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Mon avis : À quelques milles du reste du monde – Pat Conroy

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Marie Bisseriex

 

Éditions Le Nouveau Pont

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

"Je devais écrire ce livre pour expliquer ce qui s'était passé et à quel point cela m'avait affecté." Par le célèbre auteur du Prince des marées, d'après une histoire vraie.

1969. Dans une Amérique agitée par le mouvement pour les droits civiques, Pat Conroy accepte un poste d'enseignant sur une petite ile isolée. L'endroit est envoûtant, presque désert et séparé du reste de la Caroline du Sud par un bras de mer. On ne peut s'y rendre qu'en bateau. Une poignée de familles afro-américaines vit ici mais l'île n'a plus d'avenir à offrir à ses enfants. Or le jeune professeur idéaliste découvre avec stupeur que ses élèves sont des laissés-pour-compte du système scolaire, que le niveau est dramatiquement bas et que les châtiments corporels ont toujours cours dans cette école.
Pat s'acharne alors à faire rimer apprentissage avec plaisir et à donner à ces enfants une véritable ouverture sur le monde. Mais dans un Sud qui n'en a pas fini avec le racisme, il se heurte sans arrêt à l'immobilisme et au déni d'une administration qui fera tout pour le renvoyer. Dans son style enlevé et plein d'humour, Pat Conroy nous raconte son coup de cœur pour cette île à la beauté sauvage et pour dix-sept enfants qui avaient soif d'apprendre. L'année qui a changé sa vie.

 

 

Pourquoi j’ai voulu lire ce livre :

J'aime Pat Conroy. Tellement ! Il me bouleverse, m'amuse, et me transporte par son écriture virtuose. Et voilà qu'il a écrit un livre où il parle de lui, nous raconte ses jeunes années, et je me suis dit que c'était sans doute une clé pour comprendre un peu mieux le bonhomme…
 

Mon avis :
À 24 ans, Pat conroy jeune professeur demande à aller enseigner à Yamacraw, une petite île isolée de Caroline du Sud. Tellement isolée que le vingtième siècle a oublié sa présence. Des familles de noirs y vivent, abandonnées du reste de l'Amérique, dans un confort plus que sommaire, une ignorance quasi-totale et un alcoolisme endémique.

On découvre, au début de son récit, qu'il a été un jeune crétin, avec des comportements racistes dans sa bande de copains : "Le mot nègre possédait le mystère et l'attrait du fruit défendu et je l'utilisais abusivement au sein de la bande d'amis blancs et abrutis qui contribua à mon éducation."
Pourtant, par idéalisme, il ira enseigner à des enfants noirs totalement incultes. Et les méthodes d'enseignement du jeune professeur "Conrack" ou "Patroy" selon qui le nomme, s'évertuent à casser les codes et leur apprendre des tas de choses dans un joyeux bordel. Pourtant ses méthodes dérangent. Mrs Brown, la directrice, considère que les noirs ne comprennent que le fouet, alors qu'elle est elle-même afro-américaine.

Il y a énormément d'humour dans ce récit et on se rend compte que 
Pat Conroy ne s'est jamais pris au sérieux et pratiquait l'autodérision, même en compagnie de tous ces petits noirs, ces sauvageons, ces petits gremlins remuants, ignorants et moqueurs, lui qui se sentait, au milieu d'eux, si ridiculement blanc.

Dans cette Amérique des hippies, de la guerre au Vietnam, de la marche sur Washington, 
Pat Conroy nous raconte la vie des afro-américains laissés sur le bord de la route et de ces patriotes blancs et racistes qui rêvaient de buter toute cette engeance chevelue, droguée, colorée pour rendre à l'Amérique sa grandeur.

C'est un plaisir absolu, une délectation totale de découvrir la vie et la grande générosité d'un auteur qu'on aime passionnément, par son talent d'écriture et les histoires qu'il raconte. Cet électron libre, totalement anticonformiste, nous offre un regard amusé et moqueur sur ses contemporains, cette Amérique raciste, puritaine, et bien-pensante.
C'est tout un pan de l'histoire des États-Unis que 
Pat Conroy nous offre là, avec l'ironie, la drôlerie et la bienveillance qui le caractérisent.

Côtoyer ces enfants, isolés du monde et analphabètes à fait grandir ce jeune 
Pat Conroy qui pouvait avoir des idées abruptes sur certains sujets, tant il ignorait la profondeur de certaines croyances et superstitions.
J'aurais adoré avoir un prof comme lui, idéaliste, humaniste, anticonformiste, humble et pourtant moralisateur et inflexible parfois, qui a offert à ces enfants un peu du monde dont ils ignoraient presque tout, et l'altérité grâce à des intervenants extérieurs. Ce livre est aussi un regard sur l'Amérique post-ségrégation.

