Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

histoire de femmes

Mon avis : L’ultime guerre – Anna Raymonde Gazaille

Publié le par Fanfan Do

Éditions LE MOT ET LE RESTE

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Dans un monde dystopique, une secte nommée les Adeptes du Tout-Puissant sème la terreur dans les Territoires du Sud. Depuis les Territoires du Nord, des soldats et la Légion des Guerrières de la liberté luttent contre leur invasion et l’asservissement des femmes qu’ils tentent brutalement d’imposer. Ainsi débute l’odyssée de Tessa, une enfant soldat errant sur un champ de bataille, recueillie par trois Guerrières avec lesquelles elle entame un long et périlleux voyage à travers les ruines d’un monde dévasté. S’accrochant aux liens tissés avec ses sœurs d’armes, elle s’acharne à survivre, en dépit de tout ce qu’elle a subi, apprivoisant les fantômes qui la hantent. Son périple et cette quête vers la terre nordique feront surgir en elle un puissant sentiment d’appartenance à une humanité qu’elle avait condamnée.


 

 

Mon avis :
Dans un futur indéterminé le monde a basculé. Des hordes d'hommes asservissent les femmes, qui sont reléguées au statut d'inférieures, de ventres, d'esclaves. "Les armes étaient interdites, mais nous savions tous que les plus puissants en possédaient. C'est ce qui faisaient d'eux les plus puissants." Tessa, une orpheline de douze ans, nous raconte ce monde en ruine, ces villes détruites, ces édifices si hauts qu'on n'en distingue pas le sommet mais aussi la peur, la douleur et le deuil.
Des femmes, les Combattantes du Nord, luttent. Ce sont les Guerrières de la liberté.
On en revient toujours à cette réalité sordide énoncée par 
Simone de Beauvoir "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question." Alors l'apocalypse.
Mais dans ce monde, quasiment personne n'a de droits, sauf les plus forts.

Tessa suit trois Guerrières, Manu, Pat et Cum, qui doivent rejoindre leur bataillon. À partir de là, on change de narratrice au gré des chapitres. On découvre ce monde en guerre, le fanatisme contre la liberté, avec des villes çà et là dont certaines tentent la neutralité mais vivent dans la corruption, pendant que d'autres sont presque des modèles de démocratie. le Sud où règnent la guerre et la mort, le Nord où la civilisation a perduré.

À travers ces lignes on sent la rage de ces femmes qui luttent pour leur liberté. Toutes ont perdu beaucoup, elles se battent pour ce qui leur reste : elles-mêmes, leurs choix, leur libre arbitre et une societe égalitaire. C'est dans ce monde là que Tessa va devoir avancer à l'aveugle en se méfiant de tout le monde. Pourtant il ne m'a pas semblé si différent du nôtre. Partout le fanatisme religieux explose, le sexisme et l'intolérance aussi, ainsi que le patriarcat et ses prérogatives que certains veulent voir perdurer au détriment des femmes et de leur liberté. Ce roman, c'est peut-être le monde de demain dans une perspective cauchemardesque.

Alors, j'ai bien aimé. Ça se lit bien et on est embarqué dans ces vies cabossées de femmes. Cependant j'ai trouvé que plusieurs personnages auraient gagné à être plus approfondis, moins éphémères. Et puis l'ensemble m'a semblé un peu fourre-tout, avec un mélange de sociétés et d'époques qui seraient réunis dans un espace assez réduit tout en étant aux antipodes les unes des autres. Un peu comme si un univers barbare côtoyait une société plutôt bien rangée, Mad Max VS Bienvenue à Gattaca. Presque un anachronisme. Néanmoins, une dystopie féministe, moi je dis bravo !
Merci à Babelio Masse Critique et aux Éditions le Mot Et le Reste.

 

Citations :

Page 16 : Dans le camp, il y avait bien sûr des hommes, beaucoup moins nombreux que les femmes et les enfants, mais ils commandaient. Ils formaient des bandes, la plupart du temps rivales. Ils se battaient, trafiquaient. Les armes étaient interdites, mais nous savions tous que les plus puissants en possédaient. C'est ce qui faisaient d'eux les plus puissants.

 

Page 27 : Tout brûle. Je songe aux dépouilles des guerrières qui gisent parmi tous ces livres. Dans le ciel flamboyant du couchant s’élèvent les flammes tout aussi rougeoyantes. J’aimerais que les mots de toutes les histoires incendiées crient leur colère.

 

Page 42 : J’ai demandé à Cum ce qu’elle en pensait. Elle a plongé ses yeux dans les miens : « Les dieux n’existent pas. Pas plus celui de ces déments qui enferment les femmes en cage et les traitent en esclaves, que les déesses, créatrices de cette humanité qui court à sa perte. »

 

Page 105 : Quand il ne reste que ton corps et à peine de quoi le couvrir, la valeur de la liberté prend toute la place et la vie s'allège pour ne plus désirer que l'essentiel.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Chasse à l’homme – Gretchen Felker-Martin

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Héloïse Esquié

 

Éditions Sonatine

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Une épidémie a transformé tous les êtres humains à haut niveau de testostérone en des créatures uniquement mues par leurs besoins les plus primaires : se nourrir, violer, tuer. Tous les individus masculins sont ainsi devenus des zombies. Beth et Fran, deux femmes transgenres, sont chasseuses d'hommes. Elles ont en effet besoin d'absorber les œstrogènes contenus dans les testicules de ces derniers pour éviter la contagion. Bientôt, elles vont devoir affronter une armée de féministes radicales, qui haïssent davantage encore les transgenres que les hommes.


 

 

Mon avis :
On entre directement dans le vif du sujet avec un zombie répugnant dont on apprend que c'est à cause de sa testostérone qu'il en est là. Car oui, un immonde virus, le T. rex, transforme tous ceux dont le taux de testostérone est élevé. Donc les hommes sont touchés ainsi que les trans nés garçons qui n'ont pas eu le temps d'achever leur transition en se faisant faire une orchidectomie (oh le joli mot pour designer quelque chose de visuellement pas très beau MDR). Dès lors, ils ne pensent plus qu'à dévorer, tuer, violer.

Des trans femmes doivent consommer des testicule de zombies riches en œstrogènes pour contrer le virus qui risque de s'attaquer à eux. Iels (ah que ce pronom est pratique !) sont aussi la cible de TERF, féministes radicales, qui veulent les éradiquer car elles haïssent tout ce qui porte un chromosome Y, qu'iel soit devenu(e) femme ou pas. Donc pour Fran et Beth, deux trans femmes, il y a la traque des zombies pour leur becqueter les roubignoles tout en faisant attention de ne pas devenir leur objet sexuel et leur repas car ces derniers sont retournés à un état primaire, et la fuite devant une bande de TERF hyper agressives et dangereuses. La survie en permanence, le danger absolument partout et de toute nature. L'enfer sur terre.

Alors vu comme ça, ça peut paraître complètement déjanté ! Et vraiment c'est le sentiment que j'ai eu tout de suite. Mais ça traite d'un sujet de société terrible pour celleux qui le subissent : la transphobie. Et en amont, le sentiment d'injustice d'être né dans le mauvais corps et de pas parvenir à l'aimer tel qu'il est, l'incompréhension et le rejet de la plupart des gens y compris la famille, et le mépris, et la haine. Et puis dans ce monde là, les femmes trans sont terrifiée par le danger que leur biologie interne leur fait courir, à savoir se transformer en zombie.

Comment fabriquer un avenir à l'humanité quand celle-ci est amputée d'une moitié indispensable à sa pérennité ?
Ce roman nous dit que l'être humain sait s'adapter, n'est jamais à bout de ressource, mais parfois en pure perte.

Agressions, viols, trafics d'êtres humains, un monde chasse l'autre et tout perdure, mais cette fois c'est dans une société matriarcale. Une multitude de viragos qui veulent créer un monde à leur image, qui ne vaut pas mieux que celui d'avant, celui des hommes.

J'ai beaucoup aimé ce roman qui pourtant est d'une violence inouïe, où il est énormément question de sexe et de fureur guerrière dont l'unique but est de réduire à néant les porteurs du chromosome Y. On y trouve cependant infiniment d'amour, de loyauté, de solidarité et d'humour. Cette histoire est une déclaration d'amour et de sororité aux femmes transgenres et une dénonciation de l'intolérance.

 

Citations :

Page 16 : Sur son front, juste au-dessus de l’arête de son petit nez mutin en pente de ski, un tatouage austère : XX. Chatte certifiée 100 % naturelle par les Filles de la Sorcière-Qu’On-Ne-Peut-Pas-Brûler ou la quelconque divinité merdique du festival de musique Womyn’s du Michigan à laquelle la TERFocratie du Maryland prêtait allégeance. Merde.

 

Page 40 : Un hurlement d’homme s’éleva de nouveau dans les bois, pas très loin cette fois, et par un accord tacite, elles s’arrêtèrent pour regarder les oiseaux s’envoler des arbres en nuées tourbillonnantes. Beth se demanda, et ce n’était pas la première fois, s’ils se sentaient seuls, ces êtres qui étaient autrefois des hommes. Si leurs femmes, leurs mères, leurs filles, leurs copines et leurs dominatrices leur manquaient. Mais peut-être qu’ils étaient heureux désormais, libres de violer, de tuer et de manger qui ils voulaient, libres de chier, de pisser et de se branler dans la rue.

