Mon avis : Kukum – Michel Jean
Éditions Depaysage
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Quatrième de couverture :
"Venir me réfugier au lac, comme ce matin, m'apaise, car il me rappelle qui nous avons été et qui nous sommes toujours. Pekuakami : ta surface lisse se mêle à l'horizon, le soleil s'y mire comme dans une glace, et ce miroir me renvoie à tous mes souvenirs."
Au soir de sa vie, sur les rives de Pekuakami — le majestueux lac Saint-Jean, au Québec —, Almanda remonte le fil de son existence, comme autrefois les rivières. Orpheline, elle est élevée par un couple de modestes fermiers qui la destine aux travaux des champs. Mais sa rencontre amoureuse avec un jeune chasseur innu va tout bouleverser : elle quitte alors les siens et rejoint le clan des Atuk-Siméon dont elle partagera le quotidien et auprès de qui elle apprendra à vivre en forêt.
Centré sur le destin singulier d'une femme éprise de liberté, ce roman relate, sur un ton intimiste, la fin du mode de vie traditionnel des peuples nomades du nord-est de l'Amérique, contraints à la sédentarité. Almanda Siméon est l'arrière-grand-mère de Michel Jean, sa kukum.
Écrivain, journaliste à Montréal, Michel Jean est issu de la communauté innue de Mashteuiatsh.
Mon avis :
Pekuakami, le lac Saint-Jean, c'est là que Almanda rencontre Thomas, un jeune chasseur Innu, beau garçon aux cheveux longs, à la peau cuivrée, aux yeux bridés. C'était dans la deuxième moitié du XIXème siècle... elle se rappelle. Et c'est beau, le monde là-bas en ce temps là, ça sent les grands espaces et la nature grandiose, avant que les humains ne la saccagent et détruisent la vie telle qu'elle était.
Michel Jean donne voix à Almanda son arrière grand-mère, sa kukum, pour nous raconter cette vie là, quand elle et son beau natif des premières nations se sont choisis pour passer toute une vie ensemble. Elle a adopté leur mode de vie nomade et fusionnelle avec la nature, jusqu'à devenir une Innue, elle, petite blanche descendante de colons.
Ça dit des belles choses sur ce peuple, entre autre que Almanda ait été acceptée sans restriction dans "un clan tissé serré" montre l'ouverture d'esprit qui était la leur. Ce qui n'aurait pas été le cas dans le sens inverse bien évidemment, si Thomas avait intégré un village de Blancs.
Cette histoire de Almanda-Kukum, racontée comme un roman m'a passionnée. le renoncement à son avenir de fermière à Saint-Prime qui lui semblait sans joie, tout son apprentissage de la vie Innue, sa belle histoire d'amour avec Thomas, qui a duré toute la vie. Et puis la tradition orale, les histoires racontées au coin du feu, le soir sous les étoiles avec le clan réuni, les danses au rythme du tambour, la chasse et les campements en pleine nature, la descente en canot sur la Peribonka au début du printemps alors que les eaux grondent... et tant de choses encore qui font la culture de ce peuple.
La rivière Péribonka, la Fourche Manouane, le lac Onistagan, les monts Otish, le lac Pekuakami, tous ces noms nous rappellent qui étaient les premiers occupants de ces lieux.
Qu'elle est belle cette histoire ! Elle fait rêver et témoigne d'un monde qui hélas a disparu, d'un peuple qui vivait en harmonie avec la forêt, les saisons, les animaux, la Nature dans son ensemble, respectueux de tout ce qui l'entourait. Avant que la civilisation n'achève son oeuvre de destruction. En lisant cette histoire j'ai eu l'impression d'avoir traversé le miroir et d'être arrivée dans un monde enchanteur. Un monde loin des contingences bassement matérielles, où seule compte la vie dans ce qu'elle a d'essentiel. le monde d'un peuple qui est reconnaissant envers les animaux, qui choisissent de mourir pour leur survie. Je ne fais cependant pas d'angélisme. La vie au contact de la nature est parfois extrêmement dure. Mais belle.
Cette histoire transmet beaucoup de belles valeurs telles que la solidarité et la générosité, et j'ai eu plusieurs fois les larmes aux yeux, émue par la liberté de ce peuple, et la beauté de ce mode de vie qui n'existe plus. Et, bien que la vie n'existe pas sans moments de tristesse, celle-ci arrive avec l'homme blanc qui industrialise tout et vole les enfants des autochtones, le désespoir et la colère arrivent avec la "civilisation". Il y a réellement des moments déchirants, mais oui, j'ai été essentiellement bouleversée par des émotions hyper positives.
Citations :
Page 27 : Le jour suivant, quand je me suis levée à l’aube, l’image du mystérieux chasseur glissant sur l’eau dans une noblesse de gestes occupait encore mon esprit. Traquait-il ainsi tous les jours ses proies ? Changeait-il de terrain ou, comme le fermier, cultivait-il toujours le même ?
Page 43 : Cette nature indomptée et somptueuse m’a libérée de l’horizon.
Je m’amusais à écouter l’écho de ma voix se perdre entre les montagnes.
Page 52 : J’arrivais d’un monde où l’on estimait que l’humain, créé à l’image de Dieu, trônait au sommet de la pyramide de la vie. La nature offerte en cadeau devait être domptée. Et voilà que je me retrouvais dans un nouvel ordre des choses, où tous les êtres vivants étaient égaux et où l’homme n’était supérieur à aucun autre.
Page 54 : Je faisais le moins de bruit possible mais, malgré mes efforts, je n’arrivais pas à imiter le pas lent, faussement nonchalant, de Thomas. Je glissais sur les pierres, me cognais à des branches. À cause de moi, toute la forêt savait que nous étions là.
Page 86 : Malek avait été le premier à porter le nom de Siméon. Jusque-là, la famille se nommait Atuk. Mais les prêtres n’aimaient pas ces mots qu’ils ne comprenaient pas, et ils ont obligé les Innus à utiliser des patronymes français. Ainsi, le clan Atuk est devenu la famille Siméon.
Page 121 : Des volutes blanches sont montées vers le ciel, vers celui que j’appelais Dieu et que Thomas nommait l’Esprit supérieur.
Page 155 : Il fallait qu’ils m’aiment beaucoup, moi, déjà presque une adulte, pour prendre le temps de faire mon éducation. Parce que c’est de cela qu’il s’agissait. J’avais beau savoir lire, écrire et calculer mieux qu’eux tous, je restais une ignare là-bas.
Page 161 : Chaque culture possède ses rites. Mais peu importe la couleur de leur peau ou leur origine, manger offre aux humains une occasion de rassemblement et de partage.
Page 194 : Toute ma vie, je me suis sentie écartelée entre ce que j’estimais être mon devoir et ce que ma nature me dictait.
Page 198 : D’autres familles ont fait comme nous ensuite, laissant les enfants dans la réserve l’hiver pour leur permettre d’aller à l’école. Peu à peu, les maisons se sont multipliées. Certaines familles étaient réticentes, car les enfants donnaient un coup de main important à la chasse et ils hésitaient à s’en priver. Mais le nombre d’élèves de la classe augmentait chaque année. Rien n’obligeait les parents à le faire, mais les Innus sentaient bien que le vent tournait et que le monde auquel ferait face leur descendance différait de celui qu’ils avaient connu.
Page 208 : Les années avaient peu de prise sur l’aîné et la mort semblait l’avoir oublié. Mais cela, ça n’arrive jamais. Le temps nous est toujours compté.
Page 277 : En fermant les yeux, je pouvais m’imaginer au Péribonka. Quand on vieillit, les souvenirs deviennent des trésors.