Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Mon avis : Danser dans la mosquée – Homeira Qaderi

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Cécile Dutheil de La Rochère

 

Éditions Julliard - 10-18

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Homeira naît en 1980 à Hérat, en Afghanistan, dans une maison où se côtoient trois générations qui tentent de survivre tour à tour à l'occupation soviétique, à la guerre civile puis à la première prise de pouvoir des talibans. Au sein de ce foyer aimant, l'enfant chérit les livres et la liberté, se révolte contre les privilèges accordés aux hommes et les interdits visant les filles. Adolescente, elle va jusqu'à animer une école clandestine dans une mosquée.
Mais plus Homeira grandit, plus la vie s'assombrit. Elle accepte le mariage avec un inconnu, puis finit par fuir son pays. Elle fera de son existence un combat pour l'instruction et pour le droit des femmes.
Portrait d'un peuple qui vit sous la férule des talibans, Danser dans la mosquée est aussi un message au fils dont Homeira Qaderi a été séparée, auquel elle adresse des lettres poignantes.

" Danser dans la mosquée se lit vite, sans répit. Homeira Qaderi est une formidable conteuse. " Karen Huard, ELLE

 

 

Mon avis :
Merci a Babelio Masse Critique pour l'envoi de ce livre 😘


Homeira Qaderi nous prévient en préambule que tout est vrai dans ce livre à part certains noms, pour des raisons évidentes.
De son exil en Californie, ce livre raconte sa vie en Afghanistan depuis l'enfance, parsemé de lettres à son fils, qu'on lui a retiré quand il avait dix-neuf mois.

"𝙻𝚎𝚜 𝚚𝚞𝚊𝚝𝚛𝚎 𝚜𝚊𝚒𝚜𝚘𝚗𝚜 𝚊𝚕𝚕𝚊𝚒𝚎𝚗𝚝 𝚎𝚝 𝚟𝚎𝚗𝚊𝚒𝚎𝚗𝚝, 𝚖𝚊𝚒𝚜 𝚕𝚊 𝚜𝚊𝚒𝚜𝚘𝚗 𝚍𝚎 𝚕𝚊 𝚐𝚞𝚎𝚛𝚛𝚎 é𝚝𝚊𝚒𝚝 𝚜𝚊𝚗𝚜 𝚏𝚒𝚗."
Il y a eu l'occupation russe, puis, après, l'arrivée des talibans. Les filles étaient déjà au départ moins bien traitées que les garçons, jouissant de beaucoup moins de privilèges qu'eux à tous les niveaux, moins de viande à table, pas le droit de courir, encore moins de grimper aux arbres, de rire bruyamment. Mais à l'arrivée des talibans la nuit s'est refermée sur elles. Elles ont cessé d'exister. Ces obscurantistes, à vouloir écraser les femmes, ont réveillé chez certaines un fort esprit de résistance.

Homeira était une rebelle née. Une petite fille curieuse et pleine de vie, refusant l'injustice, rien que ça. Elle voulait juste avoir les droits des garçons.

Tout au long de ce récit j'ai ressenti une angoisse diffuse. le désir de résistance des filles, car plutôt mourir que d'être enterrée vivante mais aussi la peur des garçons qui refusent d'aller contre les talibans. Car il faut du courage pour refuser le destin imposé par ces espèces de zombies, ces hommes armés, vêtus de noir, dépenaillés, maigres, sales, aux longues barbes, longs cheveux et turban, maquillés d'un trait de khôl, au regard glacé comme la mort.
Tout est devenu interdit : rire, chanter, danser, écouter de la musique, avoir une télé, lire, à part le coran. Être heureux tout simplement et avoir des rêves est interdit.

Un jour Homeira a accepté, pour épargner l'opprobre à sa famille, d'être mariée à un inconnu, ou plutôt vendue car dans cette culture là, le prix d'une fille est négocié, elle n'a pas son mot à dire. Néanmoins elle vivra une parenthèse enchantée en Iran où les femmes à ce moment là avaient le droit d'étudier, de rire, de travailler, avant de rentrer en Afghanistan, de […] 𝚛𝚎𝚝𝚘𝚞𝚛𝚗𝚎𝚛 𝚍𝚊𝚗𝚜 𝚞𝚗𝚎 𝚟𝚒𝚕𝚕𝚎 𝚚𝚞𝚒 𝚜𝚎 𝚗𝚘𝚞𝚛𝚛𝚒𝚜𝚜𝚊𝚒𝚝 𝚍𝚞 𝚜𝚊𝚗𝚐 𝚍𝚎𝚜 𝚏𝚒𝚕𝚕𝚎𝚜.

Ce livre est un cri, de révolte, de ralliement, de solidarité, pour toutes les femmes du monde écrasées par des pouvoirs misogynes et totalitaires, mais aussi pour des hommes qui savent qu'une société non égalitaire est une société bancale, injuste et souvent cruelle.

 

Citations :

Page 13 : Elle était persuadée que la plus difficile des missions que le Tout-Puissant pouvait confier à quiconque était d’être une fille en Afghanistan.

 

Page 34 : Le lendemain de ta naissance, un vent glaçant a pénétré par le fenêtre ouverte de ma chambre. Dans la rue, les gens devaient être en train de rassembler les membres éparpillés des corps de leurs proches morts. Un camion-citerne jaune orangé était venu prêter main-forte à la neige pour effacer les entailles rougeoyantes, fruit de la cruauté des hommes.

 

Page 63 : Je sais que l’islam a été manipulé et transformé en instrument de châtiment. En pierre à lapider les gens, surtout les femmes.

 

Page 108 : Nous étions condamnées à vivre dans une obscurité étouffante, claquemurées derrière les fenêtres et les rideaux. Les filles ne voyaient la lumière que lorsqu’elles les écartaient pour faire passer le fil dans leur aiguille.

 

Page 127 : Nous vivions une époque terrifiante. Les talibans obligeaient de nombreuses jeunes filles à les épouser et personne n’osait s’opposer à ces hommes armés et féroces. Certains étaient arabes, pakistanais ou tchétchènes, si bien que les filles disparaissaient comme de la fumée. Telle était la face hideuse de la religion et de la politique.

 

Page 137 : Nanah-jan a toujours pensé qu’une femme afghane devait d’abord avoir un fils, pour faire plaisir à son mari, puis une fille, pour son plaisir à elle. « Une femme sans fille meurt avec un sacré lot de peine et de souffrance », disait-elle.

 

Page 142 : Dans les livres que nous avions remontés de la cantine, il n’y avait pas de burqa. Pas de filles que l’on fouettait avec des branches de grenadier ou que l’on échangeait contre des chiens de combat. Pas de filles que l’on offrait au vieillard le plus pieux de la cité. Pas de filles battues qui préféraient se jeter dans un puits plutôt que d’être lapidées à mort. Il n’y avait pas non plus de fillettes que leur père obligeait à porter des vêtements de garçon et à jouer le rôle du fils de la famille. Dans ces livres-là, les femmes n’allaient pas confier leurs histoires à l’eau du fleuve ni parler aux morts des cimetières pour fuir la solitude.

 

Page 194 : Avec le temps, je me suis fait deux amies, Sara et Elaheh, avec qui je pouvais parler plus longuement de mon enfance en Afghanistan. Je me souviens de leurs regards ébahis quand elles refermaient leurs livres pour m’écouter. À l’époque, personne n’avait rien écrit sur la vie des femmes sous le régime des talibans. Elles n’imaginaient pas qu’un tel endroit puisse exister ; inversement, je ne savais pas qu’en dehors de l’Afghanistan, le monde était un paradis, relatif, pour les femmes.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Ce que je sais de toi – Eric Chacour

Publié le par Fanfan Do

Éditions Philippe Rey

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Le Caire, années 1980. La vie bien rangée de Tarek est devenue un carcan. Jeune médecin ayant repris le cabinet médical de son père, il partage son existence entre un métier prenant et le quotidien familial où se côtoient une discrète femme aimante, une matriarche autoritaire follement éprise de la France, une sœur confidente et la domestique, gardienne des secrets familiaux. L'ouverture par Tarek d'un dispensaire dans le quartier défavorisé du Moqattam est une bouffée d'oxygène, une reconnexion nécessaire au sens de son travail. Jusqu'au jour où une surprenante amitié naît entre lui et un habitant du lieu, Ali, qu'il va prendre sous son aile. Comment celui qui n'a rien peut-il apporter autant à celui qui semble déjà tout avoir ? Un vent de liberté ne tarde pas à ébranler les certitudes de Tarek et bouleverse sa vie.
Premier roman servi par une écriture ciselée, empreint d'humour, de sensualité et de délicatesse, Ce que je sais de toi entraîne le lecteur dans la communauté levantine d'un Caire bouillonnant, depuis le règne de Nasser jusqu'aux années 2000. Au fil de dévoilements successifs distillés avec brio par une audacieuse narration, il décrit un clan déchiré, une société en pleine transformation, et le destin émouvant d'un homme en quête de sa vérité.