Peut-être ce monde était-il celui qu’ils avaient toujours voulu.

 

Page 152 : Pendant un an et demi, après avoir laissé tomber ses études, elle avait habité, au premier étage, un placard dégueulasse en guise de chambre, sortant à tour de rôle avec un casting tournant de colocs et d’ami.e.s d’ami.e.s : transboys maigrelets, gouines en cuir vénères, demi-sexuel.l.e.s à la coupe au bol à moitié ironique qui passaient des heures sur Tumblr à parler du genre et s’interrogeaient pour savoir si le nœud papillon était un marqueur de la lutte des classes, jusqu’à ce que chaque relation médiocre, inévitablement, se consume pour laisser place à une rancœur silencieuse, cassante.

 

Page 216 : Même si vous pensez sincèrement avoir eu une enfance de fille, en réalité, vous avez été élevés comme des hommes. Vous avez été élevés pour brutaliser, pour voler, pour mépriser les femmes qui vous ont élevés et ont sacrifié leur vie pour protéger la vôtre.

 

Page 346 : La fille battue lécha ses lèvres desséchées.
« Ce qu’on leur fait... » Sa voix était un croassement rauque, guère plus qu’un murmure. « C’est exactement la même chose que ce les hommes nous faisaient avant.

Ce sont des hommes.

Non. » La paupière de Karine se baissa. « Elles n’en sont pas, et je crois que vous le savez. »

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Des milliers de lunes – Sebastian Barry

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Laetitia Devaux

 

Éditions Joëlle Losfeld

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Bien qu’il s’agisse d’une histoire à part entière, nous retrouvons Winona Cole, la jeune orpheline indienne lakota du roman Des jours sans fin, et sa vie dans la petite ville de Paris, Tennessee, quelques années après la guerre de Sécession.
Winona grandit au sein d’un foyer peu ordinaire, dans une ferme à l’ouest du Tennessee, élevée par John Cole, son père adoptif, et son compagnon d’armes, Thomas McNulty. Cette drôle de petite famille tente de joindre les deux bouts dans la ferme de Lige Magan avec l’aide de deux esclaves affranchis, Tennyson Bouguereau et sa sœur Rosalee. Ils s’efforcent de garder à distance la brutalité du monde et leurs souvenirs du passé. Mais l’État du Tennessee est toujours déchiré par le cruel héritage de la guerre civile, et quand Winona puis Tennyson sont violemment attaqués par des inconnus, le colonel Purton décide de rassembler la population pour les disperser.
Magnifiquement écrit, vibrant de l’esprit impérieux d’une jeune fille au seuil de l’âge adulte, Des milliers de lunes est un roman sur l’identité et la mémoire, une sublime histoire d’amour et de rédemption.

 

 

Mon avis :
Ce roman, qui peut se lire indépendamment mais a mon avis c'est pas une bonne idée, fait suite à 
Des jours sans fin, superbe histoire qui nous parlait de John Cole et Thomas McNulty, tour à tour soldats puis artistes travestis sur scène, compagnons de route et amants.

Peu après la guerre de sécession, Winona Cole nous raconte. Elle est lakota et orpheline. Elle a été sauvée par Thomas McNulty lors du massacre de son peuple, puis adoptée par lui et son compagnon, 
John Cole. Elle nous parle de la tristesse, du vide, du manque de sa famille, elle l'enfant dont on a détruit les racines. Elle nous dit que dans l'Amérique de ce temps-là, un noir n'était rien, mais un indien encore moins que ça. Elle nous dit aussi l'amour de ses deux pères. J'ai immédiatement été saisie par la beauté de l'écriture.

Un monde dans lequel survivre est un combat quotidien, car si Thomas McNulty est un immigrant irlandais, 
John Cole, l'amour de sa vie, a du sang indien, et ils sont les pères d'une indienne. Deux esclaves affranchis vivent sous leur toit, frère et soeur. Une famille totalement hors-normes donc.

Winona parle de ce monde implacable, peuplé d'hommes brutaux, et de ce que beaucoup de prédateurs se permettent de faire aux femmes. Cet acte immonde de domination depuis la nuit des temps. Mais aussi de l'injustice faite aux noirs, aux indiens, aux femmes encore et toujours. Un sentiment d'errance de beaucoup d'hommes qui étaient soldats pendant la guerre de sécession, qui ne savent plus quoi faire de leur violence et qui l'exercent à tort et à travers. La guerre était abominable, l'après guerre est une autre forme d'horreur, où la fureur et l'insécurité règnent.

Après l'agression de Winona, dont elle a tout oublié, puis de Tennyson l'esclave affranchi, tous espèrent réparation, même l'avocat Briscoe pour qui Winona travaille. Pourtant ils savent que les noirs sont peu de chose aux yeux du monde, et les indien même pas des citoyens.

J'ai adoré cette histoire qui a fait faire du yoyo à mon coeur à la toute fin, et l'a fait rager tout le long. Car il y a là toute l'injustice du monde envers certaines catégories de personnes, et la noirceur de l'âme humaine s'étale au grand jour. Heureusement il y a aussi infiniment d'amour et d'abnégation.

Mais voilà que j'ai envie de relire 
Des jours sans fin car ma lecture de celui-ci date de plusieurs années.

 

Citations :

Page 13 : Quand un pauvre fait quelque chose, il doit le faire de façon discrète. Par exemple, quand un pauvre tue, il doit le faire très discrètement puis courir aussi vite que les petites biches qui jaillissent des bois.

 

Page 55 : La plupart des Blancs ne voient que l’esclave ou l’Indien. Ils ne voient pas une âme. Ils ne voient pas que ce sont des empereurs pour qui les aime.

 

Page 64 : Je n’étais pas la seule à l’époque à vouloir calmer le regard des hommes avec l’apparence d’un garçon, et j’avais appris quelle folie c’était de ne pas le faire.

 

Page 93 : Aucun acte de compassion ou de cruauté de l’Amérique blanche n’avait jamais eu lieu sans correspondre à un bout de papier quelque part. Même une jeune Indienne comme moi qui se faisait passer pour un garçon au visage bien propre savait ça. Je ne doutais pas que les miens aient été tués dans le respect de la loi. Mais pas notre loi, car notre loi n’était constituée que de mots balayés par le vent.

 

Page 176 : J’ai entendu Rosalee parler tout à coup très fort puis éclater de rire. C’est incroyable que toutes ces paroles qui parcourent nos vies ne soient jamais prises en considération, qu’on n’en garde aucun souvenir.

 

Page 193 : Il ne me quittait pas des yeux, il guettait ma réaction. Je ne souriais pas vraiment, mais ce n’était pas comme si je ne souriais pas du tout. Je me suis dit : « Winona, ne chavire pas. Tu ne dois pas oublier comme ce monde est dangereux, qu’ici est un endroit puissamment dangereux, mais tu dois y survivre. Sois sage, Winona, et tu survivras. Il y a toujours des ennuis qui arrivent, ce n’est pas la peine d’espérer autrement. Mais il faut s’en affranchir. Pour ressurgir de l’autre côté. S’il y a un autre côté. »

 

Page 227 : « T’es vraiment de la vermine, tu sais ? Il a dit. Des sauvages sans pitié, voilà ce que dit cette bonne vieille déclaration sur vous aut’. C’est pour ça qu’on a fait c’te guerre. Pour éliminer la vermine que t’es d’la surface de la terre comme ces rats ou ces loups qu’vous êtes. »

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Girl – Edna O’Brien

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat

 

Éditions Le Livre de Poche

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

S'inspirant de l'histoire des lycéennes enlevées par Boko Haram en 2014, l'auteure irlandaise se glisse dans la peau d'une adolescente nigériane, Maryam. Tout commence par l’enlèvement de plusieurs jeunes filles après l’irruption d’hommes armés dans l’enceinte d’une l’école, puis la traversée de la jungle en camion et l’arrivée dans le camp, où la faim, la terreur et le désarroi deviennent le lot quotidien des prisonnières.

Mais le plus difficile commence quand Maryam parvient à s’évader, avec l’enfant qu’elle a eue durant sa captivité. Après des jours de marche, et alors qu’elle a enfin pu rejoindre son village, elle se retrouve en butte à la suspicion des siens et à l’hostilité de sa propre mère. Victime, elle devient coupable d’avoir introduit dans leur descendance un être au sang souillé par celui de l’ennemi…

Bouleversant récit à la fois atroce et magnifique. Le Monde.

La lecture de Girl est une marche chancelante au bord d’un précipice. Télérama.

Edna O’Brien est lauréate du prix Femina spécial 2019 et du prix PEN/Nabokov 2018 pour l'ensemble de son œuvre.

