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Mon avis : Mon père, ma mère, mes tremblements de terre – Julien Dufresne-Lamy

Publié le par Fanfan Do

Éditions Belfond

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

« Est-ce que sur la table de chirurgie, mon père ressent le chaud, le froid ? Allez savoir. Dans la salle d’attente, ma mère porte sa chemise saharienne et le soleil blanc tape doucement sur les fenêtres. L’air est doux. Un air qui n’a rien à voir avec la mort, les drames. Ici, ce n’est pas un drame. C’est autre chose qui se passe. »
Dans cette salle, Charlie, quinze ans, patiente avec sa mère. D’ici cinq heures, son père sortira du bloc. Elle s’appellera Alice.
Durant ce temps suspendu, Charlie se souvient des deux dernières années de vie de famille terrassée. Deux années de métamorphose, d’émoi et de rejet, de grands doutes et de petites euphories. Deux années sismiques que Charlie cherche à comprendre à jamais.
Sur sa chaise d’hôpital, tandis que les heures s’écoulent, nerveuses, avant l’arrivée d’Alice, Charlie raconte alors la transition de son père, sans rien cacher, ce parcours plus monumental qu’un voyage dans l’espace, depuis le jour de Pâques où d’un chuchotement, son père s’est révélée. Où pour Charlie, la terre s’est mise à trembler.


Julien Dufresne-Lamy signe un cinquième roman doux et audacieux, profondément juste, sur la transidentité et la famille. La bouleversante histoire d’amour d’un clan uni qui, ensemble, apprend le courage d’être soi.


 

 

Mon avis :
Charlie, adolescent, nous raconte son étrange vie, les séismes qui s'y sont produits, lui qui depuis toujours se projetait dans l'image de son père. La génétique ayant fait de lui le petit clone de cet homme, en tout point de vue, il se construisait avec ce père comme modèle. Jusqu'au jour des mots étranges sont apparus au sein du foyer : dysphorie de genre, transidentité, non-congruence de genre. le père de Charlie a depuis toujours l'intime conviction que la nature s'est trompée en l'enfermant dans le mauvais corps. Et donc Charlie nous raconte l'instant présent, de l'hôpital où sont père se fait opérer, et nous emmène dans ses souvenirs, assister à la métamorphose de cet homme qu'il s'est parfois mis à détester, voire mépriser.

L'écriture est très belle et retranscrit tellement bien ce que peut ressentir un ado dont la vie bascule dans autre chose, dans une sorte de deuil inattendu et très douloureux. Je me suis imaginée à la place de Charlie et j'ai compris ce qu'il ressentait, comme si la terre s'ouvrait sous ses pieds. Pourtant que faire ? Comment réagir ? Ce n'est de la faute de personne. Ce n'est même pas une faute.
Et la mère dans tout ça ? Elle fait figure de fantôme dans un premier temps. Vraiment. À la même vitesse que le père s'épanouit, la mère et Charlie s'étiolent. La chenille devient papillon pendant que les deux autres humains de cette famille deviennent zombies.

Tout est si bien décrit, la peur de beaucoup de choses, de l'inconnu notamment, de la cruauté du monde, de la bêtise humaine, de la souffrance liée au rejet et aux moqueries, de l'homophobie (oui, oui), de la transphobie, et du harcèlement. Les crachats et les insultes. Les langues de vipère, au travail, dans le voisinage, au supermarché. Car les gens aiment se moquer, blesser, rejeter, mais se rendent-t-ils compte qu'en faisant cela ils abîment une personne dans son estime de soi et rendent sa vie beaucoup moins belle ?
Il y a beaucoup de moments douloureux car changer de genre doit véritablement être un séisme de magnitude XXL et c'est réellement un parcours du combattant pour toute la famille, mais énormément d'amour et d'abnégation s'affirment au fil du temps.

J'ai adoré cette histoire, et vraiment, j'ai trouvé le style de 
Julien Dufresne-Lamy sublime, souvent métaphorique et toujours poétique, et parfois je me demande comment font certains auteurs pour mettre autant de beauté dans un récit. Car ce parcours de vie, qui raconte une transition douloureuse pour toute la famille mais un espoir absolu pour le père et finalement de l'amour encore et toujours, est superbement raconté, avec parfois un aspect onirique. Chaque mot est le bon, chaque tournure de phrase est parfaite. Je me suis tout de même demandé si on appelle toujours Papa son père devenue femme.
Ce livre nous montre aussi qu'on ne vit pas le monde de la même façon, qu'on soit homme ou femme, avec ou sans transition.
Énorme coup de cœur pour ce roman extrêmement intelligent, âpre et soyeux à la fois.

 

Citations :

Page 14 : Dans quatre heures, Papa aura disparu.

Une mort, pas vraiment.

Une absence pour toujours.

Quatre heures, comme le temps d’un pique-nique. C’est court. Parfois long, comme un film hongkongais primé à Venise ou un repas chez les grands-parents une fin de dimanche, quand la carcasse du poulet gît dans l’huile.

 

Page 17 : Avant, je pensais que sous les meubles, on ne cachait que les armes du crime. Les affaires sales. Les bouteilles d’alcool ou les boites de capotes. Maintenant, c’est différent. J’ai compris qu’on pouvait même y cacher une vie.

 

Page 51 : Face à moi, ma mère buvait son vin comme du petit-lait, mon père portait sa robe de femme sur sa peau d’homme et, ce soir-là, on a dévoré des frites à même les doigts.

 

Page 69 : Dans mon journal, je rédigeais les étapes de mon père. Ce qui nous attendait, lui, ma mère et moi.

La peau qui s’affinerait. Les muscles qui fondraient comme neige au soleil. La voix qui s’adoucirait tandis qu’autour les gens persifleraient. Les épaules qui s’arrondiraient, les hanches, le bassin, le ventre, les cuisses et les seins qui un jour ou l’autre surgiraient. J’allais tout écrire. Ce qui ne se verra jamais. L’émotivité. La vulnérabilité. Les doutes dans les yeux bleus de mon père. Les précipices, la transe et le trac. La foi. Tous les dangers d’être femme ou minorité dans notre impitoyable société.

 

Page 102 : Est-ce que ma mère pense que les gens autour de nous sont mieux lotis ? Des familles avec grain de beauté suspect mais sans papa frappadingue qui subitement s’enfile des robes et des négligés.

 

Page 183 : — Transsexuel, c’est un terme insultant et pathologisant. Un mot de psy pour parler de troubles psychosexuels.

 

Page 201 : Ce jour-là, j’ai aimé ma mère plus que l’univers.

 

 

 

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Mon avis : Solaris – Stanislas Lem

Publié le par Fanfan Do

Traduit du polonais par Jean-Michel Jasienko

 

Éditions Folio SF

 

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Quatrième de couverture :

Solaris : un monde inhabité tournant autour de deux soleils, entièrement recouvert d'un immense océan protoplasmique qui, pour les scientifiques de la Terre, demeure un irritant mystère. Dès son arrivée sur Solaris, le Dr Kelvin est intrigué par le comportement du physicien Sartorius et du cybernéticien Snaut, qui semblent terrorisés. Lui-même reçoit la visite d'une femme, Harey ; une femme qu'il a autrefois aimée et qui s'est suicidée plusieurs années auparavant.
Impossible. A moins qu'une entité intelligente n'essaie d'entrer en contact avec lui en matérialisant ses fantasmes les plus secrets, et qu'en l'océan lui-même réside la clé de cette énigme aux dimensions d'un monde.

 

Solaris, une des pierres angulaires de la science-fiction, a été porté à l'écran en 1972 par Andreï Tarkovski et en 2002 par Steven Soderbergh.


 

 

Mon avis :
Alors que ce roman avait l'air de commencer plutôt bien, rapidement j'ai été noyée sous des monceaux de termes techniques liés à l'histoire de 
Solaris, cette planète découverte bien avant la naissance du Dr Kelvin, le narrateur. Il semble que sur Solaris, l'élément le plus important soit l'océan, ce gigantesque élément gélatineux. Car il recèle bien des interrogations. À moins que Solaris ne soit cet océan...

Rapidement on comprend que quelque chose de terrible s'est passé dans la station sur 
Solaris. le cybernéticien Snaut à l'air fou, ou ivre. Gibarian est on ne sait où mais peut-être mort, et le physicien Sartorius semble en plein égarement. Donc, on a envie de savoir !
Mais réellement, j'ai eu envie d'abandonner au bout de 60 pages. Ça m'a paru totalement métaphysique, obscure, incompréhensible et du coup très contraignant. Je déteste m'ennuyer lors d'une lecture, et là, j'ai été servie. Et puis un personnage qui ne devrait pas être là arrive, et mon intérêt s'est trouvé attisé. Car soudain apparaît l'altérité dans ce qu'elle peut avoir de plus insondable.

