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Mon avis : La supplication : Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse – Svetlana Alexievitch

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Galia Ackerman et Pierre Lorrain

 

Éditions J’ai lu

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

"Des bribes de conversations me reviennent en mémoire... Quelqu'un m'exhorte :

- Vous ne devez pas oublier que ce n'est plus votre mari, l'homme aimé qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. Vous n'êtes pas suicidaire. Prenez-vous en main ! "

Tchernobyl. Ce mot évoque dorénavant une catastrophe écologique majeure. Mais que savons-nous du drame humain, quotidien, qui a suivi l'explosion de la centrale ?

Svetlana Alexievitch nous fait entrevoir un monde bouleversant : celui des survivants, à qui elle cède la parole. L'événement prend alors une tout autre dimension.
Pour la première fois, écoutons les voix suppliciées de Tchernobyl.

 

Écrivaine et journaliste biélorusse, dissidente soutenue par le Pen Club et la fondation Soros, Svetlana Alexievitch est aussi l’auteure des Cercueils de zinc et de La guerre n’a pas un visage de femme. En 2013, elle obtient le prix Médicis Essai pour La fin de l’homme rouge et, en 2015, le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre.

 

 

Pourquoi j’ai voulu lire ce livre :

Tout ce qui parle de la catastrophe de Tchernobyl m’intéresse.

 

Mon avis :
La première chose qui m'est venue à l'esprit en commençant ma lecture : qu'est-ce que c'est dur de lire ça ! le nez qui pique et les yeux qui s'embuent… car là ce n'est pas un roman mais la réalité, la sinistre réalité d'un monde qui crée un monstre létal et en perd le contrôle, faisant ainsi d'innombrables victimes, des gens à qui on a volé leurs vies, certains qui avaient tout l'avenir devant eux.
Ce sont les nombreux témoignages de ces victimes que 
Svetlana Alexievitch nous donne à lire.
Des villageois, des conjoints, des soldats, des liquidateurs, des parents d'enfants souffrant de malformations liées aux radiations, des enfants, tous racontent leur douleur.

Cette catastrophe industrielle située en Biélorussie à projeté des substances gazeuses à grande altitude : "En moins d'une semaine, Tchernobyl devint un problème pour le monde entier…"
Partout les radiations, cette mort invisible. Pourtant j'ai l'impression que le reste du monde tend à penser que c'est juste une catastrophe qui n'a touché que la Russie.

J'ai toujours trouvé fascinante l'abnégation des liquidateurs. Ces hommes qui ont sacrifié leur vie pour protéger le reste de l'humanité, sachant qu'ils ne seraient pas là pour voir la suite. Oui, sauf qu'ils ne savaient pas grand-chose des risques encourus. C'est terrible ce qu'on leur fait.

Il y a des passages très durs, en tout cas pour moi, quand les soldats obéissent à l'ordre cruel d'exterminer tous les chats et tous les chiens restés dans les villages parce que leurs maîtres ont eu l'interdiction de les emmener. Ça aussi a été d'une barbarie sans nom.

Il y avait des gens qui vivaient à proximité de Tchernobyl, dans des maisons sommaires, dans une autre époque où le modernisme n'était pas arrivé, et c'était toute leur vie, leur quotidien, leurs rituels immuables, et on les a arrachés à ça.

Tous ces témoignages sont glaçants par l'incompréhension au départ de ce qui arrivait -"Comment croire une chose inconcevable? On a beau essayer de comprendre, on n'y parvient pas."-, mais aussi par le cynisme et le manque d'humanité des autorités qui ont été sans limites. Mais je me rappelle un jour avoir entendu 
Vladimir Fédorovski à la radio dire que L'URSS c'était la négation et le non-respect de la vie humaine.
C'est exactement ce qu'on lit dans ces lignes, le témoignage de ces morts en sursis à qui on dit qu'il n'est rien arrivé.
"L'état bénéficie d'une priorité absolue. Et la valeur de la vie humaine est réduite à zéro."

Le comble du cynisme, comme il est dit dans le livre, c'est que si à l'époque L'URSS n'avait pas commencé à s'ouvrir à l'occident, nous n'aurions pas su ce qui s'était réellement passé.

Citations :

Page 22 : - Vous ne devez pas oublier que ce n'est plus votre mari, l'homme aimé qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. Vous n'êtes pas suicidaire. Prenez-vous en main ! "

 

Page 32 : Un évènement raconté par une seule personne est son destin. Raconté par plusieurs, il devient l’Histoire. Voilà le plus difficile : concilier les deux vérités, la personnelle et la générale.