 

 

Mon avis :
On entre immédiatement dans le vif du sujet avec l'enlèvement de lycéennes au Nigeria par Boko Haram en 2014, dont l'autrice s'est inspirée pour nous conter le récit de Mariam à la première personne, donnant ainsi corps à ces filles victimes de la barbarie des hommes. Boko Haram, ce groupe sectaire prône un islam rigoriste et impose sa vision cruelle de ce que doit être la vie, surtout pour les femmes.
"J'étais une fille autrefois, c'est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier." Voilà ce que nous dit Mariam. Les viols et les violences, les témoignages de John, petit garçon enlevé pour devenir soldat, puis Buki, une fille, défouloir pour les hommes, comme toutes les autres filles, victimes de leur désir répugnant, leur besoin de se vider dans ces "salopes" comme ils disent, sans état d'âme.

Ce qui ressort dans la première partie, c'est une haine incommensurable des femmes, mais aussi que l'amitié est une planche de salut dans les pires moments de la vie. Et puis tout le long, que l'instinct de conservation est chevillé au corps. Quelles que soient les horreurs qu'on puisse subir, la plupart du temps le désir de rester en vie est le plus fort. Mais ce livre ne parle pas que d'horreurs. Il nous raconte des moments de grâce, quand des êtres humains tendent la mains à d'autres êtres humains. Il nous parle des nomades peuls qui ont une vie plutôt heureuse, qui sont chez eux partout où ils se posent, qui ont l'instinct grégaire, où le clan est essentiel, mais pas fermé. Il nous dit que l'attachement mère-enfant est presque toujours plus fort que tout.

Hélas, partout dans le monde, les femmes sont toujours au bord du vide, car elles sont les victimes désignées des hommes quand tout va mal, impuissante à modifier leur destinée :
"On n'a pas le pouvoir de changer les choses […]
- Pourquoi pas ?
- Parce qu'on est des femmes."
C'est écœurant car tellement vrai si souvent.

Malheureusement, le retour chez soi n'est pas toujours synonyme de joie. Surtout avec un enfant Oui, la triste condition des femmes dans le monde, doublement punies. Victimes d'abord, puis pour cette même raison montrées du doigt et vouées aux gémonies, comme si elles étaient responsables du malheur qui les accable.

Un roman dur mais nécessaire, où le sordide est évité grâce à la subtilité de l'autrice qui nous épargne les détails des viols. Toutefois j'ai trouvé ce récit très froid ou distancié, car je n'ai jamais eu d'empathie pour Mariam. Uniquement de la compassion. Mais pourquoi donc ?

 

Citations :

Page 18 : Chaque fille a reçu un uniforme, identique à celui que portaient les filles qui étaient là depuis longtemps. On nous a dit de les enfiler. D’un bleu morose, avec des hijabs encore plus foncés, et même si je ne me voyais pas, faute de miroir, j’ai vu mes amies, transformées, soudain vieilles, telles des nonnes endeuillées.

 

Page 55 : Leurs fanfaronnades, leur concours de photo l’ont enhardi. Par moments, il se retire pour laisser les appareils scruter. Ils excitent sa prouesse, son désir brûlant et sa détestation de moi. Ils rient de mes hurlements alors qu’il fait trépider tout mon corps sur cette triste terre.

 

Page 64 : Elle m’a dit que c’était une vraie jubilation à chaque naissance… si c’était un garçon. Un futur combattant. Si c’était une fille, il y avait moins de coups de feu et aucune jubilation.

 

Page 107 : Sa mère dit qu’elle n’a que dix ans, mais elle est déjà fiancée à un garçon d’une tribu d’un autre village. Elle se mariera d’ici trois ou quatre ans, et ils obtiendront une parcelle de terre et partiront lancer leur propre troupeau.

 

Page 122 : Pourquoi je te raconte tout ça… Parce que je ne te connais pas, tu ne me connais pas et tu ne connais pas le monde dans lequel tu es revenu.

 

Page 137 : À chaque rêve, la nuit, ça devient plus sanglant. Je fais bouillir mes ravisseurs dans de grandes marmites noires. Plein de feux allumés. Ces hommes savent que leur heure a sonné. Ils demandent grâce comme nous suppliions. Je les entasse dans les marmites et John-John m’aide avec le pilon. On leur fracasse le crâne et leur cervelle suinte en une sorte de sombre bouillie. Leurs barbes flottent à la surface telle une écume putréfiée. L’eau bouillante qui s’élève autour d’eux les réduit au silence.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Ce qu’elles disent – Miriam Toews

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Lori Saint-Martin et Paul Gagné

 

Éditions J’ai lu

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Colonie mennonite de Molotschna, 2009. Alors que les hommes sont partis à la ville, huit femmes de tous âges tiennent une réunion secrète dans un grenier à foin. Depuis quatre ans, nombre d'entre elles sont retrouvées, à l'aube, inconscientes, rouées de coups et violées. Pour ces chrétiens baptistes qui vivent coupés du monde, l'explication est évidente : c'est l’œuvre du diable. Mais les femmes, elles, le savent : elles sont victimes de la folie des hommes.

Elles ont quarante-huit heures pour reprendre leur destin en main. Quarante-huit heures pour parler de ce qu'elles ont vécu, et de ce qu'elles veulent désormais vivre. Au fil des pages de ce roman éblouissant qui retranscrit les minutes de leur assemblée, leurs questions, leur rage et leurs aspirations se révèlent être celles de toutes les femmes.

 

Miriam Toews est née en 1964 dans une communauté mennonite au Canada. Elle est l'autrice de plusieurs romans et a été lauréate de nombreux prix littéraires, notamment le prix du Gouverneur général. Ce qu'elles disent est son troisième roman paru en France.


 

 

Mon avis :
Depuis 2005, des filles et des femmes de la colonie mennonite de Molotschna ont été violées, y compris une petite fille de 3 ans - par des fantômes ou par Satan d'après les hommes - après avoir été rendues inconscientes par des substances, et cela à cause de péchés qu'elles auraient commis. Évidemment, quand les femmes sont violées, c'est toujours de leur faute. Mais bien sûr, les agresseurs étaient des proches. Et pendant que les agresseurs sont en prison, et avant qu'ils ne soient libérés sous caution, les femmes se réunissent pour décider de ce qu'elles doivent faire pour se protéger, elles et leurs filles, puisque les hommes sont LE danger.

C'est une histoire violente, pourtant August Epp, le narrateur ne manque pas d'humour dans son récit, ou plutôt de dérision envers lui-même. Il nous parle d'abord de lui, et ce qu'il dit est très étrange. Il vient de ce monde en dehors du monde : les mennonites. Il avait été banni, il est revenu. Il est là pour retranscrire les témoignages de ces femmes qui ne savent ni lire ni écrire. Celles-ci ont trois options quant à ce qui leur est arrivé :
1. Ne rien faire
2. Rester et se battre
3. Partir
La première option consiste à pardonner à leurs agresseurs, ce qui leur assurera leur place au paradis. Si elles refusent, elles devront partir. Décidément, les religions n'aiment vraiment pas les femmes…

On assiste à un débat philosophique entre ces femmes, sur le pardon et Dieu, le salut de l'âme et le désir de vengeance, l'amour et la compassion, la peur de l'excommunication. Elles se questionnent sur ce qu'est la liberté, ce qu'elles sont réellement, la position qu'elles occupent dans leur micro société coupée du monde moderne, le respect qu'on leur refuse, la domination des hommes.

C'est choquant de penser que dans une toute petite communauté où la religion et la crainte de Dieu sont prédominantes, où tout le monde se connait, une chose pareille ait pu se produire. Pourtant l'autrice, elle-même issue d'une communauté mennonite, s'est inspirée d'une histoire vraie, d'un événement arrivé dans une colonie mennonite de Bolivie.
Le débat des sans-voix, celles qu'on laisse dans l'ignorance du monde dans lequel elles vivent une vie sans joie, qui ne parlent pas sa langue puisqu'elles pratiquent un allemand médiéval, éternellement sous le joug des hommes, ces femmes veulent que leur vie change. Elles veulent changer la société. Elles y veulent une vraie place. Elles décident d'établir un manifeste où elles seront libres de leurs choix, de leur vie. Pourtant il semble toujours y avoir un mur quasi-infranchissable, c'est la crainte de Dieu.

J'ai trouvé ce roman très intéressant. Il nous parle d'un sujet intemporel : il faut éduquer les garçons à respecter les femmes et non pas éduquer les filles à faire attention. Il nous montre que, hélas, les combats des femmes sont à peu près les mêmes partout, dans toutes les sociétés, à différents degrés, mais qu'ils sont bien réels et essentiels pour se faire une place au soleil. Car ce qu'on ne prendra pas, personne ne nous le donnera.
J'ai néanmoins trouvé ces débats un peu longs, car bien que la condition féminine soit primordiale à mes yeux, et que les religions m'intéressent car elles ont forgé les sociétés, sur ce point j'ai trouvé le temps long, car la foi je ne l'ai pas et je n'arrive pas à comprendre cette vénération emplie de crainte qui sert de chemin de vie. C'était cependant passionnant, les débats de ces femmes, avec l'avis masculin (silencieux) d'August, considéré comme un demi-homme par ses semblables, sans doute, entre autre, parce qu'il ne se sert pas de ses poings sur les femmes pour leur imposer le respect.

