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Mon avis : L’homme qui savait la langue des serpents – Andrus Kivirähk

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’estonien par Jean-Pierre Minaudier

 

Éditions Le Tripode

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Empreint de réalisme magique et d'un souffle inspiré des sagas islandaises, L'homme qui savait la langue des serpents révèle l'humour et l'imagination délirante d'Andrus Kivirähk.
Le roman qui connaît un immense succès depuis sa parution en 2007 en Estonie, retrace dans une époque médiévale réinventée la vie d'un homme qui, habitant dans la forêt, voit le monde de ses ancêtres disparaître et la modernité l'emporter.
Grand Prix de L'Imaginaire 2014

 

 

Mon avis :
Amis des bêtes, bienvenue dans ce drôle de monde et cette époque où les humains étaient proches de la nature, où un ours pouvait séduire une femme mariée, où les hérissons étaient de gros crétins, où certains savaient la langue des serpents car ils étaient leurs frères. Hélas, à part Leemet, tout le monde a oublié... Il est le dernier à la parler. Et il nous raconte.

On navigue dans un univers fantasque où on rencontre des femmes qui se flagellent nues en haut des arbres, un vieil ivrogne quasi végétal, un sage des vents, un cul-de-jatte qui fabrique de la vaisselle un peu spéciale, un très vieux poisson barbu, et le Christ est l'idole des jeunes... Il suffit de se laisser porter et permettre à l'enfant qui est en nous de refaire surface, pour croire aux anthropopithèques qui élèvent des gros poux délirants, à la salamandre volante, à Ints la jeune vipère et meilleur ami, à l'Ondin esprit du lac, aux ours tombeurs de ces dames, aux louves laitières... c'est jubilatoire ! Il y a d'un côté ceux de la forêt un peu doux dingues mais parfois plus dingues que doux, qui vivent en harmonie avec la flore mais dominent la faune, dont certains croient aux génies, et de l'autre ceux du village, qui ont tout renié de leur mode de vie passé, qui sont sous l'emprise de la religion, et donneurs de leçons. Les villageois qui passent leur temps à cultiver les champs et aller à la messe, les forestiers qui mangent de l'élan encore et encore et beaucoup trop, entre deux flâneries dans les bois.

Ce roman c'est, transposé au temps des chevaliers, le monde ancien contre le monde moderne. Et vraiment, c'est l'ancien qui est le plus attrayant, féerique, enchanteur, fabuleux, ensorcelant, flippant... Ah !... Ça se voit que j'ai aimé ? Adoré ? Surkiffé ? Oui ! Ce roman est une bulle d'oxygène sylvestre, de croyances ancestrales, de fantasmagorie et aussi de drôlerie. Car oui, c'est joyeux, drôle, et parfois hilarant.

L'auteur se moque allègrement, à travers ses personnages, des croyances et superstitions païennes et de celles liées à la religion et de la récupération qu'ils font, toujours en leur faveur, des événements, tendant à prouver que rien de ce qui arrive n'est dû aux mérites des individus car ils sont forcément l'instrument de Dieu, ou du diable s'il n'y a que de l'indignité et pas de gloire à s'approprier. Il égratigne au passage les sociétés, les pouvoirs en place qui veulent tout contrôler, ne voir qu'une tête, et surtout pas de libres penseurs, la religion toute puissante qui asservit les gens par la peur et l'ignorance, pourvoyeuse de la pensée unique. le contrôle de la nature, et vade retro la liberté ! Des peuples sous le joug de têtes pensantes prosélytes qui haïssent l'apostasie, l'athéisme, le paganisme. Et ça, c'est intemporel. Il faut avouer que la religion en prend pour son grade, à moins que ce ne soit plutôt les ecclésiastiques, mais avec énormément d'humour. Cela dit, le mage aussi prend cher avec ses lutins, ses génies, sa bêtise, sa méchanceté et ses désirs de domination. Et les peuples qui se comportent en bons petits moutons mais jugent durement ceux qui ne marchent pas comme eux dans le rang. Ça m'a mis une chanson en tête : Non les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux.