 


Mon avis :
Ce roman était dans ma wishlist, j'ai eu la chance de le recevoir grâce à Lecteurs.com alors MERCI MERCI MERCI.

Le Caire - 1961.
Ce roman débute en un temps où les enfants ne choisissaient généralement pas ce qu'ils feraient dans la vie. À la question de son père lui demandant ce qu'il aimerait plus tard, de fil en aiguille Tarek dit involontairement qu'il voudra être médecin. Donc il sera médecin, comme son père. Il suivra ce chemin tracé pour lui de longue date, tranquillement, consciencieusement.

L'histoire fait des allers-retours dans plusieurs époques et m'a appris un certains nombre de choses sur l'histoire de l'Égypte et le cosmopolitisme cairote.
Ce qui m'a sauté aux yeux très rapidement, c'est que l'auteur décrit les sentiments, les pensées et les comportements humains magnifiquement. C'est comme s'il m'avait donné les clés qui me permettaient soudain de comprendre mes semblables : […] il n'y a pas d'adultes au comportement d'enfant, il n'y a que des enfants qui ont atteint l'âge où le doute est honteux.
Une chose m'a attristée et heurtée, seul Tarek semble avoir de l'importance aux yeux de ses parents. Ce que dit ou pense Nesrine, sa sœur cadette, n'est jamais entendu. Elle est quantité négligeable.
Par ailleurs, le narrateur s'adresse à Tarek et le tutoie. Cette façon de faire, très inhabituelle, m'a énormément plu. Il lui parle, et de fait nous raconte son histoire et ça rend le tout assez intime. Mais Tarek et son côté humaniste qui ne se satisfaisait plus uniquement de la médecine pour les riches et de la petite vie convenable qu'elle engendre, au fond s'est-il trouvé où s'est-il perdu ? Car son chemin tout tracé va prendre des voies sinueuses qui affecteront le cours de sa vie.

J'ai beaucoup aimé la narration qui met une petite distance entre les personnages et nous tout en nous invitant dans leurs vies et surtout celle de Tarek, avec ce qu'il faut de pudeur, sans jamais aucun voyeurisme ni pathos. On finira par apprendre qui est le narrateur puis d'autres choses, auxquelles je ne m'attendais pas du tout et je l'ai ressenti comme le second souffle de cette histoire.

Une écriture belle et envoûtante, tout en nuances et délicatesse qui nous raconte l'histoire d'une vie qui finalement n'entre pas dans les cases qui lui avaient été assignées. Combien de gens regardent en arrière et regrettent ? Sans doute beaucoup. Pourtant, à quoi bon ?
J'ai adoré ce roman qui nous parle de la vie et des choix, ou non-choix, qu'on fait, qui peuvent être aux antipodes de ce qu'on aurait pu imaginer de plus fou, qui forgent irrémédiablement nos existences. C'est peut-être ça qu'on appelle le destin et qui pourtant n'est que le résultat de nos décisions. Ce roman nous emmène de 1961 à 2001, du Caire à Montréal. C'est aussi l'histoire d'une quête, du besoin de combler un manque, le manque de quelque chose d'essentiel.

 

Citations :

Page 17 : Tu appréciais davantage la compagnie des adultes que celle des enfants de ton âge. Tu étais ébloui par ceux qui n’hésitent jamais. Ceux qui, avec le même aplomb, peuvent critiquer un Président, une loi ou une équipe de football. Ceux dont chaque geste semble affirmer qu’ils détiennent la vérité pleine et entière. Ceux qui régleraient en un claquement de doigts les questions de la Palestine, des Frères musulmans, du barrage d’Assouan ou des nationalisations. Tu finissais par croire que c’était cela , l’âge adulte : la disparition de toute forme de doute.

 

Page 35 : De même que les zabbalines du Moqattam dédiaient leur existence à redonner vie aux objets qui finissaient entre leurs mains, tu t’appliquais à soigner ces corps malmenés, ces membres disloqués, ces plaies purulentes dont personne ne distinguait plus l’odeur tant ce bidonville concentrait à lui seul les exhalaisons les plus fétides.

 

Page 182 : Je ne comprenais pas ces lettres mais je les aimais. Elles te disaient. Je ne pouvais pas encore m’en rendre compte, mais elles étaient à la fois honteuses et sublimes. Elles étaient rédigées dans l’arabe empêché de celui qui a dû apprendre tard à l’écrire. Elles avaient le tracé hésitant, la syntaxe malmenée, elles respiraient l’effort, le doute, la sueur. Elles portaient en chaque mot la crainte, celle d’être ridicules, perdues ou interceptées, de ne jamais te parvenir. Elles sentaient le mauvais papier, la nature et le manque. Elles ne disaient jamais « Je t’aime ». Elles disaient toutes « Je t’aime ». Elles ne disaient jamais ce qu’elles disaient vraiment mais j’étais, à cet âge, bien loin de l’entrevoir.

 

Page 279 : La nouvelle année est pourtant vieille de quelques semaines, mais le temps ne se mesure pas de la même manière dans un hôpital. Ceux qui savent qu’ils s’en sortiront cherchent à le tuer, les autres tentent d’en gagner un peu.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Santa Muerte – Gabino Iglesias

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Pierre Szczeciner

 

Éditions Sonatine- 10-18

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Austin, Texas. Tu t'appelles Fernando, tu es mexicain. Immigré clandestin. Profession ? Dealer.
Un jour, tu es enlevé par les membres d'un gang tatoués jusqu'aux dents qui ont aussi capturé ton pote Nestor. Pas ton meilleur souvenir, ça : tu dois les regarder le torturer et lui trancher la tête. Le message est clair : ici, c'est chez eux.
Tu crois en Dieu, et aussi en plein d'autres trucs. Tu jures en espagnol, et désormais, tu as soif de vengeance.
Avec l'aide d'une prêtresse Santeria, d'un chanteur portoricain cinglé et d'un tueur à gage russe, tu te résous à déchaîner l'enfer.
Santa Muerte, protège-moi.

 

 

Mon avis :
Austin Texas. Fernando, le narrateur, vient de se prendre un gros coup derrière la tête puis est jeté dans le coffre d'une voiture. Et là, il se met à prier la Santa Muerte de le protéger comme elle l'a si souvent fait. Qu'ils sont drôles ces croyants qui font le mal et qui demandent protection à Dieu et aux saints. Ils sont aussi extrêmement superstitieux et croient en des pouvoirs ancestraux et des maléfices.

Le premier chapitre, à l'heure du café le matin, il est dur à encaisser. Alors oui, on est prévenu sur la couverture par François Busnel, ça fait vraiment penser à du Tarentino... Ça découpe en petits morceaux avant de zigouiller histoire de bien se faire comprendre, c'est violent, très, et gore. Mais moi j'adore Tarentino et j'ai été prévenue ! L'écriture est superbe, extrêmement imagée, l'humour grinçant à souhait un régal ! Sombre et sordide, mais un régal quand-même !

 

Fernando nous parle du Mexique, son pays, mortifère et terrible en comparaison du Texas. En réalité, d'un côté ou de l'autre de la frontière, le monde qu'il nous raconte fait froid dans le dos, grouillant de junkies et de criminels, de tueurs au regard fou, tatoués jusque sur le visage.

 

Au delà de la violence et des fous furieux qui peuplent cette histoire, ça nous dit aussi ce que c'est que d'être un migrant. Le chagrin de devoir quitter son pays, ses racines pour arriver dans l'inconnu, la nostalgie de la terre qui nous a vu naître, devenir plus personne, abandonner sa famille, sa culture et sa langue, se terrer dans un pays où l'on n'est rien.

 

Je vais me répéter, mais quelle écriture sublime ! J'en ai eu des frissons tellement c'est beau. Que l'auteur raconte la violence, l'amour, la nostalgie ou le chagrin, chaque mot est à sa place, beau et profond, tellement clair, explicite et brillant qu'il vous remue jusqu'au tréfonds de l'âme.

