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Mon avis : La sentence – Louise Erdrich

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Sarah Gurcel

 

Éditions Albin Michel – Terres d’Amérique

 

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Quatrième de couverture :

«Quand j’étais en prison, j’ai reçu un dictionnaire. Accompagné d’un petit mot : Voici le livre que j’emporterais sur une île déserte. Des livres, mon ancienne professeure m’en ferait parvenir d’autres, mais elle savait que celui-là s’avérerait d’un recours inépuisable. C’est le terme "sentence" que j’y ai cherché en premier. J’avais reçu la mienne, une impossible condamnation à soixante ans d’emprisonnement, de la bouche d’un juge qui croyait en l’au-delà.»
Après avoir bénéficié d’une libération conditionnelle, Tookie, une quadragénaire d’origine amérindienne, est embauchée par une petite librairie de Minneapolis. Lectrice passionnée, elle s’épanouit dans ce travail. Jusqu’à ce que l’esprit de Flora, une fidèle cliente récemment décédée, ne vienne hanter les rayonnages, mettant Tookie face à ses propres démons, dans une ville bientôt à feu et à sang après la mort de George Floyd, alors qu’une pandémie a mis le monde à l’arrêt...
On retrouve l’immense talent de conteuse d’une des plus grandes romancières américaines, prix Pulitzer 2021, dans ce roman qui se confronte aux fantômes de l’Amérique: le racisme et l’intolérance.


 

 

Mon avis :
Dès les premières lignes il y a quelque chose de facétieux dans la façon d'envisager la vie et les événements de la part de Tookie, la narratrice, qui, bien que trentenaire au début du roman, semble totalement immature et déconnectée. Sans doute est-ce lié à sa toxicomanie. Son manque de discernement va l'amener à commettre une énormité qui l'enverra directement en prison, pour les 69 ans à venir. Par chance, elle sera libérée au bout d'une dizaine d'années.

Lors de son incarcération, sa rencontre avec un dictionnaire va déclencher en elle une passion pour les mots et la littérature.
À sa sortie elle trouve une place dans une librairie, dans laquelle nous, lecteurs allons passer de nombreux moments délicieux. Flora, une de ses clientes, "la plus agaçante de fidélité", meurt puis revient la hanter. Et Tookie entend des bruits de pas, de froissement, les sons que produisait Flora durant les heures qu'elle passait à la librairie. Et voilà que Tookie hérite d'un livre, ou plutôt d'un journal intime, très ancien, légué par Flora. Et là, c'est le malaise…

Tookie est une autochtone et le racisme ordinaire elle connaît. La culture de ses origines ainsi que ses ancêtres et leurs rituels sont omniprésents en filigrane. C'est un personnage que j'ai trouvé très attachant. Elle est drôle, humble, généreuse, altruiste, magnanime et ne se prend pas au sérieux. Elle nous parle d'elle, de son amour pour Pollux son ami de toujours et ancien flic de la police tribale, qui l'avait arrêtée et qu'elle a épousé, de sa vie avec toujours une pointe d'ironie qui affleure et j'ai vraiment trouvé ça réjouissant. de plus, ce roman est imprégné de l'amour des livres, que dis-je ? de la passion des livres !! Chose étonnante, Tookie travaille dans la librairie de Louise qui est autrice de romans et qui a notamment écrit "
Celui qui veille". Bizarre, bizarre…
🪶
La présence éthérée de Flora traverse le roman tout en perturbant Tookie qui aspire au silence et à la tranquillité. Mais plus que tout, cette présence invisible la terrifie. Jusqu'au moment où ça devient complètement obsessionnel. Viendront le covid, puis les émeutes après la mort de George Floyd, cette guerre des opprimés, contre le racisme et les violences policières dans une communion de tous ceux dont la peau n'est pas blanche, la ville à feu et à sang, événements qui réveillent les vieilles angoisses et rancœurs de Tookie.
L'écriture est belle, les pensées, les réflexions, les idéaux, les rêves et désirs simples, tout est beau, j'ai tout aimé dans ce roman qui parle de croyances et superstitions, de racisme, de violences, mais aussi et surtout de passion littéraire, d'amour et d'amitié, de solidarité, de sororité, de famille.
Mentionné plusieurs fois, le nom du président en fonction à cette période, le gros orange avec un renard crevé en guise de moumoute, n'est jamais dit. Une des appellations pour le nommer m'a bien fait rire : Orangino.

Et ce livre infernal donne furieusement envie de faire exploser sa carte bleue tant il provoque des envies de lecture avec tous les romans mentionnés. Cela dit, un certains nombres se trouvaient déjà dans ma wishlist, d'autres déjà en ma possession.

Deuxième livre que je lis de cette autrice après L'enfant de la prochaine aurore que j'avais moyennement aimé, celui-ci m'a conquise. J'ai passé des heures passionnantes avec ce roman, avec ces personnages. J'ai eu la chance de le gagner avec @lemoisamericain et son partenariat avec les Éditions Albin Michel lors d'un des concours quotidiens du mois d'octobre sur Instagram.

 

Citations :

Page 13 : J’étais à un âge périlleux quand j’ai commis mon crime. J’avais beau avoir atteint la trentaine, mes occupations et mes raisonnements restaient ceux d’une adolescente. On était en 2005 mais je me défonçais façon 1999, buvant et me droguant comme si j’avais dix-sept ans, malgré les tentatives scandalisées de mon foie de me signaler qu’il avait une bonne décennie de plus.

 

Page 28 : Quand elle a appris mon incarcération, elle est allée acheter une caisse de livres à un dollar dans une braderie. Il s’agissait surtout de bouquins de développement personnel — des livres comiques, donc.

 

Page 40 : Entre 2005 et 2015, les téléphones avaient évolué. Le premier truc que j’ai remarqué, c’est que tout le monde fixait un rectangle lumineux. Moi aussi j’en voulais un.

 

Page 50 : Flora est décédée le 2 novembre, le jour de la fête des Morts, quand l’étoffe qui sépare les mondes est fine comme du papier de soie et se déchire facilement.