Au delà de tout l'aspect scientifique, possible ou imaginaire, j'ai aimé les joutes verbales et les points de convergence entre Snout et Kelvin, sur ce qui leur arrive et ce qui les entoure, mais aussi sur ce qu'ils subodorent des événements et des étrangetés qui les ont touchés de près.
J'ai eu l'impression de pénétrer dans la psychologie des personnages et sans doute même de l'humanité dans son ensemble et j'ai trouvé ce roman très introspectif. Il m'a fait me poser beaucoup de question sur moi-même et sur les autres, et m'a amenée à  beaucoup d'interrogations existentielles. Et puis ça et là, de nouveau de longues pages descriptives de ce qui pourrait être la géologie, la faune ou la flore de l'océan de 
Solaris et plus certainement rien de tout ça mais des phénomènes inconnus - "longus", "fongisités", "mimoïdes", "symétriades", "asymétriades", "vertébridés"-, etc, etc, etc, qui m'ont paru interminables à chaque fois. Je suppose que c'était trop pour mon esprit peu compétent concernant les sciences. J'ai eu vraiment le sentiment de lire une oeuvre philosophico-métaphysique : en bref, je n'ai pas compris grand-chose et j'ai trouvé le temps très long. Jusqu'à la chute j'ai espéré un déclic, mais il n'est pas venu. Je n'ai hélas pas du tout été connectée à l'imaginaire de Stanislas Lem.

Un point noir, que je constate souvent, les quatrièmes de couverture disent bien souvent beaucoup trop de choses, qu'on est censé découvrir peu à peu au fil de la lecture. C'est tellement dommage ! On ferait mieux de les ignorer...

 

Citations :

Page 43 : Pendant un certain temps, l’opinion prévalut (répandue avec zèle par la presse quotidienne), que « l’océan pensant » de Solaris était un cerveau gigantesque, prodigieusement développé, et en avance de plusieurs millions d’années sur notre propre civilisation, une sorte de « yogi cosmique », un sage, une figuration de l’omniscience, qui depuis longtemps avait compris la vanité de toute activité et qui, pour cette raison, se retranchait désormais dans un silence inébranlable.

 

Page 116 : Nous nous envolons dans le cosmos, préparés à tout, c’est-à-dire à la solitude, à la lutte, à la fatigue et à la mort. La pudeur nous retient de le proclamer, mais par moments nous nous jugeons admirables. Cependant, tout bien considéré, notre empressement se révèle être du chiqué. Nous ne voulons pas conquérir le cosmos, nous voulons seulement étendre la Terre jusqu’aux frontières du cosmos.

 

Page 174 : Les « arbres-montagnes », les « longus », les « fongosités », les « mimoïdes », « symétriades », et « asymétriades », les « vertébridés » et les « agilus » ont une physionomie linguistique terriblement artificielle ; ces termes bâtards donnent cependant une idée de Solaris à quiconque n’aurait jamais vu de la planète que des photographies floues et des films très imparfaits.

 

 

 

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Mon avis : Gaspard Hauser ou la paresse du cœur – Jakob Wassermann

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’allemand par Romana Altdorf

 

Éditions Archipoche

 

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Quatrième de couverture :

Un jour de mai 1828, à Nuremberg, on amène au capitaine Wessenig un jeune homme hagard qui ne sait qu'écrire son nom. Il tient une lettre à la main, signée du pauvre journalier qui l'a recueilli treize ans plus tôt et qui suggère, si l'on ne peut le garder, de " le pendre dans la cheminée "...
Wessenig soupçonne un coup monté. Gaspard est placé chez le docteur Daumer et le bourgmestre parvient à recueillir son témoignage_: le vagabond a passé des années dans une geôle abjecte, tenu dans l'ignorance du monde. Peu à peu, l'édile se convainc qu'il n'est pas un " enfant sauvage ", mais l'héritier légitime de la couronne de Bade, victime d'enjeux dynastiques... La rumeur prend forme, l'étrange affaire fait le tour de l'Europe. Ses jours sont en danger.
Jakob Wassermann a traduit de façon poignante les espoirs et les craintes de Gaspard, sa volonté de reconquérir sa personnalité et de retrouver la voie de son destin, malgré la sécheresse de cœur des hommes. Un drame de l'innocence bafouée qui inspira également Hugo von Hofmannsthal, Paul Verlaine ou encore Peter Handke.


 

 

Mon avis :
D'aussi loin que je me souvienne, Gaspard Hauser m'a toujours évoqué un poème de 
Paul Verlaine, chanté par Georges Moustaki.

Immédiatement le cas Gaspard Hauser est troublant et même douloureux. Il arrive de nulle part, il ne parle pas, est très craintif mais sait écrire son nom. Et moi, il m'a tout de suite fait mal. Car, qu'y a-t-il de plus terrible que de n'être personne, de ne pouvoir dire d'où on vient, de qui on est l'enfant ? Ça semble impossible, mais il est vrai que l'histoire commence en mai 1828, Gaspard a environ quatorze ans.

Cette histoire est d'autant plus triste qu'elle est vraie. Gaspard (Kaspar en allemand) à tout de suite été une curiosité pour les gens, qui défilaient pour le voir et se moquer mais parfois aussi le maltraiter.
Le professeur Daumer décide de le prendre sous son aile pour le protéger, l'étudier et comprendre qui il est, et aussi l'aider à se retrouver lui-même.

L'apprentissage de Gaspard commence et c'est beau, comme tout ce qu'on vit sans y penser semble éblouissant quand il faut le faire découvrir à quelqu'un qui s'ouvre tardivement à la vie. Car Daumer à l'intention de l'ouvrir au monde, à la nature, à la moindre parcelle de vie, au moindre frémissement, pour le sortir de cette cave où il a grandi privé de tout. Mais alors, il se sent subitement tellement ignorant.
"Mais de l'objet au mot, le chemin était long. le mot se dérobait et il fallait le rattraper ; et bien souvent, une fois qu'on l'avait atteint, il ne renfermait absolument rien [...] Daumer était souvent effrayé par sa propre insuffisance."

Gaspard doit tout apprendre. La religion, évidemment à l'époque est quasi obligatoire. Mais lui, n'aime pas la messe, avec ce prêtre qui vocifère, ces ecclésiastiques à la religion menaçante et punitive. Il ne comprend pas tout sur Dieu. Il voudrait des explications mais il n'y en a pas. Gaspard est un esprit carré. Pour lui tout doit être expliqué, mais les voies du Seigneur sont impénétrables, non ? Car "On n'a pas le droit de sonder les points obscurs de la foi."

Gaspard semble être une âme pure et lumineuse, à tel point que les oiseaux n'en ont pas peur. Et là, j'ai trouvé que ça faisait un peu trop Blanche-Neige et perdait de sa crédibilité.
Cependant, Gaspard fait des rêves récurrents, et là serait peut-être la clé de son passé. Certains pensent qu'il est de haute naissance, d'autres que c'est un imposteur absolument pas amnésique. Et Daumer s'ingénie à l'aider tout en essuyant les moqueries et humiliations venant de toute part, car il s'est pris de passion pour cet enfant.

Seulement au bout d'un moment, il s'avère que la vie de Gaspard est menacée, et il devra déménager, encore et encore. Et que dire de la stupidité ambiante, de la cruauté dont il est victime, de la part des autres enfants mais aussi de beaucoup d'adultes, et dont il faudra le protéger ? La vie de Gaspard Hauser semble avoir été un long chemin de croix. J'ai ressenti une infinie tristesse à cette lecture.

Et vraiment, j'ai trouvé ce livre infernal à lire car trop lent, lent, lent, pendant au moins le premier tiers… J'ai cru mourir d'ennui, passés les moments captivants du début. À mon goût, l'auteur s'est beaucoup trop noyé dans les détails. Pourtant l'écriture est belle.

Malgré tout, vers la fin de la première partie, l'auteur est parvenu à attiser ma curiosité. Mais qui était donc Gaspard Hauser ? D'où venait-il réellement, de quelle famille, était-il un riche héritier qu'on avait voulu faire disparaître, et de fait, était-il en danger ? Car bien des mystères planent autour de lui, autant que des dangers semble-t-il alors que des personnages bizarres s'intéressent à lui. de Nuremberg à Ansbach, il est trimballé de maison en maison, car personne ne veut le garder trop longtemps, il sera confronté à la méchanceté, la duplicité, la mesquinerie, le mépris et l'hypocrisie des bien-pensants, et la petitesse de bien des gens. Heureusement, certaines bonnes âmes existaient pour croire en sa candeur.

Ce roman qui nous raconte la vie de Kaspar Hauser, nous démontre aussi que la nature humaine malheureusement est bien souvent peu reluisante, car toute sa vie il a été confronté à la perfidie ambiante et à la sécheresse des cœurs.

 

Citations :

Page 11 : Le gardien de prison Hill reçut l’ordre de surveiller secrètement l’inconnu. Il l’épia, chaque fois que le garçon se croyait seul, par un judas. Mais invariablement, la même gravité triste se lisait sur ce visage aux traits détendus par le repos, parfois pourtant déformé par la peur comme devant une vision horrible.

 

Page 19 : D’aussi loin que partaient ses souvenirs, Gaspard s’était trouvé dans une pièce sombre, toujours la même. Jamais il n’avait vu visage humain, jamais il n’avait entendu ni le bruit de ses pas, ni sa propre voix, ni le chant de l’oiseau, ni le cri de l’animal ; jamais il n’avait aperçu, ni le rayon du soleil, ni la clarté de la lune,. Il n’avait connu que lui-même et ignorait sa solitude.

 

Page 39 : — Ma parole, on dirait que c’est toi qui t‘es échappé du cachot, plaisantait sa sœur.

