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Mon avis : Attaquer la terre et le soleil – Mathieu Belezi

Publié le par Fanfan Do

Éditions Le Tripode

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

« […] et en moi-même je me disais que la justice était un mot inventé par les riches pour calmer la colère des pauvres, mais que tout bien réfléchi ça n’existait pas la justice, qu’il fallait apprendre à vivre sans elle et accepter le sort que Dieu réserve à tout être humain qui pose les pieds sur la terre. »

 

Depuis plus de vingt ans, Mathieu Belezi construit une œuvre romanesque dédiée à la folie des hommes. Attaquer la terre et le soleil narre le destin d’une poignée de colons et de soldats pris dans l’enfer oublié de la colonisation algérienne, au dix-neuvième siècle. En un bref roman, c’est l’expérience d’un écrivain qui subitement se cristallise et bouleverse, une voix hantée par Faulkner qui se donne.

 


Mon avis :
Étrange narration qui se compose de phrases interminables avec des retours à la ligne surprenants et des changements de sujets et rarement des majuscules ou des points. Ça donne l'impression d'une coulée de boue longue et dévastatrice que rien n'arrête. Et cette coulée de boue, c'est le désespoir de la narratrice, Séraphine, qui découvre l'Algérie, à la moitié du XIXème siècle, où elle va devoir vivre avec son mari et ses enfants. Cette coulée de boue c'est aussi les tourments que les soldats infligent aux autochtones.

Ce roman nous raconte la colonisation de l'Algérie au milieu du XIXème siècle, dans ce qu'elle a de plus tragique. Des français sont partis là-bas en espérant une vie meilleure car c'est ce qu'on leur a fait croire, et ils ont rencontré la pire misère qui pouvait leur arriver. Car si le voyage a été dur, l'arrivée en Algérie a été effroyable.
Il y a les chapitres contés par Séraphine, le point de vue des colons et leur désillusion, nommés RUDE BESOGNE, puis ceux contés par un militaire, violents et sanglants, nommés BAIN DE SANG, qui nous parlent de rapines, de viols, de meurtres.
Chacun leur tour ils nous racontent la face cachée de la colonisation.

On passe d'un chapitre à l'autre, d'une voix à l'autre, et on voit que les prétendus sauvages ne sont pas ceux que l'on pourrait croire. En tout cas, c'est un autre récit des faits que ce qu'on nous a toujours raconté. Les colons d'un côté, qui au milieu de cette terre aride vivent dans la terreur du choléra, du paludisme, des animaux sauvages, et des indigènes qui veulent les massacrer pour garder ce qui est à eux.
Puis les militaires, qui viennent civiliser ces "sauvages" en les égorgeant, les humiliant, violant leurs femmes, pillant leurs réserves, les chassant de leurs villages. le cynisme est de rigueur car il faut bien justifier ses actes et se persuader qu'on a raison de faire ce qu'on fait, que c'est pour le bien de tous.

En 153 pages l'auteur nous emmène au fin fond de l'enfer de la colonisation auprès de ces civils et de ces soldats, chacun maudissant les barbares locaux qui eux ne faisaient que se défendre des barbares occidentaux venus tout leur prendre.
Ce livre vous attrape, vous enserre le cœur et l'esprit et vous n'avez plus envie de le lâcher.
C'est cru, c'est dur, et raconté avec une prose étrange et envoûtante qui m'a fait l'effet d'une lame de fond, lente, dévastatrice, inéluctable, scélérate.

 

Citations :

Page 30 : […] regardez-nous peuple de gredins, engeance du diable, vous avez beau nous épier derrière les murs de vos gourbis, ricaner en montrant du doigt nos grolles rafistolées, nos pantalons rapiécés, nos shakos cabossés, rien ne nous arrête et ne nous arrêtera jamais, nous marchons comme un seul homme dans les rues coupe-gorge de vos villes et de vos villages, saccageons vos mosquées, vos casbahs, vos tombeaux, piétinons avec rage vos champs de blé, coupons à la hache vos orangers, oliviers, citronniers, amandiers, tout ce qui peut nous servir de bois de chauffage lorsque nous campons à la belle étoile, et qu’il fait froid, et qu’il faut réchauffer nos pauvres guibolles fatiguées, nous détournons l’eau des sources pour nos gosiers assoiffés, nous prenons de force vos chameaux, vos troupeaux de moutons, sourds à vos contorsions de désespoir, vos jérémiades de bonnes femmes, vos pleurs bien mal imités […]

 

Page 54 : […] et pendant que le bon sens de Louis inventait l’espoir d’une lutte pour rester en vie, comme si notre pauvre combat d’humains avait une quelconque chance de s’opposer à la faux dévastatrice du choléra, quelqu’un a frappé à notre porte […]

 

Page 69 : — Je les connais vos guenillards, vos hyènes aux chicots sanguinaires qui égorgent mes pauvres soldats venus de France tout exprès pour le pacifier votre foutu pays, pour le nettoyer de sa vermine, nom d’un bordel ! Et c’est comme ça que vous nous remerciez !

 

Page 108 : […] nous avions tous décidé que cette nuit de noce serait à nous, et que nous ne penserions à rien d’autre qu’à manger, boire, s’amuser, poussés aux extrêmes par cette force qui en chacun de nous reprenait ses droits, nous basculait dans le bruit et la fureur du côté de la vie

Vive les mariés !

 

Page 125 : — Foutez-moi le feu à tout ça ! Razziez mes braves ! Razziez tant que vous pouvez

et il ne nous faut que le temps de cet ordre pour fourrer le tabac dans nos poches et commencer notre razzia, c’est la ruée, l’infernale et alléchante ruée qui nous fait bander dans nos frocs, nom de Dieu de nom de Dieu et nos mains féroces éventrent les sacs et les coffres, roulent les tapis, arrachent au cou ensanglanté des moukères leurs breloques, tranchent les doigts chargés de bagouzes, et les oreilles des hommes tout aussi bien que celles des femmes qui valent leur pesant d’or, vous pouvez me croire, au marché noir d’Alger

nom de Dieu de nom de Dieu !

 

 

 

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