 

 

Citations :

Page 13 : C’est alors que je me suis souvenu qu’on était au Texas et pas au Mexique. À Austin on ne se fait pas descendre en pleine rue. On ne retrouve pas des cadavres pendus à des ponts ou découpés en petits morceaux dans des valises, sur le bord de la route. Personne ne reçoit de colis par la poste avec une tête à l’intérieur. Même si la plupart des politiciens le mériteraient, les narcos ne les attendent pas à la sortie du bureau pour les kidnapper ou leur vider deux chargeurs dans la gueule.

 

Page 29 : Quand tu te retrouves nez à nez avec le canon d’un flingue, ça remet en cause tout ce que tu pensais savoir. Ça brise des trucs en toi, ça chamboule des convictions que tu pensais inébranlables.

Le solide devient liquide et tout se met à couler comme de l’eau. Les choses prennent la consistance mouvante des ombres qu’on voit dans les rêves.

 

Page 51 : Le Mexique est un monstre insatiable. Un lieu sinistre où le mal se tapit dans l’ombre et où l’on risque à tout moment de tomber sur la lie de l’humanité. Mexico est une bête grise qui se nourrit chaque jour de neuf millions d’âmes. Ces imbéciles d’Américains ne s’intéressent qu’à ce qui se passe aux abords de la frontière parce que c’est tout près d’eux — ils sentent l’odeur du sang et ils voient quelques cadavres. Mais le véritable cœur du pays c’est Mexico. Un cœur noir, pollué, où des corps sont repêchés dans les égouts, où des femmes sont violées dans des bus sous des yeux qui prétendent ne rien voir, et où des gens disparaissent régulièrement sans laisser la moindre trace.

 

Page 77 : Quand tu traverses la frontière, tu quittes un endroit pour pénétrer dans le néant. Tu troques une réalité connue contre quelque chose que tu dois te forcer à croire, à accepter, à comprendre.

Quand tu traverses la frontière, tu laisses de côté une grande partie de ton identité et tu deviens quelque chose de différent, un spectre de chair composé de souvenirs brisés. Tu abandonnes ta famille, tes amis, ta langue et les rues que tu connais pour te retrouver dans un pays dont tu n’es pas citoyen, où tu n’as aucun droit, et où tu dois te terrer comme un rat par peur d’être découvert.

 

Page 79 : Dans ce pays, l’équité est un concept, rien de plus. Les gringos envoient de l’argent en Afrique, ils dépensent des milliers de dollars pour faire couper les couilles de leur chat et pour leur retirer les griffes, mais ils refusent de payer un salaire décent à ceux qui repeignent leur maison.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : La déesse des mouches à feu – Geneviève Pettersen

Publié le par Fanfan Do

Éditions Le Quartanier - Points

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

« Un personnage d’adolescente qui arrive à briller dans le noir »

Le Devoir

1996, Chicoutimi-Nord, au Québec. Catherine, quatorze ans, entre avec perte et fracas dans l’adolescence. Rebelle, entre ses deux parents communiquant par fax pour ne pas en venir aux mains. Affranchie, dans la mêlée des skateux et des métalleux qui règlent leurs comptes derrière le centre commercial. Éclatante quand elle « frenche » Pascal, sosie de Kurt Cobain, ou vibre comme Mia Wallace avec Marie-Ève, la fascinante, au milieu de la piste de danse. Tous feux braqués sur elle, Catherine est la déesse des mouches à feu, dangereusement brûlante. Pour elle, c’est l’année noire des premières fois.

Née en 1982, Geneviève Pettersen est romancière, animatrice radio et chroniqueuse. La déesse des mouches à feu, Grand prix littéraire Archambault 2015, est son premier roman.

 

 

Mon avis :
Gloups… dès la première page j'ai dû aller deux fois consulter le glossaire en fin d'ouvrage. Les québécois on vraiment des mots et expressions très différents de nous. Mais moi j'adore !

Les parents de Catherine ont l'air de s'exaspérer mutuellement, voire de ne plus en avoir rien à faire l'un de l'autre. En fait non, c'est pire que ça, ils sont foutent carrément sur la gueule ! À coups de poêle en fonte, coups dans les "gosses" et autres joyeusetés du genre. Elle, elle va fêter ses 14 ans pis (eh ouais je me mets dans l'ambiance) elle a envie de picoler en loucedé avec sa copine Véronique. Alors, les prénoms des filles, 14 ans en 1996, il faut croire qu'au Québec on n'a pas le même tempo qu'ici en France, car ici, les Catherine et les Véronique ont atteint la soixantaine et donc en 1996 elles avaient la bonne trentaine. À cause de ça, j'ai eu tout le long l'impression que ça se passait pendant mon adolescence à moi XD.

Les parents finissent par divorcer. Catherine sort avec le beau Pascal et de fait ses deux super copines, Véronique et Sarah deviennent des pisseuses, puisque Pascal le dit.
Il y a quelque chose de triste dans certaines façons d'aborder l'adolescence. Est-ce parce que sa mère lui a offert le livre "Moi, 
Christiane F, 13 ans, droguée, prostituée pour ses 14 ans ? A-t-elle pensé que c'était un mode d'emploi ? Que c'est comme ça qui fallait être ? Car visiblement elle s'identifie. Christiane F devient sa référence, son héroïne funèbre, sa sombre inspiratrice, celle qu'il faut imiter en tout.
Toujours est-il que c'est trop pour ses 14 ans.

Au fil de cette histoire j'ai repensé à ma propre adolescence et je me suis dit que c'est vraiment l'âge bête, celui de la superficialité, où on a souvent des rêves débiles et des centres d'intérêt assez inintéressants. Mais c'est parce qu'on est tout neuf, qu'on ne sait rien de la vie mais qu'on croit être déjà grand... on veut s'affirmer, parfois un peu trop fort et surtout trop bruyamment. Et puis on a envie d'appartenir à un groupe, de se créer une famille de potes et quitter ses parents. On se croit plus fort que tout et surtout indestructible.

En commençant ce livre, je ne m'attendais pas à rire autant. À vrai dire je ne m'attendais pas à rire du tout. Mais les remarques adolescentes et la façon de s'exprimer de Catherine la narratrice m'ont souvent fait marrer. Pourtant elle est dure cette histoire d'une gamine livrée à elle-même qui rêve d'émancipation et de liberté. On suit son chemin en se disant qu'on assiste à la chronique d'une catastrophe annoncée, car elle va trop vite et trop loin.
En revanche, bien que j'aime le parler québécois, j'ai trouvé qu'il y avait trop de mots à aller chercher dans le glossaire : […] 𝐞𝐥𝐥𝐞 𝐚 𝐬𝐚𝐜𝐫é 𝐦𝐨𝐧 𝐝𝐢𝐬𝐜𝐦𝐚𝐧 𝐝𝐚𝐧𝐬 𝐥𝐚 𝐛𝐨𝐥 𝐞𝐧 𝐟𝐥𝐮𝐬𝐡𝐚𝐧𝐭, 𝐩𝐨𝐮𝐫 ê𝐭𝐫𝐞 𝐬û𝐫𝐞 𝐪𝐮'𝐢𝐥 𝐬𝐨𝐢𝐭 𝐬𝐜𝐫𝐚𝐩.., j'ai fini par renoncer pour ne pas me sortir de l'ambiance à chaque fois, en me disant que je comprendrais le sens général.

Évidemment ce roman fait penser à Moi 
Christiane F... que j'ai lu à l'âge adulte, mais aussi à L'herbe bleue que j'ai lu à 14 ans. Et je ne suis pas sûre que ce soient des lectures appropriées à cet âge.

Et sinon, la luciole est connue sous le nom de mouche à feu ou de ver luisant.

 

Citations :

Page 11 : Au centre d’achats, on viderait la moitié de la bouteille de Sunny Delight pour mettre de la vodka à la place. Véronique avait vu dans un film de détective à TQS que la vodka, c’est le seul alcool qui donne pas une haleine de boisson.

 

Page 47 : Luc était saoul pis gelé comme une balle. Il avait toujours des esties de plans de nègre pis là il s’est mis à garrocher des bouteilles de bière vides en bas du cran.