 

Page 60 : Rien ne fait plus plaisir à Penstemon que tendre un livre qu’elle aime à quelqu’un qui veut le lire. Je suis pareille. On pourrait dire que ça nous ravit, même si « ravir » est un mot que j’emploie peu. Le ravissement manque de consistance ; le bonheur a plus d’assise ; l’extase est ce que je vise ; la satisfaction, ce qu’il y a de plus dur à atteindre.

 

Page 90 : Comme tous les États de notre pays, le Minnesota a vu le jour dans le sang, par la dépossession et l’asservissement. Les officiers de l’armée des États-Unis ont acheté et vendu des personnes réduites en esclavage, y compris un couple marié, Harriet Robinson et Dred Scott. Nous sommes marqués par notre histoire. Parfois, il me semble que les premières années du Minnesota hantent tout, que ce soient les tentatives de Minneapolis pour greffer des idées progressistes sur ses origines racistes ou le fait que, ne pouvant défaire l’histoire, nous sommes condamnés à l’affronter ou à la répéter.

 

Page 128 : Alors je l’ai senti : la terre a retenu son souffle, une lente expiration, puis un doux silence tamisé. J’ai éteint ma lampe et mes pensées se sont estompées. Il venait de se mettre à neiger. Pure et fragile, la neige tombait enfin, séparant l’air et la terre, les vivants et les morts, la lectrice et le livre.

 

Page 150 : Tout projet qui détruit le monde perturbe aussi quelque chose d’intime, de tangible et d’autochtone, a repris Asema. Le riz sauvage n’est pas seulement un emblème culturel ou un aliment savoureux, c’est aussi une façon d’évoquer la survie de l’humanité.

 

Page 209 : Les nouvelles disaient que ceux qui mouraient avaient des problèmes de santé sous-jacents. Ça visait sans doute à rassurer certaines personnes — les super bien portants, les énergiques, les jeunes. Une pandémie est censée abolir les différences et tout niveler. Celle-ci a fait le contraire.

 

Page 335 : C’était l’heure dorée. Elle clôturait une journée de répit dans la chaleur de plomb. Une brise fraîche faisait parfois tomber de minuscules pommes vertes.

 

Page 344 : À ce stade de la pandémie, le pays de Gruen avait réussi à endiguer le virus, alors que le nôtre avait attisé sa propagation ; nous n’avions pour le moment plus le droit de voyager à l’étranger. Coincé aux États-Unis avec une bande de parias, dans une ville balafrée de flammes et de cendres, dans une république incertaine dirigée par un vieil escroc dégueulasse, Gruen avait été nassé et arrêté sur le pont de Minneapolis.

 

 

 

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Mon avis : Parcourir la Terre disparue – Erin Swan

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Juliane Nivelt

 

Éditions Gallmeister

 

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Quatrième de couverture :

En 1873, Samson, chasseur de bisons fraîchement immigré, parcourt les Grandes Plaines, plein d’optimisme devant son nouveau pays.
En 1975, Bea, adolescente enceinte et mutique, arpente le même paysage, et finit par atterrir dans une institution où un psychiatre s’efforce de déchiffrer ses dessins.
En 2027, après une série de tornades dévastatrices, un ingénieur abandonne son existence routinière pour concevoir une ville flottante sur le site de ce qui fut La Nouvelle-Orléans, où il fonde avec sa fille poétesse une communauté de rêveurs et de vagabonds.
En 2073, la Terre est entièrement noyée, et la jeune Moon n’a entendu à son propos que des histoires. Vivant sur Mars, elle s’interroge sur l’avenir de son espèce.
Parcourir la Terre disparue est l’histoire d’une famille, de celles et ceux qui, génération après génération, héritent d’un même rêve. Avec la même pugnacité et le même espoir, ils tentent de survivre sur une Terre qui se couvre lentement d’eau.


 

 

Mon avis :
Cet étrange roman m'a semblé, de prime abord, empli de solitudes et d'angoisses. Quelque chose d'hypnotique nous emmène à travers les vies de Samson, Moon, Bea, Paul, Kaiser, Michel-Ange, Penelope, Eva. C'est oppressant et addictif à la fois. On part de 1873 pour aller en 2073 puis en 1975 et ainsi de suite. Tous ces personnages sont de la même lignée ou très proches. On fait des allers-retours dans le temps, dans un désordre chronologique étudié. C'est quasi-hypnotique, on est emporté de lignes en lignes, de pages en pages sans avoir envie d'en sortir. Il y a tant de poésie dans ces mots, tant de justesse.

La narration m'a beaucoup évoqué la tradition orale, ces histoires familiales ou tribales qu'on se transmettait de génération en génération. Chaque personnage finit par composer un bout de la légende.
Un don de prescience incontrôlé dont chaque membre de la lignée semble avoir hérité.
Le cauchemar récurent d'un homme marchant dans un désert.
Une étoile rouge.
Le réchauffement climatique, les tempêtes, la montée des eaux, l'exode des populations, un avenir redoutable.

C'est un roman de fin du monde, de fin d'un monde et il m'a parfois donné envie de pleurer à l'idée de tout ce qu'on avait à perdre, de tout ce qu'on va perdre, par notre faute.
C'est tout à la fois de l'anticipation, de la science fiction, une dystopie et un roman écologiste. C'est terrifiant et beau. Ça nous parle d'un monde dévasté, d'avenir, de rêve, d'utopie, de folie.

J'ai trouvé ce roman d'une beauté calme et envoûtante. Il m'a totalement émerveillée. J'aurais voulu qu'il dure encore et encore. J'ai infiniment aimé les personnages, les lieux, les descriptions, tout, absolument tout.
Quand un roman m'enveloppe à ce point dans son ambiance, dans son propos, alors je me sens comblée. Et je me dis que j'ai de la chance d'aimer les livres car ils nous offrent des univers parallèles, d'autres vies dans la vie.
Ah vraiment !! Pourquoi ne l'ai-je pas lu avant ?

 

Citations :

Page ,97 : Même si elle n’en a pas envie, même si elle entend le cerf tousser sa peur et sa solitude aussi vaste que le ciel, elle s’exécute.