 

Citations :

Page 18 : Dans un éclat de rire, Ona a brandi le poing et a traité le soleil de traître, de lâche. J’ai songé à lui expliquer les hémisphères, lui raconter que nous avons l’obligation de partager le soleil avec d’autres régions du monde, qu’une personne observant la terre depuis l’espace verrait jusqu’à quinze levers et couchers de soleil en une seule journée – et qu’en partageant le soleil l’humanité pourrait apprendre à tout mettre en commun, apprendre que tout appartient à tout le monde ! Mais je me suis contenté de hocher la tête. Oui, le soleil est un lâche. Comme moi.

 

Page 26 : Je lui ai répondu que je venais d’une partie du monde qui avait été fondé pour être un monde en soi, séparé du reste de l’univers. En un sens, lui ai-je expliqué, les miens (je me souviens d’avoir étiré les mots « les miens » dans une intention ironique avant d’être envahi par la honte et de demander silencieusement pardon) n’existent pas ou, à tout le moins, ils veulent être perçus comme s’ils n’existaient pas.

 

Page 108 : Tête baissée, les femmes continuent d’adresser des louanges à notre Père céleste. (Deux jours avant de disparaître, mon père, je m’en souviens comme si c’était hier, m’a dit que les deux piliers qui défendent l’entrée du temple de la religion sont le mensonge et la cruauté.)

 

Page 140 : Nous, les femmes, n’avons jamais rien demandé aux hommes, dit Agata. Rien du tout. Même pas le sel, à table, même pas un sou, même pas un moment de tranquillité, même pas de rentrer la lessive, de tirer un rideau, d’y aller doucement avec les yearlings, de poser une bas sur le bas de mon dos pendant que j’essayais, pour la douzième ou la treizième fois, de pousser un bébé hors de mon corps.

Ça ne manquerait pas de cachet, ajoute-t-elle, que l’unique demande que les femmes feraient aux hommes serait de s’en aller ?

 

Page 187 : Le problème, enchaîne Salomé en se faisant un devoir d’ignorer Neitje, c’est que ce sont les hommes qui interprètent la Bible et qui nous transmettent leur interprétation.

 

Page 229 : Comment pourrai-je vivre sans ces femmes ?

Mon cœur va s’arrêter de battre.

J’essaierai de parler d’ona aux garçons. Elle sera mon étoile polaire, ma Croix du Sud, mon nord et mon sud, mon est et mon ouest, mes nouvelles, ma direction, ma carte et mes explosifs, ma carabine. J’écrirai le nom d’Ona en haut de toutes mes fiches pédagogiques. J’imagine des écoles dans des colonies mennonites du monde entier, à l’heure où le soleil disparaît ou, plutôt, s’esquive pour faire profiter d’autres régions du monde de sa chaleur et de sa lumière, et tout appartient à tout le monde, et le moment est venu d’accomplir les corvées du soir, de souper, de prier et de dormir, et les enfants supplient leur instituteur de leur raconter encore une histoire à propos d’Ona, jadis fille du diable et maintenant la plus précieuse enfant de Dieu. L’âme de Molotschna.

 

Page 240 : Salomé a ri encore une fois. Je ne m’étais pas rendu compte qu’elle riait si souvent, comme sa mère, comme toutes les femmes de Molotschna. Elles réservent leur souffle pour rire.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Interruption – L’avortement par celles qui l’ont vécu – Sandra Vizzavona

Publié le par Fanfan Do

Éditions Stock

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

« J’ai avorté deux fois et je suis la preuve qu’un avortement peut provoquer l’indifférence ou une déflagration. Je suis la preuve qu’il peut occuper vingt ans ou les seules semaines nécessaires à son accomplissement. Qu’il peut être l’unique issue envisageable ou simplement permettre d’attendre un meilleur moment. Alors, j’ai été lasse des discours péremptoires sur les raisons pour lesquelles les femmes devraient y avoir recours et sur ce qu’elles devraient, ou non, ressentir à son occasion. J’ai eu envie d’écouter certaines d’entre elles raconter ce qu’elles avaient vécu, en refusant que d’autres parlent pour elles. Ma préoccupation n’était pas le droit à l’avortement mais le droit à la parole de celles qui l’ont expérimenté. Le droit à l’avortement est inscrit dans la loi depuis 45 ans mais son exercice doit toujours être discret, si ce n’est secret. La loi nous autorise à avorter, la société nous empêche d’en parler. Nous sommes nombreuses à nous plier à cette loi du silence, parce que la gêne et la culpabilité sont toujours là. Je suis cependant convaincue que ce droit sera toujours fragile si nous n’assumons pas pleinement d’y avoir recours comme bon nous semble et si nous pensons le protéger en faisant profil bas, laissant alors au passage certains professionnels de la santé nous malmener.
Voici donc ce livre, mélange de témoignages et d’une quête personnelle qui m’a transformée.
Ce sont quelques histoires d’interruption. Douloureuses ou anodines. Singulières. Une interruption aussi je l’espère, quand bien même furtive, du silence, de la honte et de la colère. »


Mon avis :
J'ai eu connaissance de ce livre et par la même occasion envie de le lire en écoutant une émission sur 
France Inter, La bande originale de Nagui et Leila Kaddour Boudadi, à laquelle était invitée Pascale Arbillot pour parler de la pièce tirée de cet ouvrage.
L'avortement !? Un mot qui recouvre tant de choses !! de la souffrance, physique, et morale beaucoup mais pas toujours, du jugement, énormément. Une chose que DES HOMMES souvent veulent rendre illégale. Un problème essentiellement de FEMME, car le jour où elles avortent, il n'y a pas souvent d'homme concerné pour leur tenir la main dans ce moment difficile. C'est toujours à elles qu'on jette la pierre. Comme si elles s'étaient auto-fécondées…

Nous sont offerts ici des témoignages de femmes, des jeunes et des moins jeunes, qui ont vécu le recours à l'avortement. Ça nous raconte aussi les femmes face à la société et tous ces donneurs de leçons qui ont un avis sur tout, et surtout sur ce qu'ils ne comprennent pas. Qui vous plantent des petits couteaux dans le cœur avec des petites phrases assassines et débiles : avortement de confort ; fallait faire attention ; horloge biologique ; égoïste de ne pas faire d'enfant ; pas une femme accomplie sans enfant ; et patati et patata… TAISEZ-VOUS ! Vous faites du bruit pour rien !! Vous brassez du vent et vous êtes blessants !

De nombreux témoignages de femmes, qui regrettent parfois mais pas souvent et toujours assument, ponctués du récit de l'autrice de ses deux avortements passés et de son désir d'enfant quand la quarantaine se pointe en même temps que l'homme de sa vie.

Ce livre bat en brèche tous les clichés. Il y a autant d'histoires d'avortement que de femmes qui avortent.
Mais ce livre aurait été incomplet sans témoignages de femmes qui ont avorté clandestinement à une époque où la loi l'interdisait. L'autrice leur donne la parole pour clore cet ouvrage.
Finalement avec le recul et à travers ce livre je me rend compte que c'est terrifiant d'être femme, jeune, féconde, moins jeune. Que de risques et de responsabilités ! Et que de silences !! Quand je pense qu'on a osé nous appeler "le sexe faible". On porte tellement de choses sur nos épaules.

 

Citations :

Page 13 : Premier test de grossesse. S’ensuivra une longue série au cours des vingt-cinq prochaines années : l’inquiétude variera, le verdict imploré également.

Pour l’heure, il est positif. Vertige, angoisse, solitude. Je prends conscience de ma fertilité comme d’une porte en pleine gueule.

 

Page 15 : Solitude, solitude, solitude. Je comprends immédiatement à mon réveil que je viens de vivre ma première épreuve fondamentale intime et personnelle, de celles qui n’appellent aucune consolation. Je perçois qu’elle aura des retentissements qu’il m’appartiendra seule de digérer et d’apprivoiser. C’est dans mon corps que tout cela s’est passé.

 

Page 22 : Il y avait aussi la mémoire de toutes les femmes de ma famille qui s’étaient battues pour avoir ce droit-là ; je me devais d’en user, comme du droit de vote.

 

Page 39 : J’avais beau savoir que tout cela le concernait autant que moi, je ne voulais pas vivre cette IVG autrement que de façon purement personnelle.

Je ne lui en voulais pas mais je trouvais la situation injuste : cette connerie, nous l’avions faite à deux et j’étais la seule à la subir. C’était bien moi qui étais enceinte et qui allais me faire avorter, il n’y avait qu’en moi que cela risquait de résonner.

 

Page 49 : Ils ne savent pas que mon cœur se serre dès que je rencontre un nouveau-né et que je suis hantée par l’éventualité de ne jamais sentir le mien contre moi, mais que toutes les décisions que j’ai prises, tous les choix que j’ai faits depuis que je m’imagine diriger ma vie l’ont été au nom d’une indépendance à laquelle je suis viscéralement attachée et que je ne suis pas prête à abandonner. Elle est si confortable.

 

Page 64 : Je ne sais pas combien de fois j’ai dû me le répéter ce matin-là : j’ai quarante ans. Comme si le marteler pouvait rendre vraisemblable cette information encore inconcevable la veille, bien que tant redoutée. Comment est-il possible d’avoir vingt ans puis tout d’un coup quarante ? Il me semble que me réveiller homme ne m’aurait pas plus choquée.