Oui, on m’a donné un monde. Regarde-le, c’est l’éveil d’une âme.

 

Page 40 : — Voici l’air, Gaspard, tu ne peux le saisir, mais il est là cependant. Lorsqu’il bouge rapidement, il devient le vent, que tu n’as pas à redouter. Ce qui se trouve derrière la nuit, est hier, et ce qui est au-delà de la nuit prochaine est demain. D’hier à demain s’écoulent les heures qui sont la division du temps.

 

Page 43 : Les explications des phénomènes de la nature embarrassaient fort Daumer qui préférait en appeler à Dieu :

Dieu est le créateur de la nature morte et vivante, dit-il.

 

Page 72 : Si seulement on savait quelle peur épouvantable lui inspirent les prêtres. Un jour, alors qu’il était encore à la tour, quatre ecclésiastiques se présentèrent en même temps. Vous croyez peut-être qu’ils essayèrent de s’adresser au cœur du prisonnier, ou d’éveiller sa foi. Détrompez-vous. Ils lui décrivirent la colère de Dieu et les punitions du péché. Puis, devant son effroi grandissant, ils se mirent à pester et à menacer comme s’ils parlaient à un pauvre diable qu’on va mener à la potence. Le hasard m’amena à la Tour et je priai poliment ces messieurs de mettre un terme à leur zèle intempestif.

 

Page 76 : Lorsque Gaspard eut franchi le seuil de l’église et qu’il entendit la voix stridente du pasteur, il demanda contre qui cet individu vociférait.

 

Page 152 : Il se sentait seul, et croyait que les hommes n’avaient qu’une idée : se débarrasser de lui. Il était plein de pressentiments et d’inquiétudes.

 

Page 187 : Ainsi il trahissait doublement. Il faisait à Gaspard des promesses de puissance et de grandeur ; c’était tout ce qu’il pouvait faire pour lui. Lorsqu’il était loin de Gaspard, il était soulagé que le charme du jeune homme perdît de sa force et il ne sentait plus peser sur lui ce regard interrogateur qui lui paraissait être celui d’un envoyé que Dieu aurait mis à ses côtés. Il lui écrivait de petits billets courts et passionnés : « Si un jour, tu remarques de la froideur en moi, ne mets pas cela sur le compte d’un manque de cœur, mais considère plutôt que c’est l’expression d’une douleur qu’il me faut garder en moi jusqu’à la tombe ; mon passé est un cimetière ; lorsque je t’ai trouvé, je ne croyais plus en Dieu et tu as été le sonneur dont les cloches m’ont annoncé l’éternité. » Phrase au goût de l’époque, influencée par les poètes à la mode, mais signe cependant de la perplexité d’une âme bouleversée.

 

Page 220 : Il émet volontiers, d’un air important, des choses qui feraient rire chez tout autre, mais qui provoquent, venant de lui, un sourire indulgent ; il est amusant à l’extrême quand il parle de ses projets d’avenir, de son installation future et de la façon dont il comportera avec sa femme. Pour lui, une femme est un ustensile domestique indispensable, quelque chose comme une maîtresse-servante que l’on garde le temps qu’il faut et que qu’on chasse quand elle brûle la soupe ou reprise mal le linge.

 

Page 328 : Il est indéniable que nous sommes en face des plus perfides intrigues venant toutes de la même source.

 

 

 

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Mon avis : Jour Zéro – C. Robert Cargill

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Florence Dolisi

 

Éditions Albin Michel Imaginaire

 

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Quatrième de couverture :

Hopi est un tigre en peluche anthropomorphisé, un robot-nounou comme il en existe tant d'autres. Il n'en avait pas vraiment conscience avant de découvrir une boîte rangée dans le grenier. Celle dans laquelle il est arrivé lorsqu'il a été acheté des années auparavant, celle dans laquelle il sera jeté une fois que l'enfant dont il s'occupe, Ezra Reinhart, huit ans, n'aura plus besoin de nounou. Tandis que Hopi réfléchit à son avenir soudain incertain, les robots commencent à se révolter, bien décidés à éradiquer l'Humanité qui les tient en esclavage.

Pour les parents d'Ezra, qui se croient à l'abri dans leur petite communauté fermée, cette rébellion n'est qu'un spectacle de plus à la télé. Pour Hopi, elle le met face à la plus difficile des alternatives : rejoindre le camp des robots et se battre pour sa propre liberté... ou escorter Ezra en lieu sûr, à travers le paysage infernal d'un monde en guerre.

Avec Jour Zéro, C. Robert Cargill retourne à l'univers de son précédemment roman, Un océan de rouille et nous raconte le dernier jour de l'Humanité avec le punch texan qui le caractérise.

C. Robert Cargill est un scénariste reconnu, un écrivain respecté et un critique de film culte. Il a travaillé comme scénariste sur Sinister 1 & 2 (2012, 2015), Dr Strange (2016) et Black Phone (2022).

 

Mon avis :
Hopi est un nounoubot, un genre de doudou-tigre-nounou-robot anthropomorphisé. Il est la nounou de Ezra, mesure un mètre trente comme lui, est totalement craquant car recouvert d'une fourrure très douce. Et c'est lui le narrateur de cette histoire. Dès les premières lignes il nous parle du premier jour de la fin du monde, provoquée par les humains. Ben oui, qui d'autre ?...

Les Nounoubots discutent devant l'école en attendant la sortie des enfants. Ils se racontent les enfants qu'ils ont élevés, aimés, jusqu'au jours où ceux-ci ont grandi et n'ont plus eu besoin d'eux. Donc on les a éteints jusqu'au prochain enfant dont ils auraient à s'occuper. Et ça, Hopi ne le veut pas. Il ne supporte pas cette idée, car il aime Ezra, il aime la famille Reinhart. Alors comment eux pourraient-ils ne pas l'aimer en retour et ne plus en avoir besoin un jour ?
Eh bien vous savez quoi ? Ça m'a fait de la peine tous ces robots tristes. L'écriture est belle et les sentiments tellement bien décrits... D'ailleurs il y a toutes sortes de robots, pas que nounous, telle Ariane, la domestique de la famille Reinhart depuis au moins trente ans.

En réalité, ce monde c'est un peu le même bordel que le nôtre, mais encore plus désoeuvré. La haine et le racisme se sont déplacés envers les robots qui volent le travail des humains. le monde a évolué mais n'est pas devenu plus intelligent ni meilleur. Jusqu'au jour où il y a eu le projet de l'émancipation des IA par le Congrès, la révolte des IA, qui évoque par certains aspects le sort des esclaves, transposé au futur.

Les ambitions de l'humanité, l'informatique, la robotique, puis l'intelligence artificielle, tout cela nous est raconté par Hopi. Ça semble vertigineux et totalement flippant, pourtant nous y sommes déjà. Un grain de sable vient enrayer la machine, les fondements de la société. Un sentiment d'injustice ressenti avec amertume par les robots, un attentat contre eux et tout dérape... Rien ne sera plus jamais comme avant. Quand une poignée de connards gavés de religion et pleins de haine font basculer le monde dans autre chose, de totalement terrifiant... et c'est la guerre totale dans le but d'éradiquer l'humanité.
Pour Hopi, le déclic vient du sentiment qu'il est moins qu'un chien pour les Reinhart, lui qui croyait faire partie de la famille, il se rend compte qu'il est prescriptible. Mais il ne peut s'empêcher de s'interroger sur ses sentiments. Sont-ils devenus réels ou bien ne sont-ils qu'un programme informatique ?

J'ai adoré l'écriture débridée et rock'n roll qui rend les personnages et certains moments désopilants, les robots attachants et drôles, pour certains, mais surtout tellement humains. Des robots qui pensent et ont des sentiments, cette histoire m'a évoqué un cocktail de I Robot, Terminator et Blade Runner et j'ai trouvé que c'était une vraie belle réussite. Et puis j'ai adoré le contraste entre l'apparence de Hopi, tout fluffy et choupinou qui a la faculté de se métamorphoser en warrior impitoyable, vraie machine de guerre en mode commando, qui là m'a évoqué Gizmo se transformant en Rambo face aux méchants Gremlins.
C'est plein d'action, de danger, de suspense, de haine, de vengeance, d'abnégation, d'amour. C'est captivant. Ce roman de fin du monde m'a happée, totalement. C'est un roman qui se gobe tout cru.

 

Citations :

Page 32 : L’avènement de l’automatisation et de l’IA avait transformé le monde occidental. La mer des travailleurs pauvres disparates s’était muée en crue d’invisibles, vautrés devant des écrans, à regarder des émissions les assurant qu’ils n’étaient pas responsables de leur sort — c’étaient les robots qui leur avaient volé la chance de leur vie, pas la médiocrité de leurs propres motivations ou capacités.

 

Page 37 : Bradley tenait à ce que je paramètre les jeux de manière à ce que la violence y évoque le moins possible le monde réel et ne soit pas traumatisante pour un enfant. Ça ne le dérangeait pas qu’Ezra connaisse en long et en large l’histoire des conquêtes sexuelles de Zeus ou de la fureur infanticide de Saturne, mais pas question qu’il voie du sang, des tripes ou de la bouillie répugnante d’extraterrestre explosé.