 

Page 169 : C’était l’heure des mouches, la trail était à pic pis y avait mille osties de brûlots qui me silaient dans les oreilles pis qui essayaient de ma manger la tête. Le hors-bord pesait cent livres, je me disais que j’allais mourir, pis les cannes à pêche arrêtaient pas de se pogner dans les épinettes. Crisse que je l’haïssais, cette trail-là. Je suis arrivée en haut brûlée avec mon père qui me traitait de tapette. J’avais plus le goût de pêcher rien.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : L’oiseau perdu de Wounded Knee – L’esprit des Lakotas – Renée Sansom Flood

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Mona de Pracontal

 

Éditions Le Grand Livre du Mois

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Le 29 décembre 1890, sous le drapeau blanc de la trêve, des Sioux minniconjous sont massacrés par le septième régiment de cavalerie des États-Unis. Quatre jours plus tard, après qu'un blizzard a balayé la région, le corps expéditionnaire chargé d'enterrer les victimes entend les pleurs d'un bébé. Sous le corps d'une femme tuée, et qui a gelé à terre dans son propre sang, les hommes trouvent une petite fille miraculeusement vivante, bien emmitouflée et coiffée d'un bonnet en daim brodé des deux côtés de drapeaux américains perlés. Enfreignant les ordres militaires, le général de brigade Leonard W. Colby adopte la petite Indienne, baptisée Lost Bird, et se sert d'elle pour convaincre les grandes tribus de le prendre comme avocat. Mais bientôt ses parents adoptifs divorcent, et commence alors pour la petite fille une quête incessante pour retrouver ses racines, quête vaine qu'elle poursuivra pourtant jusqu'à sa mort, en 1920, à l'âge de vingt-neuf ans. En 1991, plus d'un demi-siècle après le massacre de Wounded Knee, des descendants des victimes parvinrent à localiser la tombe de Lost Bird. Ils rapatrièrent sa dépouille et la réensevelirent au Mémorial de Wounded Knee, lors d'une cérémonie en présence d'Arvol Looking Horse, à côté de la fosse commune où reposent les siens. Lost Bird est devenue un symbole pour des milliers d'enfants séparés de leur tribu par l'adoption, ainsi que pour tous ceux qui ont été privés de leur héritage culturel par l'injustice, l'ignorance et la guerre.

 

Renée Sansom Flood, historienne, est mariée à Leonard R. Bruguier, Sioux yankton. Ils vivent dans les Black Hills, dans le Dakota du Sud.

 

 

Mon avis :
Renée Sansom Flood, historienne, a été travailleuse sociale. Elle a côtoyé ces enfants indiens qu'on confiait à des familles blanches. Mariée à un indien Dakota yankton elle a subi le racisme. Un jour par hasard elle tombe sur la photo de Lost Bird, ce bébé indien qui a survécu au massacre de Wounded Knee le 29 décembre 1890, qui a été élevée par des blancs, qui a toujours cherché qui elle était, et elle se met à faire des recherches sur cette petite fille.

La mémoire du peuple indien dans cette fin de XIXème et début du XXème siècle, tel est le thème de cette histoire, la dignité qu'on leur a volée, le besoin de restaurer le souvenir et ramener Lost Bird, morte à vingt-neuf ans en 1920, dans la terre de ses ancêtres à Wounded Knee.
Dès le départ j'ai été assaillie par l'émotion. La cérémonie d'exhumation en 1991 est extrêmement émouvante tant les indiens sont capables d'osmose avec tout leur peuple, les vivants et les morts, la terre et le ciel, les éléments, l'univers.

Le massacre de Wounded Knee a été un mensonge d'état et un secret bien gardé pendant des décennies. Ce que le septième régiment de cavalerie des États-Unis a fait aux indiens lakotas en 1890 est absolument monstrueux. Après la spoliation, le génocide. le plus grand pays du monde s'est construit sur le vol et le meurtre, sur la honte et l'ignominie.
Le récit de cette tragédie commence ponctué de témoignages de survivants et j'ai trouvé que ça donnait énormément de force et de douleur au récit. Sans oublier les nombreux renvois en bas de page qui étayent les références historiques.
Je les ai pourtant rapidement trouvés trop nombreux et trop longs parfois. Il arrive qu'ils fassent presque toute la page et même plusieurs pages. On reconnaît bien là la patte de l'historienne mais ça rend tout très pesant et rébarbatif. de même que la chronologie de l'histoire m'a parfois semblée aléatoire, faisant des bonds en avant, en arrière.

L'histoire et l'origine du couple Colby, qui a adopté Lost Bird, nous est racontée ainsi que les États-Unis tels qu'ils étaient. La religion prépondérante mais c'est toujours le cas de nos jours. le patriarcat et les violences faites aux femmes en toute légitimité, quelles soient physiques ou psychologiques. L'iniquité absolue envers les indiens en cas de conflit avec eux. L'adoption de Lost Bird par les Colby fut un coup politique, pavée de bonnes intentions surtout de la part de Clara Colby qui fut mise devant le fait accompli par son mari. Elle était une femme pieuse, très ouverte et militante avec de hautes responsabilités pour le suffrage des femmes bien que conservatrice. En revanche, son mari, Leonard Colby était ambitieux et manipulateur, bien qu'il ait semble-t-il pris le parti des indiens avec sincérité. Mais sans doute était-ce intéressé et donc totalement cynique car tout chez cet homme était calculé. Hélas, le désir d'élever des enfants indiens comme s'ils étaient des petits blancs fut une erreur tragique, autant pour leur psychisme que pour leur santé.

Pendant de très longs chapitres il est énormément question des époux Colby, de leurs actions politiques, de leurs amis ou adversaires, plutôt que de Lost Bird et du peuple Lakota. Cependant, c'est un couple étonnant, toujours en mouvement, mais elle surtout, a eu une vie extrêmement indépendante et active pour l'époque, elle était altruiste et généreuse. C'était une femme de convictions, sa personnalité m'a impressionnée ainsi que sa magnanimité. de plus elle aimait sincèrement sa "fille indienne" comme elle l'appelait même si elle l'a toujours fait passer après ses combats féministes et donc beaucoup délaissée.

C'est un livre passionnant mais aussi révoltant et affligeant. L'humanité a décidément un pouvoir de nuisance illimité. Hélas j'ai parfois trouvé le temps long car trop de détails qui ne concernent pas directement les lakotas et Lost Bird mais nécessaires au contexte historique.
Quant à Zintkala Nuni, Lost Bird en lakota, "𝑛𝑜𝑛-𝑏𝑙𝑎𝑛𝑐ℎ𝑒 𝑝ℎ𝑦𝑠𝑖𝑞𝑢𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑛𝑜𝑛-𝑖𝑛𝑑𝑖𝑒𝑛𝑛𝑒 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡", elle se sentit toute sa courte vie écartelée, cherchant désespérément à se rapprocher de ses origines.
L'histoire des pays et des peuples m'ont toujours intéressée et ce livre est extrêmement bien documenté. Tout y est relaté, jusqu'aux atroces pensionnats pour indiens, tenus par des sadiques pervers de la pire espèce. J'ai été révoltée par ce que Lost Bird à vécu, toujours sur le fil, réussissant à ne pas tomber dans le sordide le plus vil. Une vie de solitude et d'errance psychologique, que l'amour d'une mère absente n'a pas pas suffi à empêcher. Je préfère pourtant quand c'est traité sous forme de roman, ça rend tout plus vivant, plus prenant. J'ai eu parfois envie d'abandonner… heureusement que je ne le fais plus car ce livre vaut la peine d'être lu.

 

Citations :

Page 13 : Si tu prends un pâté de maisons dans un quartier blanc et que tu le compares à un pâté de maisons dans une réserve, tu trouveras des maisons propres et des maisons sales, mais dans le quartier blanc, il y aura sans doute cinquante fois plus d’enfants victimes d’abus sexuels.

 

Page 31 : Les militaires n’exigeaient pas seulement de l’obéissance de la part des Indiens, ils n’exigeaient pas seulement de la complaisance, mais également une soumission servile.

 

Page 47 : Le soir de Noël, des femmes enceintes, des bébés et des personnes âgées se virent refuser la chaleur d’un feu de cheminée. Chassée de la « maison de Dieu », la longue caravane s’enfonça silencieusement dans l’obscurité. Entre eux, les Indiens discutèrent de ce rejet inhumain, exemple terrible de l’étrange religion des hommes blancs.

 

Page 54 : Bien sûr, au camp, on se targua d’un fameux tableau de chasse, mais on n’a pas su qui avait abattu les femmes, en tout cas personne ne s’en est vanté.

