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Mon avis : Mūtismes – Titaua Peu

Publié le par Fanfan Do

Éditions Au vent des îles

Mon avis sur Insta c'est ici

Quatrième de couverture :

« Mutismes, pour tous ces silences qui ont miné l’âme polynésienne… »

Tabous et non-dits, frustrations et conflits, zones d’ombre et de silences. Autant de maux qui gangrènent la société polynésienne des années 1980 à 2000.

Face aux drames qui bouleversent sa vie, depuis son enfance exposée à la violence du père, jusqu’à l’adolescence marquée par les départs et les arrachements, tandis que des atolls se font souiller par les tirs nucléaires d’une mère patrie dont elle ignore tout, cette jeune fille doute de sa foi en l’humanité. Seule son admiration pour Rori, activiste politique indépendantiste au charisme incontestable, parvient à lui redonner le sourire et à insuffler un sens à sa vie. Mais l’amour ne peut aveugler éperdument : il lui faudra s’exiler à 22 000 kilomètres, sur cette terre française étrangère, pour trouver la force de mettre des mots sur l’indicible. Et tenter de (ré)écrire l’histoire de son pays.

Avec ce roman social et initiatique, Titaua Peu s’attelle à poser des mots sur les silences, à créer de la parole là où elle a été confisquée, oubliée.

L’auteure de Pina (Prix Eugène Dabit en 2017) n’a jamais eu des termes aussi justes que lorsqu’elle évoque les silences, soulignant les non-dits et les interdits d’une société en perdition.

Mu, n.c. tahitien : silence de quelqu’un qui a quelque chose à dire mais qui se tait. (Dictionnaire de l’Académie tahitienne - Fare Vana’a)

 

 

Pourquoi j’ai voulu lire ce livre :

J’avais reçu, grâce à Babelio Masse Critique, Pina, le deuxième roman de Titaua Peu et j’ai tout aimé dans ce livre. L’histoire, qui nous montre une réalité différente de celle qu’on a en tête concernant Tahiti, et puis une écriture magnifique.

 

Mon avis :
La narratrice, née en Nouvelle Calédonie, nous raconte sa vie, de l'enfance à l'âge adulte, et celle de sa famille, à Tahiti, terre de leurs ancêtres.
Comme dans 
Pina, son autre roman, Titaua Peu nous décrit l'enfer au paradis.
Tahiti, qui pour nous est une belle carte postale exotique, est, pour les natifs, un endroit où trop souvent règne la misère et la violence envers les femmes.

Cette histoire, où, comme le dit l'autrice, "rien ne s'est passé mais pourtant tout est vrai", nous raconte comment une mère bafouée, frappée, humiliée, piétinée, ça donne des enfants blessés à tout jamais. Les dégâts de la maltraitance envers les femmes sont multiples et par rebond ne touchent pas qu'elles.

Il y a les blancs riches, pour qui les natifs sont invisibles quand ils ne sont pas regardés avec mépris. Si vous détestez les racistes, après ça vous les détesterez encore plus.

Il y a Tutu le travesti qui vend ses charmes. Et puis il y a les putes, qui rêvent d'un autre endroit, d'une autre vie, d'un beau militaire blanc qui les épousera et les emmènera vivre en métropole où c'est forcément mieux.

Ça nous parle des essais nucléaires non loin de là, la corruption, les projets immobiliers qui rapportent aux uns au détriment des autres.
Et puis l'engagement politique, le militantisme, l'appartenance à l'identité polynésienne chevillée au corps.

Titaua Peu m'a emmenée, avec son écriture si belle, dans son île, toucher du doigt l'âme polynésienne, à travers ce récit aigre-doux. Aigre comme la dureté de la vie, doux comme l'amour familial et parfois les souvenirs d'enfance.
Et pourquoi mūtisme ? Parce que les tahitiens sont secrets, pudiques et silencieux. Mais à force de ne pas mettre de mots sur les maux, les rancœurs peuvent macérer jusqu'à… la rupture.

Papeete, Bora Bora, Les îles sous le vent, des mots doux comme les vents alizés à nos oreilles de métropolitains, et pourtant ce roman claque comme une gifle dans nos faces d'occidentaux.

 

Citations :

Page 10 : Elle dit aussi que le bon Dieu est bon, qu’il ne veut pas qu’on touche aux petits et qu’il les protège. Mais déjà, je ne crois pas à son dieu, parce que la grosse femme est de plus en plus méchante, elle mange de plus en plus et moi j’ai faim.

 

Page 14 : Ce mariage, pour lui, ce n’était que l’occasion de prouver qu’il serait désormais le maître de sa vie, de nos vies. Elle devait savoir qu’il était viril, surtout ne jamais l’oublier…

 

Page 23 : J’ai le sentiment que nous, les enfants, on s’était fait une vie bien à part, je veux dire sans maman. Je ne veux pas jouer les petites Cosette, m’apitoyer sur notre sort, du genre « maman absente = délinquance », etc., mais il faut avouer qu’une mère, ça manque quand elle est trop occupée ou trop fatiguée. On avait vécu des choses qu’elle ne connaissait pas, qu’elle ne connaîtra sans doute jamais.

 

Page 27 : Ce qui ‘a le plus dégoûtée chez ces filles-là, c’est leur acharnement. On avait l’impression que le fait d’avoir un Métropolitain dans sa vie, c’était signe de respectabilité, en trouver devenait (alors) impératif. Je n’ai rien contre les français, c’est des gens comme les autres… enfin, pas pour tout le monde. Je veux dire, pas pour ces filles. Les Métropolitains étaient presque des surhommes, ils représentaient le salut, j’exagère à peine.

 

Page 38 : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. » Faire de rien un plaisir pour le palais. C’est ça la mission quotidienne des gens pauvres.

 

Page 48 : J’enviais Nina, j’enviais tous ces gens qui reposaient là pour l’éternité. Ils avaient fini de vivre et pour eux, c’était la fin de l’angoisse.

 

Page 60 : Elles se battaient contre des hommes qu’elles croyaient forcément machistes, ignorant qu’il n’y a pas plus misogyne qu’une femme.

 

Page 74 : Chez nous les mots d’amour n’existent pas. Pauvre pudeur, pauvre manque, pauvre héritage légué par des ancêtres qui n’avaient fait que travailler, enfanter et rien d’autre. Pauvre passé, pauvre éducation, pauvre famille.

 

Page 100 : Fa’atura, respecter. On respecte les vieux, les parents, Dieu, les lieux de cultes anciens ou chrétiens ou occidentaux… Mais devait-on respecter de la même manière un homme politique qui nous « fatiguait » ?

 

Page 125 : Mon pays était devenu celui de Brel et de Gauguin, exclusivement. Brel, je voulais bien, c’est le plus grand des poètes d’aujourd’hui. Mais Gauguin, j’arrivais pas à l’aimer.

 

Page 150 : Les CRS se tenaient à quelques mètres des casseurs aidés maintenant par des tas d’autres pilleurs. Des CRS toujours aussi « seuls ». Ils essayaient de contenir la masse furieuse, de protéger des commerces, mais ils avaient contre eux la détermination qui venait de très loin, nourrie par la surdité méprisante de ceux qui gouvernaient.

 

 

 

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