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Mon avis : Beloved – Toni Morrison

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Hortense Chabrier et Sylviane Rué

 

Éditions 10-18

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Inspiré d'un fait divers survenu en 1856, Beloved exhume l'horreur et la folie d'un passé douloureux. Ancienne esclave, Sethe a tué l'enfant qu'elle chérissait au nom de l'amour et de la liberté, pour qu'elle échappe à un destin de servitude. Quelques années plus tard, le fantôme de Beloved, la petite fille disparue, revient douloureusement hanter sa mère coupable.

Loin de tous les clichés, Toni Morrison ranime la mémoire et transcende la douleur des opprimés. Prix Pulitzer en 1988, Beloved est un grand roman violent et bouleversant.


 

 

Mon avis :
 

Une maison hantée par un bébé malveillant, sacrée entrée en matière ! On apprend pourquoi et c'est dur et extrêmement violent.
D'ailleurs tout est dur, jusqu'à la sexualité des esclaves au Bon Abri, c'est cru, c'est sale, c'est affligeant.

Assez rapidement j'ai eu l'impression de me perdre, obligée de souvent revenir en arrière pour savoir qui est qui et de quel moment on parle. Sans compter tous les Paul et les liens de parenté… Je me suis dit que mon esprit n'était peut-être pas assez affûté pour comprendre 
Toni Morrison. Beaucoup de flash-backs et de digressions obscures m'ont égarée. Pourtant hors de question pour moi de lâcher l'affaire, il y a trop longtemps que ce livre m'appelle. Heureusement j'ai fini par me faire à cette narration particulière.

Ancien esclave au Bon Abri avec Sethe, Paul D débarque chez elle vingt-cinq ans plus tard.
Au fil des souvenirs cachés de Paul D et de Sethe, on entrevoit des souffrances subies inimaginables. Comme si les esclaves noirs avaient été victimes de choses dont nous n'avons absolument pas idée, que ce que nous savons de leurs souffrances est infime par rapport à la réalité. C'est glaçant tant la cruauté était sans limite.
Sauf que Sethe ne veut pas se rappeler, pas y penser, pas en parler. Elle veut juste que ça reste enfoui au plus profond d'elle. Alors que Paul D en parle, comme ça, juste parce que c'est là, que ça a existé.

Un jour, arrive chez Sethe et Denver une étrange petite personne qui dit s'appeler 
Beloved. Paul D la voit d'un très mauvais œil mais elle est fragile et faible et reste à demeure chez ces deux femmes qui se prennent d'une espèce de passion pour elle. Je me suis beaucoup demandé si c'était une grande enfant ou une petite adulte. En tout cas elle sait beaucoup de choses sur Sethe et puis son nom est ce qui est gravé sur la tombe du bébé assassiné.

Au fil des souvenirs évoqués, on apprend la tragédie de ces gens, de cette famille.

Toni Morrison raconte ici l'histoire terrible des noirs en Amérique et de l'esclavage. Il est aussi question de confiance et de trahison, de la condition des femmes noires, de la brutalité de beaucoup d'hommes et de la lâcheté de certains autres, à moins que ce ne soient les mêmes. Mais aussi de l'amour maternel capable de tout jusqu'à l'abnégation absolue, et on oscille entre surnaturel et folie, et peut-être est-ce la même chose. C'est un roman extrêmement déroutant. L'écriture est belle et ce qui est raconté est très fort, pourtant je ne saurais pas dire si j'ai aimé. Peut-être avec le temps laissera-t-il en moi une empreinte que je ne connais pas encore.

J'ai trouvé cette histoire oppressante et malsaine, le contexte terrifiant. Et comme souvent je me demande pourquoi l'humanité est si féroce.

 

Citations :

Page 14 : Y a pas une maison dans ce pays qu’est pas bourrée jusqu’aux combles des chagrins d’un nègre mort. On a de la chance que ce fantôme soit un bébé.