 

Page 79 : Tous deux installèrent un stand de reliques indiennes dans l’allée centrale. Principale attraction de leur exposition : un bébé indien séché. Cette macabre relique attirait des hordes de curieux qui défilaient devant le malheureux enfant, lové dans une vitrine. Par milliers, les gens pressaient les mains et le nez contre le verre rayé, et les parents portaient leurs enfants pour leur permettre d’apercevoir ce que l’affiche appelait le « Papoose indien momifié, la plus grande curiosité jamais exposée ».

 

Page 106 : Dans son rapport, largement diffusé, Colby parle de la tuerie qui aboutit, dit-il, « au meurtre gratuit et au cruel massacre de centaines de gens inoffensifs, [qui] resteront dans l’histoire comme une tache à l’honneur national des États-Unis. » Pour Colby, la véritable bravoure au combat se manifestait dans l’affrontement de soldats et d’ennemis, les uns et les autres armés, en un combat déclaré. Lorsqu’il vit qu’il n’y avait pas eu de guerre, il critiqua violemment l’armée. Quoi qu’on ait pu dire d’autre sur Wounded Knee, il n’en demeure pas moins que cinq cents soldats américains fortement armés ont tué une bande d’hommes, de femmes et d’enfants fatigués, ainsi qu’un vieux chef qui était en train de mourir de pneumonie sur le sol gelé, devant sa tente.

 

Page 137 : Leonard Colby n’avait pas encore informé sa femme qu’à l’âge de quarante-quatre ans, elle était brusquement devenue la mère d’un wakan heja de pure race lakota, un enfant sacré de Wonded Knee.

 

Page 144 : À la différence des Indiens qui vivaient en harmonie avec la nature depuis des milliers d’années en laissant peu de traces de leur habitation ininterrompue, les pionniers se sentaient obligés de lutter contre la nature, de combattre les plantes rampantes qui affluaient de la foret et les bêtes aux yeux luisants tapies dans l’ombre, sauvages et menaçantes.

 

Page 155 : À la maison, on répétait constamment aux frères que « La femme est ainsi faite qu’elle doit dépendre de l’homme. La femme qu’on considère avoir le plus de chance dans la vie n’a jamais été indépendante, étant passée de la garde et de l’autorité des parents à celles d’un mari. »

 

Page 173 : Mais il y avait des effusions de sang quand les Blancs abattaient des bisons pour leur langue et laissaient pourrir les carcasses, ou quand les conditions de vie devenaient trop intolérables pour les Indiens – en général après de fortes provocations de la part des colons, des mineurs ou des militaires. Des atrocités étaient commises des deux côtés, mais les actes de barbarie des Blancs étaient passées sous silence tandis que la moindre menace émanant d’un Indien faisait la une des journaux.

 

Page 181 : En 1883, un convoi d’orphelins avait fait halte en gare de Beatrice, chargé d’enfants sans foyer ramassés dans les rues de New York — des sauvageons de tous les âges qui, grâce à la bienveillance de sociétés humanitaires de l’Est, allaient trouver de l’air pur et de meilleurs foyers à l’Ouest. Certains se retrouveraient à travailler comme des esclaves aux champs et dans les cuisines jusqu’au moment où ils pourraient s’enfuir ; des filles étaient prises comme « filles adoptives » pour fournir des prestations sexuelles aux hommes qui les avaient « sauvées » ; d’autres enfants, enfin, trouveraient d’excellents foyers dans des familles de pionniers.

 

Page 218 : La profonde pitié qu’il éprouvait pour cette enfant qui s’accrochait à lui, ainsi que le souvenir des membres de sa famille massacrés à Wounded Knee plongeait Kicking Bear dans une vive angoisse, et il ne pouvait relever la tête. Des larmes de douleur impuissante coulaient le long de ses joues et tombaient sur sa chemise à franges et sur le tapis persan à ses pieds. Comment pouvait-il enlever la fillette lakota et espérer s’enfuir vivant de Washington, si loin de son peuple ? Au moins savait-il où elle se trouvait. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était prier pour elle et espérer que malgré son environnement bizarre et ses maladies incessantes, elle puisse un jour retrouver le chemin de sa force vitale traditionnelle, l’héritage de ses ancêtres, avant de subir des traumatismes irréversibles.

 

Page 290 : Zintka détestait l’école parce que les autres la regardaient, se moquaient d’elle ou lui posaient des questions grossières. Elle était trop exotique pour être acceptée comme un être humain. Ils n’arrivaient pas à dépasser le fait qu’elle était Indienne ; pour eux, elle était plus une pièce de musée qu’une personne.

 

Page 336 : Le fait d’avoir été enlevée aux Lakotas lui coûtait plus que la perte de sa langue, de sa musique, de sa nourriture, de sa parenté ; il lui en coûtait la perte de son identité d’être humain, la perte de son esprit.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : L’envol du moineau – Amy Belding Brown

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Cindy Collin Kapen

 

Éditions Cherche midi

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

D’APRÈS DES FAITS RÉELS ,

LE SUPERBE PORTRAIT D’UNE FEMME DÉCOUVRANT

LA LIBERTÉ AU MILIEU DES INDIENS .

 

Colonie de la baie du Massachusetts, 1672. Mary Rowlandson vit dans une communauté de puritains venus d’Angleterre. Bonne mère, bonne épouse, elle souffre néanmoins de la rigidité morale étouffante qui règne parmi les siens. Si elle essaie d’accomplir tous ses devoirs, elle se sent de plus en plus comme un oiseau en cage. Celle-ci va être ouverte de façon violente lorsque des Indiens attaquent son village et la font prisonnière. Mary doit alors épouser le quotidien souvent terrible de cette tribu en fuite, traquée par l’armée. Contre toute attente, c’est au milieu de ces « sauvages » qu’elle va trouver une liberté qu’elle n’aurait jamais imaginée. Les mœurs qu’elle y découvre, que ce soit le rôle des femmes, l’éducation des enfants, la communion avec la nature, lui font remettre en question tous ses repères. Et, pour la première fois, elle va enfin pouvoir se demander qui elle est et ce qu’elle veut vraiment. Cette renaissance pourra-t-elle s’accoutumer d’un retour « à la normale », dans une société blanche dont l’hypocrisie lui est désormais insupportable ?

Cette magnifique épopée romanesque, inspirée de la véritable histoire de Mary Rowlandson, est à la fois un portrait de femme bouleversant et un vibrant hommage à une culture bouillonnante de vie, que la « civilisation » s’est efforcée d’anéantir.

 

 

Mon avis :
1672, Massachusetts dans une communauté extrêmement puritaine, Mary, la femme du Pasteur, aide Bess, une jeune fille déshonorée à accoucher. Elle craint pour son salut mais y va quand-même. Tout le monde craint le diable et l'enfer dans cette époque arriérée.
Un temps où les femmes étaient soumises à des hommes tout puissants, à la religion dominatrice, intrusive, intolérante, punitive et cruelle. Pourtant tout le monde considérait que le monde était juste tel quel, qu'il y ait des esclaves et des servantes inféodées, car c'étaient les voies du Seigneur.

Au fond d'elle la soumission qu'elle doit à son époux la fait parfois rager intérieurement.
Un jour le village est attaqué par des indiens qui emmènent des femmes et des enfants en laissant des morts et des ruines fumantes derrière eux.
Alors que sa vie était faite de puritanisme, de soumission et de conformisme, elle va découvrir la vie avec les indiens, libre et en harmonie avec la nature et surtout assez égalitaire entre hommes et femmes mais néanmoins extrêmement dure, où l'empathie et la compassion semblent ne pas exister.

Elle va apprendre la vie au cœur de la nature et enfin voir ce que le monde recèle de beauté, les rivières et le bruit du courant, le vol et le chant des oiseaux. Elle découvrira la flânerie elle qui a toujours rempli absolument tout son temps de tâches diverses. Elle verra les mères indiennes câliner leurs enfants alors que chez les anglais c'est interdit car seules la sévérité et l'austérité des sentiments sont acceptables. Elle connaîtra aussi la faim, le froid et la peur.

