Mon avis : Le Pays du Dauphin Vert – Elizabeth Goudge
Traduit par Maxime Ouvrard
Éditions Libretto
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Quatrième de couverture :
Une rue peut être un univers, l'endroit où tout se joue. Lorsque sa famille emménage rue du Dauphin-Vert, en plein dix-neuvième siècle, dans une bourgade des îles Anglo-normandes, William se lie d'amitié avec la jolie Marguerite et la grave Marianne, toutes deux ses voisines. On rêve, on rit, on pleure et l'on se moque du jeune garçon qui, en dépit de sa préférence marquée pour Marguerite, ne peut s'empêcher de mélanger les prénoms des deux sœurs… Un « détail » vraiment ? Un petit rien, croit-on, que cette confusion. Elle bouleversera pourtant le cours de bien des existences…
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Mon avis :
Dans les îles Anglo-normandes au milieu du XIXème siècle, vivent deux sœurs adolescentes très différentes l'une de l'autre. Il y a la belle et rayonnante Marguerite généreuse et magnanime, et son aînée Marianne, ombrageuse et pas jolie, qui rêve de voyages, de découvertes et de liberté, toutes ces choses réservées aux hommes à cette époque. Elle est notamment fascinée par les bateaux qui arrivent de leurs longs périples en mer.
Les deux sœurs sont aux antipodes l'une de l'autre. Marguerite, la cadette est grande et douce, blonde aux yeux bleus, elle respire le bonheur simple. Marianne, l'aînée est petite et sèche, brune aux yeux marrons, elle est cynique et calculatrice, égoïste, ambitieuse, très cultivée et très intelligente, et totalement glaçante dans sa façon d'envisager son avenir. Rien ne doit lui résister. William, le jeune voisin est comme Marguerite, joyeux et toujours heureux. D'ailleurs, de la façon dont ils sont décrits, j'ai vraiment eu l'impression d'avoir affaire à deux imbéciles heureux. Beaux, solaires, mais très naïfs et rieurs. Hélas, les deux sœurs vont tomber follement amoureuses de William.
C'est un roman rempli de tant de choses !.. gorgé de l'humanité qui vit et respire, sourit et souffre, de ses choix et de ses erreurs. C'est vertigineux tout ce qui est raconté là, des vies entières, la croisée des chemins, une méprise qui peut changer plusieurs destins à tout jamais et gâcher des vies. J'ai eu tellement envie de crier avec effarement "MAIS POURQUOIIIIIIIIII ?????" Pourtant on l'a vu arriver la catastrophe !
C'est aussi un roman d'aventure, qui nous fait découvrir le monde du XIXème siècle, avec ses bateaux à voiles et ses pays lointains en voie de colonisation avec des descriptions détaillées et magnifiques. J'ai trouvé ça passionnant. Tout est tellement bien décrit…
Alors oui, il y a une histoire d'amour, et même plusieurs en une, mais c'est essentiellement une histoire de duplicité, de trahison et d'aveuglement. C'est surtout l'histoire d'une époque où le seul avenir possible pour une femme était le mariage. J'ai aimé tous les personnages de cette histoire au long cours, qui nous emmène sur plusieurs décennies, notamment le capitaine O'Hara ou encore Tai Haruru, le maori blanc, mes préférés.
J'ai détesté Marianne, dominatrice, arrogante, jalouse et horriblement vaniteuse, dont l'égocentrisme absolu ne l'incite à faire le bien que pour briller aux yeux des autres. C'est une personne superficielle et totalement abjecte, qui ne se soucie pas du bonheur des autres mais uniquement du sien. Pourtant l'autrice essaie de lui trouver des qualités. Hélas, ses défauts sont rédhibitoires.
Ce roman est un GROS pavé, 800 pages rien que ça, et c'est écrit tout petit. J'ai eu souvent l'impression de ne pas avancer surtout dans la première moitié, pourtant je ne me suis jamais ennuyée. On a droit à des multitudes de descriptions : les îles Anglo-normandes, la marée basses et les coquillages dans les flaques, un couvent perché sur un rocher isolé, les habitations, les bateaux, les traversées en mer, les tempêtes, les villes du bout du monde, l'histoire des maoris et leurs coutumes, les états d'âme et les sentiments des protagonistes ainsi que leur foi en Dieu ou pas, mais aussi leurs nombreuses tenues vestimentaires, les pays traversés et tant d'autres choses encore avec moult détails qui s'étalent sur des pages et des pages, sans que jamais l'ennui ne s'installe. C'est miraculeux !
Je suis passée par tout un tas d'émotions à cette lecture, la joie, la peur, la consternation, l'espoir, la colère, le soulagement, plusieurs fois, comme une ronde sans fin. J'ai aimé ce roman passionnément, qui nous raconte plusieurs décennies, et à la toute fin je dois avouer que l'âme humaine demeure un mystère pour moi car, comment peut-on faire preuve d'autant d'abnégation ?
