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Mon avis : Je reste ici – Marco Balzano

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Nathalie Bauer

 

Éditions Philippe Rey

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Trina s'adresse à sa fille, Marica, dont elle est séparée depuis de nombreuses années, et lui raconte sa vie. Elle a dix-sept ans au début du texte et vit à Curon, village de montagne dans le Haut-Adige, avec ses parents.
En 1923, ce territoire autrichien, annexé par l'Italie à la suite de la Première Guerre mondiale, fait l'objet d'une italianisation forcée : la langue allemande, qu'on y parle, est bannie au profit de l'italien.
Trina entre alors en résistance et enseigne l'allemand aux enfants du bourg, dans l'espoir aussi de se faire remarquer par Erich, solitaire aux yeux gris qu'elle finira par épouser et dont elle aura deux enfants, Michael et Marica.
Au début de la guerre, tandis qu'Erich s'active dans une farouche opposition aux mussoliniens et au projet de barrage qui menace d'immerger le village, la petite Marica est enlevée par sa tante, et emmenée en Allemagne.
Cette absence, vive blessure jamais guérie chez Trina, sera le moteur de son récit. Elle ne cachera rien des fractures apparaissant dans la famille ou dans le village, des trahisons, des violences, mais aussi des joies, traitées avec finesse et pudeur.
Un roman magnifique, mêlant avec talent la grande et la petite histoires, qui fera résonner longtemps la voix de Trina, restée fidèle à ses passions de jeunesse, courageuse et indépendante.

 

 

Mon avis :
Et voilà le dernier livre que je voulais lire dans le cadre du #bookclub du @prixbookstagram pour #unétéenitalie mais comme pour le précédent, trop de tentations venant du groupe… et patati et patata. Je le lis donc totalement hors des clous car l'été est fini.

Trina, en s'adressant à sa fille Marica nous raconte l'histoire de sa vie et de l'endroit où elle vivait depuis toujours, qui était autrichien et où l'on parlait allemand, annexé par l'Italie à la suite de la première guerre mondiale.

« Sur l’ordre de Mussolini, les rues, les ruisseaux et les montagnes ont été rebaptisés… Ces assassins ont même molesté les morts en changeant les inscriptions sur les pierres tombales ».
Exit culture et langue allemande. L'italien est devenu obligatoire dans tous les détails de la vie. Mais Trina refuse de renoncer à ce qu'elle a toujours été, une autrichienne.

Dès les premières lignes on est plongé dans l'ambiance, dans le récit de toutes ces vies dans le tumulte du monde, et les mots nous emportent dans ce coin de montagne envahi par les fascistes.
J'ai ressenti la fureur de ces gens qui refusent d'être des parias chez eux et je les ai trouvés grandioses dans leurs petits combats presque perdus d'avance, car c'est la lutte du pot de terre contre le pot de fer.

Un père très ouvert, une mère coincée dans l'idée qu'elle se fait du rôle de la femme et qui de surcroît déteste les livres, Erich homme de convictions dont elle semble secrètement amoureuse, vont amener Trina à être institutrice clandestine pour préserver la culture autrichienne et être remarquée par Erich.

À force de frustration d'être soumis aux italiens, certains mettent leurs espoirs en 
Adolf Hitler. S'ensuivra une haine fratricide entre ceux qui se connaissent depuis toujours. D'un côté ceux qui veulent rallier l'Allemagne nazie et de l'autre ceux qui veulent rester car ils savent que c'est la pire idée. Puis une trahison, les crève-cœur, la douleur et la guerre suivront.

On suit les transformations que créent les événements indépendants de toute volonté dans une vie, ce qui façonne les individus. On vit l'histoire de cette région, happée par l'histoire du monde, qui chamboulera absolument tout.
Et puis cette épée de Damoclès au dessus du village, de longue date l'ambition d'un barrage qui engloutirait tout, sans cesse ajourné, toujours en projet.

C'est vraiment une écriture superbe, qui nous entraîne dans cette région du Tyrol, au milieu de ces paysans qui aimaient leur terre, dans un monde qui n'existe plus, celui de la première moitié du XXème siècle. L'auteur nous immerge dans ce microcosme à l'aube de ce déferlement de violence qu'à été la deuxième guerre. On assiste avec les protagonistes à la fin d'un monde et bien que j'ai lu beaucoup d'histoires sur cette période, c'est toujours un déchirement d'y replonger.

