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Mon avis : Prières pour celles qui furent volées – Jennifer Clement

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Patricia Reznikov

 

Éditions j’ai lu

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Ladydi, quatorze ans, est née dans un monde où il ne fait pas bon être une fille. Dans les montagnes du Guerrero au Mexique, les barons de la drogue règnent sans partage. Les mères doivent déguiser leurs filles en garçons ou les enlaidir pour leur éviter de tomber dans les griffes des cartels qui les "volent. Pourtant, Ladydi et ses amies rêvent à un avenir plein de promesses, qui ne serait pas uniquement affaire de survie. Portrait saisissant de femmes sur fond de guerre perdue d'avance, Prières pour celles qui furent volées est une histoire inoubliable d'amitié, de famille et de courage.

 

 

Mon avis :
Ce roman est d'une violence inouïe envers les femmes. Il nous rappelle qu'en certains endroits du monde, nous ne sommes rien de plus qu'une marchandise qu'on peut voler, surtout les filles et surtout lorsqu'elles sont belles. Les narcotrafiquants qui arrivent en 4x4, armés jusqu'aux dents, font leur marché en les emportant. Mais il y a aussi les bébés-poubelle, les chirurgiens qui ne se déplacent dans certains endroits que protégés par l'armée. C'est incroyable le niveau de danger de ce coin du monde.

La narratrice est Ladydi, une enfant qui raconte son quotidien et vous assène sa réalité comme un uppercut, froid, banal, violent, insupportable. Il y a la dureté de la vie pour ces femmes qui élèvent leurs enfants seules, car les hommes prennent la fuite sans se retourner, se libérant ainsi de leurs entraves familiales, laissant parfois comme dernier souvenir le VIH. Car les hommes arrivent à s'échapper, les femmes plus rarement.

Heureusement, Ladydi a ses amies, Estefani qui a une belle maison, Paula qui est la plus belle fille de tout le Mexique, et Maria qui a un bec de lièvre la "veinarde", car elle ne risque pas d'être enlevée, ELLE ! Elle nous raconte sa complicité avec ses trois amies, l'école, les mères en manque d'homme, la sienne qui boit trop, qui ment, qui vole, les superstitions, les signes que quelque chose va arriver, les punitions divines, l'armée qui les empoisonne, tout ce qui fait leur vie et nous montre qu'elles sont les oubliées du monde. Et quand au détour d'un fait elle dit "on ne l'a plus jamais revue", c'est juste glaçant. Cette simple phrase est comme une plongée dans le néant. Comme si quelqu'un pouvait disparaître comme ça, juste comme ça. Elle était là, elle n'est plus là. Tout le monde sait, mais personne n'en parle. À quoi bon ?

Au fil de sa narration, Ladydi fait de nombreuses digressions vers des souvenirs et le passé de tous ses proches ce qui nous apprend beaucoup sur leurs vies mais aussi sur la façon dont les choses ont pu dégénérer à ce point pour les habitants du Guerrero. Elle paraît étonnamment plus mûre et plus sage que sa mère, et cela très tôt. Mais peut-on échapper à ce qui nous attend quand on vient au monde avec une aussi mauvaise donne ?
Là-bas, tout le malheur des femmes vient des hommes.

Je me suis laissée emporter dans cette histoire de filles, de femmes, qui sont toujours celles qui souffrent le plus chez les êtres humains, dans beaucoup d'endroits du monde, parce qu'il y a longtemps des hommes ont décidé qu'ils étaient les maîtres du monde et qu'ils pouvaient disposer des femmes comme bon leur semblait, sans états d'âme et sans respect. Cette histoire d'une dureté effroyable est pourtant remplie d'amour et de sororité.


 

Citations :

Page 19 : Nos hommes traversaient la rivière jusqu’aux États-Unis. Ils trempaient leurs pieds dans l’eau, puis entraient dedans jusqu’à la taille, mais ils étaient morts lorsqu’ils arrivaient de l’autre côté. Dans cette rivière, ils se défaisaient de leur femmes et de leurs enfants et entraient dans le grand cimetière américain.

 

Page 24 : Lorsque mon père est parti, ma mère, qui n’avait jamais mâché ses mots, a dit :

- Ce fils de pute ! Ici, on perd nos hommes, on attrape le sida par leur faute, à cause de leurs putains américaines, nos filles se font enlever, nos fils partent, mais j’aime ce pays plus que ma propre vie.

 

Page 42 : Ruth était née d’un sac-poubelle en plastique noir rempli de couches sales, d’épluchures d’oranges pourries, de trois bouteilles de bière vides, d’une cannette de coca et d’un perroquet mort enveloppé dans du papier journal. Quelqu’un à la décharge, avait entendu des cris qui venaient du sac.

 

Page 78 : Le premier jour d’école, nous sommes arrivées avec nos mères pour nous inscrire et rencontrer le nouveau maître. C’était un rituel auquel nous sacrifiions à chaque début d’année scolaire. Ce premier jour nous étions nous-même. Nées de la jungle et peu soignées, ce qui faisait de nous les cousines des papayers, des iguanes et ds papillons.

 

Page 122 : À cet instant, Paula est apparue derrière sa mère. Une créature blanche et vaporeuse. Elle tenait un biberon d’une main. Elle était nue. Dans la nuit, dans un flot de rayons de lune, j’ai vu les pointes de ses seins, la toison noire de son ventre et la constellation de brûlures de cigarettes sur tout son corps. Je reconnaissais les constellations d’Orion et du taureau. Même ses pieds en étaient couverts. C’était comme si Paula avait traversé la Voie lactée et que chaque étoile avait brûlé son corps.

 

Page 154 : Au cinéma, ma mère aurait eu une immense révélation après avoir blessé Maria et elle aurait arrêté de boire. Au cinéma, elle aurait dédié sa vie aux alcooliques ou aux femmes battues. Au cinéma, Dieu aurait souri d’aise de voir sa repentance. Mais nous n’étions pas au cinéma.

 

Page 200 : J’ai décidé de ne pas lui dire pourquoi ma mère m’avait donné le nom de la princesse, parce que je ne voulais pas risquer de me faire de la peine toute seule.

 

Page 230 : J’avais des cheveux frisottés, crépus, ce qui prouvais que j’avais aussi du sang d’esclave africain. Nous n’étions que deux pages dans le livre de l’histoire de ce continent. On aurait pu nous arracher de ce livre, nous froisser et nous jeter à la poubelle.

 

Page 285 : J’ai repensé à notre petit bout de terre furieuse qui autrefois hébergeait une vraie communauté, mais qui avait été détruite par le crime organisé des trafiquants de drogues et l’immigration aux États-Unis. Notre petit bout de terre furieuse s’était métamorphosé en une constellation brisée et chaque petite maison avait été réduite en cendres.

 

 

 

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