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Mon avis : Ce qu’elles disent – Miriam Toews

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Lori Saint-Martin et Paul Gagné

 

Éditions J’ai lu

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Colonie mennonite de Molotschna, 2009. Alors que les hommes sont partis à la ville, huit femmes de tous âges tiennent une réunion secrète dans un grenier à foin. Depuis quatre ans, nombre d'entre elles sont retrouvées, à l'aube, inconscientes, rouées de coups et violées. Pour ces chrétiens baptistes qui vivent coupés du monde, l'explication est évidente : c'est l’œuvre du diable. Mais les femmes, elles, le savent : elles sont victimes de la folie des hommes.

Elles ont quarante-huit heures pour reprendre leur destin en main. Quarante-huit heures pour parler de ce qu'elles ont vécu, et de ce qu'elles veulent désormais vivre. Au fil des pages de ce roman éblouissant qui retranscrit les minutes de leur assemblée, leurs questions, leur rage et leurs aspirations se révèlent être celles de toutes les femmes.

 

Miriam Toews est née en 1964 dans une communauté mennonite au Canada. Elle est l'autrice de plusieurs romans et a été lauréate de nombreux prix littéraires, notamment le prix du Gouverneur général. Ce qu'elles disent est son troisième roman paru en France.


 

 

Mon avis :
Depuis 2005, des filles et des femmes de la colonie mennonite de Molotschna ont été violées, y compris une petite fille de 3 ans - par des fantômes ou par Satan d'après les hommes - après avoir été rendues inconscientes par des substances, et cela à cause de péchés qu'elles auraient commis. Évidemment, quand les femmes sont violées, c'est toujours de leur faute. Mais bien sûr, les agresseurs étaient des proches. Et pendant que les agresseurs sont en prison, et avant qu'ils ne soient libérés sous caution, les femmes se réunissent pour décider de ce qu'elles doivent faire pour se protéger, elles et leurs filles, puisque les hommes sont LE danger.

C'est une histoire violente, pourtant August Epp, le narrateur ne manque pas d'humour dans son récit, ou plutôt de dérision envers lui-même. Il nous parle d'abord de lui, et ce qu'il dit est très étrange. Il vient de ce monde en dehors du monde : les mennonites. Il avait été banni, il est revenu. Il est là pour retranscrire les témoignages de ces femmes qui ne savent ni lire ni écrire. Celles-ci ont trois options quant à ce qui leur est arrivé :
1. Ne rien faire
2. Rester et se battre
3. Partir
La première option consiste à pardonner à leurs agresseurs, ce qui leur assurera leur place au paradis. Si elles refusent, elles devront partir. Décidément, les religions n'aiment vraiment pas les femmes…

On assiste à un débat philosophique entre ces femmes, sur le pardon et Dieu, le salut de l'âme et le désir de vengeance, l'amour et la compassion, la peur de l'excommunication. Elles se questionnent sur ce qu'est la liberté, ce qu'elles sont réellement, la position qu'elles occupent dans leur micro société coupée du monde moderne, le respect qu'on leur refuse, la domination des hommes.

C'est choquant de penser que dans une toute petite communauté où la religion et la crainte de Dieu sont prédominantes, où tout le monde se connait, une chose pareille ait pu se produire. Pourtant l'autrice, elle-même issue d'une communauté mennonite, s'est inspirée d'une histoire vraie, d'un événement arrivé dans une colonie mennonite de Bolivie.
Le débat des sans-voix, celles qu'on laisse dans l'ignorance du monde dans lequel elles vivent une vie sans joie, qui ne parlent pas sa langue puisqu'elles pratiquent un allemand médiéval, éternellement sous le joug des hommes, ces femmes veulent que leur vie change. Elles veulent changer la société. Elles y veulent une vraie place. Elles décident d'établir un manifeste où elles seront libres de leurs choix, de leur vie. Pourtant il semble toujours y avoir un mur quasi-infranchissable, c'est la crainte de Dieu.