Ce roman basé sur l'histoire vraie de 
Mary Rowlandson m'a captivée de bout en bout et m'a aussi énervée et révoltée. D'abord parce que le patriarcat qui traite les femmes en inférieures est totalement révoltant. Quand une femme souffre, on plaint son mari, si un malheur lui est arrivé c'est quelle l'a cherché. Les ragots deviennent la vérité. Ensuite, Dieu décide de tout, rend la plupart des gens intolérants et pernicieux, approuve l'esclavage, régit la vie de famille et la société, même si on ne le voit jamais mais surtout il ne faut pas trop aimer ses enfants car Dieu veut être le premier dans le cœur de chacun. Pfffff quel narcissique !.. La prière comme solution à tous les maux mais zéro compassion pour ses proches et pas de courage non plus, voire même carrément de la couardise. Et puis tous les mensonges colportés sur les indiens, ces sauvages cruels et sanguinaires qui violent les femmes avant de les tuer et mangent les enfants. Et la bonne société croit tout ça car tout le monde le dit. Il y a aussi les différentes catégories d'humains, les supérieurs, les hommes blancs bien sur qui ont le droit de battre leur femme et leurs enfants, et en dessous les femmes (blanches) traitées comme des mineures, puis les noirs et les indiens qui sont considérés presque comme des animaux et traités comme tels. Et tous ces colons conquérants et arrogants qui prétendent détenir La Vérité et détruisent des peuples et la nature avec laquelle ils vivaient en harmonie.

Alors oui, ce roman m'a vraiment horripilée par certains aspects, essentiellement par le sort réservé aux femmes et aux indiens, mais m'a totalement embarquée. Même si l'écriture n'est pas transcendante le roman est très bien documenté car la plupart des personnages ont réellement existé ainsi que les lieux mentionnés. L'affranchissement de cette femme qui avait déjà dans son coeur les germes de l'indépendance et de l'indocilité face aux dogmes et injustices de ce monde arrogant m'a énormément plu.

 

Citations :

Page 23 : Elle n’a pas connu beaucoup d’hommes gentils dans sa vie. Son père était fort, courageux, parfois impitoyable, mais jamais gentil. Son mari est un homme dur, bien-pensant, insistant et d’une foi inébranlable. Il s’efforce d’être juste et charitable, mais la gentillesse n’est pas dans sa nature ; sa douceur ne dépasse pas les limites de leur lit marital.

 

Page 51 : Elle hoche la tête et son front effleure sa poitrine. Elle respire sa chaleur, son odeur familière. Joseph est son mari, le chef de sa maison, tout comme le Christ est le chef de l’Église, et elle lui doit amour et obéissance. Ainsi qu’une confiance absolue.

 

Page 175 : Elle pense à l’amour et à tout ce qu’on lui a enseigné à son sujet – que c’est un sentiment qui appartient en premier lieu à Dieu, que l’amour mortel n’est qu’une piètre imitation de l’amour divin. Qu’une trop grande affection envers ses enfants et son mari est un péché et un danger car elle risque de diminuer son amour pour le Seigneur.

 

Page 295 : Elle gagne peu à peu la certitude que si Dieu a laissé ces terribles épreuves s’abattre sur la Nouvelle-Angleterre, c’est parce qu’ils se sont adonnés à l’esclavage. Au lieu de s’examiner eux-mêmes, les Anglais, dans leur ignorance et leur stupidité, ont cru que tout ce qu’ils faisaient était approuvé par Dieu.

 

Page 382 : Baissant les yeux sur ses vêtements propres mais raides et étroits – le corsage et les manches lui compressent le corps, les chaussures dures qui lui pincent les pieds –,Mary prend conscience qu’ils l’emprisonnent, contribuent à sa soumission.

 

Page 425 : Dans la colonie du Connecticut, comme dans la baie du Massachusetts, la loi exige que chaque homme, femme et enfant vive au sein d’un foyer bien ordonné, dirigé par un homme. Elle sait qu’elle devra trouver un nouveau mari, ou retourner dans le Massachusetts pour vivre sous le toit d’un de ses frères pendant que ses enfants seront placés dans une famille en tant que serviteurs inféodés.

 

Page 449 : Elle songe aux nombreux Indiens vendus en esclavage, à ceux enfermés à Natick, privés de la liberté de parcourir les terres sauvages dont ils jouissaient autrefois. C’est une nation mourante, dont les villages ont été brûlés, les terres réquisitionnées, les corps affamés, brisés et vendus. Tout cela au nom de Dieu.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Animaux solitaires – Bruce Holbert

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Jean-Paul Gratias

 

Éditions Gallmeister - Totem

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Comté de l'Okanogan, État de Washington, 1932. Russel Strawl, ancien officier de police, reprend du service pour participer à la traque d’un tueur laissant dans son sillage des cadavres d'Indiens minutieusement mutilés. Son enquête l'entraîne au cœur des plus sauvages vallées de l'Ouest, où le progrès n'a pas encore eu raison de la barbarie et où rares sont les hommes qui n’ont pas de sang sur les mains. Bien des mystères qui entourent le passé du policier et de sa famille vont ressurgir petit à petit sur son chemin. Premier roman remarquable, Animaux solitaires mêle avec brio les codes du western et ceux des plus grands romans noirs.

 


 

Mon avis :
Lors du prologue, les descriptions de Russell Strawl et de ses exploits m'ont donné l'impression qu'on me parlait d'un super héros, invincible avec une grosse réputation et une légende monumentale. Donc ça sonnait un peu faux et ça avait surtout un côté grand-guignolesque. Et en même temps, une légende reste une légende, avec tout ce qu'elle peut contenir d'exagération.
Mais rapidement après ça, j'ai trouvé le style narratif espiègle, ressemblant au compte rendu du quotidien ou à un documentaire animalier sur un humain, dans les différents registres de sa vie : Russell au travail, Russell en famille, Russell avec les copains. Bref, j'ai beaucoup aimé le ton. Strawl est un drôle de personnage, brut de décoffrage. Il ne fait pas dans la dentelle. Un vrai beauf des années 30.

Il est en réalité un sombre connard, brutal et violent, qui se sert de sa position de représentant de la loi pour molester quiconque peut lui apporter des informations, homme ou femme, honnêtes gens ou pas, peu lui importe, et tueur d'hommes et d'animaux, bien planqué derrière son insigne.

J'ai eu beaucoup de mal à rester concentrée dans cette histoire. Alors que Strawl part à la recherche d'indices pour trouver un tueur d'indiens, le lien entre les différents personnages et les lieux qu'il visite, rien ne m'a semblé évident. Beaucoup trop de blabla et de digressions m'ont empêchée de m'immerger dans cette histoire qui d'ailleurs m'a semblé manquer d'une intrigue solide et palpitante. J'ai eu l'impression d'avancer au petit bonheur…
Il y a néanmoins un personnage que j'ai adoré, Elijah, indien et fils adoptif de Strawl, personnage fantasque, un peu prédicateur, totalement imprévisible, très pieux et débauché, ivrogne et tricheur.

L'écriture est vraiment belle et les descriptions de la faune et la flore très détaillées, trop à mon goût. Je me suis beaucoup ennuyée car du côté des humains il ne se passe pas grand-chose, on n'est pas tenu en haleine, le suspense est inexistant. Pourtant il y a eu des moments intéressants, parfois

 

Citations :

Page 16 : Dans l’enceinte du tribunal, les jurés saisissent la moindre chance de faire parler les vents qui se meurent et le vent qui faiblit. Strawl les avait vus déclarer coupable plus d’un innocent pour enrayer momentanément l’ambiguïté morale qui régnait au-delà des murs du palais de justice.

 

Page 41 : La plupart des habitants étaient arrivés dans la réserve sans rien d’autre que ce qu’ils pouvaient emprunter ou chaparder. Le temps passant, ils prirent femme, mais au sein de la réserve l’institution du mariage n’avait aucun statut. Les marchands refusaient d’admettre les liens tribaux et les églises d’unir les païens tant qu’ils n’étaient pas capables de lire le catéchisme. Les cérémonies, la publication des bans et le recours aux juges de paix représentaient des formalités assommantes, auxquelles on renonçait au profit des exigences de la chair et par esprit pratique. Pour un homme, faire la cour à sa bien-aimée se résumait à la soûler au whiskey jusqu’à ce qu’elle cède ou bien qu’elle s’endorme le temps qu’il assouvisse ses ardeurs.

 

Page 43 : Je ne connais pas d’homme de cinquante ans digne de ce nom qui n’ait jamais tué quelqu’un.