 

Page 100 : Selon mon père, les Américains étaient des hommes d’honneur qui se battaient pour la liberté. (Il rit.) La merveilleuse liberté de vendre, d’acheter, d’être de bons chrétiens et de violer ces terres. On aurait dû foutre la pais aux Indiens.

 

Page 127 : Il a vécu dans cinq familles d’accueil. Il se rappelle les sols à cause du temps qu’il a passé à les scruter — linoléum gris, moquette orange, contreplaqué souillé de taches de peinture. Certains parents s’intéressaient à lui, le bombardant de questions. La plupart l’ignoraient, déposant sur la table une barquette réchauffée au micro-ondes sans croiser son regard.

 

Page 157 : Paul se demande quel effet cela fait, de savoir d’où on vient.

 

Page 201 : Cette vie est merdique, Paul. Le moins qu’on puisse faire, c’est d’y injecter un peu de beauté.

 

Page 251 : Je quittais Kansas City pour suivre Pa. Nous faisions le même cauchemar, où un homme sans visage marchait dans le désert. Nous étions père et fille. Nous étions liés. Je ne pouvais y échapper.

 

Page 345 : Si on regarde une chose suffisamment longtemps, peu importe combien elle est fantastique, elle finit par devenir banale.

 

 

 

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Mon avis : Chasse à l’homme – Gretchen Felker-Martin

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Héloïse Esquié

 

Éditions Sonatine

 

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Quatrième de couverture :

Une épidémie a transformé tous les êtres humains à haut niveau de testostérone en des créatures uniquement mues par leurs besoins les plus primaires : se nourrir, violer, tuer. Tous les individus masculins sont ainsi devenus des zombies. Beth et Fran, deux femmes transgenres, sont chasseuses d'hommes. Elles ont en effet besoin d'absorber les œstrogènes contenus dans les testicules de ces derniers pour éviter la contagion. Bientôt, elles vont devoir affronter une armée de féministes radicales, qui haïssent davantage encore les transgenres que les hommes.


 

 

Mon avis :
On entre directement dans le vif du sujet avec un zombie répugnant dont on apprend que c'est à cause de sa testostérone qu'il en est là. Car oui, un immonde virus, le T. rex, transforme tous ceux dont le taux de testostérone est élevé. Donc les hommes sont touchés ainsi que les trans nés garçons qui n'ont pas eu le temps d'achever leur transition en se faisant faire une orchidectomie (oh le joli mot pour designer quelque chose de visuellement pas très beau MDR). Dès lors, ils ne pensent plus qu'à dévorer, tuer, violer.

Des trans femmes doivent consommer des testicule de zombies riches en œstrogènes pour contrer le virus qui risque de s'attaquer à eux. Iels (ah que ce pronom est pratique !) sont aussi la cible de TERF, féministes radicales, qui veulent les éradiquer car elles haïssent tout ce qui porte un chromosome Y, qu'iel soit devenu(e) femme ou pas. Donc pour Fran et Beth, deux trans femmes, il y a la traque des zombies pour leur becqueter les roubignoles tout en faisant attention de ne pas devenir leur objet sexuel et leur repas car ces derniers sont retournés à un état primaire, et la fuite devant une bande de TERF hyper agressives et dangereuses. La survie en permanence, le danger absolument partout et de toute nature. L'enfer sur terre.

Alors vu comme ça, ça peut paraître complètement déjanté ! Et vraiment c'est le sentiment que j'ai eu tout de suite. Mais ça traite d'un sujet de société terrible pour celleux qui le subissent : la transphobie. Et en amont, le sentiment d'injustice d'être né dans le mauvais corps et de pas parvenir à l'aimer tel qu'il est, l'incompréhension et le rejet de la plupart des gens y compris la famille, et le mépris, et la haine. Et puis dans ce monde là, les femmes trans sont terrifiée par le danger que leur biologie interne leur fait courir, à savoir se transformer en zombie.

Comment fabriquer un avenir à l'humanité quand celle-ci est amputée d'une moitié indispensable à sa pérennité ?
Ce roman nous dit que l'être humain sait s'adapter, n'est jamais à bout de ressource, mais parfois en pure perte.

Agressions, viols, trafics d'êtres humains, un monde chasse l'autre et tout perdure, mais cette fois c'est dans une société matriarcale. Une multitude de viragos qui veulent créer un monde à leur image, qui ne vaut pas mieux que celui d'avant, celui des hommes.

J'ai beaucoup aimé ce roman qui pourtant est d'une violence inouïe, où il est énormément question de sexe et de fureur guerrière dont l'unique but est de réduire à néant les porteurs du chromosome Y. On y trouve cependant infiniment d'amour, de loyauté, de solidarité et d'humour. Cette histoire est une déclaration d'amour et de sororité aux femmes transgenres et une dénonciation de l'intolérance.

 

Citations :

Page 16 : Sur son front, juste au-dessus de l’arête de son petit nez mutin en pente de ski, un tatouage austère : XX. Chatte certifiée 100 % naturelle par les Filles de la Sorcière-Qu’On-Ne-Peut-Pas-Brûler ou la quelconque divinité merdique du festival de musique Womyn’s du Michigan à laquelle la TERFocratie du Maryland prêtait allégeance. Merde.

 

Page 40 : Un hurlement d’homme s’éleva de nouveau dans les bois, pas très loin cette fois, et par un accord tacite, elles s’arrêtèrent pour regarder les oiseaux s’envoler des arbres en nuées tourbillonnantes. Beth se demanda, et ce n’était pas la première fois, s’ils se sentaient seuls, ces êtres qui étaient autrefois des hommes. Si leurs femmes, leurs mères, leurs filles, leurs copines et leurs dominatrices leur manquaient. Mais peut-être qu’ils étaient heureux désormais, libres de violer, de tuer et de manger qui ils voulaient, libres de chier, de pisser et de se branler dans la rue.

Peut-être ce monde était-il celui qu’ils avaient toujours voulu.