 

Page 74 : « Notre régiment fut réveillé par le signal d’alarme. On ne nous annonça notre destination qu’à la gare de Biélorussie, à Moscou. Un gars protesta – je crois qu’il venait de Leningrad. On le menaça de cour martiale. Le commandant lui dit, devant les compagnies rassemblées : « Tu iras en prison ou seras fusillé. » Mes sentiments étaient tout autres. À l’opposé. Je voulais faire quelque chose d’héroïque. Comme poussé par une sorte d’élan enfantin, la plupart des gars pensaient comme moi. Des Russes, des Ukrainiens, des Kazakhs, des Arméniens… Nous étions inquiets, bien sur, mais gais en même temps, allez savoir pourquoi !

 

Page 76 : Sur la porte il y avait un mot : « Cher homme, ne cherche pas des objets de valeur, nous n’en avions pas. Utilise ce dont tu as besoin, mais sans marauder. Nous reviendrons. »

 

Page 96 : J’ai vu un homme dont on enterrait la maison devant ses yeux… (Il s’arrête.) On enterrait des maisons, des puits, des arbres… On enterrait la terre… On la découpait, on en enroulait des couches… Je vous ai prévenue… Rien d’héroïque.

 

Page 105 : - On prétend que les animaux n’ont pas de conscience, qu’ils ne pensent pas. Mais ce n’est pas vrai. Un chevreuil blessé… Il a envie qu’on ait pitié de lui, mais tu l’achèves. À la dernière minute, il a un regard tout à fait conscient, presque humain. Il te hait. Ou il te supplie : Je veux vivre, moi aussi ! Vivre !

 

Page 111 : J’ai peur… J’ai peur d’aimer. J’ai un fiancé. Nous avons déjà déposé notre demande de mariage à la mairie. Avez-vous entendu parler des hibakushi de Hiroshima ? Les survivants de l’explosion… Ils ne peuvent se marier qu’entre eux. On n’en parle pas, chez nous. On n’écrit rien à ce sujet. Mais nous existons, nous autres, les Hibakushi de Tchernobyl.

 

Page 118 : Les journaux ont écrit que le vent, heureusement, soufflait dans l’autre sens. Pas sur la ville… Pas sur Kiev… Mais personne ne soupçonnait qu’il soufflait sur la Biélorussie. Sur mon petit Iouri, sur moi.

 

Page 121 : « Pourquoi ne pouvait-on pas sauver les animaux qui sont restés là-bas ? » Je n’ai pas pu lui répondre… Nos livres, nos films parlent seulement de la pitié et de l’amour pour l’homme ! Pas pour tout ce qui est vivant. Pas pour les animaux ou les plantes. Cet autre monde… Mais avec Tchernobyl, l’homme a levé la main sur tout…

 

Page 172 : Je crains la pluie… Voilà ce que c’est, Tchernobyl. Je crains la neige… Et la forêt. Ce n’est pas une abstraction, une déduction, mais un sentiment qui gît au plus profond de moi-même. Tchernobyl se trouve dans ma propre maison. Il est dans l’être le plus cher pour moi, dans mon fils qui est né au printemps 1987… Il est malade. Les animaux, même les cafards, savent à quel moment il convient d’enfanter. Les hommes ne le peuvent pas. Dieu ne leur a pas donné le sens du pressentiment.

 

Page 175 : De plus, nous avons été élevés dans un paganisme soviétique très particulier : l’homme était considéré comme le maître, la couronne de la création. Et il avait le droit de faire ce qu’il voulait de la planète. Comme dans la célèbre formule de Mitchourine : « Nous ne pouvons pas attendre que la nature nous accorde ses faveurs, notre tâche est de les lui arracher. » C’était une tentative d’inoculer au peuple des qualités qu’il n’avait pas. De lui donner la psychologie d’un violeur. Un défi à l’Histoire et à la nature.

 

Page 191 : Le Soviétique est incapable de penser exclusivement à lui-même, à sa propre vie, de vivre en vase clos. Nos hommes politiques sont incapables de penser à la valeur de la vie humaine, mais nous non plus. Vous comprenez ? Nous sommes organisés d’une manière particulière. Nous sommes d’une étoffe particulière.

 

 

 

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