Puisque je n’en perçois aucun symptôme mental, je n’arrive pas à m’y résoudre : aurais-je un jour le sentiment d’être une adulte ?

 

Page 77 : On a été nourries de récits de vies perturbées ou brisées par des maternités imposées et je ne pouvais pas m’infliger cela ; il était hors de question de jouer avec l’idée qu’une femme peut sacrifier son avenir pour un enfant ; je ne pouvais pas me laisser réduire à ma condition biologique.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Beloved – Toni Morrison

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Hortense Chabrier et Sylviane Rué

 

Éditions 10-18

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Inspiré d'un fait divers survenu en 1856, Beloved exhume l'horreur et la folie d'un passé douloureux. Ancienne esclave, Sethe a tué l'enfant qu'elle chérissait au nom de l'amour et de la liberté, pour qu'elle échappe à un destin de servitude. Quelques années plus tard, le fantôme de Beloved, la petite fille disparue, revient douloureusement hanter sa mère coupable.

Loin de tous les clichés, Toni Morrison ranime la mémoire et transcende la douleur des opprimés. Prix Pulitzer en 1988, Beloved est un grand roman violent et bouleversant.


 

 

Mon avis :
 

Une maison hantée par un bébé malveillant, sacrée entrée en matière ! On apprend pourquoi et c'est dur et extrêmement violent.
D'ailleurs tout est dur, jusqu'à la sexualité des esclaves au Bon Abri, c'est cru, c'est sale, c'est affligeant.

Assez rapidement j'ai eu l'impression de me perdre, obligée de souvent revenir en arrière pour savoir qui est qui et de quel moment on parle. Sans compter tous les Paul et les liens de parenté… Je me suis dit que mon esprit n'était peut-être pas assez affûté pour comprendre 
Toni Morrison. Beaucoup de flash-backs et de digressions obscures m'ont égarée. Pourtant hors de question pour moi de lâcher l'affaire, il y a trop longtemps que ce livre m'appelle. Heureusement j'ai fini par me faire à cette narration particulière.

Ancien esclave au Bon Abri avec Sethe, Paul D débarque chez elle vingt-cinq ans plus tard.
Au fil des souvenirs cachés de Paul D et de Sethe, on entrevoit des souffrances subies inimaginables. Comme si les esclaves noirs avaient été victimes de choses dont nous n'avons absolument pas idée, que ce que nous savons de leurs souffrances est infime par rapport à la réalité. C'est glaçant tant la cruauté était sans limite.
Sauf que Sethe ne veut pas se rappeler, pas y penser, pas en parler. Elle veut juste que ça reste enfoui au plus profond d'elle. Alors que Paul D en parle, comme ça, juste parce que c'est là, que ça a existé.

Un jour, arrive chez Sethe et Denver une étrange petite personne qui dit s'appeler 
Beloved. Paul D la voit d'un très mauvais œil mais elle est fragile et faible et reste à demeure chez ces deux femmes qui se prennent d'une espèce de passion pour elle. Je me suis beaucoup demandé si c'était une grande enfant ou une petite adulte. En tout cas elle sait beaucoup de choses sur Sethe et puis son nom est ce qui est gravé sur la tombe du bébé assassiné.

Au fil des souvenirs évoqués, on apprend la tragédie de ces gens, de cette famille.

Toni Morrison raconte ici l'histoire terrible des noirs en Amérique et de l'esclavage. Il est aussi question de confiance et de trahison, de la condition des femmes noires, de la brutalité de beaucoup d'hommes et de la lâcheté de certains autres, à moins que ce ne soient les mêmes. Mais aussi de l'amour maternel capable de tout jusqu'à l'abnégation absolue, et on oscille entre surnaturel et folie, et peut-être est-ce la même chose. C'est un roman extrêmement déroutant. L'écriture est belle et ce qui est raconté est très fort, pourtant je ne saurais pas dire si j'ai aimé. Peut-être avec le temps laissera-t-il en moi une empreinte que je ne connais pas encore.

J'ai trouvé cette histoire oppressante et malsaine, le contexte terrifiant. Et comme souvent je me demande pourquoi l'humanité est si féroce.

 

Citations :

Page 14 : Y a pas une maison dans ce pays qu’est pas bourrée jusqu’aux combles des chagrins d’un nègre mort. On a de la chance que ce fantôme soit un bébé.

 

Page 39 : Tous ceux que Baby Suggs avait connus, sans parler d’aimer, ceux qui ne s’étaient pas sauvés ou retrouvés pendus, avaient été loués, prêtés, vendus, capturés, renfermés, hypothéqués, gagnés, volés ou saisis pour dettes. Si bien que les huit enfants de Baby avaient six pères. Ce qu’elle appelait la malignité de la vie était le choc qu’elle avait éprouvé en apprenant que personne ne s’arrêtait de jouer aux dames simplement parce qu’au nombre des pions il y avait ses enfants.

 

Page 62 : Il était levé à présent et chantait tout en réparant les choses qu’il avait cassées la veille. Des fragments de vieilles chansons qu’il avait apprises à la ferme-prison ou à la guerre, après. Rien de semblable à ce qu’il chantait au Bon Abri, où la nostalgie façonnait chaque note.

Les chansons qu’il avait apprises en Géorgie étaient des clous à tête plate où marteler encore et encore.

 

Page 80 : Interdits de transports publics, poursuivis par les dettes et les « draps fantômes qui parlent » du Ku Klux Klan, ils suivaient les routes secondaires, scrutaient l’horizon, aux aguets du moindre signe, et comptaient de façon vitale les uns sur les autres. Silencieux, sauf pour des échanges de courtoisie quand ils se rencontraient, ils ne s’étendaient ni ne s’interrogeaient sur les chagrins qui les poussaient d’un endroit à l’autre. Inutile de parler des Blancs. Tout le monde savait.

 

 

Page 125 : Ce fut devant ce 124-là que Sethe descendit d’un chariot, son nouveau-né attaché sur la poitrine, et qu’elle sentit pour la première fois se refermer sur elle les bras grands ouverts de sa belle-mère, laquelle avait réussi à arriver jusqu’à Cincinnati. Laquelle avait décidé que la vie d’esclave lui ayant « brisé les jambes, le dos, la tête, les yeux, les mains, les reins, la matrice et la langue », elle ne pouvait plus vivre que de son cœur — qu’elle mit à l’ouvrage sur-le-champ. N’acceptant aucun titre d’honneur avant son nom, mais permettant qu’il soit suivi d’une petite caresse, elle devint une prédicatrice sans église, une visiteuse de chaires qui ouvrait son grand cœur à ceux qui en avaient besoin.

 

Page 149 : Elle sortit du lit, claudiqua lentement jusqu’à la porte de la pièce aux provisions et communiqua à Sethe et à Denver la leçon que lui avait apprise ses soixante années d’esclavage et ses dix années de femme libre : il n’y avait pas d’autre malchance en ce monde que les Blancs.

 

Page 236 : Il avait agi derrière son dos comme un sournois. Mais faire les coups en douce, c’était son boulot, sa vie ; quoique toujours dans un but clair et pieux. Avant la guerre, il ne faisait que cela : dissimuler des fuyards dans des caches, infiltrer des renseignements secrets dans des endroits publics. Sous des légumes licites, il y avait des humains de contrebande qu’il transportait de l’autre côté de la rivière.

 

Page 276 : Le jour où Payé Acquitté vit les deux dos à travers la fenêtre puis redescendit les marches précipitamment, il prit les vociférations indéchiffrables qui retentissaient autour de la maison pour les marmonnements furieux de défunts noirs mécontents. Très peu d’entre eux étaient morts dans leur lit Comme Baby Suggs, et personne de sa connaissance, pas même Baby, n’avait vécu une existence vivable. Même les gens de couleur instruits : les gens avec des années d’école, les médecins, les professeurs, les journalistes, les hommes d’affaires, avaient dû batailler ferme. En plus d’avoir dû se servir de leur tête pour aller de l’avant, ils avaient le poids de la race tout entière qui leur pesait dessus. Il y aurait fallu deux têtes. Les Blancs étaient persuadés que, quelles que fussent leurs manières, sous toute peau sombre se cachait une jungle.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : Danser dans la mosquée – Homeira Qaderi

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Cécile Dutheil de La Rochère

 

Éditions Julliard - 10-18

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Homeira naît en 1980 à Hérat, en Afghanistan, dans une maison où se côtoient trois générations qui tentent de survivre tour à tour à l'occupation soviétique, à la guerre civile puis à la première prise de pouvoir des talibans. Au sein de ce foyer aimant, l'enfant chérit les livres et la liberté, se révolte contre les privilèges accordés aux hommes et les interdits visant les filles. Adolescente, elle va jusqu'à animer une école clandestine dans une mosquée.
Mais plus Homeira grandit, plus la vie s'assombrit. Elle accepte le mariage avec un inconnu, puis finit par fuir son pays. Elle fera de son existence un combat pour l'instruction et pour le droit des femmes.
Portrait d'un peuple qui vit sous la férule des talibans, Danser dans la mosquée est aussi un message au fils dont Homeira Qaderi a été séparée, auquel elle adresse des lettres poignantes.