J'ai trouvé ce roman très intéressant. Il nous parle d'un sujet intemporel : il faut éduquer les garçons à respecter les femmes et non pas éduquer les filles à faire attention. Il nous montre que, hélas, les combats des femmes sont à peu près les mêmes partout, dans toutes les sociétés, à différents degrés, mais qu'ils sont bien réels et essentiels pour se faire une place au soleil. Car ce qu'on ne prendra pas, personne ne nous le donnera.
J'ai néanmoins trouvé ces débats un peu longs, car bien que la condition féminine soit primordiale à mes yeux, et que les religions m'intéressent car elles ont forgé les sociétés, sur ce point j'ai trouvé le temps long, car la foi je ne l'ai pas et je n'arrive pas à comprendre cette vénération emplie de crainte qui sert de chemin de vie. C'était cependant passionnant, les débats de ces femmes, avec l'avis masculin (silencieux) d'August, considéré comme un demi-homme par ses semblables, sans doute, entre autre, parce qu'il ne se sert pas de ses poings sur les femmes pour leur imposer le respect.

 

Citations :

Page 18 : Dans un éclat de rire, Ona a brandi le poing et a traité le soleil de traître, de lâche. J’ai songé à lui expliquer les hémisphères, lui raconter que nous avons l’obligation de partager le soleil avec d’autres régions du monde, qu’une personne observant la terre depuis l’espace verrait jusqu’à quinze levers et couchers de soleil en une seule journée – et qu’en partageant le soleil l’humanité pourrait apprendre à tout mettre en commun, apprendre que tout appartient à tout le monde ! Mais je me suis contenté de hocher la tête. Oui, le soleil est un lâche. Comme moi.

 

Page 26 : Je lui ai répondu que je venais d’une partie du monde qui avait été fondé pour être un monde en soi, séparé du reste de l’univers. En un sens, lui ai-je expliqué, les miens (je me souviens d’avoir étiré les mots « les miens » dans une intention ironique avant d’être envahi par la honte et de demander silencieusement pardon) n’existent pas ou, à tout le moins, ils veulent être perçus comme s’ils n’existaient pas.

 

Page 108 : Tête baissée, les femmes continuent d’adresser des louanges à notre Père céleste. (Deux jours avant de disparaître, mon père, je m’en souviens comme si c’était hier, m’a dit que les deux piliers qui défendent l’entrée du temple de la religion sont le mensonge et la cruauté.)

 

Page 140 : Nous, les femmes, n’avons jamais rien demandé aux hommes, dit Agata. Rien du tout. Même pas le sel, à table, même pas un sou, même pas un moment de tranquillité, même pas de rentrer la lessive, de tirer un rideau, d’y aller doucement avec les yearlings, de poser une bas sur le bas de mon dos pendant que j’essayais, pour la douzième ou la treizième fois, de pousser un bébé hors de mon corps.

Ça ne manquerait pas de cachet, ajoute-t-elle, que l’unique demande que les femmes feraient aux hommes serait de s’en aller ?

 

Page 187 : Le problème, enchaîne Salomé en se faisant un devoir d’ignorer Neitje, c’est que ce sont les hommes qui interprètent la Bible et qui nous transmettent leur interprétation.

 

Page 229 : Comment pourrai-je vivre sans ces femmes ?

Mon cœur va s’arrêter de battre.

J’essaierai de parler d’ona aux garçons. Elle sera mon étoile polaire, ma Croix du Sud, mon nord et mon sud, mon est et mon ouest, mes nouvelles, ma direction, ma carte et mes explosifs, ma carabine. J’écrirai le nom d’Ona en haut de toutes mes fiches pédagogiques. J’imagine des écoles dans des colonies mennonites du monde entier, à l’heure où le soleil disparaît ou, plutôt, s’esquive pour faire profiter d’autres régions du monde de sa chaleur et de sa lumière, et tout appartient à tout le monde, et le moment est venu d’accomplir les corvées du soir, de souper, de prier et de dormir, et les enfants supplient leur instituteur de leur raconter encore une histoire à propos d’Ona, jadis fille du diable et maintenant la plus précieuse enfant de Dieu. L’âme de Molotschna.

 

Page 240 : Salomé a ri encore une fois. Je ne m’étais pas rendu compte qu’elle riait si souvent, comme sa mère, comme toutes les femmes de Molotschna. Elles réservent leur souffle pour rire.

 

 

 

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