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Mon avis : La sentence – Louise Erdrich

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Sarah Gurcel

 

Éditions Albin Michel – Terres d’Amérique

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

«Quand j’étais en prison, j’ai reçu un dictionnaire. Accompagné d’un petit mot : Voici le livre que j’emporterais sur une île déserte. Des livres, mon ancienne professeure m’en ferait parvenir d’autres, mais elle savait que celui-là s’avérerait d’un recours inépuisable. C’est le terme "sentence" que j’y ai cherché en premier. J’avais reçu la mienne, une impossible condamnation à soixante ans d’emprisonnement, de la bouche d’un juge qui croyait en l’au-delà.»
Après avoir bénéficié d’une libération conditionnelle, Tookie, une quadragénaire d’origine amérindienne, est embauchée par une petite librairie de Minneapolis. Lectrice passionnée, elle s’épanouit dans ce travail. Jusqu’à ce que l’esprit de Flora, une fidèle cliente récemment décédée, ne vienne hanter les rayonnages, mettant Tookie face à ses propres démons, dans une ville bientôt à feu et à sang après la mort de George Floyd, alors qu’une pandémie a mis le monde à l’arrêt...
On retrouve l’immense talent de conteuse d’une des plus grandes romancières américaines, prix Pulitzer 2021, dans ce roman qui se confronte aux fantômes de l’Amérique: le racisme et l’intolérance.


 

 

Mon avis :
Dès les premières lignes il y a quelque chose de facétieux dans la façon d'envisager la vie et les événements de la part de Tookie, la narratrice, qui, bien que trentenaire au début du roman, semble totalement immature et déconnectée. Sans doute est-ce lié à sa toxicomanie. Son manque de discernement va l'amener à commettre une énormité qui l'enverra directement en prison, pour les 69 ans à venir. Par chance, elle sera libérée au bout d'une dizaine d'années.

Lors de son incarcération, sa rencontre avec un dictionnaire va déclencher en elle une passion pour les mots et la littérature.
À sa sortie elle trouve une place dans une librairie, dans laquelle nous, lecteurs allons passer de nombreux moments délicieux. Flora, une de ses clientes, "la plus agaçante de fidélité", meurt puis revient la hanter. Et Tookie entend des bruits de pas, de froissement, les sons que produisait Flora durant les heures qu'elle passait à la librairie. Et voilà que Tookie hérite d'un livre, ou plutôt d'un journal intime, très ancien, légué par Flora. Et là, c'est le malaise…

Tookie est une autochtone et le racisme ordinaire elle connaît. La culture de ses origines ainsi que ses ancêtres et leurs rituels sont omniprésents en filigrane. C'est un personnage que j'ai trouvé très attachant. Elle est drôle, humble, généreuse, altruiste, magnanime et ne se prend pas au sérieux. Elle nous parle d'elle, de son amour pour Pollux son ami de toujours et ancien flic de la police tribale, qui l'avait arrêtée et qu'elle a épousé, de sa vie avec toujours une pointe d'ironie qui affleure et j'ai vraiment trouvé ça réjouissant. de plus, ce roman est imprégné de l'amour des livres, que dis-je ? de la passion des livres !! Chose étonnante, Tookie travaille dans la librairie de Louise qui est autrice de romans et qui a notamment écrit "
Celui qui veille". Bizarre, bizarre…
🪶
La présence éthérée de Flora traverse le roman tout en perturbant Tookie qui aspire au silence et à la tranquillité. Mais plus que tout, cette présence invisible la terrifie. Jusqu'au moment où ça devient complètement obsessionnel. Viendront le covid, puis les émeutes après la mort de George Floyd, cette guerre des opprimés, contre le racisme et les violences policières dans une communion de tous ceux dont la peau n'est pas blanche, la ville à feu et à sang, événements qui réveillent les vieilles angoisses et rancœurs de Tookie.
L'écriture est belle, les pensées, les réflexions, les idéaux, les rêves et désirs simples, tout est beau, j'ai tout aimé dans ce roman qui parle de croyances et superstitions, de racisme, de violences, mais aussi et surtout de passion littéraire, d'amour et d'amitié, de solidarité, de sororité, de famille.
Mentionné plusieurs fois, le nom du président en fonction à cette période, le gros orange avec un renard crevé en guise de moumoute, n'est jamais dit. Une des appellations pour le nommer m'a bien fait rire : Orangino.

