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Mon avis : Ce que je sais de toi – Eric Chacour

Publié le par Fanfan Do

Éditions Philippe Rey

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Le Caire, années 1980. La vie bien rangée de Tarek est devenue un carcan. Jeune médecin ayant repris le cabinet médical de son père, il partage son existence entre un métier prenant et le quotidien familial où se côtoient une discrète femme aimante, une matriarche autoritaire follement éprise de la France, une sœur confidente et la domestique, gardienne des secrets familiaux. L'ouverture par Tarek d'un dispensaire dans le quartier défavorisé du Moqattam est une bouffée d'oxygène, une reconnexion nécessaire au sens de son travail. Jusqu'au jour où une surprenante amitié naît entre lui et un habitant du lieu, Ali, qu'il va prendre sous son aile. Comment celui qui n'a rien peut-il apporter autant à celui qui semble déjà tout avoir ? Un vent de liberté ne tarde pas à ébranler les certitudes de Tarek et bouleverse sa vie.
Premier roman servi par une écriture ciselée, empreint d'humour, de sensualité et de délicatesse, Ce que je sais de toi entraîne le lecteur dans la communauté levantine d'un Caire bouillonnant, depuis le règne de Nasser jusqu'aux années 2000. Au fil de dévoilements successifs distillés avec brio par une audacieuse narration, il décrit un clan déchiré, une société en pleine transformation, et le destin émouvant d'un homme en quête de sa vérité.

 


Mon avis :
Ce roman était dans ma wishlist, j'ai eu la chance de le recevoir grâce à Lecteurs.com alors MERCI MERCI MERCI.

Le Caire - 1961.
Ce roman débute en un temps où les enfants ne choisissaient généralement pas ce qu'ils feraient dans la vie. À la question de son père lui demandant ce qu'il aimerait plus tard, de fil en aiguille Tarek dit involontairement qu'il voudra être médecin. Donc il sera médecin, comme son père. Il suivra ce chemin tracé pour lui de longue date, tranquillement, consciencieusement.

L'histoire fait des allers-retours dans plusieurs époques et m'a appris un certains nombre de choses sur l'histoire de l'Égypte et le cosmopolitisme cairote.
Ce qui m'a sauté aux yeux très rapidement, c'est que l'auteur décrit les sentiments, les pensées et les comportements humains magnifiquement. C'est comme s'il m'avait donné les clés qui me permettaient soudain de comprendre mes semblables : […] il n'y a pas d'adultes au comportement d'enfant, il n'y a que des enfants qui ont atteint l'âge où le doute est honteux.
Une chose m'a attristée et heurtée, seul Tarek semble avoir de l'importance aux yeux de ses parents. Ce que dit ou pense Nesrine, sa sœur cadette, n'est jamais entendu. Elle est quantité négligeable.
Par ailleurs, le narrateur s'adresse à Tarek et le tutoie. Cette façon de faire, très inhabituelle, m'a énormément plu. Il lui parle, et de fait nous raconte son histoire et ça rend le tout assez intime. Mais Tarek et son côté humaniste qui ne se satisfaisait plus uniquement de la médecine pour les riches et de la petite vie convenable qu'elle engendre, au fond s'est-il trouvé où s'est-il perdu ? Car son chemin tout tracé va prendre des voies sinueuses qui affecteront le cours de sa vie.

J'ai beaucoup aimé la narration qui met une petite distance entre les personnages et nous tout en nous invitant dans leurs vies et surtout celle de Tarek, avec ce qu'il faut de pudeur, sans jamais aucun voyeurisme ni pathos. On finira par apprendre qui est le narrateur puis d'autres choses, auxquelles je ne m'attendais pas du tout et je l'ai ressenti comme le second souffle de cette histoire.

Une écriture belle et envoûtante, tout en nuances et délicatesse qui nous raconte l'histoire d'une vie qui finalement n'entre pas dans les cases qui lui avaient été assignées. Combien de gens regardent en arrière et regrettent ? Sans doute beaucoup. Pourtant, à quoi bon ?
J'ai adoré ce roman qui nous parle de la vie et des choix, ou non-choix, qu'on fait, qui peuvent être aux antipodes de ce qu'on aurait pu imaginer de plus fou, qui forgent irrémédiablement nos existences. C'est peut-être ça qu'on appelle le destin et qui pourtant n'est que le résultat de nos décisions. Ce roman nous emmène de 1961 à 2001, du Caire à Montréal. C'est aussi l'histoire d'une quête, du besoin de combler un manque, le manque de quelque chose d'essentiel.

 

Citations :

Page 17 : Tu appréciais davantage la compagnie des adultes que celle des enfants de ton âge. Tu étais ébloui par ceux qui n’hésitent jamais. Ceux qui, avec le même aplomb, peuvent critiquer un Président, une loi ou une équipe de football. Ceux dont chaque geste semble affirmer qu’ils détiennent la vérité pleine et entière. Ceux qui régleraient en un claquement de doigts les questions de la Palestine, des Frères musulmans, du barrage d’Assouan ou des nationalisations. Tu finissais par croire que c’était cela , l’âge adulte : la disparition de toute forme de doute.

 

Page 35 : De même que les zabbalines du Moqattam dédiaient leur existence à redonner vie aux objets qui finissaient entre leurs mains, tu t’appliquais à soigner ces corps malmenés, ces membres disloqués, ces plaies purulentes dont personne ne distinguait plus l’odeur tant ce bidonville concentrait à lui seul les exhalaisons les plus fétides.

 

Page 182 : Je ne comprenais pas ces lettres mais je les aimais. Elles te disaient. Je ne pouvais pas encore m’en rendre compte, mais elles étaient à la fois honteuses et sublimes. Elles étaient rédigées dans l’arabe empêché de celui qui a dû apprendre tard à l’écrire. Elles avaient le tracé hésitant, la syntaxe malmenée, elles respiraient l’effort, le doute, la sueur. Elles portaient en chaque mot la crainte, celle d’être ridicules, perdues ou interceptées, de ne jamais te parvenir. Elles sentaient le mauvais papier, la nature et le manque. Elles ne disaient jamais « Je t’aime ». Elles disaient toutes « Je t’aime ». Elles ne disaient jamais ce qu’elles disaient vraiment mais j’étais, à cet âge, bien loin de l’entrevoir.

 

Page 279 : La nouvelle année est pourtant vieille de quelques semaines, mais le temps ne se mesure pas de la même manière dans un hôpital. Ceux qui savent qu’ils s’en sortiront cherchent à le tuer, les autres tentent d’en gagner un peu.

 

 

 

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