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coup de coeur

Mon avis : Melnitz – Charles Lewinsky

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’allemand par Léa Marcou – Traduit avec le concours du Centre National du Livre

 

Éditions Le Livre de Poche

Lu en Lecture Commune

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Melnitz renoue avec la tradition du roman familial du XIXe siècle : la saga des Meijer, une famille juive suisse, court sur cinq générations, de la guerre franco-prussienne à la Deuxième Guerre mondiale. 1871 : le patriarche Salomon, marchand de bestiaux, vit à Endingen, l’une des seules bourgades helvétiques où les juifs sont autorisés à résider. La famille commence son ascension sociale, sans jamais parvenir à s’affranchir du destin des exclus. 1945 : l’oncle Melnitz, revenu d’entre les morts, raconte. Il est le grand récitant de cette admirable fresque, hommage au monde englouti de la culture et de l’humour yiddish, tour de force romanesque salué comme un chef-d’œuvre par une critique unanime.

Prix du meilleur livre étranger 2008.

Un torrent furieux qui vous entraîne au bout de quatre jours (quatre heures ?) de lecture frénétique, au bout d’une histoire folle et forte, tour à tour comique et tragique. 

Philippe Chevilley, Les Échos.

 


Mon avis :
De 1871 à 1945, on suit la vie des Meijer, famille suisse de confession juive, discrète et affable. On se rend rapidement compte que le sort des juifs est à peu près partout le même, y compris en Suisse. Ils sont tolérés mais doivent rester dans leur coin sans faire de bruit. D'ailleurs les non juifs pratiquent un antisémitisme sans complexe, les ostracisent, s'adressent à eux comme s'ils étaient forcément sournois et cupides, ne cachent pas leur mépris et se permettent de leur parler de leurs "youpineries". Néanmoins la Suisse pratique un antisémitisme sans complexe comme tant d’autres pays.

L'humour des Meijer affleure au fil des pages, leur donnant un côté facétieux qui m'a fait sourire plus d'une fois. Une galerie de personnages dont la plupart sont très attachants, avec vraiment pour moi une préférence pour Zalman, tellement nature et foncièrement bon, mais aussi Arthur l'altruiste, Hinda la généreuse,  Désirée la rêveuse, le bon Pin'has, l'étrange Monsieur Grün, beaucoup moins Mimi, éternelle gamine totalement égocentrique. Mais voilà,  ses raisonnement sont drôles tant ils sont stupides. Et 
Melnitz. L'oncle Melnitz, absent et pourtant là, quand il le faut. Un sage, sorte de mousquetaire de la famille Meijer dans le genre un pour tous ! Il est inénarrable, taquin, espiègle, et tellement avisé et utile. Il est un peu la voix off qui nous permet de comprendre tant de choses, la mémoire de la famille, et du peuple juif.

À aucun moment ce pavé de 960 pages ne m'a paru long ! J'ai suivi avec un infini plaisir les joies et les peines de la famille Meijer sur plusieurs générations, leur réussite sociale, le mépris qu'ils ont eu à subir, leur désir de s'intégrer tout en étant systématiquement gardés à une certaine distance. J'ai appris beaucoup sur leur mode de vie, leurs rituels, et j'ai été impressionnée par la religion qui régit absolument tous les moments de la vie.

Ce roman, qui commence à la fin de la guerre avec la Prusse et se termine après la libération en 1945, qui nous fait traverser une page d'histoire de la Suisse, mais aussi de l'Europe, au coeur de la communauté juive, est réellement passionnant ! Et douloureux ! Et émouvant ! Et joyeux !!! On passe par toutes sortes de sentiments, liés entre autre aux tragédies de l'Histoire et à la fureur nazie mais aussi à l'intransigeance des religions qui parfois blessent durablement, quand par ailleurs les joies de la vie de famille apportent la lumière. Et moi qui suis athée, j'ai été impressionnée par cette foi qu'ils ont, chevillée à l'âme et qui leur sert de guide.

À travers la vie de la famille Meijer-Pomeranz-Kamionker, 
Charles Lewinsky nous raconte la destinée du peuple juif à travers deux guerres, essentiellement en Suisse qui a été épargnée par la Shoah, sur soixante-quatorze années, avec la douceur d'une brise légère balayée par le vent de l'histoire qui laisse un souvenir brutal, amer, et six millions d'absents, effacés par la fureur et la haine.

Ah mais quel roman ! Un coup de cœur +++++

Sans oublier les échanges passionnants avec mes co-lectrices, que du bonheur !

Citations :

Page 110 : Ils n’oublient jamais rien. Plus c’est absurde, mieux ils s’en souviennent. Ils se souviennent qu’avant Pessah, nous égorgeons des petits enfants et faisons cuire leur sang dans la pâte des matze. Cela n’est jamais arrivé, mais cinq cents ans plus tard, ils sont capables de raconter la scène comme s’ils l’avaient vu de leurs yeux.

 

Page 111 : Oublier ? Ils n’oublient rien. Sauf peut-être la vérité. Mais pas les mensonges. Ils connaissent sur le bout des doigts les calomnies que les Romains et les Babyloniens ont inventés contre nous, et ces histoires, ils continuent de les raconter, et ils y croient.

 

Page 322 : Il décrit avec tant de justesse la soumission aveugle avec laquelle des gens par ailleurs fort intelligents suivent pieusement les troupeaux de leur religion, flanqués en permanence par les chiens glapissant des feux de l’enfer et de la damnation éternelle.

 

Page 459 : Rien qu’à cause de maman, il n’avait jamais compris pourquoi, à la prière du matin, les hommes remercient Dieu de ne pas les avoir crées femme.

 

Page 566 : Il n’avait jamais encore été amoureux, et, longtemps, ne sut interpréter l’état où il se trouvait plongé, cette maladie. On ne lui avait jamais dit que l’amour est essentiellement désarroi.

 

Page 677 : À Vienne, ils mangèrent au célèbre restaurant koscher de Schmeidel Kalish. De si bon appétit qu’après Ruben fut prit de crampes. Il n’était plus habitué à des repas copieux.

 

Page 725 : C’était un Allemand, « un Berlinois », pensa Rachel, qui n’y connaissait rien en dialectes et qualifiait de berlinois tout ce qui lui paraissait teutonique.

 

Page 772 : L’un des membres du comité directeur de la communauté, un ancien combattant de la dernière guerre, nationaliste allemand convaincu, avait juré de ne jamais se laisser chasser de sa patrie, et avait fait ses valises sur-le-champ après que, voulant envoyer un télégramme par téléphone, il se fut entendu expliquer, par une voix polie, qu’il était désormais interdit d’épeler au téléphone des noms juifs, car c’était incompatible avec la dignité raciale d’un postier allemand.

 

 

 

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Mon avis : Mon père, ma mère, mes tremblements de terre – Julien Dufresne-Lamy

Publié le par Fanfan Do

Éditions Belfond

 

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Quatrième de couverture :

« Est-ce que sur la table de chirurgie, mon père ressent le chaud, le froid ? Allez savoir. Dans la salle d’attente, ma mère porte sa chemise saharienne et le soleil blanc tape doucement sur les fenêtres. L’air est doux. Un air qui n’a rien à voir avec la mort, les drames. Ici, ce n’est pas un drame. C’est autre chose qui se passe. »
Dans cette salle, Charlie, quinze ans, patiente avec sa mère. D’ici cinq heures, son père sortira du bloc. Elle s’appellera Alice.
Durant ce temps suspendu, Charlie se souvient des deux dernières années de vie de famille terrassée. Deux années de métamorphose, d’émoi et de rejet, de grands doutes et de petites euphories. Deux années sismiques que Charlie cherche à comprendre à jamais.
Sur sa chaise d’hôpital, tandis que les heures s’écoulent, nerveuses, avant l’arrivée d’Alice, Charlie raconte alors la transition de son père, sans rien cacher, ce parcours plus monumental qu’un voyage dans l’espace, depuis le jour de Pâques où d’un chuchotement, son père s’est révélée. Où pour Charlie, la terre s’est mise à trembler.


Julien Dufresne-Lamy signe un cinquième roman doux et audacieux, profondément juste, sur la transidentité et la famille. La bouleversante histoire d’amour d’un clan uni qui, ensemble, apprend le courage d’être soi.