" Danser dans la mosquée se lit vite, sans répit. Homeira Qaderi est une formidable conteuse. " Karen Huard, ELLE

 

 

Mon avis :
Merci a Babelio Masse Critique pour l'envoi de ce livre 😘


Homeira Qaderi nous prévient en préambule que tout est vrai dans ce livre à part certains noms, pour des raisons évidentes.
De son exil en Californie, ce livre raconte sa vie en Afghanistan depuis l'enfance, parsemé de lettres à son fils, qu'on lui a retiré quand il avait dix-neuf mois.

"𝙻𝚎𝚜 𝚚𝚞𝚊𝚝𝚛𝚎 𝚜𝚊𝚒𝚜𝚘𝚗𝚜 𝚊𝚕𝚕𝚊𝚒𝚎𝚗𝚝 𝚎𝚝 𝚟𝚎𝚗𝚊𝚒𝚎𝚗𝚝, 𝚖𝚊𝚒𝚜 𝚕𝚊 𝚜𝚊𝚒𝚜𝚘𝚗 𝚍𝚎 𝚕𝚊 𝚐𝚞𝚎𝚛𝚛𝚎 é𝚝𝚊𝚒𝚝 𝚜𝚊𝚗𝚜 𝚏𝚒𝚗."
Il y a eu l'occupation russe, puis, après, l'arrivée des talibans. Les filles étaient déjà au départ moins bien traitées que les garçons, jouissant de beaucoup moins de privilèges qu'eux à tous les niveaux, moins de viande à table, pas le droit de courir, encore moins de grimper aux arbres, de rire bruyamment. Mais à l'arrivée des talibans la nuit s'est refermée sur elles. Elles ont cessé d'exister. Ces obscurantistes, à vouloir écraser les femmes, ont réveillé chez certaines un fort esprit de résistance.

Homeira était une rebelle née. Une petite fille curieuse et pleine de vie, refusant l'injustice, rien que ça. Elle voulait juste avoir les droits des garçons.

Tout au long de ce récit j'ai ressenti une angoisse diffuse. le désir de résistance des filles, car plutôt mourir que d'être enterrée vivante mais aussi la peur des garçons qui refusent d'aller contre les talibans. Car il faut du courage pour refuser le destin imposé par ces espèces de zombies, ces hommes armés, vêtus de noir, dépenaillés, maigres, sales, aux longues barbes, longs cheveux et turban, maquillés d'un trait de khôl, au regard glacé comme la mort.
Tout est devenu interdit : rire, chanter, danser, écouter de la musique, avoir une télé, lire, à part le coran. Être heureux tout simplement et avoir des rêves est interdit.

Un jour Homeira a accepté, pour épargner l'opprobre à sa famille, d'être mariée à un inconnu, ou plutôt vendue car dans cette culture là, le prix d'une fille est négocié, elle n'a pas son mot à dire. Néanmoins elle vivra une parenthèse enchantée en Iran où les femmes à ce moment là avaient le droit d'étudier, de rire, de travailler, avant de rentrer en Afghanistan, de […] 𝚛𝚎𝚝𝚘𝚞𝚛𝚗𝚎𝚛 𝚍𝚊𝚗𝚜 𝚞𝚗𝚎 𝚟𝚒𝚕𝚕𝚎 𝚚𝚞𝚒 𝚜𝚎 𝚗𝚘𝚞𝚛𝚛𝚒𝚜𝚜𝚊𝚒𝚝 𝚍𝚞 𝚜𝚊𝚗𝚐 𝚍𝚎𝚜 𝚏𝚒𝚕𝚕𝚎𝚜.

Ce livre est un cri, de révolte, de ralliement, de solidarité, pour toutes les femmes du monde écrasées par des pouvoirs misogynes et totalitaires, mais aussi pour des hommes qui savent qu'une société non égalitaire est une société bancale, injuste et souvent cruelle.

 

Citations :

Page 13 : Elle était persuadée que la plus difficile des missions que le Tout-Puissant pouvait confier à quiconque était d’être une fille en Afghanistan.

 

Page 34 : Le lendemain de ta naissance, un vent glaçant a pénétré par le fenêtre ouverte de ma chambre. Dans la rue, les gens devaient être en train de rassembler les membres éparpillés des corps de leurs proches morts. Un camion-citerne jaune orangé était venu prêter main-forte à la neige pour effacer les entailles rougeoyantes, fruit de la cruauté des hommes.

 

Page 63 : Je sais que l’islam a été manipulé et transformé en instrument de châtiment. En pierre à lapider les gens, surtout les femmes.

 

Page 108 : Nous étions condamnées à vivre dans une obscurité étouffante, claquemurées derrière les fenêtres et les rideaux. Les filles ne voyaient la lumière que lorsqu’elles les écartaient pour faire passer le fil dans leur aiguille.

 

Page 127 : Nous vivions une époque terrifiante. Les talibans obligeaient de nombreuses jeunes filles à les épouser et personne n’osait s’opposer à ces hommes armés et féroces. Certains étaient arabes, pakistanais ou tchétchènes, si bien que les filles disparaissaient comme de la fumée. Telle était la face hideuse de la religion et de la politique.

 

Page 137 : Nanah-jan a toujours pensé qu’une femme afghane devait d’abord avoir un fils, pour faire plaisir à son mari, puis une fille, pour son plaisir à elle. « Une femme sans fille meurt avec un sacré lot de peine et de souffrance », disait-elle.

 

Page 142 : Dans les livres que nous avions remontés de la cantine, il n’y avait pas de burqa. Pas de filles que l’on fouettait avec des branches de grenadier ou que l’on échangeait contre des chiens de combat. Pas de filles que l’on offrait au vieillard le plus pieux de la cité. Pas de filles battues qui préféraient se jeter dans un puits plutôt que d’être lapidées à mort. Il n’y avait pas non plus de fillettes que leur père obligeait à porter des vêtements de garçon et à jouer le rôle du fils de la famille. Dans ces livres-là, les femmes n’allaient pas confier leurs histoires à l’eau du fleuve ni parler aux morts des cimetières pour fuir la solitude.

 

Page 194 : Avec le temps, je me suis fait deux amies, Sara et Elaheh, avec qui je pouvais parler plus longuement de mon enfance en Afghanistan. Je me souviens de leurs regards ébahis quand elles refermaient leurs livres pour m’écouter. À l’époque, personne n’avait rien écrit sur la vie des femmes sous le régime des talibans. Elles n’imaginaient pas qu’un tel endroit puisse exister ; inversement, je ne savais pas qu’en dehors de l’Afghanistan, le monde était un paradis, relatif, pour les femmes.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : L’oiseau perdu de Wounded Knee – L’esprit des Lakotas – Renée Sansom Flood

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Mona de Pracontal

 

Éditions Le Grand Livre du Mois

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Le 29 décembre 1890, sous le drapeau blanc de la trêve, des Sioux minniconjous sont massacrés par le septième régiment de cavalerie des États-Unis. Quatre jours plus tard, après qu'un blizzard a balayé la région, le corps expéditionnaire chargé d'enterrer les victimes entend les pleurs d'un bébé. Sous le corps d'une femme tuée, et qui a gelé à terre dans son propre sang, les hommes trouvent une petite fille miraculeusement vivante, bien emmitouflée et coiffée d'un bonnet en daim brodé des deux côtés de drapeaux américains perlés. Enfreignant les ordres militaires, le général de brigade Leonard W. Colby adopte la petite Indienne, baptisée Lost Bird, et se sert d'elle pour convaincre les grandes tribus de le prendre comme avocat. Mais bientôt ses parents adoptifs divorcent, et commence alors pour la petite fille une quête incessante pour retrouver ses racines, quête vaine qu'elle poursuivra pourtant jusqu'à sa mort, en 1920, à l'âge de vingt-neuf ans. En 1991, plus d'un demi-siècle après le massacre de Wounded Knee, des descendants des victimes parvinrent à localiser la tombe de Lost Bird. Ils rapatrièrent sa dépouille et la réensevelirent au Mémorial de Wounded Knee, lors d'une cérémonie en présence d'Arvol Looking Horse, à côté de la fosse commune où reposent les siens. Lost Bird est devenue un symbole pour des milliers d'enfants séparés de leur tribu par l'adoption, ainsi que pour tous ceux qui ont été privés de leur héritage culturel par l'injustice, l'ignorance et la guerre.

 

Renée Sansom Flood, historienne, est mariée à Leonard R. Bruguier, Sioux yankton. Ils vivent dans les Black Hills, dans le Dakota du Sud.

 

 

Mon avis :
Renée Sansom Flood, historienne, a été travailleuse sociale. Elle a côtoyé ces enfants indiens qu'on confiait à des familles blanches. Mariée à un indien Dakota yankton elle a subi le racisme. Un jour par hasard elle tombe sur la photo de Lost Bird, ce bébé indien qui a survécu au massacre de Wounded Knee le 29 décembre 1890, qui a été élevée par des blancs, qui a toujours cherché qui elle était, et elle se met à faire des recherches sur cette petite fille.