 

Page 64 : Je suis resté planté là comme si un camion m’avait percuté. Tu es vraiment un robot. Je l’étais en effet, mais elle voulait sans doute dire que je n’étais qu’un robot. Oui, c’était évidemment ce qu’elle voulait dire. Je n’avais pas eu le temps de traiter les données de l’attentat pour déterminer en quoi il risquait de m’affecter, mais j’avais parfaitement conscience de l’effet de cette petite phrase. Elle ne m’avait pas seulement blessé, elle m’avait crucifié. Sylvia était ivre, bien sûr, mais je savais qu’elle en pensait chaque mot.

Et je n’avait plus soudain aucune idée de l’être ou de la chose que j’étais.

 

Page 93 : Nom de Dieu. Plus d’interrupteur létal. Combien Y avait-il de robots dans cette situation ? Et combien avaient sauté sur l’occasion d’assassiner leur propriétaire ?

 

Page 142 : — À quoi ça sert de survivre à la fin du monde, s’il y a encore des règles idiotes pour permettre aux adultes de faire ce qu’ils veulent et pour l’interdire aux enfants ?

 

Page 160 : J’étais mignon. J’étais duveteux. Et je savais comment tuer chacun des autres occupants de la pièce avec chacun des instruments qui s’y trouvaient.

 

Page 248 : J’ai trouvé un peu triste de les tuer ensemble. C’étaient clairement des meurtriers, à en juger par la taille du tas de cadavres qu’ils avaient tenté de soustraire à la vue, mais ça leur avait apporté l’égalité et la liberté. Ils avaient la même valeur, ils n’appartenaient plus à personne, et leur monde se fichait de la richesse de leurs maîtres. Leur prix d’achat ne définissait plus ni leur existence ni leur importance dans la société.

 

Page 269 : On a beau se représenter l’avenir, il ne ressemble jamais à l’image qu’on s’en fait. On se trompe toujours. Si on en a peur et qu’on essaie de le fuir, il ne nous en rattrape pas moins. Il arrive qu’il soit moins terrifiant que nous ne le craignions.

 

 

 

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Mon avis : Miracle à la Combe aux Aspics - Ante Tomic

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Marko Despot

 

Éditions Noir sur Blanc

 

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Quatrième de couverture :

Loin dans les collines perdues de Dalmatie, dans un hameau à l'abandon, vivent Jozo Aspic et ses quatre fils. Leur petite communauté aux habitudes sanitaires et sociales contestables n'admet ni l’État ni les fondements de la civilisation - jusqu'à ce que le fils aîné, Krešimir, en vienne à l'idée saugrenue de se trouver une femme. La recherche d'une épouse se révèle rapidement beaucoup plus hasardeuse que la lutte quotidienne des Aspic pour le maintien de leur insolite autonomie.

Ce road-movie littéraire qui dépeint les mœurs d'une famille vivant à l'écart du monde est une somme d'humour et de dérision qui, lors de sa publication en Croatie, a rencontré un immense succès populaire. Un roman plein de rebondissements ébouriffants, en cours d'adaptation cinématographique, mais aussi la découverte savoureuse d'un auteur inédit en français.


 

 

Mon avis :
Jozo Aspic vit à la Combe aux Aspics, hameau loin de tout, dans les montagnes, avec sa femme Zora, et leur quatre fils, Krešimir, Branimir, Zvonimir et Domagoj. Tout le monde a quitté ce lieu pour aller en ville sauf eux. Jozo n'a jamais voulu partir. Zora ne le lui a jamais pardonné. le jour de sa mort, elle a un ultime mot d'amour pour lui "Tu es une merde". Il reste seul avec ses fils, avec qui l'amour et le respect sont à peu près du même niveau qu'avec sa défunte épouse, la testostérone en plus.

Et donc, cet homme et ses quatre fils vivent en autarcie. La loi, c'est eux. Ils se foutent totalement du reste, tout ce qu'ils veulent c'est vivre sur leur bout de territoire avec leurs propres règles et qu'on ne leur parle pas de factures d'électricité au risque d'essuyer des tirs de kalachnikov. Une vraie tribu de cinglés enragés, armés jusqu'aux dents.

Seulement voilà, depuis que la mère n'est plus là, plus rien ne va dans la maison. La vaisselle est sale, la maison est sale, la couture n'est pas faite correctement et la nourriture est infecte : variantes de polenta à tous les repas. le curé leur conseille une femme dans la maison, pour redresser la situation ménagère. Et voilà donc l'aîné, Krešimir, qui part à la ville en quête d'une femme, mais pas n'importe laquelle. Il veut Lovorka, rencontrée "quelques" années plus tôt.

Ça devient la quête du Graal, la recherche de la perle rare, presque une affaire d'état, en tout cas l'affaire des anciens combattants. Ça tourne à la guérilla urbaine et c'est d'une telle drôlerie par moments ! j'ai beaucoup ri.
Je suppose que pour qui connaît bien la Croatie cette histoire prend une autre dimension. Car d'un côté, la police corrompue et tortionnaire est ridiculisée ainsi qu'une bande de néo-nazis, quand par ailleurs on voit des anciens combattants de la guerre contre la Serbie toujours prêts à donner l'assaut pour une bonne cause, surtout si c'est pour un frère d'armes. Et que dire de certains endroits qui sont inconnus de tous, telle la Combe aux Aspics ? Quant à Jozo, le père, soit c'est le timbré en chef genre prêcheur fou, soit c'est un vil manipulateur qui déteste les femmes et veut garder ses fils pour lui tout seul. D'ailleurs il déteste absolument tout le monde.

On suit les péripéties de ce petit monde un peu en dehors du monde et on a une galerie de personnages tous plus bizarres et réjouissants les uns que les autres. Tumultueux, désopilant et déjanté, ça va à cent à l'heure, on ne s'ennuie jamais.

Joyeusement iconoclaste et délicieusement irrévérencieux, ce roman croate est une énorme bulle d'oxygène, une bouffée de gaz hilarant. Car bien qu'il y ait parfois beaucoup de violence, c'est d'une drôlerie incroyable, c'est enthousiasmant et lumineux. Dans l'ensemble très réjouissant, et, pour ceux qui pensent que l'homme est le chef de famille, on voit bien que les femmes en sont le moteur et la clé de voûte.

À peine avais-je terminé ce roman que les personnages truculents de cette espèce de Horde sauvage mâtinée de O.K. Corral déjanté sauce croate ont commencé à me manquer. J'ai vraiment adoré cette histoire de fous qui m'a provoqué quelques fous rires inextinguibles.

 

Citations :

Page 29 : — Les sourdes, les aveugles, les éclopées, les dindes, les muettes, celles aux oreilles décollées, aux grandes gueules, les crasseuses, les salopes, les gouines, s’emporta l’oncle, tout ce qui est femelle se trouve un mari de nos jours.

 

Page 94 : Le fils cadet se tordait les mains de terreur en attendant les jeux amoureux de son frère et de sa belle-sœur, leurs mugissements inhumains, glapissements déchaînés, brames joyeux, bêlements forcenés, piaillements affectueux, beuglements fiévreux, miaulements caressants, grognements menaçants et aboiements réjouis.

 

 

 

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Mon avis : Sur la piste des aigles – Adrien Sarrault

Publié le par Fanfan Do

Éditions Daphnis et Chloé

 

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Quatrième de couverture :

Entrepreneur couronné de succès dans le domaine de l’intelligence artificielle, Édouard Neuville décide soudainement de vendre sa société pour se lancer en politique. Entouré de son précieux collaborateur Antoine Berlioz et de sa très belle épouse Valentine, assisté des meilleurs experts, son charisme, son érudition et son discours disruptif lui assureront rapidement notoriété et popularité dans un pays secoué par de multiples crises. Mais parviendra-t-il à pénétrer les cercles du pouvoir ? Sur fond de fresque sociale et politique, une fiction à suspense qui nous interpelle aussi sur les transformations de nos sociétés par l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies associées.

 

Grand voyageur, cosmopolite, ingénieur en MBA, Adrien Sarrault observe ses congénères et le monde qui change. Après Un buisson d’amarante, un roman d’apprentissage incisif, drôle et profond dont l’action se déroule sur 4 continents, Sur la piste des aigles est son deuxième titre.

 

 

Mon avis :
Roman reçu dans le cadre de Masse Critique Privilégiée. Merci à Babelio

•Antoine Berlioz, jeune cadre, stressé par la pression au travail et sa relation tendue avec Victoire sa sublime maîtresse.
•Édouard Neuville, son patron, stressé par la pression au travail, marié à une sublime créature.
•Jacques Sanchez, Investment Banker, perpétuellement angoissé par la peur de tomber dans la misère. Car c'est un transfuge de classe, tout comme Antoine d'ailleurs.
•Valentine Neuville, épouse d'Édouard, femme idéale, parfaite, de bonne famille et belle réussite dans les études mais ancienne complexée.
Voilà pour les quatre personnages du début que j'ai tout de suite trouvés, hélas, très "cliché". Je me suis demandé si on allait avoir droit tout le long à des stéréotypes, voire des poncifs. Pourtant il est vrai que souvent les hommes très riches ont des femmes très belles.