 

 

Mon avis :
Charlie, adolescent, nous raconte son étrange vie, les séismes qui s'y sont produits, lui qui depuis toujours se projetait dans l'image de son père. La génétique ayant fait de lui le petit clone de cet homme, en tout point de vue, il se construisait avec ce père comme modèle. Jusqu'au jour des mots étranges sont apparus au sein du foyer : dysphorie de genre, transidentité, non-congruence de genre. le père de Charlie a depuis toujours l'intime conviction que la nature s'est trompée en l'enfermant dans le mauvais corps. Et donc Charlie nous raconte l'instant présent, de l'hôpital où sont père se fait opérer, et nous emmène dans ses souvenirs, assister à la métamorphose de cet homme qu'il s'est parfois mis à détester, voire mépriser.

L'écriture est très belle et retranscrit tellement bien ce que peut ressentir un ado dont la vie bascule dans autre chose, dans une sorte de deuil inattendu et très douloureux. Je me suis imaginée à la place de Charlie et j'ai compris ce qu'il ressentait, comme si la terre s'ouvrait sous ses pieds. Pourtant que faire ? Comment réagir ? Ce n'est de la faute de personne. Ce n'est même pas une faute.
Et la mère dans tout ça ? Elle fait figure de fantôme dans un premier temps. Vraiment. À la même vitesse que le père s'épanouit, la mère et Charlie s'étiolent. La chenille devient papillon pendant que les deux autres humains de cette famille deviennent zombies.

Tout est si bien décrit, la peur de beaucoup de choses, de l'inconnu notamment, de la cruauté du monde, de la bêtise humaine, de la souffrance liée au rejet et aux moqueries, de l'homophobie (oui, oui), de la transphobie, et du harcèlement. Les crachats et les insultes. Les langues de vipère, au travail, dans le voisinage, au supermarché. Car les gens aiment se moquer, blesser, rejeter, mais se rendent-t-ils compte qu'en faisant cela ils abîment une personne dans son estime de soi et rendent sa vie beaucoup moins belle ?
Il y a beaucoup de moments douloureux car changer de genre doit véritablement être un séisme de magnitude XXL et c'est réellement un parcours du combattant pour toute la famille, mais énormément d'amour et d'abnégation s'affirment au fil du temps.

J'ai adoré cette histoire, et vraiment, j'ai trouvé le style de 
Julien Dufresne-Lamy sublime, souvent métaphorique et toujours poétique, et parfois je me demande comment font certains auteurs pour mettre autant de beauté dans un récit. Car ce parcours de vie, qui raconte une transition douloureuse pour toute la famille mais un espoir absolu pour le père et finalement de l'amour encore et toujours, est superbement raconté, avec parfois un aspect onirique. Chaque mot est le bon, chaque tournure de phrase est parfaite. Je me suis tout de même demandé si on appelle toujours Papa son père devenue femme.
Ce livre nous montre aussi qu'on ne vit pas le monde de la même façon, qu'on soit homme ou femme, avec ou sans transition.
Énorme coup de cœur pour ce roman extrêmement intelligent, âpre et soyeux à la fois.

 

Citations :

Page 14 : Dans quatre heures, Papa aura disparu.

Une mort, pas vraiment.

Une absence pour toujours.

Quatre heures, comme le temps d’un pique-nique. C’est court. Parfois long, comme un film hongkongais primé à Venise ou un repas chez les grands-parents une fin de dimanche, quand la carcasse du poulet gît dans l’huile.

 

Page 17 : Avant, je pensais que sous les meubles, on ne cachait que les armes du crime. Les affaires sales. Les bouteilles d’alcool ou les boites de capotes. Maintenant, c’est différent. J’ai compris qu’on pouvait même y cacher une vie.

 

Page 51 : Face à moi, ma mère buvait son vin comme du petit-lait, mon père portait sa robe de femme sur sa peau d’homme et, ce soir-là, on a dévoré des frites à même les doigts.

 

Page 69 : Dans mon journal, je rédigeais les étapes de mon père. Ce qui nous attendait, lui, ma mère et moi.

La peau qui s’affinerait. Les muscles qui fondraient comme neige au soleil. La voix qui s’adoucirait tandis qu’autour les gens persifleraient. Les épaules qui s’arrondiraient, les hanches, le bassin, le ventre, les cuisses et les seins qui un jour ou l’autre surgiraient. J’allais tout écrire. Ce qui ne se verra jamais. L’émotivité. La vulnérabilité. Les doutes dans les yeux bleus de mon père. Les précipices, la transe et le trac. La foi. Tous les dangers d’être femme ou minorité dans notre impitoyable société.

 

Page 102 : Est-ce que ma mère pense que les gens autour de nous sont mieux lotis ? Des familles avec grain de beauté suspect mais sans papa frappadingue qui subitement s’enfile des robes et des négligés.

 

Page 183 : — Transsexuel, c’est un terme insultant et pathologisant. Un mot de psy pour parler de troubles psychosexuels.

 

Page 201 : Ce jour-là, j’ai aimé ma mère plus que l’univers.

 

 

 

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Mon avis : Miracle à la Combe aux Aspics - Ante Tomic

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Marko Despot

 

Éditions Noir sur Blanc

 

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Quatrième de couverture :

Loin dans les collines perdues de Dalmatie, dans un hameau à l'abandon, vivent Jozo Aspic et ses quatre fils. Leur petite communauté aux habitudes sanitaires et sociales contestables n'admet ni l’État ni les fondements de la civilisation - jusqu'à ce que le fils aîné, Krešimir, en vienne à l'idée saugrenue de se trouver une femme. La recherche d'une épouse se révèle rapidement beaucoup plus hasardeuse que la lutte quotidienne des Aspic pour le maintien de leur insolite autonomie.

Ce road-movie littéraire qui dépeint les mœurs d'une famille vivant à l'écart du monde est une somme d'humour et de dérision qui, lors de sa publication en Croatie, a rencontré un immense succès populaire. Un roman plein de rebondissements ébouriffants, en cours d'adaptation cinématographique, mais aussi la découverte savoureuse d'un auteur inédit en français.


 

 

Mon avis :
Jozo Aspic vit à la Combe aux Aspics, hameau loin de tout, dans les montagnes, avec sa femme Zora, et leur quatre fils, Krešimir, Branimir, Zvonimir et Domagoj. Tout le monde a quitté ce lieu pour aller en ville sauf eux. Jozo n'a jamais voulu partir. Zora ne le lui a jamais pardonné. le jour de sa mort, elle a un ultime mot d'amour pour lui "Tu es une merde". Il reste seul avec ses fils, avec qui l'amour et le respect sont à peu près du même niveau qu'avec sa défunte épouse, la testostérone en plus.

Et donc, cet homme et ses quatre fils vivent en autarcie. La loi, c'est eux. Ils se foutent totalement du reste, tout ce qu'ils veulent c'est vivre sur leur bout de territoire avec leurs propres règles et qu'on ne leur parle pas de factures d'électricité au risque d'essuyer des tirs de kalachnikov. Une vraie tribu de cinglés enragés, armés jusqu'aux dents.

Seulement voilà, depuis que la mère n'est plus là, plus rien ne va dans la maison. La vaisselle est sale, la maison est sale, la couture n'est pas faite correctement et la nourriture est infecte : variantes de polenta à tous les repas. le curé leur conseille une femme dans la maison, pour redresser la situation ménagère. Et voilà donc l'aîné, Krešimir, qui part à la ville en quête d'une femme, mais pas n'importe laquelle. Il veut Lovorka, rencontrée "quelques" années plus tôt.

Ça devient la quête du Graal, la recherche de la perle rare, presque une affaire d'état, en tout cas l'affaire des anciens combattants. Ça tourne à la guérilla urbaine et c'est d'une telle drôlerie par moments ! j'ai beaucoup ri.
Je suppose que pour qui connaît bien la Croatie cette histoire prend une autre dimension. Car d'un côté, la police corrompue et tortionnaire est ridiculisée ainsi qu'une bande de néo-nazis, quand par ailleurs on voit des anciens combattants de la guerre contre la Serbie toujours prêts à donner l'assaut pour une bonne cause, surtout si c'est pour un frère d'armes. Et que dire de certains endroits qui sont inconnus de tous, telle la Combe aux Aspics ? Quant à Jozo, le père, soit c'est le timbré en chef genre prêcheur fou, soit c'est un vil manipulateur qui déteste les femmes et veut garder ses fils pour lui tout seul. D'ailleurs il déteste absolument tout le monde.

On suit les péripéties de ce petit monde un peu en dehors du monde et on a une galerie de personnages tous plus bizarres et réjouissants les uns que les autres. Tumultueux, désopilant et déjanté, ça va à cent à l'heure, on ne s'ennuie jamais.