C'est foisonnant, il s'y passe tant de choses, des joies, des douleurs, le monde qui change, l'amitié, l'amour, la mort, les affres de l'obscurantisme, de l'ignorance et du fanatisme. C'est l'histoire de toute une vie, celle de Leemet le narrateur, et il nous la raconte d'une façon enthousiasmante, enjouée et très drôle, mais aussi douloureuse parfois et quelquefois résignée. J'ai tellement aimé que je ne vais pas m'arrêter là quant à ma découverte des romans de 
Andrus Kivirähk !

 

Citations :

Page 32 : Dites donc à vos parents qu’ils arrêtent avec leurs âneries ! Tous ceux qui ont quelque chose dans la cervelle viennent s’installer au village. À notre époque, c’est idiot de s’enterrer au fin fond d’un fourré en se privant de tous les acquis de la science contemporaine. Ça me fend le cœur de penser à ces pauvres gens qui continuent à végéter dans des cavernes alors que d’autres vivent dans des châteaux ou des palais ! Pourquoi les estoniens devraient-ils être les derniers à se civiliser ? Nous aussi, nous avons droit aux mêmes plaisirs que les autres peuples ! Dites(le à vos parents. S’ils ne pensent pas à eux, qu’ils aient au moins pitié de leurs enfants. Qu’est-ce que vous allez devenir si vous n’apprenez pas à parler allemand et à servir Jésus-Christ ?

 

Page 36 : « Il y en a qui croient aux génies et fréquentent les bois sacrés, et puis d’autres qui croient en Jésus et qui vont à l’église. C’est juste une question de mode. Il n’y a rien d’utile à tirer de tous ces dieux, c’est comme des broches ou des perles, c’est pour faire joli. Rien que des breloques pour s’accrocher au cou ou pour faire joujou. »

 

Page 160 : Ce fut un automne sinistre, peut-être le plus désespéré de tous ceux que j’ai vécus, car même si plus tard j’ai connu des temps encore plus tristes et qu’il m’est arrivé des choses bien plus terrible, à l’époque mon cœur n’était pas encore endurci comme il s’est endurci par la suite, ce qui me rendit les souffrances plus supportables. Pour parler serpent, je n’avais pas encore mué comme je le fis à plusieurs reprises, plus tard, au cours de mon existence, me glissant dans des enveloppes de plus en plus rudes, de plus en plus imperméables aux sensations. À présent, peut-être que rien ne traverse plus. Je porte une pelisse de pierre.

 

Page 164 : Je nageais dans le sommeil, il me roulait dessus comme des vagues, je pouvais pratiquement le toucher ; je le sentais doux comme de la mousse, et en même temps il me glissait entre les doigts comme du sable. Il était tout autour de moi, il comblait tous les vides et tous les orifices, il était chaud et frais en même temps, il flottait partout comme un souffle de vent qui caresse et radoucit l’atmosphère.

 

Page 199 : J’étais vraiment sidéré qu’un être humain puisse être à ce point sans défense, tel un misérable oisillon, qu’il se laisse mordre par un reptile. Bien sûr, j’avais vu de mes propres yeux Ints tuer le moine, mais pour moi les moines et les hommes de fer n’appartenaient pas vraiment à l’espèce humaine vu qu’ils ne comprenaient ni la langue des gens ni celle des serpents, et bafouillaient des choses parfaitement incompréhensibles. C’était comme des espèces de scarabées, on pouvait les mordre et les tuer tant qu’on voulait.

 

Page 234 : Les gens sont toujours en train d’inventer un quelconque croquemitaine pour se décharger sur lui de leurs responsabilités.

 

Page 274 : « Le gamin a mal tourné, désolé. Peut-être parce qu’il a perdu sa mère très tôt. Je n’ai pas su l’élever. Mais qu’est-ce que je peux y faire, c’est quand-même mon fils, je ne peux quand-même pas l’abattre parce qu’il s’est fait moine. »

 

 

 

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