 

Page 39 : Tous ceux que Baby Suggs avait connus, sans parler d’aimer, ceux qui ne s’étaient pas sauvés ou retrouvés pendus, avaient été loués, prêtés, vendus, capturés, renfermés, hypothéqués, gagnés, volés ou saisis pour dettes. Si bien que les huit enfants de Baby avaient six pères. Ce qu’elle appelait la malignité de la vie était le choc qu’elle avait éprouvé en apprenant que personne ne s’arrêtait de jouer aux dames simplement parce qu’au nombre des pions il y avait ses enfants.

 

Page 62 : Il était levé à présent et chantait tout en réparant les choses qu’il avait cassées la veille. Des fragments de vieilles chansons qu’il avait apprises à la ferme-prison ou à la guerre, après. Rien de semblable à ce qu’il chantait au Bon Abri, où la nostalgie façonnait chaque note.

Les chansons qu’il avait apprises en Géorgie étaient des clous à tête plate où marteler encore et encore.

 

Page 80 : Interdits de transports publics, poursuivis par les dettes et les « draps fantômes qui parlent » du Ku Klux Klan, ils suivaient les routes secondaires, scrutaient l’horizon, aux aguets du moindre signe, et comptaient de façon vitale les uns sur les autres. Silencieux, sauf pour des échanges de courtoisie quand ils se rencontraient, ils ne s’étendaient ni ne s’interrogeaient sur les chagrins qui les poussaient d’un endroit à l’autre. Inutile de parler des Blancs. Tout le monde savait.

 

 

Page 125 : Ce fut devant ce 124-là que Sethe descendit d’un chariot, son nouveau-né attaché sur la poitrine, et qu’elle sentit pour la première fois se refermer sur elle les bras grands ouverts de sa belle-mère, laquelle avait réussi à arriver jusqu’à Cincinnati. Laquelle avait décidé que la vie d’esclave lui ayant « brisé les jambes, le dos, la tête, les yeux, les mains, les reins, la matrice et la langue », elle ne pouvait plus vivre que de son cœur — qu’elle mit à l’ouvrage sur-le-champ. N’acceptant aucun titre d’honneur avant son nom, mais permettant qu’il soit suivi d’une petite caresse, elle devint une prédicatrice sans église, une visiteuse de chaires qui ouvrait son grand cœur à ceux qui en avaient besoin.

 

Page 149 : Elle sortit du lit, claudiqua lentement jusqu’à la porte de la pièce aux provisions et communiqua à Sethe et à Denver la leçon que lui avait apprise ses soixante années d’esclavage et ses dix années de femme libre : il n’y avait pas d’autre malchance en ce monde que les Blancs.

 

Page 236 : Il avait agi derrière son dos comme un sournois. Mais faire les coups en douce, c’était son boulot, sa vie ; quoique toujours dans un but clair et pieux. Avant la guerre, il ne faisait que cela : dissimuler des fuyards dans des caches, infiltrer des renseignements secrets dans des endroits publics. Sous des légumes licites, il y avait des humains de contrebande qu’il transportait de l’autre côté de la rivière.

 

Page 276 : Le jour où Payé Acquitté vit les deux dos à travers la fenêtre puis redescendit les marches précipitamment, il prit les vociférations indéchiffrables qui retentissaient autour de la maison pour les marmonnements furieux de défunts noirs mécontents. Très peu d’entre eux étaient morts dans leur lit Comme Baby Suggs, et personne de sa connaissance, pas même Baby, n’avait vécu une existence vivable. Même les gens de couleur instruits : les gens avec des années d’école, les médecins, les professeurs, les journalistes, les hommes d’affaires, avaient dû batailler ferme. En plus d’avoir dû se servir de leur tête pour aller de l’avant, ils avaient le poids de la race tout entière qui leur pesait dessus. Il y aurait fallu deux têtes. Les Blancs étaient persuadés que, quelles que fussent leurs manières, sous toute peau sombre se cachait une jungle.

 

 

 

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