C'est un roman absolument magnifique. 
Marco Balzano part d'une réalité historique dans un lieu précis pour nous parler de petites gens à qui rien n'a été épargné, maltraités par les puissants, toujours debout mais changés à jamais.

 

Citations :

Page 14 : Ta grand-mère était difficile et sévère, elle avait les idées claires sur tout, distinguait avec aisance le blanc du noir et n’avait aucun scrupule à trancher à coups de hache. Moi, je me suis perdue dans une gamme de gris. D’après elle, à cause des études. Elle voyait dans les gens instruits des êtres inutilement compliqués. Des fainéants, des pédants, qui coupent les cheveux en quatre. Je pensais, pour ma part, qu’il n’y avait pas de plus grand savoir que les mots, en particulier pour une femme. Évènements, histoires, rêveries, il importait d’en être affamé et de les conserver pour les moments où la vie s’obscurcit ou se dépouille. Je croyais que les mots pouvaient me sauver.

 

Page 30 : Nos villages étaient voués à disparaître sous une tombe liquide. Les maz, l’église, les boutiques, les pâturages : tout serait submergé. Le barrage nous enlèverait nos maisons, nos animaux, notre travail. De nous, il ne resterait rien. Nous serions obligés d’émigrer, de nous transformer. De changer de métier, d’endroit, de peuple. Nous mourrions loin du Val Venosta et du Tyrol.

 

Page 47 : Une fois la classe terminée, j’allais déjeuner chez mes parents. Je restais un moment chez eux ou rentrais et me mettais à lire. Ma ne supportait pas que je perde du temps de la sorte. Lorsqu’elle me voyait, penchée sur un volume, elle disait dans des marmonnements que j’emporterais mes livres en enfer et me chargeait des besognes domestiques, sans cesser de répéter que je devais apprendre à coudre pour le jour où j’aurais des enfants.

 

Page 78 : Nous avons attendu que la neige fonde sous la chaleur de l’été et que le vent des Alpes nous la ramène, silencieuse et lourde. Nous avons pleuré nos morts en silence. Avalé la couleuvre qui consistait à nous être battus aux côtés des Autrichiens pour nous retrouver italiens. Nous y sommes parvenus car nous étions persuadés que c’était la dernière des guerres. La guerre qui avait servi à balayer les guerres. Voilà pourquoi l’annonce d’un second conflit avec l’Allemagne, qui envahirait bientôt le monde, nous étourdit.

 

Page 91 : Je me disais que les fascistes étaient des fumiers : ils voulaient nous noyer, ils nous avaient entraînés dans la guerre et pris Barbara. Les nazis l’étaient tout autant : ils nous avaient dressés les uns contre les autres, ils réclamaient nos hommes dans le seul but de les transformer en chair à canon.

 

Page 99 : Quand on met des enfants au monde, on accepte les chagrins qu’ils entraîneront !

 

Page 110 : Erich m’enjoignait de me taire lorsque je répliquais que Dieu est l’espoir de ceux qui n’ont pas envie de bouger le petit doigt.

 

Page 143 : Le matin, le prêtre essayait d’apprendre à prier à Maria. Un jour où je me joignais à eux, je songeais qu’il avait bien de la chance de croire que le désastre de la guerre et la proximité incessante de la mort figuraient parmi les intentions de Dieu. À mes yeux, c’étaient juste la preuve que, pour Dieu, il valait mieux ne pas exister.

 

Page 164 : Nous vantions les qualités de la viande et de l’endroit, mais nous ne savions pas quoi nous dire. Peut-être parce qu’il importe, après la guerre, d’enterrer avec les morts tout ce qu’on a vu et fait, de nous sauver à toutes jambes avant de nous transformer nous aussi en décombres. Avant que les fantômes ne deviennent notre dernière bataille.

 

Page 174 : À force de voyager dans le monde entier, il connaissait bien les gens. Ils étaient partout pareils, assoiffés de tranquillité. Heureux de ne rien voir. C’est ainsi qu’il avait lui-même vidé des villages, éventré des quartiers, abattu des maisons pour faciliter le passage de voies ferrées et d’autoroutes, coulé du béton dans les campagnes, construit des usines le long des cours d’eau. Son travail était prospère parce qu’il se nourrissait de la confiance inerte en le destin, en une foi absolutoire en Dieu, en l’insouciance des hommes.

 

Page 215 : Même les blessures qui ne guérissent pas cessent tôt ou tard de saigner.

 

 

 

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