Mon avis : Gaspard Hauser ou la paresse du cœur – Jakob Wassermann
Traduit de l’allemand par Romana Altdorf
Éditions Archipoche
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Quatrième de couverture :
Un jour de mai 1828, à Nuremberg, on amène au capitaine Wessenig un jeune homme hagard qui ne sait qu'écrire son nom. Il tient une lettre à la main, signée du pauvre journalier qui l'a recueilli treize ans plus tôt et qui suggère, si l'on ne peut le garder, de " le pendre dans la cheminée "...
Wessenig soupçonne un coup monté. Gaspard est placé chez le docteur Daumer et le bourgmestre parvient à recueillir son témoignage_: le vagabond a passé des années dans une geôle abjecte, tenu dans l'ignorance du monde. Peu à peu, l'édile se convainc qu'il n'est pas un " enfant sauvage ", mais l'héritier légitime de la couronne de Bade, victime d'enjeux dynastiques... La rumeur prend forme, l'étrange affaire fait le tour de l'Europe. Ses jours sont en danger.
Jakob Wassermann a traduit de façon poignante les espoirs et les craintes de Gaspard, sa volonté de reconquérir sa personnalité et de retrouver la voie de son destin, malgré la sécheresse de cœur des hommes. Un drame de l'innocence bafouée qui inspira également Hugo von Hofmannsthal, Paul Verlaine ou encore Peter Handke.
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Mon avis :
D'aussi loin que je me souvienne, Gaspard Hauser m'a toujours évoqué un poème de Paul Verlaine, chanté par Georges Moustaki.
Immédiatement le cas Gaspard Hauser est troublant et même douloureux. Il arrive de nulle part, il ne parle pas, est très craintif mais sait écrire son nom. Et moi, il m'a tout de suite fait mal. Car, qu'y a-t-il de plus terrible que de n'être personne, de ne pouvoir dire d'où on vient, de qui on est l'enfant ? Ça semble impossible, mais il est vrai que l'histoire commence en mai 1828, Gaspard a environ quatorze ans.
Cette histoire est d'autant plus triste qu'elle est vraie. Gaspard (Kaspar en allemand) à tout de suite été une curiosité pour les gens, qui défilaient pour le voir et se moquer mais parfois aussi le maltraiter.
Le professeur Daumer décide de le prendre sous son aile pour le protéger, l'étudier et comprendre qui il est, et aussi l'aider à se retrouver lui-même.
L'apprentissage de Gaspard commence et c'est beau, comme tout ce qu'on vit sans y penser semble éblouissant quand il faut le faire découvrir à quelqu'un qui s'ouvre tardivement à la vie. Car Daumer à l'intention de l'ouvrir au monde, à la nature, à la moindre parcelle de vie, au moindre frémissement, pour le sortir de cette cave où il a grandi privé de tout. Mais alors, il se sent subitement tellement ignorant.
"Mais de l'objet au mot, le chemin était long. le mot se dérobait et il fallait le rattraper ; et bien souvent, une fois qu'on l'avait atteint, il ne renfermait absolument rien [...] Daumer était souvent effrayé par sa propre insuffisance."
Gaspard doit tout apprendre. La religion, évidemment à l'époque est quasi obligatoire. Mais lui, n'aime pas la messe, avec ce prêtre qui vocifère, ces ecclésiastiques à la religion menaçante et punitive. Il ne comprend pas tout sur Dieu. Il voudrait des explications mais il n'y en a pas. Gaspard est un esprit carré. Pour lui tout doit être expliqué, mais les voies du Seigneur sont impénétrables, non ? Car "On n'a pas le droit de sonder les points obscurs de la foi."
Gaspard semble être une âme pure et lumineuse, à tel point que les oiseaux n'en ont pas peur. Et là, j'ai trouvé que ça faisait un peu trop Blanche-Neige et perdait de sa crédibilité.
Cependant, Gaspard fait des rêves récurrents, et là serait peut-être la clé de son passé. Certains pensent qu'il est de haute naissance, d'autres que c'est un imposteur absolument pas amnésique. Et Daumer s'ingénie à l'aider tout en essuyant les moqueries et humiliations venant de toute part, car il s'est pris de passion pour cet enfant.
Seulement au bout d'un moment, il s'avère que la vie de Gaspard est menacée, et il devra déménager, encore et encore. Et que dire de la stupidité ambiante, de la cruauté dont il est victime, de la part des autres enfants mais aussi de beaucoup d'adultes, et dont il faudra le protéger ? La vie de Gaspard Hauser semble avoir été un long chemin de croix. J'ai ressenti une infinie tristesse à cette lecture.
Et vraiment, j'ai trouvé ce livre infernal à lire car trop lent, lent, lent, pendant au moins le premier tiers… J'ai cru mourir d'ennui, passés les moments captivants du début. À mon goût, l'auteur s'est beaucoup trop noyé dans les détails. Pourtant l'écriture est belle.