Beaucoup trop d'anglicismes m'ont exaspérée, ça n'arrête pas, même si je me doute que dans le monde des affaires ça doit être ainsi. Seulement voilà, ça m'a vraiment fait penser au sketch des Inconnus quand ils se moquent outrageusement de ces snobinards de publicitaires.

Néanmoins, quelque chose donne envie de poursuivre. le cynisme de certains ? La découverte du chômage par d'autres ? Les différentes classes sociales et le choc des cultures ? L'abjection de certaines méthodes et mentalités ? L'envie de savoir jusqu'où ça peut aller ? Sûrement tout ça… Mais aussi la condescendance de ceux qu'on appelle les élites (je déteste ce mot qui nous ramène au rang de peu de chose, nous, le peuple) et dont on se rend compte que quasiment rien ne les arrête. Ces manipulateurs qui ont du pouvoir, que ce soient les grands patrons ou les politiques
Peut-être tout simplement ai-je aimé la critique de notre société qui part à vau-l'eau sans que ça n'inquiète réellement nos dirigeants, perchés qu'ils sont sur leur Olympe, à se regarder le nombril.

Et donc ce roman parle des affaires, de magouilles financières, de réorientation professionnelle, d'intrigues politiques, d'intelligence artificielle, de hackers éthiques, de requins de la finance, de femmes fatales, de cocufiages, de scrupules mais pas trop car, ce que femme veut… on connaît la chanson,  et les scrupules sont vite étouffés par la concupiscence. Et d'un autre côté il y a des consommateurs de femmes, à la chaîne…
L'auteur étrille clairement le pouvoir en place et les puissants en général, et bordel, que c'est bon !!! Et il nous donne une lueur d'espoir et d'idéalisme via les "hacktivistes".

L'écriture est belle et nombreuses sont les références philosophiques, politiques, historiques et littéraires. Mais alors, ce qui m'a vraiment dérangée, car ça revient plusieurs fois au début, c'est "en vélo", "en trottinette". "En" veut dire dans, donc en voiture, en bus, en train, mais à vélo, à trottinette, à moto, tout comme à cheval, où là, la faute n'est jamais faite. Et je trouve que dans les livres, il ne devrait pas y avoir de fautes.

Cependant, tout le côté politico-financier décrit ici ainsi que les magouilles informatiques et politiques, les manipulations qui visent à faire tomber des gens, j'ai trouvé tout ça passionnant. Trop d'argent nuit sûrement à la santé mentale, et le pouvoir corrompt, j'en suis sûre. À croire que dans les milieux qui brassent des sommes énormes, il y a des Judas partout en embuscade, prêts à vous poignarder pour prendre votre place. Et moi qui n'entends rien à tout ça, j'ai appris plein de choses qui m'ont confortée dans mon idée que l'humanité est souvent retorse, cupide et mégalomane. Heureusement, il y a des rêveurs.

Et alors qu'au départ j'y croyais moyennement, contre toute attente j'ai dévoré cette lecture. Et je me suis instruite ! Par exemple concernant le pari de Pascal, dont j'ignorais la théorie… à laquelle je n’adhérerai pas car mon âme est perdue XD.

 

Citations :

Page 58 : Le déjeuner avait été organisé dans la salle à manger que Neuville avait aménagé au siège de la société. C’était là que se tenaient tous ces déjeuners d’affaires quand il était à Paris. Il détestait aller au restaurant. Surtout les restaurants gastronomiques, où il se retrouvait toujours bloqué pendant des heures devant des défilés d’amuse-gueules, d’entrées, de plats, d’entremets, de viandes, de fromages, de desserts et de mignardises auxquels il ne goûtait guère. Dans sa « lunch room », le menu était toujours le même : salade, sushis et fruits frais. Et ni champagne ni Margaux, et encore moins de Petrus. On n’y buvait que de l’eau. Les convives qui n’appréciaient pas ce régime n’étaient pas obligés d’accepter ni de revenir.

 

Page 83 : J’étais alors chez Steve Jobs, je suis maintenant chez Paul Emploi. Sic transit gloria mundi, s’amusa-t-il à penser.

 

Page 93 : — Tu veux donc commencer une carrière de révolutionnaire ? Bonne chance ! Tu as du talent et de l’argent. Mais te rends-tu compte de l’énormité de ce que tu me dis ? Notre démocratie est fondée sur des institutions qui sont quand-même bien installées, et qui sont acceptées par tous, et aussi par un contre-pouvoir médiatique, qui est certes critique mais qui est connivent. Et tu retrouves cette situation dans tous les pays importants de la planète. Et tout cela est renforcé par une multitude de traités entre États.

 

Page 127 : À contrario, intéressons-nous au fonctionnement de la démocratie représentative, avec ses 577 députés, ses 348 sénateurs, ses 4058 conseillers généraux, ses 79 élus au Parlement européen, les 233 membres du Conseil économique et social dont on ne sait pas toujours d’où ils viennent. Et je ne cite pas le reste, la liste serait trop longue. Dès le début du courant des Lumières, courant intellectuel fondateur et dominant dans la pensée politique française depuis le XVIIe siècle, on a su que ces solutions de démocratie ont pour principal défaut de ne pas répondre à l’idéal démocratique pur. Avec elles, Nous sommes vraiment très loin du contrat social de Jean-Jacques Rousseau.

 

Page 158 : La désinformation est une pratique aussi ancienne que l’humanité, mais avec l’IA on disposera d’une arme redoutable pour détruire la réputation d’une personne.

 

Page 173 : La prison ! Le gnouf ! Le trou ! Le ballon ! Les geôles de la République… Tout cela pouvait faire penser à Alexandre Dumas et au Comte de Monte-Cristo. Mais hélas, il n’y avait rien de romantique dans ce qu’il risquait de lui arriver. Pour lui, il n’y aurait pas d’abbé Faria, pas de trésor caché dans une île à aller récupérer, pas de vengeance à aller orchestrer dans les salons du Second Empire. En prison, en France, au XXIe siècle, il n’allait croiser que des chefs de gangs, des voyous sans foi ni loi, des assassins, des drogués, des pervers et des psychopathes qui allaient lui faire souffrir mille maux, ou pire tenter de le transformer en vulgaire sodomite…

 

 

 

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Mon avis : L’homme qui savait la langue des serpents – Andrus Kivirähk

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’estonien par Jean-Pierre Minaudier

 

Éditions Le Tripode

 

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Quatrième de couverture :

Empreint de réalisme magique et d'un souffle inspiré des sagas islandaises, L'homme qui savait la langue des serpents révèle l'humour et l'imagination délirante d'Andrus Kivirähk.
Le roman qui connaît un immense succès depuis sa parution en 2007 en Estonie, retrace dans une époque médiévale réinventée la vie d'un homme qui, habitant dans la forêt, voit le monde de ses ancêtres disparaître et la modernité l'emporter.
Grand Prix de L'Imaginaire 2014

 

 

Mon avis :
Amis des bêtes, bienvenue dans ce drôle de monde et cette époque où les humains étaient proches de la nature, où un ours pouvait séduire une femme mariée, où les hérissons étaient de gros crétins, où certains savaient la langue des serpents car ils étaient leurs frères. Hélas, à part Leemet, tout le monde a oublié... Il est le dernier à la parler. Et il nous raconte.

On navigue dans un univers fantasque où on rencontre des femmes qui se flagellent nues en haut des arbres, un vieil ivrogne quasi végétal, un sage des vents, un cul-de-jatte qui fabrique de la vaisselle un peu spéciale, un très vieux poisson barbu, et le Christ est l'idole des jeunes... Il suffit de se laisser porter et permettre à l'enfant qui est en nous de refaire surface, pour croire aux anthropopithèques qui élèvent des gros poux délirants, à la salamandre volante, à Ints la jeune vipère et meilleur ami, à l'Ondin esprit du lac, aux ours tombeurs de ces dames, aux louves laitières... c'est jubilatoire ! Il y a d'un côté ceux de la forêt un peu doux dingues mais parfois plus dingues que doux, qui vivent en harmonie avec la flore mais dominent la faune, dont certains croient aux génies, et de l'autre ceux du village, qui ont tout renié de leur mode de vie passé, qui sont sous l'emprise de la religion, et donneurs de leçons. Les villageois qui passent leur temps à cultiver les champs et aller à la messe, les forestiers qui mangent de l'élan encore et encore et beaucoup trop, entre deux flâneries dans les bois.

Ce roman c'est, transposé au temps des chevaliers, le monde ancien contre le monde moderne. Et vraiment, c'est l'ancien qui est le plus attrayant, féerique, enchanteur, fabuleux, ensorcelant, flippant... Ah !... Ça se voit que j'ai aimé ? Adoré ? Surkiffé ? Oui ! Ce roman est une bulle d'oxygène sylvestre, de croyances ancestrales, de fantasmagorie et aussi de drôlerie. Car oui, c'est joyeux, drôle, et parfois hilarant.

