Mon avis : De purs hommes – Mohamed Mbougar Sarr
Éditions Le Livre de Poche
Mon avis sur Insta c'est ici
Quatrième de couverture :
Tout part d'une vidéo virale, au Sénégal. On y voit comment un cadavre est déterré, puis traîné hors d'un cimetière par une foule. Dès qu'il la visionne, Ndéné Gueye, jeune professeur de lettres déçu par l'enseignement et fatigué de l'hypocrisie morale de sa société, devient préoccupé, voire obsédé par cet événement. De qui s'agissait-il ? Pourquoi avoir exhumé le corps ? A ces questions, une seule réponse : c'était un góor-jigéen, un "homme-femme". Autrement dit, un homosexuel.
Ndéné se met à la recherche du passé de cet homme. Autour de lui, dans le milieu universitaire comme au sein de sa propre famille, les suspicions et les rumeurs naissent... Un roman bouleversant sur la seule grande question qui vaille aux yeux de son héros : comment trouver le courage d'être pleinement soi, sans se trahir ni se mentir, et quel qu'en soit le prix ?
Éblouissant.
Les Inrockuptibles.
De ce roman intelligent et incandescent, on ressort l’esprit chaviré et en éveil.
Lire.
Pourquoi j’ai voulu lire ce livre :
Il y a des thèmes qui me passionnent et qui généralement concernent les « minorités » maltraitées. L’homosexualité et la façon dont les différents peuples la traitent en fait partie.
Mon avis :
Quelle écriture !!! Vraiment, c'est virtuose…
On entre assez vite dans le vif du sujet, encore que, j'y ai vu plusieurs sujets.
D'abord, les vidéos virales et totalement malsaines sur internet, qui en un temps record sont vues des milliers de fois. Ensuite, mais en même temps, la place faite aux homosexuels dans les sociétés. le comportement de ceux qui pensent qu'ils sont "comme il faut" et que par conséquent les homosexuels sont des dépravés qu'on doit châtier, souiller, et humilier parfois jusque dans la mort.
Ndéné Gueye, prof de lettres, nous raconte la société dans laquelle il vit, le Sénégal musulman, et son rapport à l'homosexualité. Dans tous les cas elle est honnie, que l'on pense qui s'agit d'une maladie ou d'un libre choix purement pervers. En aucun cas ça ne peut être l’œuvre de Dieu... pourtant, Dieu n'a t'il pas créé tout ce qui existe ??
En tout cas, là-bas on déterre les homosexuels pour profaner et déshonorer leur dépouille mais aussi parce qu'ils n'ont pas le droit d'être inhumés en terre sacrée musulmane.
Sans doute que l'homophobie répandue de par le monde est avant tout liée au fait que, comme le dit le narrateur "La plupart des gens pondaient des opinions extérieures à eux, sur des objets qui ne les engageaient à rien et en rien. Ils parlaient sans conséquence. Ce qui leur permettait de dire toutes les stupidités possibles impunément, sans même s'en rendre compte." (Page 54-55)
Le narrateur en vient à s'emporter contre ses étudiants qui lui font remarquer que Verlaine est interdit car il était un homosexuel, un góor-jigéen. Et là on retrouve le débat très actuel - faut-il séparer l'homme de son oeuvre ? -.
Une intolérance terrible règne au Sénégal envers l'homosexualité, mais comme dans nombre d'autres pays, par ignorance, bêtise, avec le support de la religion, sorte d'inquisition sociale qui se cache derrière sa culture.
L'auteur nous dresse un panorama des pratiques cruelles de son pays envers les gays, puis nous emmène à la découverte de l'homme déterré, à la recherche de son identité et lui rend la réalité de son être.
J'ai aimé cette superbe prose qui nous parle d'humanité, d'obscurantisme, de haine, d'intolérance, du poison de la rumeur, du deuil et de sa douleur insurmontable, de rédemption.
Citations :
Page 13 : Le corps exhumé retomba au sol, la poussière s’éleva ; je fermais les yeux, saisi de terreur et de dépit, mais la vidéo continuait, elle flattait ma curiosité morbide, je les rouvris.
Page 15 : Éprouver une terreur sacrée devant un fait, en être profondément bouleversé, puis s’adonner au plaisir peu après en oubliant le drame : il n’y a qu’un homme pour être ainsi, pour être tour à tour, ou à la fois, le frère du monstre et la sœur de l’ange. Aucune vraie décence ne dure. Ou alors c’est seulement moi qui suis comme ça.
Page 46 : Mon père consacra son prêche à la vidéo de l’individu déterré ; autrement dit, il le consacra à l’homosexualité. Ses propos sans ambiguïté condamnèrent implacablement cette turpitude ignoble que la colère divine devait châtier. Il approuva le fait qu’on ait déterré l’homme, rappela le caractère sacré du cimetière religieux et affirma que la place des homosexuels était en prison car, en plus d’être des pêcheurs, les goor-jigéens étaient aussi des criminels, dont la seule présence au sein de la société menaçait sa cohésion et sa morale ; des êtres dont l’existence même constituait un crime contre l’humanité.
Page 53 : - Ils ne sont pas malades, intervint lentement mon père, d’une voix dure. Comment Dieu les aurait-Il frappés d’une maladie qui serait un péché ? Il ferait d’eux les coupables d’une faute dont ils ne seraient pas responsables ? Une faute d’origine divine, astafirulah, c’est impensable. Tout ça relève d’un choix conscient. Ces hommes ne sont pas malades. Dire qu’ils sont malades, Mbène, ce serait comme dire que Dieu est à l’origine de l’homosexualité…
Page 84 : Ce que tu appelles homophobie esthétique n’est qu’une prison de ta culture traditionnelle et religieuse sénégalaise, une prison dans laquelle le corps féminin, idéalisé, réduit à sa pure forme, demeure le seul corps sexuellement désirable et digne de fantasmes. C’est encore très moral, très religieux, très culturel, quoi que tu en dises.
Page 128 : Un deuil est un labyrinthe, et au cœur de ce labyrinthe, est tapi le Monstre, le Minotaure : l’être perdu. Il nous sourit ; il nous appelle ; on veut l’étreindre. C’est impossible, sauf à mourir aussi. Seul un mort sait étreindre un mort ; seule une ombre sait en embrasser une autre.