 

Page 152 : Pendant un an et demi, après avoir laissé tomber ses études, elle avait habité, au premier étage, un placard dégueulasse en guise de chambre, sortant à tour de rôle avec un casting tournant de colocs et d’ami.e.s d’ami.e.s : transboys maigrelets, gouines en cuir vénères, demi-sexuel.l.e.s à la coupe au bol à moitié ironique qui passaient des heures sur Tumblr à parler du genre et s’interrogeaient pour savoir si le nœud papillon était un marqueur de la lutte des classes, jusqu’à ce que chaque relation médiocre, inévitablement, se consume pour laisser place à une rancœur silencieuse, cassante.

 

Page 216 : Même si vous pensez sincèrement avoir eu une enfance de fille, en réalité, vous avez été élevés comme des hommes. Vous avez été élevés pour brutaliser, pour voler, pour mépriser les femmes qui vous ont élevés et ont sacrifié leur vie pour protéger la vôtre.

 

Page 346 : La fille battue lécha ses lèvres desséchées.
« Ce qu’on leur fait... » Sa voix était un croassement rauque, guère plus qu’un murmure. « C’est exactement la même chose que ce les hommes nous faisaient avant.

Ce sont des hommes.

Non. » La paupière de Karine se baissa. « Elles n’en sont pas, et je crois que vous le savez. »

 

 

 

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Mon avis : L’attrape-cœurs – J. D. Salinger

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Annie Saumont

 

Éditions Robert Laffont – Pavillon Poche

 

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Résumé :

Phénomène littéraire sans équivalent depuis les années 50, J. D. Salinger reste le plus mystérieux des écrivains contemporains, et son chef-d’œuvre, "L'attrape-cœurs", roman de l'adolescence le plus lu du monde entier, est l'histoire d'une fugue, celle d'un garçon de la bourgeoisie new-yorkaise chassé de son collège trois jours avant Noël, qui n'ose pas rentrer chez lui et affronter ses parents. Trois jours de vagabondage et d'aventures cocasses, sordides ou émouvantes, d'incertitude et d'anxiété, à la recherche de soi-même et des autres. L'histoire éternelle d'un gosse perdu qui cherche des raisons de vivre dans un monde hostile et corrompu.


 

 

Mon avis :
Ce qui m'a sauté aux yeux dès la première page de ce roman paru en 1951, c'est le langage désuet, comme dans J'irai cracher sur vos tombes : fumasse, extra, sensas', poilant, flanquer à la porte, se fendre la pipe, furax… Je trouve ça amusant, tellement hors du temps que ça m'a instantanément immergée dans l'époque.
Holden Caulfield se fait renvoyer pour manque de résultats juste avant Noël, de l'établissement dans lequel il étudiait. On sent un garçon perdu, qui n'arrive pas à s'intéresser à ce qu'on tente de lui enseigner. Il trouve les adultes pénibles, moralisateurs, infects… En réalité, à seize ans il ne se sent plus vraiment enfant, quoique par moment… et pas encore aussi assommant qu'un adulte. le cul entre deux chaises donc.

En fait, Holden Caulfield est un adolescent désœuvré qui ne sait pas ce qu'il veut, qui fait et dit n'importe quoi et le regrette souvent mais trop tard, qui ment beaucoup et se sent triste et déprimé. En bon ado qui se respecte, il est catégorique et manichéen. Tous des crétins, tous nuls, sales, moches, sauf sa sœur et ses frères.

À cause de son renvoi du collège, il décide de fuguer à New-York et on le suit dans ses tribulations et les nombreuses rencontres qu'il fait. Et là je vais être dissonante par rapport à la plupart des avis plutôt dithyrambiques, je l'ai trouvé rasoir (pour reprendre une expression de l'époque). Je me suis pas mal ennuyée, j'ai trouvé cette errance d'un ado à côté de ses pompes pas passionnante. Il exagère tout et se fait pas mal de films, mais ça, ça doit être la chose la plus intemporelle du monde à cet âge là. Et je l'ai trouvé ennuyeux, avec ses idées à l'emporte pièce, ses avis hyper négatifs sur tout et tout le monde. Il n'y a vraiment que quand il parle de sa petite sœur et de ses frères qu'il respire l'amour et l'admiration. J'ai aimé ces moments là.

Bref, il m'a un peu soûlée le môme Holden. Je me suis demandé s'il était bipolaire ou stupide, voire complètement abruti, ou peut-être génie incompris… Je n'ai pas été touchée par la grâce (oh le grand mot) car les gens négatifs, pour moi, sont des boulets qui vous tirent vers le bas. Néanmoins, c'est un livre qui fait avancer avec Holden car il a réussi à me faire rire, à force, avec son côté critique totalement excessif et injurieux envers tout le monde. On finit par le cerner un peu mieux au fil du roman et on se dit qu'il est surtout malheureux. En fin de compte c'est une histoire qu'on n'a pas envie de lâcher, on ne peut qu'aller au bout. Pourtant je persiste, je n'ai pas vraiment aimé…

 

Citations :

Page 18 : J’ai hoché la tête. J’ai la manie de hocher la tête. J’ai dit « Ouah ». Parce que, aussi, je dis « Ouah ». En partie parce que j’ai un vocabulaire à la noix et en partie parce que souvent j’agis comme si j’étais plus jeune que mon âge, j’avais seize ans à l’époque et maintenant j’en ai dix-sept et quelquefois j’agis comme si j’en avais dans les treize.

 

Page 20 : Ouah, vous pouvez pas vous figurer ce que j’étais fumasse d’être venu lui dire au revoir.

 

Page 25 : J’ai refermé la porte et j’étais dans la salle de séjour quand il m’a gueulé quelque chose, mais j’ai mal entendu. Je me demande si c’était pas « Bonne chance ! » J’espère que non. Merde, j’espère bien que non. Je crierai jamais « Bonne chance » à quelqu’un. C’est horrible, quand on y pense.

 

Page 49 : Je m’en foutais de pas voir le film. C’était supposé être une comédie avec Cary Grant et toute cette merde de stars.