 

Page 90 : Les traits physique des Nez Percés étaient suffisamment distinctifs pour qu’on ne les confonde pas avec les indiens des tribus voisines et les membres de la famille Bird restaient entre eux, mais tous les autres s’étaient mélangés en une fricassée aussi confuse que celle des Blancs qui les avaient regroupés dans la réserve.

 

Page 147 : Les Sans Poil ne croyaient guère à la vengeance. Pour eux, le temps ne s’écoulait que dans une seule direction.

 

Page 238 : Il invitait son épouse au restaurant une fois par semaine et l’an dernier il lui avait offert un bracelet incrusté de diamants, mais pour la plupart des femmes l’argent importait peu. Ce qu’elles voulaient, c’était de l’amour, tout comme les hommes finalement.

 

Page 252 : Cet assassin, ce qu’il fait, c’est peut-être plus fort que lui, dit Elijah. Il prend plaisir à tuer et il a l’intention de continuer et tant pis si c’est mal. Il y a plein de gens, dans la Bible, qui prennent aussi plaisir à ce qu’on n’est pas censé faire. Regarde David et Bethsabée.

 

Page 273 : La loi m’a payé pendant vingt ans et je n’ai rien fait d’autre que tuer et harceler des Indiens.

 

Page 292 : Strawl fut tenté de lui loger une balle entre les yeux sans plus attendre et de libérer ainsi la tension qui tirait sur ses propres épaules, mais il alloua au personnage encore un jour pour maudire la terre entière, et une nuit de ténèbres de plus pour endurer ses souffrances.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Le chat qui rendait l’homme heureux – Umi Sakurai

Publié le par Fanfan Do

Éditions Soleil Manga

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Fuyuki Kanda est seul et triste. Un jour, il décide d'entrer dans une animalerie où il remarque Fukumaru, un chat pas très beau, gros et plus très jeune. Ce dernier semble triste et désespéré car personne ne veut de lui. Pourtant, de manière inattendue, l'homme va l'adopter ! Ainsi commence l'histoire d'un quotidien plein de tendresse, entre un homme et un chat en mal d'amour.

 


Mon avis :
Un peu de légèreté dans ce monde de brutes…
Un chat, dans une vitrine. Il a bientôt un an et personne n'en veut. Et c'est triste car il manque d'amour et il a du chagrin. Il voudrait être adopté mais n'y croit plus. Puis un homme entre dans la boutique et c'est ce chat là qu'il veut. Il l'achète et l'emmène chez lui. Mais le chat a peur que les autres membres de la famille ne le veuillent pas.
C'est mignon, attendrissant, et drôle aussi. Totalement craquant en fait !

Ça nous raconte deux solitudes qui vont s'unir, car ils ont tant à donner l'un et l'autre. Ils vont apprendre à se connaître car l'homme ne connaît rien aux chats, et le chat ne connaît des hommes que ce qu'il en a vu depuis sa cage.

J'ai totalement craqué pour cette histoire d'amour entre un homme et son chat... entre un chat et son papa. C'est tellement bien vu tous les comportements rigolos des félins, les dessins sont magnifiques et font bien ressortir tout ce qui est adorable chez ces petits poilus. Alors pour ceux qui ne connaissent pas les chats, en gros, ce qui est adorable chez eux, c'est eux. Bon, et puis Fukumaru, le chat, est dodu, patapouf et patatesque et du coup il m'a énormément fait penser à mon chat adoré, mon petit Sushi.
Cette histoire m'a fait fondre, glousser bêtement... comme avec mes chats quand ils font les andouilles. En tout cas cette belle histoire d'amour entre un humain et un chat m'a beaucoup touchée.

Moi qui ne suis pas du tout habituée aux mangas, j'avoue avoir été désarçonnée par le sens de lecture, même les cases se lisent de droite à gauche. Mais on s'y fait très vite.

 

Citations :

Un nom est un cadeau important, tout de même. J’aimerais en choisir un qui te plaise. Autrefois, pour choisir le prénom des enfants… o, réfléchissait longuement elle et moi… et une fois à cours d’idées… on revenait toujours à notre premier choix.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Méridien de sang – Cormac McCarthy

Publié le par Fanfan Do

Traduit par François Hirsch

 

Éditions de l’Olivier - Points

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Dans les années 1850, un gamin de quatorze ans part au Texas rejoindre une bande de chasseurs payés pour exterminer les Indiens. Au milieu du désert, la loi n’existe plus. À ce jeu de massacre, seuls survivent ceux qui parviennent à éveiller la plus profonde et la plus intime sauvagerie Avec cet anti-western basé sur des faits réels, l’auteur nous livre l’un de ses plus grands romans: noir, lyrique et violent.

 


Mon avis :
1849. Ça commence fort, vraiment ! Sans préambule on arrive directement dans une violence dont on se doute qu'elle va aller crescendo. Ça doit être la méthode McCarthy, pas de quartier, noir c'est noir. On est prévenu. C'est sale et ça pue la crasse, la vieille sueur et l'haleine fétide. Et c'est absolument captivant dès la première page.

Le gamin, quatorze ans, a fuit son père alcoolique et brutal et se retrouve par hasard avec Glanton et sa bande de mercenaires très violents, exterminateurs d'indiens mais aussi de mexicains, hommes, femmes, enfants. Cette troupe hétéroclite sans foi ni loi va sillonner le pays, laissant derrière elle nombre de cadavres, humains comme animaux.

J'ai rapidement été saisie par un terrible sentiment de solitude pour le gamin, face à la sauvagerie mais aussi face aux éléments, sur cette terre qui, d'ici, semble avoir été presque encore vierge dans les années 1850. Les grands espaces, les déserts, la dureté du climat et de la vie, tout dans ces descriptions nous amène bien loin du rêve américain. Terre de pionniers dont beaucoup ont perdu la vie dans un faible espoir d'un avenir meilleur, ou moins mauvais. Les animaux ont eu la malchance d'être utiles aux humains. de la souffrance, encore et encore. Pour les hommes et les bêtes. Massacres des indiens et des mexicains, qui massacrent à leur tour. Ce récit déborde de violence, de sang et de putréfaction. La vie semble ici tellement dérisoire.

Ces hommes qui torturent, assassinent, scalpent et bafouent la vie de toutes les manières possibles, parlent de Dieu et de la sagesse divine comme de quelque chose de sacré. Il y a même parmi cette bande de mercenaires un ancien prêtre et un juge "à l'âme noire comme la suie." Une vraie bande de psychopathes sans états d'âme, qui tuent comme ils respirent, pour le plaisir de tuer.

C'est un bout de l'histoire de la conquête des États-Unis, dans ce qu'elle a de plus répugnant.
Durant cette lecture, j'ai souvent trouvé les humains insondables, car beaucoup se complaisent dans l'abjection et la cruauté. Je retiendrai surtout que l'humanité a un fond sauvage et cruel qui n'est jugulé que par la civilisation, tant qu'elle est à portée de main.
Une écriture ciselée, sublime, au service d'une page d'histoire sordide où la terre fut gorgée du sang des natifs, des pionniers et de tant d'animaux. Ce roman, inspiré par des faits réels, m'a remplie par moments d'une infinie tristesse car vraiment, l'homme est un loup pour l'homme.

 

Citations :

Page 28 : Y a quat’ choses qui peuvent détruire le monde, dit-il. Les femmes, le whisky, l’argent et les nègres.

 

Page 62 : Toute la nuit des nappes d’éclairs sans origine palpitèrent à l’occident derrière les nuées d’orages nocturnes, muant le désert en jour bleuâtre, les montagnes sur cet horizon éphémère massives et noires et livides comme une terre d’un autre ordre dont la vraie géologie n’était point la pierre mais la peur.

 

Page 102 : Ils virent des argonautes déguenillés arrivés des États-Unis qui menaient leurs mules à travers les rues. Ils allaient au sud et s’apprêtaient à gagner la côte par les montagnes. Des chercheurs d’or. Des dégénérés itinérants qui se répandaient vers l’ouest comme un fléau d’héliotropes.

 

Page 164 : On a pas laissé grand-chose à part les os pour les lobos, mais personnellement j’pourrais jamais tuer un loup et j’en connais d’autres qui sont du même avis.

 

Page 187 : Le lendemain soir en arrivant sur la corniche occidentale ils perdirent une mule. Elle rebondit le long de la paroi du canyon avec le contenu des paniers qui explosait sans bruit dans l’air sec et brûlant et elle dégringola à travers la lumière du soleil et l’ombre, tournant sur elle-même dans ce vide solitaire et disparaissant dans un siphon de froide étendue bleue qui l’affranchissait à jamais du souvenir dans l’esprit de toute créature vivante.