Malgré tout, vers la fin de la première partie, l'auteur est parvenu à attiser ma curiosité. Mais qui était donc Gaspard Hauser ? D'où venait-il réellement, de quelle famille, était-il un riche héritier qu'on avait voulu faire disparaître, et de fait, était-il en danger ? Car bien des mystères planent autour de lui, autant que des dangers semble-t-il alors que des personnages bizarres s'intéressent à lui. de Nuremberg à Ansbach, il est trimballé de maison en maison, car personne ne veut le garder trop longtemps, il sera confronté à la méchanceté, la duplicité, la mesquinerie, le mépris et l'hypocrisie des bien-pensants, et la petitesse de bien des gens. Heureusement, certaines bonnes âmes existaient pour croire en sa candeur.
Ce roman qui nous raconte la vie de Kaspar Hauser, nous démontre aussi que la nature humaine malheureusement est bien souvent peu reluisante, car toute sa vie il a été confronté à la perfidie ambiante et à la sécheresse des cœurs.
Citations :
Page 11 : Le gardien de prison Hill reçut l’ordre de surveiller secrètement l’inconnu. Il l’épia, chaque fois que le garçon se croyait seul, par un judas. Mais invariablement, la même gravité triste se lisait sur ce visage aux traits détendus par le repos, parfois pourtant déformé par la peur comme devant une vision horrible.
Page 19 : D’aussi loin que partaient ses souvenirs, Gaspard s’était trouvé dans une pièce sombre, toujours la même. Jamais il n’avait vu visage humain, jamais il n’avait entendu ni le bruit de ses pas, ni sa propre voix, ni le chant de l’oiseau, ni le cri de l’animal ; jamais il n’avait aperçu, ni le rayon du soleil, ni la clarté de la lune,. Il n’avait connu que lui-même et ignorait sa solitude.
Page 39 : — Ma parole, on dirait que c’est toi qui t‘es échappé du cachot, plaisantait sa sœur.
— Oui, on m’a donné un monde. Regarde-le, c’est l’éveil d’une âme.
Page 40 : — Voici l’air, Gaspard, tu ne peux le saisir, mais il est là cependant. Lorsqu’il bouge rapidement, il devient le vent, que tu n’as pas à redouter. Ce qui se trouve derrière la nuit, est hier, et ce qui est au-delà de la nuit prochaine est demain. D’hier à demain s’écoulent les heures qui sont la division du temps.
Page 43 : Les explications des phénomènes de la nature embarrassaient fort Daumer qui préférait en appeler à Dieu :
— Dieu est le créateur de la nature morte et vivante, dit-il.
Page 72 : Si seulement on savait quelle peur épouvantable lui inspirent les prêtres. Un jour, alors qu’il était encore à la tour, quatre ecclésiastiques se présentèrent en même temps. Vous croyez peut-être qu’ils essayèrent de s’adresser au cœur du prisonnier, ou d’éveiller sa foi. Détrompez-vous. Ils lui décrivirent la colère de Dieu et les punitions du péché. Puis, devant son effroi grandissant, ils se mirent à pester et à menacer comme s’ils parlaient à un pauvre diable qu’on va mener à la potence. Le hasard m’amena à la Tour et je priai poliment ces messieurs de mettre un terme à leur zèle intempestif.
Page 76 : Lorsque Gaspard eut franchi le seuil de l’église et qu’il entendit la voix stridente du pasteur, il demanda contre qui cet individu vociférait.
Page 152 : Il se sentait seul, et croyait que les hommes n’avaient qu’une idée : se débarrasser de lui. Il était plein de pressentiments et d’inquiétudes.
Page 187 : Ainsi il trahissait doublement. Il faisait à Gaspard des promesses de puissance et de grandeur ; c’était tout ce qu’il pouvait faire pour lui. Lorsqu’il était loin de Gaspard, il était soulagé que le charme du jeune homme perdît de sa force et il ne sentait plus peser sur lui ce regard interrogateur qui lui paraissait être celui d’un envoyé que Dieu aurait mis à ses côtés. Il lui écrivait de petits billets courts et passionnés : « Si un jour, tu remarques de la froideur en moi, ne mets pas cela sur le compte d’un manque de cœur, mais considère plutôt que c’est l’expression d’une douleur qu’il me faut garder en moi jusqu’à la tombe ; mon passé est un cimetière ; lorsque je t’ai trouvé, je ne croyais plus en Dieu et tu as été le sonneur dont les cloches m’ont annoncé l’éternité. » Phrase au goût de l’époque, influencée par les poètes à la mode, mais signe cependant de la perplexité d’une âme bouleversée.
Page 220 : Il émet volontiers, d’un air important, des choses qui feraient rire chez tout autre, mais qui provoquent, venant de lui, un sourire indulgent ; il est amusant à l’extrême quand il parle de ses projets d’avenir, de son installation future et de la façon dont il comportera avec sa femme. Pour lui, une femme est un ustensile domestique indispensable, quelque chose comme une maîtresse-servante que l’on garde le temps qu’il faut et que qu’on chasse quand elle brûle la soupe ou reprise mal le linge.
Page 328 : Il est indéniable que nous sommes en face des plus perfides intrigues venant toutes de la même source.