 

Page 150 : À la fin du premier acte, on est sortis avec tous les autres connards pour fumer une cigarette. Vous parlez d’un plaisir. Dans toute votre vie vous n’avez jamais vu autant de mecs à la gomme qui fumaient comme des locomotives en discourant sur la pièce et en s’arrangeant pour que tout le monde puisse entendre leurs remarques subtiles.

 

Page 168 : À l’autre bout du bar c’était plein de pédés qu’avaient pas trop l’air de pédés – je veux dire qu’étaient pas trop à manières ni rien – mais on voyait tout de même bien que c’étaient des pédés.

 

 

 

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Mon avis : Le Grand Rouge - Wouzit

Publié le par Fanfan Do

Éditions Dupuis

 

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Résumé :

Ivan Barnave est un jeune homme libertin vivant de menus larcins. Avec son compagnon William Lameth, un vieil aventurier, ils vivent au jour le jour sans se soucier d'éventuelles poursuites. Cependant le seigneur Flandrin, pour qui un denier est un denier, est prêt à tout mettre en oeuvre pour retrouver ces deux malfaiteurs. Cette pugnacité cache-t-elle autre chose? Traqués, les deux complices seront rapidement rattrapés et condamnés. Ivan, conduit loin de son ami, fera une rencontre qui l'emmènera dans un tourbillon d'aventures, loin de toute civilisation, jusqu'au Grand Rouge.Chasses à l'homme, flashbacks, grandes évasions, amitié étroites, mythes ancestraux, survie en milieu hostile, rêves d immortalité... Voilà ce que vous réserve Le Grand Rouge! Servi par un univers graphique immersif et haut-en-couleurs, Wouzit livre ici un récit d'aventure extraordinairement riche et complexe.


 

 

Mon avis :
Cette BD est tout d'abord très déroutante. Chapitre 1, un naufragé arrive sur une île aux couleurs psychédéliques, avec des plantes étranges et des créatures dignes d'un trip sous acide.
Au deuxième chapitre il est quelque part dans un monde civilisé mais dans une époque antérieure à la nôtre. Il est recherché ainsi que son complice et ami. Ils ont escroqué un homme qui compte bien leur faire payer très cher son humiliation.
Chapitre 3 il est de nouveau dans l'île, où tout est dangereux, des monstrueuses créatures voraces aux plantes carnassières.
On alterne ainsi jusqu'à la fin, et on se doute bien que les deux mondes se rejoignent... mais en quoi ?

Et alors que dans un premier temps on ne sait pas où on va, j'ai trouvé le livre agréable et inspirant. J'ai aimé les deux univers. D'un côté une sorte de fable écolo où 
le Grand Rouge parle de son peuple et apprend sur les humains, de l'autre des pirates qui poursuivent un but qu'on ne connaîtra qu'à la fin.

J'ai énormément aimé le graphisme, que ce soit dans l'île où c'est hyper coloré que dans le reste de l'histoire ou c'est beaucoup plus sobre. J'ai beaucoup moins aimé la police de caractère que je n'ai pas trouvée facile à lire bien qu'on s'y habitue, mais c'est néanmoins une histoire qui m'a plu et bouleversée. Car au fond ça raconte l'éternel humain, pas très glorieux et sans aucune éthique beaucoup trop souvent.

Reçu dans le cadre de Masse critique graphique, merci infiniment à Babelio.

 

 

 

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Mon avis : Bien sûr que les poissons ont froid – Fanny Ruwet

Publié le par Fanfan Do

Éditions L’Iconoclaste

 

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Quatrième de couverture :

Vous tenez entre les mains l'irrésistible roman de Fanny Ruwet...
Il parle de dépression, de rencontres amoureuses sur les réseaux sociaux, de crise existentielle et d'alcoolisme mondain. Il nous embarque dans une intrigue à couper le souffle. Et évidemment, la fin va vous surprendre.
C'est un livre truffé de blagues, contrairement à cette présentation, son éditeur ayant mois d'humour que son autrice. Vous allez verser quelques larmes, mais surtout rire, beaucoup rire.
Et ça, c'est rare en littérature, non?

 

Humoriste belge, Fanny Ruwet est à 28 ans une figure montante de la scène comique. Depuis 2018, elle tient un billet d’humeur dans l’émission « La Bande Originale » sur France Inter. En trois ans, elle a rencontré un succès incroyable avec son spectacle Bon anniversaire Jean. Bien sûr que les poissons ont froid est son premier roman.


 

 

Mon avis :
Fanny Ruwet tient un billet d'humeur dans l'émission de Nagui et Leïla Kaddour-Boudadi "La bande originale" sur France Inter et c'est toujours d'une drôlerie à tomber par terre, un humour ravageur qui me fait énormément rire… J'adore !! Et ça, c'est son premier roman, que je ne pouvais absolument pas rater. Je me le suis donc offert pour Noël.

Après avoir quitté Alexandre et pendant la dégustation d'un pain-saucisse avec son pote Maxime, Allie lui raconte sa folle histoire d'amour avec Nour, un ado de Montpellier, via internet, quand elle avait 15 ans et qu'elle s'ennuyait l'été. Elle l'avait rencontré sur un blog de folk, et rapidement ils s'étaient mis à roucouler comme deux crétins tout juste pubères. Puis ils se sont perdus sans jamais s'être rencontrés. Et c'est vraiment drôle les pensées pseudo romantiques stupides qu'on peut avoir à cet âge là. Ça doit être intemporel, ça m'a rappelé ma propre adolescence XD. Maxime lui propose alors de chercher à retrouver Nour.

Elle raconte aussi sa famille un peu déglinguée, avec humour et autodérision : Notre famille était en miettes, mais au moins tous les morceaux étaient ensemble. Et aussi ses terreurs existentielles, ses histoires de coeur, ses histoires de cul avec parfois quelques révélations qui lui sautent aux yeux de façon très crue et tellement drôle !!! Ses rendez-vous foireux, son attirance pour les filles, sa peur de retrouver Nour et d'abîmer les souvenirs avec la triste réalité.

