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Mon avis : Le dernier amour de Baba Dounia – Alina Bronsky

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’allemand par Isabelle Liber

 

Éditions Actes Sud

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, les alentours de la centrale désaffectée se repeuplent clandestinement : Baba Dounia, veuve solitaire et décapante, entend bien y vieillir en paix. En dépit des radiations, son temps s’écoule en compagnie d’une chaleureuse hypocondriaque, d’un moribond fantasque et d’un centenaire rêvant d’amour.

Mais qui est l’auteur de la lettre à Baba Dounia, écrite dans une langue qu’elle ne comprend pas ?

D’une plume à la fois malicieuse et implacable, Alina Bronsky invente la comédie humaine post-cataclysmique.
 

 

Mon avis :
L'histoire se passe environ trente ans après la catastrophe de Tchernobyl.
Dans ce récit il y a de la nostalgie pour le temps d'avant, quand la vie grouillait dans ce qui est devenu la zone d'exclusion, quand les petits-enfants venaient passer les trois mois d'été chez leur grands-parents.
Baba Dounia est revenue vivre dans sa maison à Tchernovo, après l'explosion de la centrale nucléaire, "après le réacteur" comme elle dit. À son grand âge elle n'a que faire des radiations. Autour d'elle, d'autres sont revenus, telle Maria qui vit dans le souvenir de son défunt mari, enjolivant sans en avoir conscience ce qu'elle se rappelle de son affreuse vie conjugale, ou encore Petrov, rongé par le cancer mais qui ne veut pas cultiver son jardin car tout est contaminé. Un comble ! Mais aussi Sidorov, les Gavrilov, Lenotchka, tous ces gens revenus là où ils se sentent chez eux. Même Yegor, le défunt mari de Baba Dounia est là, pour lui faire la conversation.

Il y a dans la narration de Baba Dounia un souffle facétieux qui rend les choses joyeuses alors qu'on est après et sur le lieu de la pire catastrophe nucléaire que l'humanité ait connu.
C'est beau parce que l'individualisme n'existe pas à cet endroit. Il n'y a la place que pour la solidarité, la générosité, la convivialité, l'amitié. La vie dans ce qu'elle a d'essentiel. Donc tout va pour le mieux chez les irradiés, jusqu'à un grain de sable qui vient gripper les rouages de ces vies heureuses.

J'ai aimé ce roman qui nous parle de ceux qui sont revenus vivre chez eux, dans cette zone polluée par l'atome pour des siècles, en dépit de toute sécurité, où les morts cohabitent avec les vivants, humains comme animaux. J'ai adoré cette façon de parler de la mort, des morts, des radiations et du danger, avec cette pointe d'humour permanente. Comme si, bah… c'était rien quoi !

J'ai trouvé ce livre étonnant, tant l'histoire qui s'y déroule est farfelue et drôle. Baba Dounia est une espèce d'électron libre, totalement fantaisiste et pourtant d'une grande sagesse, au service d'un récit exquis (et attention !.. Je n'utilise jamais le mot exquis, c'est dire si ça l'est...).
C'est une tranche de vie, ponctuée de souvenirs. Dounia a des réflexions intéressantes, un peu désabusées et justes sur la vie, sur sa vie, et parfois j'ai eu l'impression qu'elle parlait de ma vie. Sans doute parce que sa vision de la vie pourrait s'appliquer à toutes les femmes. Ah oui vraiment, j'ai aimé ce roman d'
Alina Bronsky, née russe, devenue allemande et qui donc écrit en allemand sur le pays de ses origines.

 

Citations :

Page 7 : comme chaque matin, j’ai un moment de surprise en regardant mes pieds, larges et noueux dans les sandales de marche allemandes. Ce sont des sandales solides, à toute épreuve. Dans quelques années, je ne serai plus, mais elles, elles seront sûrement encore là.

 

Page 9 : Je n’arrive toujours pas vraiment à me faire à l’idée que c’est le même soleil qui brille pour tout le monde : pour la reine d’Angleterre, pour le nègre qui préside l’Amérique, pour Irina en Allemagne, pour Constantin, le coq de Maria.

 

Page 43 : L’erreur, ce n’était pas d’avoir choisi le mauvais. L’erreur, c’était de s’être mariée. J’aurais très bien pu élever Irina et Alexei toute seule, et personne n’aurait jamais été autorisé à me dire ce que je pouvais ou non faire de mes pieds.

 

Page 67 : J’oublie régulièrement l’âge que j’ai. Je suis tout étonnée d’entendre mes articulations grincer, de sentir l’effet de la gravité le matin, en me levant, de voir ce visage fripé et inconnu dans le miroir rayé.

 

Page 74 : Même quand la situation est tout sauf normale, il faut s’adresser aux autres en utilisant le prénom et le nom paternel. Surtout quand on n’a pas gardé les vaches ensemble.

 

Page 108 : Et puis, je sais que j’émets autant de radiations que notre terre et tout ce qu’elle produit. Juste après le réacteur, comme beaucoup d’autres, j’ai passé des examens — je suis allée à l’hôpital de Malichi, je me suis assise sur une chaise, j’ai donné mon nom et mon année de naissance tandis qu’un compteur crépitait à côté de moi et qu’une assistante médicale notait les résultats dans son carnet. Plus tard, le biologiste m’a expliqué que ce truc était dans mes os et irradiait tout ce qui m’entourait, si bien que j’étais moi-même comme un petit réacteur.

 

Page 116 : J’ai l’impression que quelqu’un nous observe. Si j’étais croyante, je dirais que c’est Dieu. Sauf que dans notre pays, Dieu a été supprimé quand j’étais petite et que je n’ai pas réussi à le ramener à la vie depuis. Il n’y avait pas d’icône dans la maison de mes parents et on ne priait pas. Dans les années 1990, je ne me suis pas fait baptiser comme tant d’autres, parce que je les trouvais ridicules, ces adultes qui plongeaient dans une bassine entre des volutes de fumée parfumée. Et pourtant, avec tout ce qu’on entend sur lui, je suis bien d’avis que Jésus-Christ était quelqu’un de tout à fait convenable.

 

Page 150 : J’irai dans la forêt récolter de l’eau de bouleau. Pas parce que je veux devenir centenaire, mais parce que c’est un sacrilège de refuser les dons de la nature.

 

 

 

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