La mémoire du peuple indien dans cette fin de XIXème et début du XXème siècle, tel est le thème de cette histoire, la dignité qu'on leur a volée, le besoin de restaurer le souvenir et ramener Lost Bird, morte à vingt-neuf ans en 1920, dans la terre de ses ancêtres à Wounded Knee.
Dès le départ j'ai été assaillie par l'émotion. La cérémonie d'exhumation en 1991 est extrêmement émouvante tant les indiens sont capables d'osmose avec tout leur peuple, les vivants et les morts, la terre et le ciel, les éléments, l'univers.

Le massacre de Wounded Knee a été un mensonge d'état et un secret bien gardé pendant des décennies. Ce que le septième régiment de cavalerie des États-Unis a fait aux indiens lakotas en 1890 est absolument monstrueux. Après la spoliation, le génocide. le plus grand pays du monde s'est construit sur le vol et le meurtre, sur la honte et l'ignominie.
Le récit de cette tragédie commence ponctué de témoignages de survivants et j'ai trouvé que ça donnait énormément de force et de douleur au récit. Sans oublier les nombreux renvois en bas de page qui étayent les références historiques.
Je les ai pourtant rapidement trouvés trop nombreux et trop longs parfois. Il arrive qu'ils fassent presque toute la page et même plusieurs pages. On reconnaît bien là la patte de l'historienne mais ça rend tout très pesant et rébarbatif. de même que la chronologie de l'histoire m'a parfois semblée aléatoire, faisant des bonds en avant, en arrière.

L'histoire et l'origine du couple Colby, qui a adopté Lost Bird, nous est racontée ainsi que les États-Unis tels qu'ils étaient. La religion prépondérante mais c'est toujours le cas de nos jours. le patriarcat et les violences faites aux femmes en toute légitimité, quelles soient physiques ou psychologiques. L'iniquité absolue envers les indiens en cas de conflit avec eux. L'adoption de Lost Bird par les Colby fut un coup politique, pavée de bonnes intentions surtout de la part de Clara Colby qui fut mise devant le fait accompli par son mari. Elle était une femme pieuse, très ouverte et militante avec de hautes responsabilités pour le suffrage des femmes bien que conservatrice. En revanche, son mari, Leonard Colby était ambitieux et manipulateur, bien qu'il ait semble-t-il pris le parti des indiens avec sincérité. Mais sans doute était-ce intéressé et donc totalement cynique car tout chez cet homme était calculé. Hélas, le désir d'élever des enfants indiens comme s'ils étaient des petits blancs fut une erreur tragique, autant pour leur psychisme que pour leur santé.

Pendant de très longs chapitres il est énormément question des époux Colby, de leurs actions politiques, de leurs amis ou adversaires, plutôt que de Lost Bird et du peuple Lakota. Cependant, c'est un couple étonnant, toujours en mouvement, mais elle surtout, a eu une vie extrêmement indépendante et active pour l'époque, elle était altruiste et généreuse. C'était une femme de convictions, sa personnalité m'a impressionnée ainsi que sa magnanimité. de plus elle aimait sincèrement sa "fille indienne" comme elle l'appelait même si elle l'a toujours fait passer après ses combats féministes et donc beaucoup délaissée.

C'est un livre passionnant mais aussi révoltant et affligeant. L'humanité a décidément un pouvoir de nuisance illimité. Hélas j'ai parfois trouvé le temps long car trop de détails qui ne concernent pas directement les lakotas et Lost Bird mais nécessaires au contexte historique.
Quant à Zintkala Nuni, Lost Bird en lakota, "𝑛𝑜𝑛-𝑏𝑙𝑎𝑛𝑐ℎ𝑒 𝑝ℎ𝑦𝑠𝑖𝑞𝑢𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑛𝑜𝑛-𝑖𝑛𝑑𝑖𝑒𝑛𝑛𝑒 𝑠𝑜𝑐𝑖𝑎𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡", elle se sentit toute sa courte vie écartelée, cherchant désespérément à se rapprocher de ses origines.
L'histoire des pays et des peuples m'ont toujours intéressée et ce livre est extrêmement bien documenté. Tout y est relaté, jusqu'aux atroces pensionnats pour indiens, tenus par des sadiques pervers de la pire espèce. J'ai été révoltée par ce que Lost Bird à vécu, toujours sur le fil, réussissant à ne pas tomber dans le sordide le plus vil. Une vie de solitude et d'errance psychologique, que l'amour d'une mère absente n'a pas pas suffi à empêcher. Je préfère pourtant quand c'est traité sous forme de roman, ça rend tout plus vivant, plus prenant. J'ai eu parfois envie d'abandonner… heureusement que je ne le fais plus car ce livre vaut la peine d'être lu.

 

Citations :

Page 13 : Si tu prends un pâté de maisons dans un quartier blanc et que tu le compares à un pâté de maisons dans une réserve, tu trouveras des maisons propres et des maisons sales, mais dans le quartier blanc, il y aura sans doute cinquante fois plus d’enfants victimes d’abus sexuels.

 

Page 31 : Les militaires n’exigeaient pas seulement de l’obéissance de la part des Indiens, ils n’exigeaient pas seulement de la complaisance, mais également une soumission servile.

 

Page 47 : Le soir de Noël, des femmes enceintes, des bébés et des personnes âgées se virent refuser la chaleur d’un feu de cheminée. Chassée de la « maison de Dieu », la longue caravane s’enfonça silencieusement dans l’obscurité. Entre eux, les Indiens discutèrent de ce rejet inhumain, exemple terrible de l’étrange religion des hommes blancs.

 

Page 54 : Bien sûr, au camp, on se targua d’un fameux tableau de chasse, mais on n’a pas su qui avait abattu les femmes, en tout cas personne ne s’en est vanté.

 

Page 79 : Tous deux installèrent un stand de reliques indiennes dans l’allée centrale. Principale attraction de leur exposition : un bébé indien séché. Cette macabre relique attirait des hordes de curieux qui défilaient devant le malheureux enfant, lové dans une vitrine. Par milliers, les gens pressaient les mains et le nez contre le verre rayé, et les parents portaient leurs enfants pour leur permettre d’apercevoir ce que l’affiche appelait le « Papoose indien momifié, la plus grande curiosité jamais exposée ».

 

Page 106 : Dans son rapport, largement diffusé, Colby parle de la tuerie qui aboutit, dit-il, « au meurtre gratuit et au cruel massacre de centaines de gens inoffensifs, [qui] resteront dans l’histoire comme une tache à l’honneur national des États-Unis. » Pour Colby, la véritable bravoure au combat se manifestait dans l’affrontement de soldats et d’ennemis, les uns et les autres armés, en un combat déclaré. Lorsqu’il vit qu’il n’y avait pas eu de guerre, il critiqua violemment l’armée. Quoi qu’on ait pu dire d’autre sur Wounded Knee, il n’en demeure pas moins que cinq cents soldats américains fortement armés ont tué une bande d’hommes, de femmes et d’enfants fatigués, ainsi qu’un vieux chef qui était en train de mourir de pneumonie sur le sol gelé, devant sa tente.

 

Page 137 : Leonard Colby n’avait pas encore informé sa femme qu’à l’âge de quarante-quatre ans, elle était brusquement devenue la mère d’un wakan heja de pure race lakota, un enfant sacré de Wonded Knee.

 

Page 144 : À la différence des Indiens qui vivaient en harmonie avec la nature depuis des milliers d’années en laissant peu de traces de leur habitation ininterrompue, les pionniers se sentaient obligés de lutter contre la nature, de combattre les plantes rampantes qui affluaient de la foret et les bêtes aux yeux luisants tapies dans l’ombre, sauvages et menaçantes.

 

Page 155 : À la maison, on répétait constamment aux frères que « La femme est ainsi faite qu’elle doit dépendre de l’homme. La femme qu’on considère avoir le plus de chance dans la vie n’a jamais été indépendante, étant passée de la garde et de l’autorité des parents à celles d’un mari. »

 

Page 173 : Mais il y avait des effusions de sang quand les Blancs abattaient des bisons pour leur langue et laissaient pourrir les carcasses, ou quand les conditions de vie devenaient trop intolérables pour les Indiens – en général après de fortes provocations de la part des colons, des mineurs ou des militaires. Des atrocités étaient commises des deux côtés, mais les actes de barbarie des Blancs étaient passées sous silence tandis que la moindre menace émanant d’un Indien faisait la une des journaux.

 

Page 181 : En 1883, un convoi d’orphelins avait fait halte en gare de Beatrice, chargé d’enfants sans foyer ramassés dans les rues de New York — des sauvageons de tous les âges qui, grâce à la bienveillance de sociétés humanitaires de l’Est, allaient trouver de l’air pur et de meilleurs foyers à l’Ouest. Certains se retrouveraient à travailler comme des esclaves aux champs et dans les cuisines jusqu’au moment où ils pourraient s’enfuir ; des filles étaient prises comme « filles adoptives » pour fournir des prestations sexuelles aux hommes qui les avaient « sauvées » ; d’autres enfants, enfin, trouveraient d’excellents foyers dans des familles de pionniers.