Joyeusement iconoclaste et délicieusement irrévérencieux, ce roman croate est une énorme bulle d'oxygène, une bouffée de gaz hilarant. Car bien qu'il y ait parfois beaucoup de violence, c'est d'une drôlerie incroyable, c'est enthousiasmant et lumineux. Dans l'ensemble très réjouissant, et, pour ceux qui pensent que l'homme est le chef de famille, on voit bien que les femmes en sont le moteur et la clé de voûte.

À peine avais-je terminé ce roman que les personnages truculents de cette espèce de Horde sauvage mâtinée de O.K. Corral déjanté sauce croate ont commencé à me manquer. J'ai vraiment adoré cette histoire de fous qui m'a provoqué quelques fous rires inextinguibles.

 

Citations :

Page 29 : — Les sourdes, les aveugles, les éclopées, les dindes, les muettes, celles aux oreilles décollées, aux grandes gueules, les crasseuses, les salopes, les gouines, s’emporta l’oncle, tout ce qui est femelle se trouve un mari de nos jours.

 

Page 94 : Le fils cadet se tordait les mains de terreur en attendant les jeux amoureux de son frère et de sa belle-sœur, leurs mugissements inhumains, glapissements déchaînés, brames joyeux, bêlements forcenés, piaillements affectueux, beuglements fiévreux, miaulements caressants, grognements menaçants et aboiements réjouis.

 

 

 

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Mon avis : L’homme qui savait la langue des serpents – Andrus Kivirähk

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’estonien par Jean-Pierre Minaudier

 

Éditions Le Tripode

 

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Quatrième de couverture :

Empreint de réalisme magique et d'un souffle inspiré des sagas islandaises, L'homme qui savait la langue des serpents révèle l'humour et l'imagination délirante d'Andrus Kivirähk.
Le roman qui connaît un immense succès depuis sa parution en 2007 en Estonie, retrace dans une époque médiévale réinventée la vie d'un homme qui, habitant dans la forêt, voit le monde de ses ancêtres disparaître et la modernité l'emporter.
Grand Prix de L'Imaginaire 2014

 

 

Mon avis :
Amis des bêtes, bienvenue dans ce drôle de monde et cette époque où les humains étaient proches de la nature, où un ours pouvait séduire une femme mariée, où les hérissons étaient de gros crétins, où certains savaient la langue des serpents car ils étaient leurs frères. Hélas, à part Leemet, tout le monde a oublié... Il est le dernier à la parler. Et il nous raconte.

On navigue dans un univers fantasque où on rencontre des femmes qui se flagellent nues en haut des arbres, un vieil ivrogne quasi végétal, un sage des vents, un cul-de-jatte qui fabrique de la vaisselle un peu spéciale, un très vieux poisson barbu, et le Christ est l'idole des jeunes... Il suffit de se laisser porter et permettre à l'enfant qui est en nous de refaire surface, pour croire aux anthropopithèques qui élèvent des gros poux délirants, à la salamandre volante, à Ints la jeune vipère et meilleur ami, à l'Ondin esprit du lac, aux ours tombeurs de ces dames, aux louves laitières... c'est jubilatoire ! Il y a d'un côté ceux de la forêt un peu doux dingues mais parfois plus dingues que doux, qui vivent en harmonie avec la flore mais dominent la faune, dont certains croient aux génies, et de l'autre ceux du village, qui ont tout renié de leur mode de vie passé, qui sont sous l'emprise de la religion, et donneurs de leçons. Les villageois qui passent leur temps à cultiver les champs et aller à la messe, les forestiers qui mangent de l'élan encore et encore et beaucoup trop, entre deux flâneries dans les bois.

Ce roman c'est, transposé au temps des chevaliers, le monde ancien contre le monde moderne. Et vraiment, c'est l'ancien qui est le plus attrayant, féerique, enchanteur, fabuleux, ensorcelant, flippant... Ah !... Ça se voit que j'ai aimé ? Adoré ? Surkiffé ? Oui ! Ce roman est une bulle d'oxygène sylvestre, de croyances ancestrales, de fantasmagorie et aussi de drôlerie. Car oui, c'est joyeux, drôle, et parfois hilarant.

L'auteur se moque allègrement, à travers ses personnages, des croyances et superstitions païennes et de celles liées à la religion et de la récupération qu'ils font, toujours en leur faveur, des événements, tendant à prouver que rien de ce qui arrive n'est dû aux mérites des individus car ils sont forcément l'instrument de Dieu, ou du diable s'il n'y a que de l'indignité et pas de gloire à s'approprier. Il égratigne au passage les sociétés, les pouvoirs en place qui veulent tout contrôler, ne voir qu'une tête, et surtout pas de libres penseurs, la religion toute puissante qui asservit les gens par la peur et l'ignorance, pourvoyeuse de la pensée unique. le contrôle de la nature, et vade retro la liberté ! Des peuples sous le joug de têtes pensantes prosélytes qui haïssent l'apostasie, l'athéisme, le paganisme. Et ça, c'est intemporel. Il faut avouer que la religion en prend pour son grade, à moins que ce ne soit plutôt les ecclésiastiques, mais avec énormément d'humour. Cela dit, le mage aussi prend cher avec ses lutins, ses génies, sa bêtise, sa méchanceté et ses désirs de domination. Et les peuples qui se comportent en bons petits moutons mais jugent durement ceux qui ne marchent pas comme eux dans le rang. Ça m'a mis une chanson en tête : Non les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux.

C'est foisonnant, il s'y passe tant de choses, des joies, des douleurs, le monde qui change, l'amitié, l'amour, la mort, les affres de l'obscurantisme, de l'ignorance et du fanatisme. C'est l'histoire de toute une vie, celle de Leemet le narrateur, et il nous la raconte d'une façon enthousiasmante, enjouée et très drôle, mais aussi douloureuse parfois et quelquefois résignée. J'ai tellement aimé que je ne vais pas m'arrêter là quant à ma découverte des romans de 
Andrus Kivirähk !

 

Citations :

Page 32 : Dites donc à vos parents qu’ils arrêtent avec leurs âneries ! Tous ceux qui ont quelque chose dans la cervelle viennent s’installer au village. À notre époque, c’est idiot de s’enterrer au fin fond d’un fourré en se privant de tous les acquis de la science contemporaine. Ça me fend le cœur de penser à ces pauvres gens qui continuent à végéter dans des cavernes alors que d’autres vivent dans des châteaux ou des palais ! Pourquoi les estoniens devraient-ils être les derniers à se civiliser ? Nous aussi, nous avons droit aux mêmes plaisirs que les autres peuples ! Dites(le à vos parents. S’ils ne pensent pas à eux, qu’ils aient au moins pitié de leurs enfants. Qu’est-ce que vous allez devenir si vous n’apprenez pas à parler allemand et à servir Jésus-Christ ?

 

Page 36 : « Il y en a qui croient aux génies et fréquentent les bois sacrés, et puis d’autres qui croient en Jésus et qui vont à l’église. C’est juste une question de mode. Il n’y a rien d’utile à tirer de tous ces dieux, c’est comme des broches ou des perles, c’est pour faire joli. Rien que des breloques pour s’accrocher au cou ou pour faire joujou. »

 

Page 160 : Ce fut un automne sinistre, peut-être le plus désespéré de tous ceux que j’ai vécus, car même si plus tard j’ai connu des temps encore plus tristes et qu’il m’est arrivé des choses bien plus terrible, à l’époque mon cœur n’était pas encore endurci comme il s’est endurci par la suite, ce qui me rendit les souffrances plus supportables. Pour parler serpent, je n’avais pas encore mué comme je le fis à plusieurs reprises, plus tard, au cours de mon existence, me glissant dans des enveloppes de plus en plus rudes, de plus en plus imperméables aux sensations. À présent, peut-être que rien ne traverse plus. Je porte une pelisse de pierre.

 

Page 164 : Je nageais dans le sommeil, il me roulait dessus comme des vagues, je pouvais pratiquement le toucher ; je le sentais doux comme de la mousse, et en même temps il me glissait entre les doigts comme du sable. Il était tout autour de moi, il comblait tous les vides et tous les orifices, il était chaud et frais en même temps, il flottait partout comme un souffle de vent qui caresse et radoucit l’atmosphère.