Alors ce livre est véritablement un page turner ! D'abord, il est drôle et je peux même dire qu'à chaque punchline un peu crue, j'étais morte de rire et j'entendais la voix de 
Fanny Ruwet, que j'adore écouter… je l'ai déjà dit !? Ah ouais… Et puis il dit (le livre ;) ) des choses assez profondes et belles, et parfois tristes, parce que la vie c'est plein de tout. Ensuite, la recherche de Nour en mode Maigret 2.0 (ou 3.0 ou 4.0, je ne sais pas où on en est arrivé XD) m'a tenue en haleine jusqu'au bout et j'ai adoré !
Et à part internet, qui n'existait pas quand j'avais 27 ans, je me suis pas mal reconnue dans ce personnage un peu barré qu'est Allie, et ça m'a fait comme un voyage dans le temps.

Et sinon, connaissez-vous la différence entre Hermione Granger et Effy Stonem, Debra Morgan, Fleabag, Eve Polastri, 
Alex Rider, Holden Caulfield (oups pas encore lu L'attrape-coeur), Rue Bennett, Molly Moon ?? Il n'y a que Hermione Granger que je connais. Je dois avoir dépassé la limite d'âge pour certaines de ces références Hi Hi ! Il y a d'autres réf que j'avais à force de les entendre de mes enfants qui sont de la génération de l'autrice, ouf !.. L'honneur est presque sauf… Pour le reste, merci internet… Et la réf pour les vieux à la fin, ben je ne l'ai pas vraiment… oups, je suis hors d'âge MDR.

Pour résumer, j'ai adoré cette histoire d'une meuf un peu bipolaire, un peu pochtronne en soirées, à fleur de peau avec un cœur grand comme ça (désolée, il manque le geste), un chat, et un meilleur ami au top !!! Et tellement rigolote !

Et vraiment, que 
Fanny Ruwet soit éditée chez L'ICONOCLASTE, c'est énorme ! Ça lui va tellement bien MOUAHAHAH !!!
Bon, ben moi je vais aller lire L'attrape-cœur hein !

 

Citations :

Page 25 : J’ai toujours trouvé ça bizarrement agréable, de rester cloîtrée à l’intérieur quand il fait chaud. Ça me donne l’impression d’être dans un bocal sous pression. D’exister en dehors du monde et d’avoir accès à des heures secrètes dont personne ne soupçonne l’existence.

 

Page 27 : Déjà à l’époque, j’étais obsédée par les oiseaux blessés (mon préféré, c’est le poulet) et ça n’a jamais changé : dès que les gens sont tristes, j’ai envie de prendre soin d’eux. De les serrer contre moi et de leur répéter que tout ira bien. Parfois, je me dis que je devrais draguer dans les salles d’attentes de psy. « Ce qui m’a plu chez lui ? Ses traumas. Je l’ai aimé à la seconde où j’ai compris qu’on allait mutuellement se tirer vers le bas. »

 

Page 51 : Ça me bute que les gens puissent avoir envie de faire des gosses alors qu’on passe clairement sa vie d’adulte à essayer de se remettre de son enfance.

 

Page 91 : Je savais que je lui plaisais. Il me courait après depuis plusieurs mois en n’ayant apparemment pas compris deux choses : qu’il avait établi un campement définitif dans ma friendzone et que, clairement, en dehors du petit crush que j’avais eu sur Nour, je préférais les filles.

 

Page 93 : En étant une fille et en aimant les filles, il n’était pas possible d’exister en tant que personne. Un peu comme les femmes sans enfant, les lesbiennes ne sont pas considérées comme des êtres accomplis et épanouis : «Il y a tellement de choses qu’elles ne peuvent pas comprendre ». Une lesbienne l’est forcément par ignorance, « parce qu’elle ne sait pas ce qu’elle rate ».

 

Page 195 : Un des trucs qui me déprime le plus au sujet des gens morts, c’est qu’il n’y aura jamais de nouvelles photos d’eux.

 

 

 

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Mon avis : Gueule de Truie – Justine Niogret

Publié le par Fanfan Do

Éditions Critic

 

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Quatrième de couverture :

L'Apocalypse a eu lieu.

Pour les Pères de l'Église, elle a été causée par Dieu lui-même. Comme la Terre est morte, ils n'ont plus qu'un seul but : détruire le peu qui reste, afin de tourner une bonne fois pour toutes la page de l'humanité.

À leur service, Gueule de Truie, inquisiteur. Dès le plus jeune âge, on lui a enseigné toutes les façons de prendre la vie. Caché derrière le masque qui lui vaut son nom, il trouve les poches de résistance et les extermine les unes après les autres.

Un jour, pourtant, il croise la route d'une fille qui porte une boîte étrange, pleine de... pleine de quoi, d'abord ? Et pourquoi parle-t-elle si peu ? Où va-t-elle, et pourquoi prend-elle le risque de parcourir ce monde ravagé ? En lui faisant subir la question, Gueule de Truie finit par se demander si elle n'est pas liée à son propre destin, et si son rôle à lui, sa véritable mission, n'est pas de l'aider à atteindre l'objectif qu'elle s'est fixé, et peut-être même d'apprendre à vivre.


 

 

Mon avis :
Dans un monde dévasté, un enfant assiste aux tortures perpétrées par une sorte d'inquisition post-apocalyptique. Il sait qu'il est sur le point de devenir l'un d'eux et même s'il a peur, il ne dit rien. Cet enfant, c'est celui qui sera 
Gueule de Truie, qui aura la charge de superviser la capture des survivants pour les soumettre à la question afin d'éradiquer l'espèce humaine. Il n'est qu'un exécutant plein de colère et de haine, et son nom lui vient de son masque. Car son visage est caché. Et il obéit aveuglément aux Pères de l'Église.

Des humains errent sur cette planète que tout le monde dit morte, où çà et là se trouvent des forêts pétrifiées que toute vie a désertées. À la recherche de quoi ? Ou plutôt, que fuient-ils ? Ils se cachent partout, dans des immeubles en ruine, dans des sous-sols, dans les bois. Et pourquoi faut-il les anéantir ces humains apeurés ?