 

Page 218 : La profonde pitié qu’il éprouvait pour cette enfant qui s’accrochait à lui, ainsi que le souvenir des membres de sa famille massacrés à Wounded Knee plongeait Kicking Bear dans une vive angoisse, et il ne pouvait relever la tête. Des larmes de douleur impuissante coulaient le long de ses joues et tombaient sur sa chemise à franges et sur le tapis persan à ses pieds. Comment pouvait-il enlever la fillette lakota et espérer s’enfuir vivant de Washington, si loin de son peuple ? Au moins savait-il où elle se trouvait. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était prier pour elle et espérer que malgré son environnement bizarre et ses maladies incessantes, elle puisse un jour retrouver le chemin de sa force vitale traditionnelle, l’héritage de ses ancêtres, avant de subir des traumatismes irréversibles.

 

Page 290 : Zintka détestait l’école parce que les autres la regardaient, se moquaient d’elle ou lui posaient des questions grossières. Elle était trop exotique pour être acceptée comme un être humain. Ils n’arrivaient pas à dépasser le fait qu’elle était Indienne ; pour eux, elle était plus une pièce de musée qu’une personne.

 

Page 336 : Le fait d’avoir été enlevée aux Lakotas lui coûtait plus que la perte de sa langue, de sa musique, de sa nourriture, de sa parenté ; il lui en coûtait la perte de son identité d’être humain, la perte de son esprit.

 

 

 

Voir les commentaires

Mon avis : L’envol du moineau – Amy Belding Brown

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Cindy Collin Kapen

 

Éditions Cherche midi

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

D’APRÈS DES FAITS RÉELS ,

LE SUPERBE PORTRAIT D’UNE FEMME DÉCOUVRANT

LA LIBERTÉ AU MILIEU DES INDIENS .

 

Colonie de la baie du Massachusetts, 1672. Mary Rowlandson vit dans une communauté de puritains venus d’Angleterre. Bonne mère, bonne épouse, elle souffre néanmoins de la rigidité morale étouffante qui règne parmi les siens. Si elle essaie d’accomplir tous ses devoirs, elle se sent de plus en plus comme un oiseau en cage. Celle-ci va être ouverte de façon violente lorsque des Indiens attaquent son village et la font prisonnière. Mary doit alors épouser le quotidien souvent terrible de cette tribu en fuite, traquée par l’armée. Contre toute attente, c’est au milieu de ces « sauvages » qu’elle va trouver une liberté qu’elle n’aurait jamais imaginée. Les mœurs qu’elle y découvre, que ce soit le rôle des femmes, l’éducation des enfants, la communion avec la nature, lui font remettre en question tous ses repères. Et, pour la première fois, elle va enfin pouvoir se demander qui elle est et ce qu’elle veut vraiment. Cette renaissance pourra-t-elle s’accoutumer d’un retour « à la normale », dans une société blanche dont l’hypocrisie lui est désormais insupportable ?

Cette magnifique épopée romanesque, inspirée de la véritable histoire de Mary Rowlandson, est à la fois un portrait de femme bouleversant et un vibrant hommage à une culture bouillonnante de vie, que la « civilisation » s’est efforcée d’anéantir.

 

 

Mon avis :
1672, Massachusetts dans une communauté extrêmement puritaine, Mary, la femme du Pasteur, aide Bess, une jeune fille déshonorée à accoucher. Elle craint pour son salut mais y va quand-même. Tout le monde craint le diable et l'enfer dans cette époque arriérée.
Un temps où les femmes étaient soumises à des hommes tout puissants, à la religion dominatrice, intrusive, intolérante, punitive et cruelle. Pourtant tout le monde considérait que le monde était juste tel quel, qu'il y ait des esclaves et des servantes inféodées, car c'étaient les voies du Seigneur.

Au fond d'elle la soumission qu'elle doit à son époux la fait parfois rager intérieurement.
Un jour le village est attaqué par des indiens qui emmènent des femmes et des enfants en laissant des morts et des ruines fumantes derrière eux.
Alors que sa vie était faite de puritanisme, de soumission et de conformisme, elle va découvrir la vie avec les indiens, libre et en harmonie avec la nature et surtout assez égalitaire entre hommes et femmes mais néanmoins extrêmement dure, où l'empathie et la compassion semblent ne pas exister.

Elle va apprendre la vie au cœur de la nature et enfin voir ce que le monde recèle de beauté, les rivières et le bruit du courant, le vol et le chant des oiseaux. Elle découvrira la flânerie elle qui a toujours rempli absolument tout son temps de tâches diverses. Elle verra les mères indiennes câliner leurs enfants alors que chez les anglais c'est interdit car seules la sévérité et l'austérité des sentiments sont acceptables. Elle connaîtra aussi la faim, le froid et la peur.

Ce roman basé sur l'histoire vraie de 
Mary Rowlandson m'a captivée de bout en bout et m'a aussi énervée et révoltée. D'abord parce que le patriarcat qui traite les femmes en inférieures est totalement révoltant. Quand une femme souffre, on plaint son mari, si un malheur lui est arrivé c'est quelle l'a cherché. Les ragots deviennent la vérité. Ensuite, Dieu décide de tout, rend la plupart des gens intolérants et pernicieux, approuve l'esclavage, régit la vie de famille et la société, même si on ne le voit jamais mais surtout il ne faut pas trop aimer ses enfants car Dieu veut être le premier dans le cœur de chacun. Pfffff quel narcissique !.. La prière comme solution à tous les maux mais zéro compassion pour ses proches et pas de courage non plus, voire même carrément de la couardise. Et puis tous les mensonges colportés sur les indiens, ces sauvages cruels et sanguinaires qui violent les femmes avant de les tuer et mangent les enfants. Et la bonne société croit tout ça car tout le monde le dit. Il y a aussi les différentes catégories d'humains, les supérieurs, les hommes blancs bien sur qui ont le droit de battre leur femme et leurs enfants, et en dessous les femmes (blanches) traitées comme des mineures, puis les noirs et les indiens qui sont considérés presque comme des animaux et traités comme tels. Et tous ces colons conquérants et arrogants qui prétendent détenir La Vérité et détruisent des peuples et la nature avec laquelle ils vivaient en harmonie.

Alors oui, ce roman m'a vraiment horripilée par certains aspects, essentiellement par le sort réservé aux femmes et aux indiens, mais m'a totalement embarquée. Même si l'écriture n'est pas transcendante le roman est très bien documenté car la plupart des personnages ont réellement existé ainsi que les lieux mentionnés. L'affranchissement de cette femme qui avait déjà dans son coeur les germes de l'indépendance et de l'indocilité face aux dogmes et injustices de ce monde arrogant m'a énormément plu.

 

Citations :

Page 23 : Elle n’a pas connu beaucoup d’hommes gentils dans sa vie. Son père était fort, courageux, parfois impitoyable, mais jamais gentil. Son mari est un homme dur, bien-pensant, insistant et d’une foi inébranlable. Il s’efforce d’être juste et charitable, mais la gentillesse n’est pas dans sa nature ; sa douceur ne dépasse pas les limites de leur lit marital.

 

Page 51 : Elle hoche la tête et son front effleure sa poitrine. Elle respire sa chaleur, son odeur familière. Joseph est son mari, le chef de sa maison, tout comme le Christ est le chef de l’Église, et elle lui doit amour et obéissance. Ainsi qu’une confiance absolue.

 

Page 175 : Elle pense à l’amour et à tout ce qu’on lui a enseigné à son sujet – que c’est un sentiment qui appartient en premier lieu à Dieu, que l’amour mortel n’est qu’une piètre imitation de l’amour divin. Qu’une trop grande affection envers ses enfants et son mari est un péché et un danger car elle risque de diminuer son amour pour le Seigneur.

 

Page 295 : Elle gagne peu à peu la certitude que si Dieu a laissé ces terribles épreuves s’abattre sur la Nouvelle-Angleterre, c’est parce qu’ils se sont adonnés à l’esclavage. Au lieu de s’examiner eux-mêmes, les Anglais, dans leur ignorance et leur stupidité, ont cru que tout ce qu’ils faisaient était approuvé par Dieu.

 

Page 382 : Baissant les yeux sur ses vêtements propres mais raides et étroits – le corsage et les manches lui compressent le corps, les chaussures dures qui lui pincent les pieds –,Mary prend conscience qu’ils l’emprisonnent, contribuent à sa soumission.

 

Page 425 : Dans la colonie du Connecticut, comme dans la baie du Massachusetts, la loi exige que chaque homme, femme et enfant vive au sein d’un foyer bien ordonné, dirigé par un homme. Elle sait qu’elle devra trouver un nouveau mari, ou retourner dans le Massachusetts pour vivre sous le toit d’un de ses frères pendant que ses enfants seront placés dans une famille en tant que serviteurs inféodés.

 

Page 449 : Elle songe aux nombreux Indiens vendus en esclavage, à ceux enfermés à Natick, privés de la liberté de parcourir les terres sauvages dont ils jouissaient autrefois. C’est une nation mourante, dont les villages ont été brûlés, les terres réquisitionnées, les corps affamés, brisés et vendus. Tout cela au nom de Dieu.

 

 

 

Voir les commentaires

1 2 3 4 > >>