Citations :
Page 52 : Et, pendant un court instant, au fond de son cœur, elle reconnut la supériorité de William. Puis elle repoussa cette idée très loin d’elle, afin qu’elle ne revînt plus la troubler de toute sa vie. Elle était Marianne Le Patourel, la personne la plus importante de son monde, et elle avait accordé à cet être jeune et magnifique qu’était William Ozanne l’inestimable trésor de son amour. Il était à elle. Elle le formerait. Il était désordonné, paresseux, sale, mal élevé, et il y avait une certaine faiblesse dangereuse dans son caractère. Mais elle changerait tout cela.
Page 72 : Marianne aussi était en proie à une curieuse sensation. Ses mains étaient serrées, et ses yeux avides ne quittaient pas le visage du capitaine O’Hara. Comme le monde était vaste, magnifique, terrible, plein de merveilles et d’aventures ! Quand on est un homme, on n’en peut connaître, avant de mourir, qu’une bien petite partie ; mais si l’on est femme, on a peu de chance de jamais quitter l’île où l’on est née…
Page 90 : Vous êtes une femme, ma petite ; les femmes ne peuvent pas être docteurs, et ne le seront jamais. Dieu merci ! La place d’une femme est à la maison, à faire de la couture et à prendre soin de sa précieuse santé.
Page 93 : Il est horrible d’être une femme. On ne semble même pas capable d’avoir ce qu’on veut. Il faut que ce soit un homme qui le donne. Papa ne m’autorisera jamais à étudier les choses qui m’intéressent, comme la mécanique et les autres sciences du même genre. C’est son orgueil qui parle… Il préfère que je sois féminine qu’heureuse. Il est étrange n’est-ce pas ? Que les parents ruinent ainsi souvent par simple orgueil, la vie de leurs enfants.
Page 123 : - Lorsque nous aurons vu les empreintes, nous ramasserons des patelles pour le dîner, dit Marianne. C’est très bon cuit.
Marguerite soupira. Elle n’aimait pas détacher les pauvres patelles des rochers, simplement pour corser un repas destiné à des gens qui, en réalité, se suralimentaient. Pourquoi des êtres humains avides devaient-ils dévorer des innocentes créatures de la mer ?
Page 170 : À ce moment, elle était plus qu’elle-même, pensait William, et il la contemplait avec ravissement depuis la porte. Quelque chose s’était emparé d’elle, quelque chose de divin que les hommes vénéreraient toujours. Elle était la femme qui donne son corps à l’homme pour assurer son immortalité sur la terre, divine Déméter, qui ouvre son sein au soleil et à la pluie afin que la graine y puisse prendre vie.
Page 261 : Rien de ce qui est vivant ne devrait être traité avec mépris. Tout ce qui vit, que ce soit un homme, un arbre ou un oiseau, devrait être touché délicatement, car le temps de la vie est court.
Page 294 : Sophie ne connaissait pas grand-chose sur les grands voyages. En fait, elle savait simplement que les jeunes femmes devaient toujours descendre dans les Hôtels de la Tempérance, si elles ne voulaient pas être molestées par les hommes.
Page 441 : - C’est cette conception de la réalité comme un lieu qui fait de certains êtres des pèlerins et des voyageurs, observa la révérende mère. Ils doivent toujours quitter le pays où ils sont nés pour en chercher un autre meilleur. Ce sont des créateurs, des pionniers, des constructeurs de nouveaux mondes. Je crois pourtant qu’ils sont rarement satisfaits. Ils ne peuvent jamais construire quelque chose de parfait. Le pays qu’ils désirent est à la fois en eux et hors des limites de ce monde, mais il ne leur vient pas à l’idée de le chercher là où il est.
Page 592 : - On doit lutter contre l’erreur, partout où on la rencontre, dit Samuel sentencieusement. Ces enfants sont dans l’erreur quand ils adorent leurs dieux de la nature, le vent, la forêt et l’eau. Ces dieux sont simplement la personnification de leur propre désir de s’unir à la beauté de la nature.
Page 734 : « Europe, si ancienne et si belle, adieu ! Adieu ! Paradis de ma jeunesse, adieu ! Je ne te reverrai plus avant que ma vie ait parcouru sa révolution, et la porte par laquelle un enfant est sorti sera la porte par laquelle une vieille femme entrera... »
Page 759 : Il ne savait pas, avant de l’avoir revue, à quel point les corps peuvent être modelés pas l’esprit, de telle sorte qu’avec l’âge les âmes sympathiques ne se reconnaissaient les unes les autres que plus facilement.
Page 763 : Il n’était pas facile, assurément, de renoncer à toute certitude temporelle simplement pour adorer quelque chose qui, en dépit de tout ce qu’on pouvait dire et faire, devait rester jusqu’à la fin de la vie un mystère impénétrable.
Page 779 : Elle avait toujours voulu marquer la vie de son empreinte. Le ciel seul pouvait savoir combien il pourrait lui en coûter de se résigner à être la cire et non pas le sceau.