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Mon avis : Melnitz – Charles Lewinsky

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’allemand par Léa Marcou – Traduit avec le concours du Centre National du Livre

 

Éditions Le Livre de Poche

Lu en Lecture Commune

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Melnitz renoue avec la tradition du roman familial du XIXe siècle : la saga des Meijer, une famille juive suisse, court sur cinq générations, de la guerre franco-prussienne à la Deuxième Guerre mondiale. 1871 : le patriarche Salomon, marchand de bestiaux, vit à Endingen, l’une des seules bourgades helvétiques où les juifs sont autorisés à résider. La famille commence son ascension sociale, sans jamais parvenir à s’affranchir du destin des exclus. 1945 : l’oncle Melnitz, revenu d’entre les morts, raconte. Il est le grand récitant de cette admirable fresque, hommage au monde englouti de la culture et de l’humour yiddish, tour de force romanesque salué comme un chef-d’œuvre par une critique unanime.

Prix du meilleur livre étranger 2008.

Un torrent furieux qui vous entraîne au bout de quatre jours (quatre heures ?) de lecture frénétique, au bout d’une histoire folle et forte, tour à tour comique et tragique. 

Philippe Chevilley, Les Échos.

 


Mon avis :
De 1871 à 1945, on suit la vie des Meijer, famille suisse de confession juive, discrète et affable. On se rend rapidement compte que le sort des juifs est à peu près partout le même, y compris en Suisse. Ils sont tolérés mais doivent rester dans leur coin sans faire de bruit. D'ailleurs les non juifs pratiquent un antisémitisme sans complexe, les ostracisent, s'adressent à eux comme s'ils étaient forcément sournois et cupides, ne cachent pas leur mépris et se permettent de leur parler de leurs "youpineries". Néanmoins la Suisse pratique un antisémitisme sans complexe comme tant d’autres pays.

L'humour des Meijer affleure au fil des pages, leur donnant un côté facétieux qui m'a fait sourire plus d'une fois. Une galerie de personnages dont la plupart sont très attachants, avec vraiment pour moi une préférence pour Zalman, tellement nature et foncièrement bon, mais aussi Arthur l'altruiste, Hinda la généreuse,  Désirée la rêveuse, le bon Pin'has, l'étrange Monsieur Grün, beaucoup moins Mimi, éternelle gamine totalement égocentrique. Mais voilà,  ses raisonnement sont drôles tant ils sont stupides. Et 
Melnitz. L'oncle Melnitz, absent et pourtant là, quand il le faut. Un sage, sorte de mousquetaire de la famille Meijer dans le genre un pour tous ! Il est inénarrable, taquin, espiègle, et tellement avisé et utile. Il est un peu la voix off qui nous permet de comprendre tant de choses, la mémoire de la famille, et du peuple juif.

À aucun moment ce pavé de 960 pages ne m'a paru long ! J'ai suivi avec un infini plaisir les joies et les peines de la famille Meijer sur plusieurs générations, leur réussite sociale, le mépris qu'ils ont eu à subir, leur désir de s'intégrer tout en étant systématiquement gardés à une certaine distance. J'ai appris beaucoup sur leur mode de vie, leurs rituels, et j'ai été impressionnée par la religion qui régit absolument tous les moments de la vie.

Ce roman, qui commence à la fin de la guerre avec la Prusse et se termine après la libération en 1945, qui nous fait traverser une page d'histoire de la Suisse, mais aussi de l'Europe, au coeur de la communauté juive, est réellement passionnant ! Et douloureux ! Et émouvant ! Et joyeux !!! On passe par toutes sortes de sentiments, liés entre autre aux tragédies de l'Histoire et à la fureur nazie mais aussi à l'intransigeance des religions qui parfois blessent durablement, quand par ailleurs les joies de la vie de famille apportent la lumière. Et moi qui suis athée, j'ai été impressionnée par cette foi qu'ils ont, chevillée à l'âme et qui leur sert de guide.

À travers la vie de la famille Meijer-Pomeranz-Kamionker, 
Charles Lewinsky nous raconte la destinée du peuple juif à travers deux guerres, essentiellement en Suisse qui a été épargnée par la Shoah, sur soixante-quatorze années, avec la douceur d'une brise légère balayée par le vent de l'histoire qui laisse un souvenir brutal, amer, et six millions d'absents, effacés par la fureur et la haine.

Ah mais quel roman ! Un coup de cœur +++++

Sans oublier les échanges passionnants avec mes co-lectrices, que du bonheur !

Citations :

Page 110 : Ils n’oublient jamais rien. Plus c’est absurde, mieux ils s’en souviennent. Ils se souviennent qu’avant Pessah, nous égorgeons des petits enfants et faisons cuire leur sang dans la pâte des matze. Cela n’est jamais arrivé, mais cinq cents ans plus tard, ils sont capables de raconter la scène comme s’ils l’avaient vu de leurs yeux.

 

Page 111 : Oublier ? Ils n’oublient rien. Sauf peut-être la vérité. Mais pas les mensonges. Ils connaissent sur le bout des doigts les calomnies que les Romains et les Babyloniens ont inventés contre nous, et ces histoires, ils continuent de les raconter, et ils y croient.

 

Page 322 : Il décrit avec tant de justesse la soumission aveugle avec laquelle des gens par ailleurs fort intelligents suivent pieusement les troupeaux de leur religion, flanqués en permanence par les chiens glapissant des feux de l’enfer et de la damnation éternelle.

 

Page 459 : Rien qu’à cause de maman, il n’avait jamais compris pourquoi, à la prière du matin, les hommes remercient Dieu de ne pas les avoir crées femme.

 

Page 566 : Il n’avait jamais encore été amoureux, et, longtemps, ne sut interpréter l’état où il se trouvait plongé, cette maladie. On ne lui avait jamais dit que l’amour est essentiellement désarroi.

 

Page 677 : À Vienne, ils mangèrent au célèbre restaurant koscher de Schmeidel Kalish. De si bon appétit qu’après Ruben fut prit de crampes. Il n’était plus habitué à des repas copieux.

 

Page 725 : C’était un Allemand, « un Berlinois », pensa Rachel, qui n’y connaissait rien en dialectes et qualifiait de berlinois tout ce qui lui paraissait teutonique.

 

Page 772 : L’un des membres du comité directeur de la communauté, un ancien combattant de la dernière guerre, nationaliste allemand convaincu, avait juré de ne jamais se laisser chasser de sa patrie, et avait fait ses valises sur-le-champ après que, voulant envoyer un télégramme par téléphone, il se fut entendu expliquer, par une voix polie, qu’il était désormais interdit d’épeler au téléphone des noms juifs, car c’était incompatible avec la dignité raciale d’un postier allemand.

 

 

 

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