 

Page 199 : J’étais vraiment sidéré qu’un être humain puisse être à ce point sans défense, tel un misérable oisillon, qu’il se laisse mordre par un reptile. Bien sûr, j’avais vu de mes propres yeux Ints tuer le moine, mais pour moi les moines et les hommes de fer n’appartenaient pas vraiment à l’espèce humaine vu qu’ils ne comprenaient ni la langue des gens ni celle des serpents, et bafouillaient des choses parfaitement incompréhensibles. C’était comme des espèces de scarabées, on pouvait les mordre et les tuer tant qu’on voulait.

 

Page 234 : Les gens sont toujours en train d’inventer un quelconque croquemitaine pour se décharger sur lui de leurs responsabilités.

 

Page 274 : « Le gamin a mal tourné, désolé. Peut-être parce qu’il a perdu sa mère très tôt. Je n’ai pas su l’élever. Mais qu’est-ce que je peux y faire, c’est quand-même mon fils, je ne peux quand-même pas l’abattre parce qu’il s’est fait moine. »

 

 

 

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Mon avis : La montagne en sucre – Wallace Stegner

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Eric Chédaille

 

Éditions Gallmeister Totem

 

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Quatrième de couverture :

Dakota, 1905. La jeune Elsa a fui les plaines du Minnesota dans l’espoir de fonder un foyer. Lorsqu’elle rencontre Bo Mason, bourlingueur en quête d’aventures et de fortune, elle voit en lui la promesse d’un monde nouveau. Elle n’imagine pas la vie à laquelle les désirs de grandeur de Bo les destinent. Saloons clandestins, conquête de la terre, mine d’or, trafic d’alcool… Bo Mason, héros américain par excellence, se réinvente au fil des opportunités qui se présentent à lui, entraînant les siens dans sa poursuite effrénée d’un horizon qui semble se dérober au fur et à mesure qu’il s’en approche. Et pendant ce temps-là, l’Amérique continue à se construire et à charrier des mythes.

 

 

Mon avis :
En commençant ce roman je me suis demandé si c'était une montagne facile à gravir ou l'Annapurna. Car il fait 836 pages et c'est écrit assez petit. Un bon gros pavés quoi. Pas grave, j'aime les pavés. D'ailleurs j'ai tout de suite été embarquée dans cette histoire qui nous raconte cette Amérique du début du XXème siècle. C'était comme si j'y étais.

1905. Elsa 18 ans, fâchée contre son père et sa meilleure amie part vivre chez son oncle dans le Dakota. Elle y rencontre Bo, un peu plus âgé qu'elle, qui lui aussi a quitté sa famille. Ils tombent amoureux et se marient.

Bo est un éternel insatisfait plein d'ambition. Il veut gagner de l'argent. Il n'aime pas travailler pour les autres. Il veut être son propre patron, trouver la fortune, sa montagne en sucre.

Elsa aime Bo, elle croit en lui. D'ailleurs cette histoire montre bien l'abnégation dont souvent les femmes font preuve. Elsa, blessée au bras, craint d'être un fardeau pour son mari. Elle craint que leurs enfants aussi ne le soient, que tous trois ne soient un frein à ses ambitions. Car Bo trouve les responsabilités pesantes, il est impatient et impétueux. Il est dans une perpétuelle fuite en avant, une course sans fin à la fortune.

Parfois, l'amour ne suffit pas pour être heureux et la vie est souvent cruelle. Mais il s'agit d'une époque où on se quittait pas. Quoi qu'il arrive, on continuait ensemble mais était-ce vraiment une bonne chose ? Elsa est extrêmement conciliante et patiente avec son mari. En réalité ils sont complémentaires et j'ai été admirative de la personnalité d'Elsa. Car si Bo peut être attachant, il est assez pénible, égoïste, parfois explosif. Ils ont des aspirations différentes. Bo et ses rêves de grandeur, Elsa et son envie d'une vie simple et stable. Elsa rêve de sédentarité alors que Bo ne tient pas en place. Mais l'histoire nous montre qu'une vie se construit patiemment, jour après jour, et qu'elle est faite de concessions. Surtout de la part des femmes. Elsa supportera avec amour et sang-froid tous les fardeaux que lui imposera Bo.

En fait ce roman est foisonnant. La famille Mason est une famille nomade et il semble que ce soit dans 
L ADN des américains cette bougeotte, et ce, pour le plus grand plaisir du lecteur qui découvre des villes, des paysages, une faune et une flore grandioses. C'est aussi le vert paradis de l'enfance, à travers Chet et Bruce, les fils du couple. J'ai eu l'impression de lire un feu d'artifice souvent, même s'ils traversent des tempêtes tout au long de leurs vies. Tout m'a semblé beau dans ces descriptions de ce qu'était la vie quand il restait encore des grands espaces préservés. Hélas, les rêves de grandeur et les choix De Bo auront des effets délétères sur sa famille. Des joies, des drames, la vie…

J'ai adoré ce roman, mais j'ai eu ma dose de cruauté envers les animaux. C'est sûrement une question d'époque, mais tout le monde semblait considérer qu'il était bien de tuer les animaux cruels, ceux qui tuent pour le plaisir, oubliant au passage que c'est nous, l'être humain, le pire prédateur, celui qui tue pour rien, juste pour le plaisir.

Le total manque de compassion pour les martres et les gauphres pris dans les pièges m'a fait dresser les cheveux sur la tête.

Bref, un superbe roman qui nous emporte dans le rêve américain du début du XXème siècle, qui nous fait traverser la vie de la famille Mason sur plusieurs décennies et nous montre que des mauvais choix ont des répercussions sur tous les membres d'une tribu.

Et qu'elle écriture !!! Qui décrit si bien absolument tout.

Cependant, alors que j'ai été captivée de bout en bout, à aucun moment je n'ai été émue par les douleurs et les tragédies de cette famille. Je suppose que l'auteur n'a pas su, ou pas voulu rendre les Mason attachants. Ou bien c'est moi qui ai manqué d'atomes crochus.

 

Citations :

Page 54 : Les trains regorgeaient de familles russes et norvégiennes encombrées d’objets personnels, les quais croulaient de malles et de ballots, de caisses et de machines agricoles, les murs des gares étaient placardés d’affiches, il y avait partout de la terre à vendre, de nouvelles lignes de chemin de fer traversaient la fertile vallée de la Red River et poussaient vers l’ouest jusqu’aux confins de l’État.

 

Page 79 : — On atteint la tête du nègre et on emporte un excellent cigare à dix cents ! Déclamait le forain. Dix cents les trois balles, messieurs-dames. Mesurez votre adresse et votre précision. Touchez la tête de ce joli négro et vous repartez avec une splendide canne et un fanion.

 

Page 243 : Neuf ans plus tôt, jeunette, naïve, pénétrée de ce qu’elle entendait faire de sa vie, elle avait fui Indian Falls, Henry Mossman et une existence aussi paisible que débilitante ; et voici qu’à présent elle déplorait presque de n’avoir pas pris le parti inverse.

 

Page 358 : L’été, c’étaient la ferme et, avec elle, la liberté, la solitude, l’exacerbation des sens, le sentiment d’une forte identité personnelle au centre d’un vaste monde aux bornes clairement définies ; mais durant le reste de l’année c’était la ville, cette bourgade nichée au fond d’une très ancienne vallée et bordée de collines érodées, et c’était là une autre vie.

 

Page 366 : Il alla à la fenêtre pour regarder le carré de jardin où, deux ans plus tôt, il avait avec optimisme semé du gazon. Les deux épicéas qu’il était allé chercher jusque dans les Cypress Hills se dressaient, complètement morts et desséchés, de part et d’autre de la maison. Il en allait ainsi dans ce fichu patelin. Tout commençait tambour battant pour ensuite dépérir inexorablement.

 

Page 369 : Bo s’était arrêté. Son regard allait se perdre vers l’autre rive et ses épais taillis de saules, d’aulnes et de bouleaux. C’était couru d’avance : on se cassait la tête pour s’en sortir, et puis quelque chose foirait.

 

Page 423 : Elle revoyait encore le vieux Barber avec ses bajoues, ses mains agitées de tremblements, complètement saturé d’on ne sait quelle drogue. Il fallait qu’il ait été pas mal parti pour ingurgiter de l’alcool dénaturé, comme il l’avait fait suite à un pari. Il apparut à Elsa que partout où Bo et elle avaient vécu il y avait quelqu’un comme ce Dr Barber, perdu, déboussolé, faisant peine à voir. Elle se demanda si l’on trouvait de ces personnalités en tous lieux ou bien si ça tenait tout simplement à ce que Bo emmenait toujours sa petite famille en marge de la civilisation, là où venaient échouer tous les laissés-pour-compte et autres pauvres diables sans attaches.

