Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Mon avis : Ce que le jour doit à la nuit – Yasmina Khadra

Publié le par Fanfan Do

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Éditions France Loisirs – 475 pages

 

Quatrième de couverture :

 

Younes n'a que neuf ans quand son père, ruiné, se résout à le confier à son oncle, pharmacien dans une petite ville de l'Oranais.

Vite intégré à la communauté pied-noir, Younes partage les jeux et les rêves d'adolescence d'une bande de jeunes colons dont il devient l'ami inséparable. Mais l'amour va bientôt fragiliser ce parfait équilibre et mettre à rude épreuve la complicité qui unit les quatre garçons.

La guerre d'indépendance qui survient, sanglante et fratricide, ajoute encore au déchirement. Écartelé entre sa fidélité à ses origines, sa loyauté envers ses amis, et son amour naissant pour Émilie, Younes devra faire des choix extrêmement douloureux.

 

 

 

Pourquoi j'ai voulu lire ce livre :

 

Il était temps que je découvre Yasmina Khadra, cet écrivain algérien qui rend hommage à sa femme en utilisant ses deux prénoms comme nom de plume.

 

 

 

Mon avis :


Ce roman, c'est une plongée immédiate dans la misère algérienne des années 30, une immersion dans la vie de ces familles qui ont perdu le peu qu'elles possédaient dans les campagnes, pour se retrouver entassées dans des taudis à la périphérie d'Oran.
Dans cette promiscuité forcée existe un îlot de douceur et de bonne humeur entre femmes, qui malgré la dureté de leur vie, trouvent la force de rire et de se soutenir.

C'est l'histoire, parfois déchirante, de Younes, neuf ans, et de sa famille, avec ce genre de destin bouleversant qui oblige parfois à tourner le dos à ceux que l'on aime pour avoir un avenir moins sombre, se détacher des siens pour ne pas couler avec eux.
Younes n'a pas fait ce choix mais les adultes l'ont fait pour lui, lui laissant le sentiment d'abandonner une part de ce qu'il est derrière lui. Il se voit contraint de quitter ses parents et sa sœur et leur vie de misère pour aller vivre avec son oncle et sa tante qui n'ont pas eu d'enfants et dont il deviendra le fils.
Puis il devient Jonas, tout en restant Younes.

Cette histoire sent d'un côté le dénuement de la pauvreté, mais aussi le soleil, la langueur du sud et de l'aisance, car c'est l'Algérie du colonialisme.

C'est la quiétude qui prime, avec l'impression que Younes-Jonas et ses amis vivent leur jeunesse loin du tumulte du monde dans cet après-guerre où les prémices du conflit en Algérie se font sentir. L'amitié plus forte que tout, une époque bénie où on pouvait être comme des frères quelle que soit sa culture et sa religion : Younes le musulman, Simon le juif, Fabrice et Jean-Christophe les chrétiens.
Et pourtant, la loyauté, parfois, demande des efforts incommensurables, quand l'amitié prime sur tout autre sentiment ! Car le passage vers l'âge adulte se fait parfois dans la douleur.
Pourquoi un moment d'égarement peut faire basculer toute une vie ?

La misère puis le confort, le bonheur puis la peine, comme si la vie était inévitablement faite d'alternance, de hauts et de bas, parfois très bas.

Yasmina Khadra m'a emmenée faire un tour dans la guerre d'Algérie, tellement réaliste que j'en ai eu froid dans le dos avec une vague impression d'être un peu en deuil... d'amis et d'un pays où il faisait si bon vivre avant, mais pas pour tout le monde hélas.
J'ai adoré cette histoire qui court sur plusieurs décennies, nous donnant à voir les destinées humaines comme au travers d'un microscope et nous parle d'actes manqués. Mon intérêt n'a cessé de croître à mesure que j'avançais dans le récit.
Ce roman m'a fait penser que, sous des airs de fêtes, la vie reste une tragédie.
J'ai fermé ces pages avec un tsunami dans le cœur. J'ai compris la douleur et le manque des pieds-noirs, envers l'Algérie, leur pays depuis plusieurs générations.