L'auteur se moque allègrement, à travers ses personnages, des croyances et superstitions païennes et de celles liées à la religion et de la récupération qu'ils font, toujours en leur faveur, des événements, tendant à prouver que rien de ce qui arrive n'est dû aux mérites des individus car ils sont forcément l'instrument de Dieu, ou du diable s'il n'y a que de l'indignité et pas de gloire à s'approprier. Il égratigne au passage les sociétés, les pouvoirs en place qui veulent tout contrôler, ne voir qu'une tête, et surtout pas de libres penseurs, la religion toute puissante qui asservit les gens par la peur et l'ignorance, pourvoyeuse de la pensée unique. le contrôle de la nature, et vade retro la liberté ! Des peuples sous le joug de têtes pensantes prosélytes qui haïssent l'apostasie, l'athéisme, le paganisme. Et ça, c'est intemporel. Il faut avouer que la religion en prend pour son grade, à moins que ce ne soit plutôt les ecclésiastiques, mais avec énormément d'humour. Cela dit, le mage aussi prend cher avec ses lutins, ses génies, sa bêtise, sa méchanceté et ses désirs de domination. Et les peuples qui se comportent en bons petits moutons mais jugent durement ceux qui ne marchent pas comme eux dans le rang. Ça m'a mis une chanson en tête : Non les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux.

C'est foisonnant, il s'y passe tant de choses, des joies, des douleurs, le monde qui change, l'amitié, l'amour, la mort, les affres de l'obscurantisme, de l'ignorance et du fanatisme. C'est l'histoire de toute une vie, celle de Leemet le narrateur, et il nous la raconte d'une façon enthousiasmante, enjouée et très drôle, mais aussi douloureuse parfois et quelquefois résignée. J'ai tellement aimé que je ne vais pas m'arrêter là quant à ma découverte des romans de 
Andrus Kivirähk !

 

Citations :

Page 32 : Dites donc à vos parents qu’ils arrêtent avec leurs âneries ! Tous ceux qui ont quelque chose dans la cervelle viennent s’installer au village. À notre époque, c’est idiot de s’enterrer au fin fond d’un fourré en se privant de tous les acquis de la science contemporaine. Ça me fend le cœur de penser à ces pauvres gens qui continuent à végéter dans des cavernes alors que d’autres vivent dans des châteaux ou des palais ! Pourquoi les estoniens devraient-ils être les derniers à se civiliser ? Nous aussi, nous avons droit aux mêmes plaisirs que les autres peuples ! Dites(le à vos parents. S’ils ne pensent pas à eux, qu’ils aient au moins pitié de leurs enfants. Qu’est-ce que vous allez devenir si vous n’apprenez pas à parler allemand et à servir Jésus-Christ ?

 

Page 36 : « Il y en a qui croient aux génies et fréquentent les bois sacrés, et puis d’autres qui croient en Jésus et qui vont à l’église. C’est juste une question de mode. Il n’y a rien d’utile à tirer de tous ces dieux, c’est comme des broches ou des perles, c’est pour faire joli. Rien que des breloques pour s’accrocher au cou ou pour faire joujou. »

 

Page 160 : Ce fut un automne sinistre, peut-être le plus désespéré de tous ceux que j’ai vécus, car même si plus tard j’ai connu des temps encore plus tristes et qu’il m’est arrivé des choses bien plus terrible, à l’époque mon cœur n’était pas encore endurci comme il s’est endurci par la suite, ce qui me rendit les souffrances plus supportables. Pour parler serpent, je n’avais pas encore mué comme je le fis à plusieurs reprises, plus tard, au cours de mon existence, me glissant dans des enveloppes de plus en plus rudes, de plus en plus imperméables aux sensations. À présent, peut-être que rien ne traverse plus. Je porte une pelisse de pierre.

 

Page 164 : Je nageais dans le sommeil, il me roulait dessus comme des vagues, je pouvais pratiquement le toucher ; je le sentais doux comme de la mousse, et en même temps il me glissait entre les doigts comme du sable. Il était tout autour de moi, il comblait tous les vides et tous les orifices, il était chaud et frais en même temps, il flottait partout comme un souffle de vent qui caresse et radoucit l’atmosphère.

 

Page 199 : J’étais vraiment sidéré qu’un être humain puisse être à ce point sans défense, tel un misérable oisillon, qu’il se laisse mordre par un reptile. Bien sûr, j’avais vu de mes propres yeux Ints tuer le moine, mais pour moi les moines et les hommes de fer n’appartenaient pas vraiment à l’espèce humaine vu qu’ils ne comprenaient ni la langue des gens ni celle des serpents, et bafouillaient des choses parfaitement incompréhensibles. C’était comme des espèces de scarabées, on pouvait les mordre et les tuer tant qu’on voulait.

 

Page 234 : Les gens sont toujours en train d’inventer un quelconque croquemitaine pour se décharger sur lui de leurs responsabilités.

 

Page 274 : « Le gamin a mal tourné, désolé. Peut-être parce qu’il a perdu sa mère très tôt. Je n’ai pas su l’élever. Mais qu’est-ce que je peux y faire, c’est quand-même mon fils, je ne peux quand-même pas l’abattre parce qu’il s’est fait moine. »

 

 

 

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Mon avis : Le cercueil de Job – Lance Weller

Publié le par Fanfan Do

Traduit par François Happe

 

Éditions Gallmeister - Totem

 

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Quatrième de couverture :

Alors que la Guerre de Sécession fait rage, Bell Hood, jeune esclave noire en fuite, espère gagner le Nord en s’orientant grâce aux étoiles. Le périple vers la liberté est dangereux, entre chasseurs d’esclaves, combattants des deux armées et autres fugitifs affamés qui croisent sa route. Jeremiah Hoke, quant à lui, participe à l’horrible bataille de Shiloh dans les rangs confédérés, plus par hasard que par conviction. Il en sort mutilé et entame un parcours d’errance, à la recherche d’une improbable rédemption pour les crimes dont il a été le témoin. Deux destinées qui se révèlent liées par un drame originel commun, emblématique d’une Amérique en tumulte.
 

 

Mon avis :
Mars 1864.
Dexter et Bell Hood, deux  esclaves en fuite pendant la guerre de sécession. Bell Hood a été marquée au fer rouge sur le visage lorsqu'elle était toute petite, pour punir son père qui était un fugitif récidiviste.
Alors qu'elle est pleine de l'envie de marcher la tête haute et de ne plus jamais courber l'échine, Dexter vit dans sa peur de l'homme blanc, instillée en lui depuis son premier jour, et ploie constamment sous le poids de sa couardise. Puis apparaît June, esclave en fuite comme eux.
Au contact de ces trois personnages on découvre peu à peu l'horreur qu'ils ont subi de la part de l'homme blanc.
On ignore l'âge de Bell Hood mais on se rend compte rapidement qu'elle est beaucoup plus mûre que les seize ans qu'elle prétend avoir.
Son repère pour atteindre la liberté est 
le cercueil de Job, un groupe d'étoiles sur la sphère céleste.

Avril 1862.
Jeremiah Hoke, fait d'une enfance douloureuse, de souvenirs amers et de remords obsédants, soldat sudiste, juste avant, pendant et après la bataille de Shiloh, cette immonde boucherie au cours de laquelle il restera mutilé.

On comprend que les routes de Bell Hood et de Jeremiah Hoke vont converger et se télescoper, qu'ils sont destinés à se trouver.
Avant cela, d'autres personnages traversent ce roman, tous avec un passé terrible, martyrisés, une vie de douleur dans leur sillage, le cœur plein de cicatrices, la tête emplie de cauchemars. On lit avec effroi le pouvoir de nuisance de beaucoup d'êtres humains.
L'auteur alterne les chapitres entre les protagonistes et les années 1864 et 1862 pendant lesquelles on découvre ce qu'ont été leurs vies, jusqu'à arriver tout doucement au point de rencontre. C'est une histoire qui se passe en deux temps, et personnellement j'adore ça.

Tout le long, ce récit pose la question du respect et du droit qu'on s'est inventé pour légitimer l'asservissement d'une partie de l'humanité. En quoi l'esclavage est-il pertinent et digne, comment des gens qui se revendiquent croyants peuvent-ils perpétrer une abomination pareille !?... Ce sont les questions en filigrane de ce roman, mais il y  a bien d'autres sujets, notamment l'absurdité de la guerre, le désir de rédemption, le prix à payer pour ses lâchetés, le poids des remords. Il y a pourtant de l'espérance. Malgré la noirceur ambiante, il y a de la bienveillance parfois qui vient mettre un peu de baume au cœur. Cependant, 
Lance Weller pousse le réalisme jusqu'à évoquer les bruits et les odeurs infectes de crasse et de matières organiques émanant de tous les orifices, y compris pendant l'agonie, on s'y croirait. C'est répugnant mais tellement immersif.

La construction de l'Amérique, thème de prédilection de 
Lance Weller, avec tout ce qu'elle a entraîné de désolation et de cruautés nous est racontée une nouvelle fois avec son immense talent. Il nous communique la douleur des personnages ainsi que cet effarant sentiment d'horreur et de malheur qui accompagnaient le commun des mortels en ces temps difficiles. Et toujours avec une écriture qui confine au sublime. J'ai pourtant un peu moins aimé que ses deux précédents romans, comme s'il m'avait manqué un petit quelque chose pour m'attraper totalement par le cœur. Alors qu'il y a tant de vrais beaux personnages.

 

Citations :

Page 17 : Ils avaient marqué les joues de Bell au fer rouge parce que son père avait essayé de s’enfuir. Plus d’une fois, il avait essayé de s’enfuir. C’était ainsi que cela avait commencé. Le fer rouge avait été le début d’un parcours dont le terme avait été la corde au bout de laquelle le père de Bell avait été pendu.