 

Page 741 : Pendant un moment, la tête lui tourna. La mémoire était un piège, un gouffre, un labyrinthe. Elle vous amenait à regarder en arrière et l’on se voyait sous une autre forme, plus petite, et avec une vision plus étroite, mais plus alerte dans l’exercice des cinq sens ; et sous cet avatar aussi l’on considérait le passé. L’on se rencontrait dans ce temps révolu et s’y reconnaître constituait un choc soudain et brutal, comme de s’immerger dans une eau trop froide.

 

 

 

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Mon avis : Les héritiers de la mine – Jocelyne Saucier

Publié le par Fanfan Do

Éditions Folio

 

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Quatrième de couverture :

"- Mais combien étiez-vous donc ? La question appelle le prodige et je ne sais pas si j'arrive à dissimuler ma fierté quand je les vois répéter en chœur, ahuris et stupides : - Vingt et un ? Vingt et un enfants ?"

 

La famille Cardinal, vingt et un enfants plus turbulents les uns que les autres, vit à proximité d'une mine désaffectée à Norco, en Abitibi, au Québec. Dans le paysage de broussailles et de maisons à l'abandon, la mine est leur unique terrain de jeux. Le père est persuadé qu'il finira par y trouver du zinc et, ce jour-là, adieu misère et quignons de pain rassis ! Tous partagent son rêve et Geronimo, le meneur, impose sa loi au clan. Jusqu'à ce qu'un accident les plonge dans une insoutenable omerta.

 

 

Mon avis :
Cette histoire de famille très nombreuse nous est racontée, dans un premier temps, par celui surnommé LeFion par sa fratrie, le dernier de vingt et un enfants. Ils ont tous des surnoms : les Titis, LesJumelles, Tintin, ElToro, LeGrandJaune, Zorro, Mustang, LaPucelle, Geronimo, Tootsie, Wapiti...
Le chapitre suivant, c'est l'aînée des filles, LaPucelle, qui raconte la famille, et ainsi de suite.

Tant d'enfants c'est l'image d'un joyeux bordel, d'une anarchie réjouissante autant que d'un pandémonium. C'est aussi une mère évanescente, tellement omniprésente mais exténuée qu'elle en devient invisible, faisant partie du décor. D'ailleurs je n'ai pas pu m'empêcher de penser à elle avec une angoisse dès le début, car vingt grossesses et autant d'accouchements, dont une fois des jumelles, ça ressemble à un Everest, quelque chose de quasiment inatteignable, ni même souhaitable.

Ce roman choral nous raconte donc la famille Cardinal, cette tribu ébouriffante, belle, tragique et infernale, l'enfance rigolote et intenable de cette fratrie pleine de vie qui s'est éparpillée dans le monde, se perdant de vue à l'âge adulte. Plusieurs décennies plus tard ils se retrouvent lors d'un congrès où leurs parents se trouvent car LePère doit recevoir la médaille de prospecteur émérite. Ils partagent un secret douloureux que LaMère ne doit absolument jamais découvrir. Comment faire ? Car c'est lorsqu'ils sont tous ensemble que l'indicible apparaît. Nous aussi, lecteurs, allons apprendre peu à peu, au fil de la narration de quelques frères et sœurs, quel est ce secret et allons comprendre que la famille peut être un enfer. Tout ce récit va dans une direction précise, nous faire découvrir de quoi cette hiérarchie d'enfants turbulents et anarchiques s'est rendue coupable.

Cette histoire, c'est comme une escapade en terre inconnue. Déjà parce que vingt et un enfants quand-même !!! Ça paraît inconcevable, qu'une femme puisse porter autant d'enfants, qu'un couple puisse élever autant d'enfants, qu'une maison abrite autant d'enfants d'une même famille, que des enfants aient autant de frères et sœurs avec tout ce que ça implique de bonnes comme de mauvaises choses : de l'amour qui ne se dit pas, de la complicité, des jalousies, des moqueries, des jeux, des luttes de pouvoir, des rivalités, de l'émulation dans les bassesses, de la cruauté. Et ne jamais être seul, ce qui selon les cas est un avantage où un inconvénient.

Les familles nombreuses me font penser à des galaxies, et dans le cas de la famille Cardinal, la mère, à une géante gazeuse, tellement elle a quelque chose d'éthéré, mais qu'en même temps elle est l'être suprême.

Il y a des moments d'une intense beauté métaphysique dans ces lignes, notamment quand LaTommy parle à Angèle, sa sœur jumelle, son alter ego. Ça distille tant d'amour. J'ai été transportée, j'ai tellement aimé.

La mine de Norco, cathédrale de schiste et de quartz, est un des personnages de tout premier plan.
Une très belle histoire, avec des zones d'ombre, servie par une écriture absolument sublime. Énorme coup de cœur que ce roman.
Cependant, j'ai détesté le sort réservé aux chats par cette tribu de sauvageons.

 

Citations :

Page 24 : Notre mère, elle n’avait pas le temps. Elle nous avait préparé son repas des grands jours et c’est à peine si on pouvait la voir derrière sa table gargantuesque, tellement la fatigue de toute une vie la rendait invisible.

 

Page 41 : Je n’ai jamais réussi à finir mes journées, la maison restait encombrée, et nos soirées sont devenues un de mes plus beaux souvenirs.

 

Page 55 : Elle émergeait du tourbillon de ses journées, rassérénée par le repos qu’elle avait pris en soirée, et faisait la tournée des lits pour voir chacun de ses enfants, tel qu’il était lorsqu’elle lui avait donné la vie et qui lui était redonné dans le sommeil, détendu, paisible, innocent, et qu’elle voulait garder à jamais dans sa mémoire.

 

Page 100 : Je n’ai jamais été aussi heureuse qu’à ces moments où Angèle m’apparaissait au bout de moi-même. Je tendais mon esprit à l’extrême, taraudant la douleur jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de moi, jusqu’au vertige du vide absolu, et c’est alors qu’Angèle, légère et souriante, apparaissait sur la surface plane de ma conscience et m’invitait à la suivre.

 

Page 133 : Ils croient que j’ai toujours rêvé de l’Australie. La vérité, c’est que je n’en peux plus de cette famille.

L’Australie, c’était une façon de leur décrocher la lune. J’étais l’aîné, presque leur père puisque le nôtre s’était fait vampiriser par la roche, et je me sentais tellement en dessous de la situation. Je n’avais pas l’intelligence de Geronimo, je n’avais rien pour les impressionner à part mon droit d’aînesse. L’Australie c’était parfait.

 

Page 147 : Notre père était pour nous tous un héros, un homme qui, à l’instar de Christophe Colomb et Jacques Cartier, avait mis un nouveau monde au jour.

 

Page 169 : Je n’ai jamais pu m’habituer au regard qu’elle avait alors, ou plutôt à son absence de regard. Les yeux fixes et agrandis par l’effort, elle attendait la fin de l’épreuve, réfugiée quelque part en elle-même, là où la douleur rejoint l’âme. Une Jeanne d’Arc au bûcher.

 

Page 208 : Notre mère, malgré la grande fatigue de tous ces enfants qui naissaient les uns après les autres, était présente à chacun de nous. Je le sais, moi qui attendais l’instant sublime où son regard se poserait sur moi, à table quand elle nous servait et faisait le compte de ses enfants, la nuit quand elle allait d’un lit à l’autre et que, ô bonheur des anges, je la sentais se pencher sur mes angoisses de la journée. Je sais qu’aucun recoin de mon âme ne lui était inconnu.

 

Page 227 : Je viens de me rendre compte que je l’ai appelée maman, un mot qui, s’il s’est glissé dans nos conversations intérieures, n’a traversé les lèvres d’aucun d’entre nous, un mot trop imprégné d’un sentiment d’appropriation pour être prononcé dans une maison comme la nôtre.

 

 

 

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Mon avis : Parcourir la Terre disparue – Erin Swan

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Juliane Nivelt

 

Éditions Gallmeister

 

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Quatrième de couverture :

En 1873, Samson, chasseur de bisons fraîchement immigré, parcourt les Grandes Plaines, plein d’optimisme devant son nouveau pays.
En 1975, Bea, adolescente enceinte et mutique, arpente le même paysage, et finit par atterrir dans une institution où un psychiatre s’efforce de déchiffrer ses dessins.
En 2027, après une série de tornades dévastatrices, un ingénieur abandonne son existence routinière pour concevoir une ville flottante sur le site de ce qui fut La Nouvelle-Orléans, où il fonde avec sa fille poétesse une communauté de rêveurs et de vagabonds.
En 2073, la Terre est entièrement noyée, et la jeune Moon n’a entendu à son propos que des histoires. Vivant sur Mars, elle s’interroge sur l’avenir de son espèce.
Parcourir la Terre disparue est l’histoire d’une famille, de celles et ceux qui, génération après génération, héritent d’un même rêve. Avec la même pugnacité et le même espoir, ils tentent de survivre sur une Terre qui se couvre lentement d’eau.