Ça frappe, ça écorche, ça injurie, ça torture, à tour de bras, c'est extrêmement violent.
Dans ce monde là, les dominants appliquent ce qu'ils interprètent comme étant la volonté de Dieu, comme dans le nôtre d'ailleurs, implacablement, férocement, sans faiblir, sans état d'âme. Ils dictent des lois ignobles et prétendent qu'elles sont divines : "Dieu n'est pas un hasard. Dieu est un secret et Dieu est un mystère".


Gueule de Truie a été endoctriné dès l'enfance dans la violence extrême et la haine de l'humanité. Il ne peut penser autrement. C'est ancré en lui, depuis toujours. Il faut tuer ces saloperies d'humains qu'il hait par dessus tout. Il se hait aussi lui-même et abhorre tout contact physique. Pourtant, un jour…

C'est poisseux, désespéré, nihiliste, et on se demande s'il y aura une lueur d'espoir au bout de ce tunnel de douleur et de sang. Beaucoup de pensées obscures et de souvenirs flous nous mènent à travers ce monde. 
Gueule de Truie croit obscurément que Dieu est omnipotent. D'autres savent ce qui est arrivé. le chemin qu'il croyait tout tracé pour lui va prendre des voies inattendues.

L'écriture de 
Justine Niogret est belle et addictive. Elle parvient à maintenir l'intérêt du lecteur tout en distillant avec lenteur et parcimonie les différents éléments de son récit. La violence est plus suggérée que décrite et c'est sans doute ça qui rend cette lecture possible sans tourner de l’œil.

La quête menée m'a semblée assez obscure, introspective, voire métaphorique et onirique. J'ai cru comprendre, et puis non, et puis peut-être, mais en fait pas sûr… J'ai pourtant beaucoup aimé. Mais je sens que je vais m'interroger longtemps sur ce qu'il y avait à comprendre. En réalité, je me demande si l'autrice n'a pas fait une telle fin pour amener le lecteur à se poser des questions existentielles et construire son propre épilogue.

 

Citations :

Page 19 : Le masque est neutre à l’intérieur ; protection, barrage. L’enfant respire. Il comprend que ce visage le retire du monde. Il serre sa veste autour de son cou, la ferme jusqu’au dernier bouton. Il note qu’il devra mieux les coudre, plus haut, plus serré, mieux cacher sa peau. Il n’est plus que cuir et métal. Chaque tache de rose est devenue une erreur.

 

Page ,25 : Dans le zoo, une femme pousse un long cri. Sans doute perchée sur une grille, un des morceau de métal planté dans le ventre. On est pressé, la Troupe n’a pas que ça à faire. Cette fois-ci, on évite les installations de croix ou les pendaisons.

 

Page 75 : Gueule de Truie fait attention avec l’homme. Il n’aimerait pas le casser. Il n’a même pas envie de le Questionner. Au début, oui, mais c’est passé. Le vieux a supporté beaucoup, déjà, et ses yeux vivent encore. Gueule de Truie sait quand l’esprit quitte le corps, quand il ne reste que la viande. Le vieux est toujours là.

 

Page 149 : Je crois que tu parles parce que tu voudrais forcer les choses dans des… Des. Des formes. Parce que les formes, tu peux les ranger. Mais des mots y’en a pas, quand on vit. T’as qu’à sentir. T’as qu’à comprendre ce qu’on peut pas dire.

 

Page 154 : Ça n’a rien à voir, il ajoute. Les corps. La façon de manger des autres. Là-bas ils étaient fous. C’était pour faire mal. Il n’y a rien à chercher. Envahir. J’ai vu la mer, une fois. C’est pareil. On peut pas être envahi. Ou comme l’orage. On peut pas le contenir. On ne peut pas l’emprisonner. Ce que tu cherches, là, ça n’a pas de sortie. Ils veulent faire mal au tonnerre, mais on ne peut pas lui faire mal.

 

Page 192 : Non, l’amour est mort bien avant le Flache. Trop servi, trop usé. Mis sur des gens incapables de le comprendre, ou de vivre ce qu’il risque de faire perdre. Fleurs, bagues, phrases de promesses, lettres, baisers figés, non. Non.

 

Page 217 : J’ai pris ton silence pour de l’intelligence. Mais j’aurais dû comprendre que ce que je pensais être toi n’était qu’un écho de moi-même, chuchoté dans le vide que tu représentes.

 

 

 

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Mon avis : Tiohtia:ke [Montréal] – Michel Jean

Publié le par Fanfan Do

Éditions Du Seuil – Voix Autochtones

 

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Quatrième de couverture :

Elie Mestenapeo, un jeune Innu de la Côte-Nord, au Québec, a tué son père alcoolique et violent dans une crise de rage.
Il a fait 10 ans de prison.
À sa sortie, rejeté par les siens, il prend la direction de Montréal où il rejoint rapidement une nouvelle communauté : celle des Autochtones SDF, invisibles parmi les invisibles.
Il y rencontre les jumelles innuk Mary et Tracy, Jimmy le Nakota qui distribue des repas chauds au square Cabot, au cœur de la ville, mais aussi Mafia Doc, un vieil itinérant plus ou moins médecin qui refuse de quitter sa tente alors que Montréal plonge dans le froid polaire…
Dans ce roman plein d’humanité, Michel Jean nous raconte le quotidien de ces êtres fracassés, fait d’alcool et de rixes, mais aussi de solidarité, de poésie et d'espoir.


 

 

Mon avis :
Pour bien commencer 2024 il me fallait un bon livre. Avec celui-ci j'étais sur d'être emportée, dans une histoire certes douloureuse, mais profonde.

Élie Mestenapeo a tué son père dans un accès de fureur. Un père alcoolique et violent. Par la justice des blancs, il a pris dix ans de prison. Mais la justice de son peuple est bien pire. Chez les Innus, pour un tel crime, c'est le bannissement à vie. Pas de rédemption, pas de pardon. le jour de sa sortie de prison, il se retrouve seul au monde. Et moi ce que j'ai ressenti au moment de sa libération, c'est de la peur. Il m'a semblé que le monde était trop grand pour quelqu'un qui n'a plus personne, effrayant et bien plus dangereux que ce qu'il est pour tous ceux qui ne marchent pas seuls.