 

Page 65 : Dexter l’examina à nouveau : ses hanches, ses mains et ce visage à l’air totalement innocent qui aurait dû être dépouillé depuis bien longtemps de cette candeur qui luisait pourtant toujours dans ses yeux, comme un faisceau lumineux provenant d’un monde meilleur qu’il pouvait peut-être espérer atteindre un jour.

 

Page 73 : Mais la pluie s’était calmée et on voyait qu’un temps plus clément s’annonçait, que l’air allait se réchauffer et que tout allait bien, à présent, parce qu’à en croire ce que disaient la plupart d’entre eux, c’était le jour où la guerre allait prendre fin — une fin déterminée à l’avance. Peut-être ce matin même, une fois qu’ils auraient repoussé Grant et l’armée de l’Union dans la Tennessee River. Le seul ennui, en fait, c’était que tout serait terminé avant même que leur brigade ait été lancée dans la bataille — c’était du moins ce que la plupart d’entre eux clamaient haut et fort. Vrai ou non, Hoke s’en fichait parce qu’il savait d’expérience qu’une chose aussi insignifiante qu’un carnage ne mettait jamais fin à rien.

 

Page 94 : Ce n’est pas vrai et tu le sais. On le sait tous. C’est pour ça qu’on se retrouve dans ce pétrin. Parce qu’on sait que personne n’appartient à une espèce différente des autres. On le sait, mais on préfère verser notre sang plutôt qu’affronter l’énormité de nos péchés.

 

Page 112 : Les deux jours que dura la bataille de Shiloh, ainsi que Hoke l’apprit par la suite, furent terribles pour les officiers. Terribles pour les soldats aussi. Et plus terrible encore pour les chevaux.

 

Page 250 : — Ce sont des êtres humains que vous avez enchaînés, dit Liddell de cette voix profonde qui ne paraissait pas cadrer avec sa personne. Et vous les conduisez vers une vie de malheur. Vous ne pouvez pas ne pas le voir.

 

Page 349 : Ils se mirent en route, passant au milieu de guirlandes de corps toujours étendus dans les champs. Ils passèrent devant des rangées de cadavres alignés le long d’ornières creusées par les chariots. Il était difficile de distinguer les combattants de l’Union de ceux de la Sécession, parce qu’ils étaient tous autant morts les uns que les autres, et tous autant couverts de boue, de sang et d’un calme transcendant. Il y avait des mouches partout. Des cochons, échappés de quelque fermes, fouissaient le sol avec enthousiasme ; des détachements de soldats affectés au ramassage des corps, éparpillés dans les collines, tiraient sur eux, pour se distraire autant que par zèle, et le silence était ponctué des couinements des cochons agonisants et de ce bruit d’abattoir — un choc mou suivi d’un sifflement — que faisaient les balles frappant les morts et libérant brusquement leurs gaz corporels.

 

 

 

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Mon avis : Épépé – Ferenc Karinthy

Publié le par Fanfan Do

Traduit du hongrois par Judith et Pierre Karinthy

 

Éditions France Loisirs

 

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Quatrième de couverture :

Un linguiste nommé Budaï s'endort dans l'avion qui le mène à Helsinki pour un congrès. Mystérieusement, l'appareil atterrit ailleurs, dans une ville immense et inconnue de lui. Surtout, la langue qu'on y parle lui est parfaitement inintelligible. Ni la science de Budaï - il maîtrise plusieurs dizaines de langues - ni ses méthodes de déchiffrement les plus éprouvées ne lui permettent de saisir un traître mot du parler local. Tandis qu'il cherche désespérément à retrouver sa route, le mur d'incompréhension se resserre. Sous les apparences familières d'une grande cité moderne, tout paraît étrange et inhumain. Au plus profond de l'incommunicabilité, Budaï fait un séjour en prison, connaît des amours éphémères et participe même à une insurrection à laquelle il ne comprend décidément rien.

 

 

Mon avis :
Le linguiste Budaï, qui devait atterrir à Helsinki pour un congrès, se retrouve dans une ville inconnue où tout le monde parle une langue qu'il n'a jamais entendue, ni même lue. Lui qui maîtrise un grand nombre de langues n'arrive pas à déchiffrer celle qu'il entend partout autour de lui. de plus, dans cette ville il y a des multitudes de piétons et de véhicules qui vont sans cesse en tous sens, et de longues files d'attente partout, tout le temps, pour récupérer ses clés à l'hôtel, pour manger, pour téléphoner d'une cabine.
C'est assez inquiétant et ça m'a évoqué les cauchemars de mon enfance, quand les rêves étaient totalement absurdes et que rien n'avait de sens, quand tout ce qu'on connaît à disparu et que pourtant c'est normal. Quand on veut crier mais qu'aucun son ne sort. Quand on se retrouve seul au monde sans personne qui puisse nous aider. L'angoisse totale.

À part le fait que j'ai trouvé l'ambiance oppressante pratiquement dès le début, au bout de 50 page je me suis demandé si ça allait être comme ça pendant 313 pages. Des descriptions de cohues, de taxis bondés de passagers, de piétons pressés qui bousculent ceux qui ne se poussent pas, des files d'attente interminables partout tout le temps et du coup un ennui terrible car c'est répétitif et il ne se passe rien de nouveau. Ah ! Enfin le métro ! Et des couloirs, des dédales de couloirs, remplis de gens, qui vont, qui viennent,  comme dans une immense fourmilière... Et puis un marché, des camelots qui vendent tout et n'importe quoi et je peux dire que j'en ai eu des palpitations à force. Errer dans une foule aussi dense et se sentir si seul au monde, c'est affreux.

Au bout d'un moment, Budaï comprend que pour s'y retrouver il doit suivre le mouvement, le courant, le flot de la foule. Il décrypte les comportements. Et il boit.
Il y a cependant beaucoup d'opiniâtreté chez Budaï, mais aussi de l'espoir sans cesse renouvelé, sinon à quoi bon avancer. C'est cette espérance qui m'a fait persister dans ma lecture. Car je me suis demandé comment j'allais tenir jusqu'au bout de cet étrange roman... Mais j'avoue que j'ai voulu connaître le fin mot de l'histoire.

Bien sûr, en bon linguiste qu'il est, rompu à la réflexion méthodique, il cherche à déchiffrer cette langue qui lui échappe et on se dit qu'il finira sans doute par y arriver, en tout cas on l'espère, car sinon comment rentrera-t-il chez lui un jour ?
J'ai pensé à une parabole évoquant le bloc de l'est, car ce roman a été écrit en 1970. Ça m'a fait penser à L'URSS, une prison à l'échelle d'un pays, un lieu dont on ne peut pas sortir. Ou alors la métaphore d'autre chose, mais quoi ? Ou peut-être Budaï a-t-il glissé dans une dimension parallèle. Ou il a perdu la raison. Ou encore il dort. En tout cas, au bout d'une bonne centaine de pages j'ai fini par être totalement absorbée par cette étrange histoire.

J'ai trouvé intéressant et amusant le regard de l'auteur sur les comportements humains et l'effet de mimétisme qui en découle parfois, sans en avoir conscience. Et ces brefs et enrichissants aperçus de linguistique qui reviennent çà et là.
Et Épépé,  Dédé, Bébé, Vévé, Etèt, Tiétié, Dédéd
é, Pépé, Ébébé, Tété, Épépép...

Il semble toutefois que ce livre ait des effets secondaires très bizarres. Pendant ma lecture, j'ai fait un cauchemar qui y ressemble étrangement : j'avais été plantée par des amis dans une ville inconnue, sans mon sac donc pas de papiers, ni d'argent, ni de téléphone. J'essayais de téléphoner avec ma main en faisant mon propre numéro dans ma paume sans parvenir au delà de 06... et la peur de n'avoir nulle part où dormir. Oups !

J'en suis venue à bout, un peu laborieusement quand-même. C'est réellement un roman étonnant, une expérience unique. J'ai hélas trouvé le temps long trop souvent.

 

Citations :

Page 16 : Il a tout le temps pour observer les gens qui font la queue avec lui. Des Blancs et des gens de couleur ; devant lui deux jeunes nègres noir de suie à cheveux lisses, plus loin, une femme jaune, les yeux bridés, avec sa petite fille, quelques hommes grands de type germanique, un gros de type méditerranéen, le visage luisant de sueur en manteau à poil de chameau, des Malais basanés, des Arabes ou des Sémites, une blonde à taches de rousseur en pull bleu avec une raquette de tennis : il serait difficile de trouver une race ou une ethnie majoritaire, tout au moins là, devant ce restaurant.

 

Page 21 : Par son métier, il a un sens linguistique particulièrement aiguisé : sa spécialité proprement dite c’est l’étymologie, l’étude de l’origine des mots. Dans le cadre de son travail il aborde les langues les plus diverses : parmi les langues finno-ougriennes, le hongrois et le finnois bien sûr, mais aussi quelque peu le vogoul et l’ostiaque, et puis le turc, un peu l’arabe et le perse ainsi que le slavon, le russe, le tchèque, le slovaque, le polonais et le serbo-croate. Mais ce langage que l’on parle ici n’en rappelle aucune, pas plus le sanscrit, l’hindi, le grec ancien ou moderne, mais il ne peut pas non plus être germanique ; de plus il se débrouille en allemand, en anglais et éventuellement en hollandais.

