanne, Juliotte la muette, Maheut la Rousse, généreuses, érudites et solidaires, beaucoup moins les hommes, autoritaires et brutaux.
C'est un véritable coup de cœur que ce roman qui m'a appris beaucoup sur cette courte période du Moyen-âge et le triste sort réservé aux femmes, qui a vu la fin des Templiers et la fin annoncée des béguines.
Citations :
Page 28 : Roux, couleur maudite. Couleur du traître. le poil roux de Judas et Caïn, d'Esaü qui vendit son frère pour un plat de lentilles, de Ganelon qui envoya au massacre Roland et ses compagnons. Couleur des flammes de l’enfer qui brûlent sans éclairer. De Satan et ses maléfices. Des enfants engendrés durant les règles de leur mère. Il y a quelques jours, l’abbé de Sainte-Geneviève a expulsé de la ville une fillette, Emmelote, qui avait pour seul tort d’être née avec des cheveux flamboyants.
Page 40 : Certains se sont moqués du souverain et de sa piété démonstrative ! Après l’échec humiliant de la première croisade, on l’a vu, il est vrai, se complaire dans une existence de privation, abandonnant l’hermine et le vair, l’habit écarlate, les étriers et les éperons d’or, pour se vêtir d’habits incolores, manger des plats simples et allonger son vin d’eau. Aujourd’hui pourtant, chacun est bien obligé de reconnaître que, durant sa vie, Louis a tenté d’approcher, autant qu’il est possible à un homme dans son incomplétude, l’exemple du Christ. Il a apporté son soutien aux ordres mendiants, fondé des hôpitaux pour les pauvres, un couvent pour les prostituées repenties de Paris, protégé les aspirations des femmes qui voulaient pratiquer leur religion sans subir le joug des autorités ecclésiastiques. Sous sa protection, des petites communautés de béguines se sont établies un peu partout à travers le royaume, à Senlis, à Tours, Orléans, Rouen, Caen, Verneuil… Et dans la capitale, il s’est investi personnellement dans la construction du clos, conçu sur le modèle de Sainte-Elisabeth à Gand qu’il avait eu l’occasion de visiter.
Page 49 : « Ils ont été soumis à la question avec beaucoup d’efficacité. Selon l’inquisiteur général, c’est une méthode fiable pour emporter la vérité. Je ne me permettrais pas de le contredire. Mais la vérité qu’on obtient est souvent celle que l’on cherche. »
Page 54 : Afin que le sang ne se répande pas sur les terres de l’Église, on y applique la question non pas avec retenue mais avec art, brisant, broyant, étirant sans que jamais la moindre goutte de sang perle sur la peau. Et lorsqu’il s’agit de couper des oreilles, on mène les condamnés à quelques quartiers de là, à l’extrémité de la rue de l’Arbre-Sec.
Page 276 : Elle savait que jamais elle n’offrirait d’enfant à son mari, le médecin l’avait dit. Il avait assouvi ses désirs avec d’autres femmes, des servantes du château… cette brune qui riait dans la chambre voisine. Un bâtard était né. Tous les hommes faisaient ainsi.
Page 299 : Quant à moi, j’ai toujours été réticent à l’égard du béguinage, vous le savez, Agnès. Le roi nous a fait l’honneur de nous en confier le contrôle, mais trop longtemps vos maîtresses et vos compagnes ont agi à leur guise. Je ne pense pas qu’il soit bon que les femmes administrent seules leur destin. Ni qu’elles prétendent à l’instruction, bien que ce soit une tendance de notre temps.