Il part à Montréal, vivre la vie des SDF appelés itinérants au Québec, et va rencontrer beaucoup d'autochtones. La dureté de la vie, la faim, le très grand froid, tout cela sera son quotidien. Mais il rencontrera aussi l'amitié, qui, dans la rue, est aussi rare que précieuse.

J'ai aimé ce que ça nous raconte, l'histoire des autochtones, spoliés par les Blancs. Cris, Atikamekw, Anishinabe, Innus, Inuit, Mikmaks, Mohawks, tous ces noms qui pour moi évoquent les grands espaces, la vie en harmonie avec la nature, sont ici l'écho de ce que l'homme blanc leur a fait. Voler leur terre, démanteler leur culture, disperser les familles, tenter de les effacer, envoyer les enfants dans des pensionnats tenus par des religieux pervers. Beaucoup d'autochtones en ont perdu le sens de leur existence, ont sombré dans l'alcool ou la drogue et parfois les deux, se sont souvent noyés dans ce monde de Blancs qui ne veut pas d'eux. C'est triste et révoltant. 
Michel Jean leur rend leur voix avec ce récit, basé sur une vie réelle, en nous montrant la terrible vérité de ce pays et le côté sombre de son Histoire.

Au fil du roman, l'auteur nous raconte des existences, celles des personnes qu'Élie va croiser dans son errance au cœur de Tiohtiá:ke, les jumelles Inuit Mary et Tracy, Jimmy le Nakota, Geronimo le Cri, Mafia Doc ce drôle de personnage, "Caya" le Mohawk qui aime citer Vilain Pingouin qu'il connaît par coeur, Lisbeth, Kalina, Charlie, Lucien, Randy et tant d'autres. Beaucoup meurent dans l'indifférence du bon peuple. Des femmes disparaissent dans un silence total. Autant de vies auxquelles 
Michel Jean donne une consistance, une tribune, une réalité. Des personnages auxquels ont s'attache énormément.

Mais ce roman ne raconte pas que la rue. Il nous parle de grands espaces, de coutumes ancestrales perdues, de pèlerinage mais aussi d'entraide car il faut bien un peu de joie et d'espoir dans une vie ! Il nous dit que parfois il y a une lumière au bout du tunnel, qu'il faut savoir saisir sa chance, que rien n'est jamais définitivement foutu, que les apparences peuvent être trompeuses, qu'il faut savoir accepter les mains tendues. Ce roman nous dit surtout qu'en dépit de toutes ses douleurs, la vie offre des vrais moments de bonheur.

L'écriture de 
Michel Jean rend tout très vivant, très réel, et embarque le lecteur dès les premières lignes pour ne le lâcher qu'au mot Fin. C'est un plaisir infini que d'entrer dans une telle histoire. D'ailleurs, je l'ai lue d'une traite.
Et encore merci à @vleel qui m'a fait gagner ce livre.

 

Citations :

Page 17 : Le temps s’écoule au compte-goutte en prison. Chaque détenu compte les jours qui le séparent de sa liberté et quand l’un d’eux est libéré, tous les autres le regardent partir avec une pointe de jalousie. Pourtant, Élie ne sait pas s’il a envie de sortir. Personne ne l’attend à l’extérieur. Il n’y a pas une auto avec une femme à l’œil humide à son bord qui surveille la porte, dans l ‘attente de le voir émerger. Il n’y a que le vent qui souffle sur le pénitencier et la forêt qui l’entoure.

 

Page 28 : Souvent, les filles avaient des enfants en espérant que ça leur attacherait le type duquel elles s’étaient amourachées.

 

Page 47 : Élie et Geronimo sont les seuls autochtones du village, mais ils en croisent régulièrement dans la rue. Ils vont de plus en plus souvent au square Cabot, à l’autre bout de la ville. Ils s’y rendent pour la popote roulante de Jimmy le Nakota, qui offre le repas du soir. Dans la file d’attente, les gens s’expriment en cri, en atikamekw, en innu, en algonquin, en innuktitut, ces langues anciennes qui, pourtant, paraissent étrangères aux passants pressés du centre-ville.

 

Page 51 : Une dépression d’air arctique descendu de la baie d’Hudson se répand dans tout le centre du Québec et tient Montréal dans un étau, comme un crabe sa proie. Les écoles ferment, les automobiles refusent de démarrer, les médias parlent de record de température et les gens s’enferment chez eux.

 

Page 64 : Les gens vivent, meurent, vous quittent, mais les lieux et les souvenirs vous ramènent à eux, comme des remords.

 

Page 99 : Autrefois, les femmes apprenaient cet art de leur mère et de leur grand-mère. Mais c’était avant que le gouvernement du Québec oblige les Inuit à abandonner leur vie nomade et les regroupe de force dans des villages où les maisons préfabriquées ont remplacé les igloos, où les motoneiges ont pris la place des traîneaux et des chiens, et où les gens noient maintenant leur mélancolie dans l’alcool, la drogue et toutes les violences que l’homme blanc a apportées dans son sillage.

 

Page 125 : Quand on a été seul pendant si longtemps, comment fait-on pour accueillir la tendresse des autres ? Comment croire qu’on peut compter pour quelqu’un ?

 

Page 131 : Ces soupers autour du feu lui offrent les moments qu’il préfère. En ce début de soirée, alors que le soleil couchant disperse des reflets rosés sur les flots argentés de la Bersimis, il fait une prière pour les animaux qui ont donné leur vie. Ainsi, chacun a sa place dans la nature. Et il a ici la sienne.

 

Page 133 : La beauté du paysage à Tadoussac est stupéfiante. Le Saguenay, puissant et austère, transporte les eaux de Pekuakami, le grand lac innu, jusqu’au golfe majestueux. Deux mondes, celui des rivières et celui de la mer, se marient au milieu de remous ombrageux et puissants.

 

 

 

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