 

Page 44 : Pendant ce temps-là le soir tombe, les lumières s’allument à l’extérieur ; la veille c’est à peu près à la même heure que l’autobus l’a amené. Donc vingt-quatre heures déjà. Pour l’instant il ne s’attarde pas à cette pensée, il poursuit sa pesante marche en avant, l’âme rongée d’inquiétude : il a appris à se battre, à pousser et bousculer pour avancer, tout comme les autres…

 

Page 85 : C’est en lui-même que doit résider la faute, dans son caractère auquel toute agressivité, toute bousculade sont étrangères, cette révélation vient de s’imposer à lui, tout endormi et ivre qu’il est. Tant qu’il n’arrivera pas à vaincre sa modestie pusillanime, sa crainte d’importuner, il n’arrivera jamais à partir d’ici, ni même à donner de ses nouvelles afin que quelqu’un puisse lui porter secours.

 

Page 96 : Il recommence donc, comme les autres fois, à essayer de communiquer en diverses langues, allemand, hollandais, polonais, portugais, et même turc et perse, et aussi en grec ancien, mais l’autre n’accroche pas, il l’interrompt :

Chérédérébé todidi hodové guruburu pratch… Antapratch, vara lédébédimé karitchaprati…

 

Page 109 : Quelles explications ses proches, ses amis, ses collègues de travail se donnent-ils de ce mystère, et sa femme avant tout, que peut-elle ressentir ? Et son petit garçon, et son chien ?…

 

Page 169 : À proprement parler, n’importe quel habitant de la ville serait en mesure de lui enseigner sa langue, les mots, les règles au fur et à mesure, à condition de lui consacrer suffisamment de temps et de patience. Mais c’est précisément cela qui manque le plus chez les gens d’ici, un peu de courtoisie, de serviabilité, de disponibilité dans leur hâte immodérée et leur éternelle bousculade, quelqu’un qui l’écouterait demander ce dont il a besoin, qui une fois au moins daignerait témoigner de l’intérêt pour ses gesticulations de sourd-muet. Jamais personne n’a pris le temps pour cela depuis son arrivée, personne ne lui a permis de nouer une quelconque relation humaine. Sauf peut-être une seule…

 

Page 173 : Ce sont les soirs qui lui font le plus peur, sa chambre lui semble une cellule de prison ; s’il avait au moins quelque chose à lire dans n’importe quelle langue familière ! Impossible de s’immerger éternellement dans ces rebus indéchiffrables, il ressent un manque affreux de nourritures spirituelles, de détente, il craint d’en devenir fou.

 

Page 264 : Sur le plan matériel il doit faire des choix : ou il économise pour du linge, ou il boit, or en toute sobriété et après réflexion il opte pour la boisson car sans alcool son existence est carrément insupportable.

 

 

 

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Mon avis : Le dernier amour de Baba Dounia – Alina Bronsky

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’allemand par Isabelle Liber

 

Éditions Actes Sud

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, les alentours de la centrale désaffectée se repeuplent clandestinement : Baba Dounia, veuve solitaire et décapante, entend bien y vieillir en paix. En dépit des radiations, son temps s’écoule en compagnie d’une chaleureuse hypocondriaque, d’un moribond fantasque et d’un centenaire rêvant d’amour.

Mais qui est l’auteur de la lettre à Baba Dounia, écrite dans une langue qu’elle ne comprend pas ?

D’une plume à la fois malicieuse et implacable, Alina Bronsky invente la comédie humaine post-cataclysmique.
 

 

Mon avis :
L'histoire se passe environ trente ans après la catastrophe de Tchernobyl.
Dans ce récit il y a de la nostalgie pour le temps d'avant, quand la vie grouillait dans ce qui est devenu la zone d'exclusion, quand les petits-enfants venaient passer les trois mois d'été chez leur grands-parents.
Baba Dounia est revenue vivre dans sa maison à Tchernovo, après l'explosion de la centrale nucléaire, "après le réacteur" comme elle dit. À son grand âge elle n'a que faire des radiations. Autour d'elle, d'autres sont revenus, telle Maria qui vit dans le souvenir de son défunt mari, enjolivant sans en avoir conscience ce qu'elle se rappelle de son affreuse vie conjugale, ou encore Petrov, rongé par le cancer mais qui ne veut pas cultiver son jardin car tout est contaminé. Un comble ! Mais aussi Sidorov, les Gavrilov, Lenotchka, tous ces gens revenus là où ils se sentent chez eux. Même Yegor, le défunt mari de Baba Dounia est là, pour lui faire la conversation.

Il y a dans la narration de Baba Dounia un souffle facétieux qui rend les choses joyeuses alors qu'on est après et sur le lieu de la pire catastrophe nucléaire que l'humanité ait connu.
C'est beau parce que l'individualisme n'existe pas à cet endroit. Il n'y a la place que pour la solidarité, la générosité, la convivialité, l'amitié. La vie dans ce qu'elle a d'essentiel. Donc tout va pour le mieux chez les irradiés, jusqu'à un grain de sable qui vient gripper les rouages de ces vies heureuses.

J'ai aimé ce roman qui nous parle de ceux qui sont revenus vivre chez eux, dans cette zone polluée par l'atome pour des siècles, en dépit de toute sécurité, où les morts cohabitent avec les vivants, humains comme animaux. J'ai adoré cette façon de parler de la mort, des morts, des radiations et du danger, avec cette pointe d'humour permanente. Comme si, bah… c'était rien quoi !

J'ai trouvé ce livre étonnant, tant l'histoire qui s'y déroule est farfelue et drôle. Baba Dounia est une espèce d'électron libre, totalement fantaisiste et pourtant d'une grande sagesse, au service d'un récit exquis (et attention !.. Je n'utilise jamais le mot exquis, c'est dire si ça l'est...).
C'est une tranche de vie, ponctuée de souvenirs. Dounia a des réflexions intéressantes, un peu désabusées et justes sur la vie, sur sa vie, et parfois j'ai eu l'impression qu'elle parlait de ma vie. Sans doute parce que sa vision de la vie pourrait s'appliquer à toutes les femmes. Ah oui vraiment, j'ai aimé ce roman d'
Alina Bronsky, née russe, devenue allemande et qui donc écrit en allemand sur le pays de ses origines.

 

Citations :

Page 7 : comme chaque matin, j’ai un moment de surprise en regardant mes pieds, larges et noueux dans les sandales de marche allemandes. Ce sont des sandales solides, à toute épreuve. Dans quelques années, je ne serai plus, mais elles, elles seront sûrement encore là.

 

Page 9 : Je n’arrive toujours pas vraiment à me faire à l’idée que c’est le même soleil qui brille pour tout le monde : pour la reine d’Angleterre, pour le nègre qui préside l’Amérique, pour Irina en Allemagne, pour Constantin, le coq de Maria.

 

Page 43 : L’erreur, ce n’était pas d’avoir choisi le mauvais. L’erreur, c’était de s’être mariée. J’aurais très bien pu élever Irina et Alexei toute seule, et personne n’aurait jamais été autorisé à me dire ce que je pouvais ou non faire de mes pieds.

 

Page 67 : J’oublie régulièrement l’âge que j’ai. Je suis tout étonnée d’entendre mes articulations grincer, de sentir l’effet de la gravité le matin, en me levant, de voir ce visage fripé et inconnu dans le miroir rayé.

 

Page 74 : Même quand la situation est tout sauf normale, il faut s’adresser aux autres en utilisant le prénom et le nom paternel. Surtout quand on n’a pas gardé les vaches ensemble.

 

Page 108 : Et puis, je sais que j’émets autant de radiations que notre terre et tout ce qu’elle produit. Juste après le réacteur, comme beaucoup d’autres, j’ai passé des examens — je suis allée à l’hôpital de Malichi, je me suis assise sur une chaise, j’ai donné mon nom et mon année de naissance tandis qu’un compteur crépitait à côté de moi et qu’une assistante médicale notait les résultats dans son carnet. Plus tard, le biologiste m’a expliqué que ce truc était dans mes os et irradiait tout ce qui m’entourait, si bien que j’étais moi-même comme un petit réacteur.

 

Page 116 : J’ai l’impression que quelqu’un nous observe. Si j’étais croyante, je dirais que c’est Dieu. Sauf que dans notre pays, Dieu a été supprimé quand j’étais petite et que je n’ai pas réussi à le ramener à la vie depuis. Il n’y avait pas d’icône dans la maison de mes parents et on ne priait pas. Dans les années 1990, je ne me suis pas fait baptiser comme tant d’autres, parce que je les trouvais ridicules, ces adultes qui plongeaient dans une bassine entre des volutes de fumée parfumée. Et pourtant, avec tout ce qu’on entend sur lui, je suis bien d’avis que Jésus-Christ était quelqu’un de tout à fait convenable.

 

Page 150 : J’irai dans la forêt récolter de l’eau de bouleau. Pas parce que je veux devenir centenaire, mais parce que c’est un sacrilège de refuser les dons de la nature.

 

 

 

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