Et ce livre infernal donne furieusement envie de faire exploser sa carte bleue tant il provoque des envies de lecture avec tous les romans mentionnés. Cela dit, un certains nombres se trouvaient déjà dans ma wishlist, d'autres déjà en ma possession.

Deuxième livre que je lis de cette autrice après L'enfant de la prochaine aurore que j'avais moyennement aimé, celui-ci m'a conquise. J'ai passé des heures passionnantes avec ce roman, avec ces personnages. J'ai eu la chance de le gagner avec @lemoisamericain et son partenariat avec les Éditions Albin Michel lors d'un des concours quotidiens du mois d'octobre sur Instagram.

 

Citations :

Page 13 : J’étais à un âge périlleux quand j’ai commis mon crime. J’avais beau avoir atteint la trentaine, mes occupations et mes raisonnements restaient ceux d’une adolescente. On était en 2005 mais je me défonçais façon 1999, buvant et me droguant comme si j’avais dix-sept ans, malgré les tentatives scandalisées de mon foie de me signaler qu’il avait une bonne décennie de plus.

 

Page 28 : Quand elle a appris mon incarcération, elle est allée acheter une caisse de livres à un dollar dans une braderie. Il s’agissait surtout de bouquins de développement personnel — des livres comiques, donc.

 

Page 40 : Entre 2005 et 2015, les téléphones avaient évolué. Le premier truc que j’ai remarqué, c’est que tout le monde fixait un rectangle lumineux. Moi aussi j’en voulais un.

 

Page 50 : Flora est décédée le 2 novembre, le jour de la fête des Morts, quand l’étoffe qui sépare les mondes est fine comme du papier de soie et se déchire facilement.

 

Page 60 : Rien ne fait plus plaisir à Penstemon que tendre un livre qu’elle aime à quelqu’un qui veut le lire. Je suis pareille. On pourrait dire que ça nous ravit, même si « ravir » est un mot que j’emploie peu. Le ravissement manque de consistance ; le bonheur a plus d’assise ; l’extase est ce que je vise ; la satisfaction, ce qu’il y a de plus dur à atteindre.

 

Page 90 : Comme tous les États de notre pays, le Minnesota a vu le jour dans le sang, par la dépossession et l’asservissement. Les officiers de l’armée des États-Unis ont acheté et vendu des personnes réduites en esclavage, y compris un couple marié, Harriet Robinson et Dred Scott. Nous sommes marqués par notre histoire. Parfois, il me semble que les premières années du Minnesota hantent tout, que ce soient les tentatives de Minneapolis pour greffer des idées progressistes sur ses origines racistes ou le fait que, ne pouvant défaire l’histoire, nous sommes condamnés à l’affronter ou à la répéter.

 

Page 128 : Alors je l’ai senti : la terre a retenu son souffle, une lente expiration, puis un doux silence tamisé. J’ai éteint ma lampe et mes pensées se sont estompées. Il venait de se mettre à neiger. Pure et fragile, la neige tombait enfin, séparant l’air et la terre, les vivants et les morts, la lectrice et le livre.

 

Page 150 : Tout projet qui détruit le monde perturbe aussi quelque chose d’intime, de tangible et d’autochtone, a repris Asema. Le riz sauvage n’est pas seulement un emblème culturel ou un aliment savoureux, c’est aussi une façon d’évoquer la survie de l’humanité.

 

Page 209 : Les nouvelles disaient que ceux qui mouraient avaient des problèmes de santé sous-jacents. Ça visait sans doute à rassurer certaines personnes — les super bien portants, les énergiques, les jeunes. Une pandémie est censée abolir les différences et tout niveler. Celle-ci a fait le contraire.

 

Page 335 : C’était l’heure dorée. Elle clôturait une journée de répit dans la chaleur de plomb. Une brise fraîche faisait parfois tomber de minuscules pommes vertes.

 

Page 344 : À ce stade de la pandémie, le pays de Gruen avait réussi à endiguer le virus, alors que le nôtre avait attisé sa propagation ; nous n’avions pour le moment plus le droit de voyager à l’étranger. Coincé aux États-Unis avec une bande de parias, dans une ville balafrée de flammes et de cendres, dans une république incertaine dirigée par un vieil escroc dégueulasse, Gruen avait été nassé et arrêté sur le pont de Minneapolis.

 

 

 

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