 

Citations :

Page 13 : Quelque chose d’éternel et d’indestructible habite ces rivages sculptés par la marée et les sombres silences menaçants des marécages du cœur de l’île. Yamacraw est belle car l’homme n’a pas encore eu le temps de détruire sa beauté.

 

Page 19 : En Allemagne, je visitais le camps de concentration de Dachau. Je vis les photographies des corps faméliques et anonymes empilés, se faire pousser par les bulldozers dans la fosse commune. Je contemplais les fours dans lesquels les juifs avaient été réduits en tas de cendres juives et j’eus l’impression de fouler une terre sainte, monument à l’inhumanité infinie de l’homme et à une société devenue folle, terre inondée de milliers de litres de sang, une terre peuplée par les souvenirs et par les fantômes des juifs et des allemands pris au piège d’un drame tellement abominable et irréel que le monde ne pourrait plus jamais connaître la même pureté. L’empreinte de Dachau me marqua à l’encre indélébile et provoqua l’avortement de ma philosophie de l’espoir.

 

Page 22 : Je devenais convaincu que le monde était un sac de pioche rempli de bâtards de toutes les couleurs.

 

Page 32 : Les enfants me toisaient discrètement, échangeaient des regards puis gloussaient avant de me regarder à nouveau. Je me sentais ridiculement blanc.

 

Page 49 : Je ne savais pas pourquoi j’avais laissé la situation m’échapper. J’avais été tellement intéressé par le classement gastronomique à l’envers des fins gourmets de l’île que je n’avais pas vu arriver le plongeon final dans la fosse à purin.

 

Page 66 : Madame Brown m’avait dit qu’ils étaient attardés et de ne pas perdre mon temps avec eux. De toute évidence, il y avait quelqu’un qui n’avait pas perdu beaucoup de son temps à essayer de les instruire.

 

Page 80 : J’en vins à aimer dévotement les Skimberry car sans raison aucune, ils m’accueillaient chez eux, me racontaient leurs rêves et leurs déceptions et partageaient avec moi leurs secrets intimes et les compromis de leurs vies. Ils mirent leur âme à nue devant moi car leur honnêteté élémentaire ne connaissait ni la ruse ni les faux-semblants. Je faisais partie de leur vie et ils devinrent un élément important de mon histoire à Yamacraw quand les évènements s’enchaînèrent et que les circonstances évoluèrent. Combien de matins ou d’après-midis entendis-je la voix rauque d’Ida me crier, alors que j’entrais : « Pat, vieux fils de pute, sers-toi donc du café. »

 

Page 82 : « Cette histoire est sacrément horrible Zeke.

- C’est juste pour te montrer comment les gens peuvent chier sur un Nègre et ne plus jamais y penser. Les gens d’ici sont pleins de préjugés sur les Nègres. Ils les voudraient tous morts. Tous les réexpédier en Afrique. Et ce sont tous de bons chrétiens. »

 

Page 148 : Je savais que le moment de vérité entre madame Brown et moi était proche. Le vieux démon de la culpabilité du Blanc pouvait me contrôler un moment mais l’une des facettes de la personnalité de madame Brown commençait à devenir de plus en plus claire dans mon esprit et plus cela s’éclaircissait, plus je m’approchais d’une importante et libératoire vérité universelle : qu’une personne soit noire ne signifie pas qu’elle pense noir ou qu’elle soit fière d’être noire. Elle aurait aimé être blanche, ce qui en disait peut-être long sur notre société.

 

Page 152 : « Ils ne connaissent rien de mieux. Ils sont heureux comme cela. » Et pourtant, tout autour de moi, dans les sourires de mes élèves, je voyais un crime si abominable qu’il pouvait être interprété comme la condamnation d’une société toute entière, comme la damnation d’une nation et comme une histoire de la perversité – ces enfants assis devant moi n’avaient pas la moindre fichue chance de goûter à l’incroyable richesse et à l’opulence du pays qui était le leur, un pays qui les avait déçus, un pays qui avait besoin d’être libéré mais qui ne le méritait pas.

 

Page 176 : J’hésitais même à m’aventurer vers des pensées plus profondes, sur le temps et l’infini, le présent et l’éternité, sur ma propre impermanence, comparée à celle des marécages, de la rivière et des marées. Dans cinquante ans, j’aurais soixante-quatorze ans, je serais un vieux grincheux chauve et édenté ; rejeton gériatrique des années quarante, au sang desséché, à la jeunesse fanée et aux rêves aussi morts que des herbes lessivées par une marée de printemps.

 

Page 245 : Les jeunes gens savent que de vrais fils de pute se cachent sous les costumes et les cravates.

 

Page 253 : Mais j’étais jeune. Je sous-estimais alors le côté obscur de l’humanité, celui que l’on perçoit rarement à la lumière du jour. Je n’avais pas compté sur les bêtes secrètes qui résidaient dans les forêts ténébreuses de l’âme des hommes.

 

 

 

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