 

 

Mon avis :
Cet étrange roman m'a semblé, de prime abord, empli de solitudes et d'angoisses. Quelque chose d'hypnotique nous emmène à travers les vies de Samson, Moon, Bea, Paul, Kaiser, Michel-Ange, Penelope, Eva. C'est oppressant et addictif à la fois. On part de 1873 pour aller en 2073 puis en 1975 et ainsi de suite. Tous ces personnages sont de la même lignée ou très proches. On fait des allers-retours dans le temps, dans un désordre chronologique étudié. C'est quasi-hypnotique, on est emporté de lignes en lignes, de pages en pages sans avoir envie d'en sortir. Il y a tant de poésie dans ces mots, tant de justesse.

La narration m'a beaucoup évoqué la tradition orale, ces histoires familiales ou tribales qu'on se transmettait de génération en génération. Chaque personnage finit par composer un bout de la légende.
Un don de prescience incontrôlé dont chaque membre de la lignée semble avoir hérité.
Le cauchemar récurent d'un homme marchant dans un désert.
Une étoile rouge.
Le réchauffement climatique, les tempêtes, la montée des eaux, l'exode des populations, un avenir redoutable.

C'est un roman de fin du monde, de fin d'un monde et il m'a parfois donné envie de pleurer à l'idée de tout ce qu'on avait à perdre, de tout ce qu'on va perdre, par notre faute.
C'est tout à la fois de l'anticipation, de la science fiction, une dystopie et un roman écologiste. C'est terrifiant et beau. Ça nous parle d'un monde dévasté, d'avenir, de rêve, d'utopie, de folie.

J'ai trouvé ce roman d'une beauté calme et envoûtante. Il m'a totalement émerveillée. J'aurais voulu qu'il dure encore et encore. J'ai infiniment aimé les personnages, les lieux, les descriptions, tout, absolument tout.
Quand un roman m'enveloppe à ce point dans son ambiance, dans son propos, alors je me sens comblée. Et je me dis que j'ai de la chance d'aimer les livres car ils nous offrent des univers parallèles, d'autres vies dans la vie.
Ah vraiment !! Pourquoi ne l'ai-je pas lu avant ?

 

Citations :

Page ,97 : Même si elle n’en a pas envie, même si elle entend le cerf tousser sa peur et sa solitude aussi vaste que le ciel, elle s’exécute.

 

Page 100 : Selon mon père, les Américains étaient des hommes d’honneur qui se battaient pour la liberté. (Il rit.) La merveilleuse liberté de vendre, d’acheter, d’être de bons chrétiens et de violer ces terres. On aurait dû foutre la pais aux Indiens.

 

Page 127 : Il a vécu dans cinq familles d’accueil. Il se rappelle les sols à cause du temps qu’il a passé à les scruter — linoléum gris, moquette orange, contreplaqué souillé de taches de peinture. Certains parents s’intéressaient à lui, le bombardant de questions. La plupart l’ignoraient, déposant sur la table une barquette réchauffée au micro-ondes sans croiser son regard.

 

Page 157 : Paul se demande quel effet cela fait, de savoir d’où on vient.

 

Page 201 : Cette vie est merdique, Paul. Le moins qu’on puisse faire, c’est d’y injecter un peu de beauté.

 

Page 251 : Je quittais Kansas City pour suivre Pa. Nous faisions le même cauchemar, où un homme sans visage marchait dans le désert. Nous étions père et fille. Nous étions liés. Je ne pouvais y échapper.

 

Page 345 : Si on regarde une chose suffisamment longtemps, peu importe combien elle est fantastique, elle finit par devenir banale.

 

 

 

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Mon avis : Tiohtia:ke [Montréal] – Michel Jean

Publié le par Fanfan Do

Éditions Du Seuil – Voix Autochtones

 

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Quatrième de couverture :

Elie Mestenapeo, un jeune Innu de la Côte-Nord, au Québec, a tué son père alcoolique et violent dans une crise de rage.
Il a fait 10 ans de prison.
À sa sortie, rejeté par les siens, il prend la direction de Montréal où il rejoint rapidement une nouvelle communauté : celle des Autochtones SDF, invisibles parmi les invisibles.
Il y rencontre les jumelles innuk Mary et Tracy, Jimmy le Nakota qui distribue des repas chauds au square Cabot, au cœur de la ville, mais aussi Mafia Doc, un vieil itinérant plus ou moins médecin qui refuse de quitter sa tente alors que Montréal plonge dans le froid polaire…
Dans ce roman plein d’humanité, Michel Jean nous raconte le quotidien de ces êtres fracassés, fait d’alcool et de rixes, mais aussi de solidarité, de poésie et d'espoir.


 

 

Mon avis :
Pour bien commencer 2024 il me fallait un bon livre. Avec celui-ci j'étais sur d'être emportée, dans une histoire certes douloureuse, mais profonde.

Élie Mestenapeo a tué son père dans un accès de fureur. Un père alcoolique et violent. Par la justice des blancs, il a pris dix ans de prison. Mais la justice de son peuple est bien pire. Chez les Innus, pour un tel crime, c'est le bannissement à vie. Pas de rédemption, pas de pardon. le jour de sa sortie de prison, il se retrouve seul au monde. Et moi ce que j'ai ressenti au moment de sa libération, c'est de la peur. Il m'a semblé que le monde était trop grand pour quelqu'un qui n'a plus personne, effrayant et bien plus dangereux que ce qu'il est pour tous ceux qui ne marchent pas seuls.

Il part à Montréal, vivre la vie des SDF appelés itinérants au Québec, et va rencontrer beaucoup d'autochtones. La dureté de la vie, la faim, le très grand froid, tout cela sera son quotidien. Mais il rencontrera aussi l'amitié, qui, dans la rue, est aussi rare que précieuse.

J'ai aimé ce que ça nous raconte, l'histoire des autochtones, spoliés par les Blancs. Cris, Atikamekw, Anishinabe, Innus, Inuit, Mikmaks, Mohawks, tous ces noms qui pour moi évoquent les grands espaces, la vie en harmonie avec la nature, sont ici l'écho de ce que l'homme blanc leur a fait. Voler leur terre, démanteler leur culture, disperser les familles, tenter de les effacer, envoyer les enfants dans des pensionnats tenus par des religieux pervers. Beaucoup d'autochtones en ont perdu le sens de leur existence, ont sombré dans l'alcool ou la drogue et parfois les deux, se sont souvent noyés dans ce monde de Blancs qui ne veut pas d'eux. C'est triste et révoltant. 
Michel Jean leur rend leur voix avec ce récit, basé sur une vie réelle, en nous montrant la terrible vérité de ce pays et le côté sombre de son Histoire.

Au fil du roman, l'auteur nous raconte des existences, celles des personnes qu'Élie va croiser dans son errance au cœur de Tiohtiá:ke, les jumelles Inuit Mary et Tracy, Jimmy le Nakota, Geronimo le Cri, Mafia Doc ce drôle de personnage, "Caya" le Mohawk qui aime citer Vilain Pingouin qu'il connaît par coeur, Lisbeth, Kalina, Charlie, Lucien, Randy et tant d'autres. Beaucoup meurent dans l'indifférence du bon peuple. Des femmes disparaissent dans un silence total. Autant de vies auxquelles 
Michel Jean donne une consistance, une tribune, une réalité. Des personnages auxquels ont s'attache énormément.

Mais ce roman ne raconte pas que la rue. Il nous parle de grands espaces, de coutumes ancestrales perdues, de pèlerinage mais aussi d'entraide car il faut bien un peu de joie et d'espoir dans une vie ! Il nous dit que parfois il y a une lumière au bout du tunnel, qu'il faut savoir saisir sa chance, que rien n'est jamais définitivement foutu, que les apparences peuvent être trompeuses, qu'il faut savoir accepter les mains tendues. Ce roman nous dit surtout qu'en dépit de toutes ses douleurs, la vie offre des vrais moments de bonheur.