 

Page 211 : Des centaines de badauds se pressaient alentour pendant que les scalps desséchés étaient déposés sur les pierres pour être comptés. Des soldats armés de mousquets tenaient la foule à distance et les jeunes filles contemplaient les Américains de leurs immenses yeux noirs et les garçons se faufilaient pour toucher les sinistres trophées. Il y avait cent vingt-huit scalps et huit têtes et l’adjoint du gouverneur et sa suite descendirent dans la cour pour accueillir les mercenaires et admirer leur ouvrage.

 

Page 223 : Ils prirent à l’ouest dans la montagne. Ils passèrent par des petits villages en soulevant leur chapeau pour saluer des gens qu’ils allaient assassiner avant que le mois ne fût achevé.

 

Page 257 : Le cinq décembre ils partirent en direction du nord dans la froide obscurité d’avant l’aube munis d’un contrat signé du gouverneur de l’État de Sonora pour la livraison de scalps d’Apaches.

 

Page 379 : Les feux d’un navire clignotaient dans la houle. Le poulain se pressait contre le cheval avec la tête penchée et le cheval regardait au loin, là-bas où s’arrête le savoir de l’homme, où les étoiles se noient, où les baleines emportent leur âme immense à travers la mer sombre et sans faille.

 

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : À l’autre bout de la mer – Giulio Cavalli

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’italien par Lise Caillat

 

Les Éditions de L’Observatoire

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Giovanni Ventimiglia est pêcheur. Il vend son poisson au marché de DF, une petite ville italienne accrochée à la côte comme beaucoup d'autres, avec un curé qui sermonne et qui va au bordel, une chaîne d'actualité locale qui enflamme le cœur des ménagères avec son présentateur grisonnant et son afflux de touristes estival. Mais un matin de mars, en accostant au port, Giovanni découvre un cadavre, celui d'un jeune homme venu d'ailleurs.
Après lui, les découvertes se succèdent sans que les autorités locales ne parviennent à trouver un fil conducteur, une raison logique à ces vagues mortifères. Désemparée, la petite ville appelle à l'aide, et finira par mettre au point une bien étrange stratégie pour venir à bout de ces vagues macabres mais s'en relèvera-t-elle indemne ?
Giulio Cavalli réinvente le genre de la dystopie dans ce roman aussi noir que fascinant, véritable miroir tendu vers l'humanité et ce qu'elle a de plus dérangeant.

 

 

Mon avis :
DF, petite ville du bord de mer, voit les cadavres venir s'échouer les uns après les autres sur la grève, comme des méduses. de bien étranges cadavres à vrai dire.
Pendant la messe, le prêtre pointe de son courroux les responsables qui selon lui ne font rien pour protéger les braves concitoyens. C'en est trop pour le maire Peppe Ruffini, ainsi que pour le commissaire Magnani.

Les descriptions sont nauséeuses à souhait avec des détails qui rappellent des pages sombres de l'histoire ou encore les dix plaies d'Égypte quand sont évoquées les nuées de mouches. Des tonnes de cadavres gélatineux, qui se ressemblent tous avec leurs yeux vides de poissons. Mais d'où viennent-ils ?
Contre toute attente il faut prendre des mesures pour protéger les vivants de ces miasmes.
Frediano Cattori, le journaliste de la télé locale, en bon charognard voit déjà le scoop de sa carrière.
Le maire va prendre des mesures drastiques contre ce fléau, observé par le monde, jugé, mais jamais aidé.

Étrange écriture où parfois les dialogues sont insérées dans des phrases extrêmement longues et où les protagonistes se répondent sans retour à la ligne ni tiret, juste des virgules. J'ai beaucoup de mal avec les phrases interminables. J'ai à chaque fois l'impression de faire un marathon en apnée, ça m'épuise. C'est comme si un enfant de cinq ans m'assénait sa logorrhée sans savoir où il va ni d'où il est parti. Alors oui, je me demande ce qui motive cette façon de faire, qui n'a que le résultat de me perdre en cours de route, dans le fil de chaque phrase démesurée. Ou alors c'est pour donner un effet vague scélérate et ça marche car on se prend tout de plein fouet… entre deux égarements.

Contrairement à la première partie "Les morts", j'ai préféré la seconde partie de l'histoire "Les vivants", en forme de roman choral, qui donne la parole à différents habitant de DF qui nous parlent de la résolution du problème. Néanmoins il faut parfois avoir le cœur bien accroché pour ne pas régurgiter son café du matin.

Ce roman semble être une parabole, mais de quoi ? de nos sociétés qui ferment les yeux sur le malheur des autres ? Je ne suis sûre de rien… Mais j'y ai vu un certain cynisme car pendant qu'une partie du monde s'écroule certains regardent sans bouger, et beaucoup demeurent dans leurs petites mesquineries. Et puis certains faits mettent l'accent sur une certaine immortalité, nos incongruités et nos incohérences et j'ai trouvé ça assez jubilatoire.
Je pense que les romans comme celui-ci, qui mènent à une réflexion, sont multiples car chaque lecteur y comprend une signification qui lui est propre et que de fait, il n'y a pas une révélation mais une multitude d'interprétations.
À la fin je me suis dit que cette histoire dénonçait beaucoup de choses, qu'on pourrait englober sous un seul terme : hypocrisie. L'auteur se moque de tous ceux qui trouvent une justification à l'indéfendable.
Mais vraiment la toute fin, la troisième partie, je ne l'ai pas comprise.

 

Citations :

Page 50 : Morts. Un tapis de corps amassés comme des sacs, des dizaines, peut-être une centaine de corps chevauchés pas la mer qui hachurait le rivage, les visages des uns sur le torse des autres, un pied qui dépassait sans qu’on puisse deviner le reste, enlacés telles des couleuvres, étalés sans os, en filets, avec des tee-shirts et des pantalons légers rongés par l’eau et raidis par le soleil, des cadavres de personnes, des hommes, jeunes et identiquement musclés comme s’ils avaient été élevés en batterie, puis, jugés matures, livrés par la mer.

 

Page 74 : Vingt-quatre mille sept cent douze cadavres compta l’armée nationale atterrie à DF en fin de journée, le pas déjà fatigué à l’idée d’être confrontée à la mort sans l’adrénaline du meurtre.

 

Page 141 : J’en ai gagné des prix avec mes restaurants. J’en ai eu des satisfactions. La première fois que j’ai ramené mon cul dans une cuisine à DF, la frisella – du pain sec et de la tomate – était considéré comme un plat gastronomique, des fèves on buvait même le bouillon et il suffisait que le poisson soit mort pour être mis sur la table. Une ville de primitifs, vraiment. J’aime ma ville, que ce soit clair, je suis resté ici alors que mes camarades de classe fanfaronnaient en m’envoyant des cartes postales de Rome, de Milan, de Palerme, l’un d’eux a même fini à Londres. Bande d’idiots. Depuis six mois maintenant ils frappent à la porte, les salauds, pour profiter de DF. Trop facile. Ruffini a très bien fait de bloquer les entrées : nettoyer ses chiottes pour y faire chier les autres c’est se manquer de respect et, si à présent la ville est devenue pour beaucoup un mirage, c’est à nous d’en profiter. Bordel. Autrement dix citoyens sur dix n’auraient pas voté oui au référendum du mois dernier pour refuser les demandes de domicile et de résidence.

 

Page 157 : Ottavio Prazio, je le connais bien. Ces dernières années il nous est arrivé de déjeuner ensemble au port, Prazio est un nostalgique, quelqu’un qui célèbre le fascisme plus pour le folklore que par conviction, un brave type, il a une grande gueule mais il ne tordrait pas la patte d’une mouche, gentil avec tout le monde, il offre toujours à boire, distribue des caresses aux gamins, rejette les poissons à la mer, il a payé la communion de ses petits-enfants, on l’appelle le duce mais c’est un surnom comme le pêcheur, le grand-père ou le gros.

 

Page 186 : Au début de cette tragédie, quand ceux-là ont commencé à arriver, personne n’a voulu nous donner un coup de main. Personne. Écrivez-le en majuscules : l’État à qui nous avons versé des milliards de taxes pendant des années nous a abandonnés à notre triste sort et, quand nous avons décidé de nous débrouiller seuls, il a réagi comme une femme trompée. Ça vous semble normal ?

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 > >>