Mais putain ! Quelle écriture magnifique ! Ça fait plusieurs auteurs que je lis et qui écrivent sublimement, que c'est bon ça !



 

 

Citations :

 

Page 15 : Leur tête tondue et mouchetée d'escarres suppurante conférait à leur mine quelque chose d'irréversible, comme la marque d'un damnation.

 

Page 64 : Je tombe et je me relève, c'est le prix à payer, et je n'en veux à personne. Parce que j'y arriverai, je te le promets. J'ai des bras à soulever les montagnes, as-tu oublié ?

 

Page 121 : Il disait qu'on pouvait perdre sa fortune, ses terres et ses amis, ses chances et ses repères, il demeurerait toujours une possibilité, aussi infime soit-elle, de se reconstruire quelque part ; en revanche, si on venait à perdre la face, il ne serait plus nécessaire de chercher à sauver le reste.

 

Page 133 : Longtemps j'ai cru que c'étaient ses yeux qui remplissaient mon âme d'une tendre quiétude. Aujourd'hui je me rends compte que ce n'était pas ses yeux, mais son regard – un regard doux et bon, à peine éclos que déjà maternel, et qui, lorsqu'il se posait sur moi...

 

Page 167 : - T'occupe pas de ça José. Tu n'as pas de valets, toi, et tu sais pas ce que c'est... Les Arabes, c'est comme les poulpes ; il faut les battre pour les détendre.

 

Page 215 : - Tu ne peux pas comprendre, toi. Tu es des nôtres, mais tu mènes leur vie... Quand on est l'unique gagne-pain d'une famille composée d'une mère à moitié folle, un père amputé des deux bras, six frères et sœurs, une grand-mère, deux tantes répudiées avec leur progéniture, et un oncle souffreteux à longueur d'année, on cesse d'être un être humain... Entre le chien et le chacal, la bête amoindrie choisit d'avoir un maître.

 

Page 223 : - N'oublie pas ce que dit le Coran : qui tue une personne aura tué l'humanité entière.

 

Page 278 : Quand l'amour vous fait un enfant dans le dos, il est la preuve que vous ne le méritez pas ; la noblesse consisterait à lui rendre sa liberté – ce n'est qu'à ce prix que l'on aime vraiment.

 

Page 284 : Dans la charia, il est impératif pour une non-musulmane de se convertir à l'islam avant d'épouser un musulman. Mon oncle n'était pas de cet avis. Il lui importait peu que sa femme fut chrétienne ou païenne. Il disait que lorsque deux êtres s'aiment, ils échappent aux contraintes et aux anathèmes ; que l'amour apaise les dieux et qu'il ne se négocie pas puisque tout arrangement ou concession porterait atteinte à ce qu'il a de plus sacré.

 

Page 303 : À quoi servirait l'amour s'il ne supplantait pas les sortilèges et les sacrilèges, s'il devait s'assujettir aux interdits, s'il n'obéissait pas à sa propre fixation, à sa propre démesure ?...

 

Page 306 : - L'homme n'est que maladresse et méprise, erreur de calcul et fausse manœuvre, témérité inconsidérée et objet d'échec quand il croit avancer vers son destin en disqualifiant la femme... Certes, la femme n'est pas tout , mais tout repose sur elle... Regarde autour de toi, consulte l'Histoire, attarde-toi sur la terre entière et dis-moi ce que sont les hommes sans les femmes, ce que sont leurs vœux et leurs prières quand ce ne sont pas elles qu'ils louent... Que l'on soit riche comme Crésus ou aussi pauvre que Job, opprimé ou tyran, aucun horizon ne suffirait à notre visibilité si la femme nous tournait le dos.

 

Page 322 : On ne prend conscience de l'irréparable que lorsqu'il est commis.

 

Page 409 : La postérité n'a jamais rendu l'étreinte des tombes moins dure. Elle a juste le mérite de modérer notre peur de la mort puisqu'il n'y a pas de thérapie mieux appropriée à notre inexorable finitude que l'illusion d'une belle éternité...

 

 

Commenter cet article