L'écriture de 
Michel Jean rend tout très vivant, très réel, et embarque le lecteur dès les premières lignes pour ne le lâcher qu'au mot Fin. C'est un plaisir infini que d'entrer dans une telle histoire. D'ailleurs, je l'ai lue d'une traite.
Et encore merci à @vleel qui m'a fait gagner ce livre.

 

Citations :

Page 17 : Le temps s’écoule au compte-goutte en prison. Chaque détenu compte les jours qui le séparent de sa liberté et quand l’un d’eux est libéré, tous les autres le regardent partir avec une pointe de jalousie. Pourtant, Élie ne sait pas s’il a envie de sortir. Personne ne l’attend à l’extérieur. Il n’y a pas une auto avec une femme à l’œil humide à son bord qui surveille la porte, dans l ‘attente de le voir émerger. Il n’y a que le vent qui souffle sur le pénitencier et la forêt qui l’entoure.

 

Page 28 : Souvent, les filles avaient des enfants en espérant que ça leur attacherait le type duquel elles s’étaient amourachées.

 

Page 47 : Élie et Geronimo sont les seuls autochtones du village, mais ils en croisent régulièrement dans la rue. Ils vont de plus en plus souvent au square Cabot, à l’autre bout de la ville. Ils s’y rendent pour la popote roulante de Jimmy le Nakota, qui offre le repas du soir. Dans la file d’attente, les gens s’expriment en cri, en atikamekw, en innu, en algonquin, en innuktitut, ces langues anciennes qui, pourtant, paraissent étrangères aux passants pressés du centre-ville.

 

Page 51 : Une dépression d’air arctique descendu de la baie d’Hudson se répand dans tout le centre du Québec et tient Montréal dans un étau, comme un crabe sa proie. Les écoles ferment, les automobiles refusent de démarrer, les médias parlent de record de température et les gens s’enferment chez eux.

 

Page 64 : Les gens vivent, meurent, vous quittent, mais les lieux et les souvenirs vous ramènent à eux, comme des remords.

 

Page 99 : Autrefois, les femmes apprenaient cet art de leur mère et de leur grand-mère. Mais c’était avant que le gouvernement du Québec oblige les Inuit à abandonner leur vie nomade et les regroupe de force dans des villages où les maisons préfabriquées ont remplacé les igloos, où les motoneiges ont pris la place des traîneaux et des chiens, et où les gens noient maintenant leur mélancolie dans l’alcool, la drogue et toutes les violences que l’homme blanc a apportées dans son sillage.

 

Page 125 : Quand on a été seul pendant si longtemps, comment fait-on pour accueillir la tendresse des autres ? Comment croire qu’on peut compter pour quelqu’un ?

 

Page 131 : Ces soupers autour du feu lui offrent les moments qu’il préfère. En ce début de soirée, alors que le soleil couchant disperse des reflets rosés sur les flots argentés de la Bersimis, il fait une prière pour les animaux qui ont donné leur vie. Ainsi, chacun a sa place dans la nature. Et il a ici la sienne.

 

Page 133 : La beauté du paysage à Tadoussac est stupéfiante. Le Saguenay, puissant et austère, transporte les eaux de Pekuakami, le grand lac innu, jusqu’au golfe majestueux. Deux mondes, celui des rivières et celui de la mer, se marient au milieu de remous ombrageux et puissants.

 

 

 

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Mon avis : Sous un grand ciel bleu – Anna McPartlin

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Valérie Le Plouhinec

 

Éditions Pocket

 

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Quatrième de couverture :

Rabbit a rendu son dernier souffle. Elle était leur fille, leur sœur, leur mère. Elle était leur soleil. Comment, dans cette famille d'ordinaire si loufoque, retrouver goût à la vie ? Davey l'a promis à sa sœur : il prendra Juliet avec lui. Mais comment s'occuper d'une enfant de douze ans quand le seul engagement qu'on a eu dans sa vie, c'est un abonnement au magazine Rolling Stone ? Comment garder la foi, quand on a perdu un enfant ? Chacun à sa manière, les Hayes vont tenter de surmonter leur chagrin.
À chaudes larmes ou à grands rires, la résilience en souriant...


 

 

Mon avis :
Oyez oyez braves gens ! Si vous avez versé votre petite larme avec 
Les derniers jours de Rabbit Hayes, vous allez recommencer immédiatement avec le prologue qui revient sur l'instant précis où Rabbit meurt. La terreur qui vous assaillent au moment de perdre un être cher est si bien décrite… ça sent le vécu.

Rabbit a eu le cancer car elle avait le gène BRCA2. Ce gène défectueux qui multiplie les risques, ce gène qui va sournoisement nous accompagner tout le long du roman, si discrètement qu'on l'oublierait presque…

Chaque chapitre met l'accent sur un des très proches de Rabbit. Il y a Molly, la mère, clé de voûte de la famille et véritable emmerdeuse qui n'en fait qu'à sa tête sans se soucier des désirs d'autrui. Je ne l'aimais déjà pas tellement dans le premier tome, je ne l'aime toujours pas. Pourtant elle doit bien avoir des qualités… Charitable et formidable il paraît. Et elle est drôle.
Puis Jack, le père, qui aime Molly et dit amen à tout, ou presque.
Grace sa sœur et Davey son frère, Juliet sa fille inconsolable, Marjorie sa meilleure amie, tous malheureux à se demander si le monde va être supportable à présent, tous unis par une grande affection. Car chez les Hayes c'est la maison du bon dieu. La porte a toujours été ouverte à tous les amis de leurs enfants. Une famille élargie en somme. Et nous, on les suit alors qu'ils tentent de surmonter cette perte immense, chacun à sa façon.

Malgré le deuil, c'est une belle histoire, celle des gens, de la vie, de la mort, de comment faire après, du lent passage de la douleur infinie liée à la perte, du sentiment d'injustice et de vide absolu, du temps qui passe inexorablement, de la reconstruction. Ça raconte un peu la vie de tout un chacun et ça dit de très belles choses, que ce soit sur le bonheur ou sur la tragédie. C'est émouvant au plus haut point, puis parfois au détour d'une larme, d'un moment de joie, d'exaspération, de convivialité, on est saisi par l'humour d'une situation, d'une phrase, et on éclate de rire. C'est ce qui m'avait fait dire du premier opus que c'était très gai alors que la mort se profilait à l'horizon.

Tous les proches de Rabbit vont être changés à jamais par sa mort, on les voit devenir autre à force d'introspection, et le chemin parcouru ne les éloignera pas d'elle mais leur fera prendre de la hauteur. Car un deuil, c'est un morceau de soi qui meurt.
Comment apprendre à vivre sans quelqu'un qui nous était indispensable ? Un jour après l'autre… et la vie continue. Et la foi dans tout ça ? Eh bien, certains la perdent dans cette ère d'après Rabbit.
C'est réellement une belle histoire où l'amitié, l'attachement et la loyauté sont prépondérants, où la famille au sens large est une colonne vertébrale, un pilier, un mur porteur, qui aide à traverser les pires moments de la vie et qui pourtant parfois ajoute de la peine à ces pires moments.

 

Citations :

Page 10 : Molly affichait un calme de façade. Elle savait la mort imminente. Elle avait parfaitement conscience que, d’une seconde à l’autre, Rabbit s’en irait pour ne plus jamais revenir. Je t’aime, Rabbit. Je t’aime. Je t’aime tellement. Ta maman t’aime, tu sais.

 

Page 34 : Elle essuya la buée du miroir, révélant une femme qui ressemblait à une autre. Intérieurement aussi, elle se sentait changée. Marjorie sans Rabbit était quelqu’un d’autre.

 

Page 72 : Davey visualisa Johnny Faye, son meilleur pote, l’auteur-compositeur-interprète exotique et génial qui s’était approché tout près du soleil mais qui était parti trop tôt, et de manière terrible.

 

Page 90 : Ça va, tu me connais. Donc évidemment ça ne va pas, mais tu sais… ça va, quoi. On n’est que le deuxième jour et je déteste déjà le monde sans toi, donc tout roule.

 

Page 112 : — Je crois en Dieu, le Père… commença Molly avant de s’arrêter net.

Mais est-ce que j’y crois, au fond ? Combien de fois faut-il frapper à la porte avant d’admettre qu’il n’y a personne ?

 

Page 290 : Le fait que sa mère n’ait pas une tombe ni même une inscription sur un mur posait un vrai problème à Juliet.

C’est comme si elle n’avait jamais été là, ou comme si tout le monde s’en foutait.

 

Page 291 : Tu vois ? Ça, là, « bénis l’Éternel », c’est du fayotage, carrément. Les chrétiens savent tous que leur dieu aime les fayots.

 

 

 

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Mon avis : Le dernier des siens – Sibylle Grimbert

Publié le par Fanfan Do

Éditions J’ai Lu

 

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Quatrième de couverture :

1835. Gus, un jeune zoologiste, est envoyé par le musée d'Histoire naturelle de Lille pour étudier la faune du nord de l'Europe. Lors d'une traversée, il assiste au massacre d'une colonie de grands pingouins et sauve l'un d'eux. Il le ramène chez lui aux Orcades et le nomme Prosp. Sans le savoir, Gus vient de récupérer celui qui sera le dernier spécimen sur terre de l'oiseau.

 

Au cours des quinze années suivantes, Gus et Prosp vont voyager des îles Féroé vers l'Islande.
Gus prend progressivement conscience qu'il est peut-être le témoin d'une chose inconcevable à l'époque : l'extinction d'une espèce. Alors qu'il a fondé une famille, il devient obsédé par le destin de son ami à plumes, au détriment de tout le reste. Mais il vit une expérience unique, à la portée métaphysique troublante : que veut dire aimer ce qui ne sera plus jamais ?


 

 

Mon avis :
Ouh là quelle entrée en matière ! Un massacre de pingouins… nous sommes malheureusement une espèce cruelle et destructrice.
1835, Eldey, petite île au sud-ouest de l'Islande. Gus, un jeune zoologue sauve un pingouin blessé et le ramène chez lui.

Alors que Gus à sauvé ce pingouin par pur intérêt professionnel, au fil des jour lui et l'animal s'observent et apprennent à s'apprivoiser. À vivre avec cet étrange oiseau, Gus en vient à s'interroger sur la condition animale qui à cette époque n'intéressait personne et à vrai dire n'était même pas un concept.

Rapidement on apprend que ces pingouins ont une valeur marchande énorme du fait de leur rareté. Mais alors pourquoi ce massacre du début de tous les individus et de leurs oeufs !?? C'est se tirer une balle dans le pied, ça ! de ce fait, la situation m'a généré une angoisse sur le devenir de ce pingouin là, qui a d'autant plus de valeur qu'il est le dernier et donc qui peut être convoité par des gens malveillants.

Gus et Prosp (le pingouin), deux solitudes qui s'unissent, s'observent, se découvrent, et finissent par avoir besoin l'un de l'autre.
À une époque où les animaux existaient essentiellement pour nous servir, cette belle histoire parle d'amitié inter espèce, d'ouverture d'esprit, de confiance et d'attachement.

Pour moi, cette lecture, ça a été comme d'observer deux créatures étranges : le Prosp et le Gus. J'ai eu souvent l'impression d'avoir sous les yeux deux animaux, l'un pingouin, l'autre humain, et les voir évoluer dans un environnement qui ne leur était pas familier, dans des circonstances inhabituelles, pour l'un comme pour l'autre, qui se recréent une famille à eux deux.

Une belle méditation sur le respect de la vie et sur la valeur qu'on accorde ou non à celle des animaux. Mais aussi une réflexion sur notre responsabilité dans l'éradication des espèces que beaucoup trop d'entre nous minimisent.
Et si ce roman racontait aussi la quête de l'eldorado des pingouins ? de leur Éden ? Car Prosp est seul, il ne connaît aucun pingouin. C'est bizarre ce que je dis ? Ce livre amène à se poser des questions singulières... Tour à tour révoltant, triste, intrigant, mignon, drôle, émouvant, attendrissant, toutes ces émotions m'ont habitée. Je me suis même demandé si cette histoire ne me faisait pas glisser dans l'anthropomorphisme, prêtant à Prosp des pensées qu'il n'a pas. Car bien sûr les pingouins ne pensent pas, du moins pas comme nous. Mais il m'est souvent apparu comme un petit garçon dans ses attitudes. Et je l'ai adoré ! le lien qui se crée au fil du temps entre Prosp et ce doux dingue de Gus est assez magique, et magnifique.

Des moments lyriques et éthérés, beaux comme du Mozart, quand l'autrice imagine les pensées de Prosp, qui ignore qu'il est un grand pingouin, une très belle écriture au service d'une histoire d'amour entre lui et sa famille d'humains, lui le dernier de son espèce dont Gus endosse la culpabilité car il est un homme et donc de ceux qui portent cette terrible responsabilité. Sibylle Grimbert met en parallèle l'essence même de ce que sont Prosp et Gus, dont les facultés essentielles ne sont absolument pas les mêmes, et ça rend ce qui les unit d'autant plus beau.
Je me suis surprise à rêver d'avoir la chance de connaître un Prosp. Oui mais voilà, il n'y en a plus. Les humains l'ont fait disparaître de la surface de la Terre.
À l'aube de la sixième extinction, ce roman est un bel hommage, rendu aux espèces disparues par notre faute.

 

Citations :

Page 21 : Le quatrième jour, il refusa de se nourrir.

Cet animal est buté, pensa Gus, il manque d’intelligence, de sens du futur, cet animal est stupide, voilà, il préfère mourir de faim que rester dans une cage. Gus lui en voulait. Un homme cesserait-il de manger parce qu’il est en prison ? Non, mais justement le pingouin n’avait pas de ressort dans l’adversité, il était défaitiste.

 

Page 59 : Gus le regardait avaler ses poissons, émettre des bruits de déglutition, des cris de réconfort, et il comprenait que sans lui , ce qui vivait, là, sur le sol, mourrait. L’impératif était rendu encore plus grand par leurs différences insurmontables, par le fait qu’ils ne se parleraient jamais, ne se comprendraient jamais, que la seule chose qui les unissait était une connaissance intuitive de la vie, qu’ils voulaient l’un et l’autre conserver.

 

Page 114 : Mais non, le dodo a été une exception, un accident ; les animaux ne disparaissent pas, pensa-t-il aussitôt. La terre n’est que profusion. Certes, jadis, les mammouths, les mégalonyx – cet énorme paresseux, de la taille du mastodonte – s’était éteints. Certes, les bêtes se transforment sans doute, les catastrophes les tuent ou, parfois, parce que les conditions autour d’elles changent, une espèce devient plus adroite et prolifère quand une autre s’amenuise. Mais, la nature, si bien huilée, si équilibrée, empêche la fin de ce qui n’est pas nuisible à l’homme. Et d’ailleurs, la terre est si vaste que, peut-être, quelque part au milieu du Pacifique, ou dans les pôles gelés, sont cachées les espèces que l’on pensait mortes.

 

Page 130 : À quoi ressemble le chagrin, la désolation et la honte chez un animal humilié, sans amis, sans avenir ? Prosp revint sur la plage, marcha seul, penché en avant, à l’horizontal presque, le bec bas. Il gravit un rocher à l’extrémité opposée de celui dont il avait été chassé, puis il descendit sur une corniche. La mer était basse, le crépuscule tombait. Il s’aplatit ou se coucha et ne bougea plus.

 

Page 165 : Soudain, Gus remarqua qu’il n’avait jamais entendu parler d’un pingouin, petit ou grand, d’une sole non plus,morts de leur belle mort.

 

Page 177 : Aussi Gus continua-t-il d’essayer de croire que des Prosp vivaient encore, mais il n’était pas idiot. Il savait compter, un pingouin par-ci, un autre par-là, mettons : deux pingouins en train de forniquer, cela ne faisait pas une population, cela faisait juste les derniers, donc la reproduction ne comblerait jamais la raréfaction, laquelle, irrévocablement, mènerait à leur disparition.

 

Page 190 : Comment était-ce possible ? Les baleines, les phoques vivaient toujours ; ailleurs, en Afrique, il y avait des rhinocéros gros et sans doute stupides, dont on aurait fait de bons ragoûts et qui se pavanaient tranquillement ; en Australie, un animal incroyable, une farce de la nature, un castor avec un bec de canard, qui, plus extraordinaire encore, pondait des œufs alors que c’était un mammifère et qu’il allaitait. Pourtant cet animal absurde, pas même beau, vivait, quand l’espèce de Prosp, inoffensive, drôle, gracieuse dans l’eau, avait disparu. Où était la justice, sans parler de l’harmonie du monde ?

 

Page 212 : Gus regardait les océans, immense surface plane d’où on avait aspiré les baleines en dessous de ciels vidés de leurs sternes.

 

 

 

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