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Mon avis : La fabrique des salauds – Chris Kraus

Publié le par Fanfan Do

Ma chronique sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

 

Une poignée de douleur et de chagrin suffit pour trahir, et une seule étoile scintillant dans la nuit pour qu'un peu de lumière brille par intermittence dans toute cette horreur.

Dans la lignée des Bienveillantes de Jonathan Littell ou de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Márquez, un roman hors normes, une fresque exuberante et tragique, pleine de passion, de sang et de larmes, qui retrace tout un pan du XXe siècle, de Riga a Tel Aviv en passant par Auschwitz et Paris.

A travers l'histoire de Koja, Hubert et Ev Solm, deux frères et leur soeur, sorte de ménage à trois électrique, Chris Kraus nous entraîne dans des zones d'ombre où morale et droiture sont violemment bafouees, et dresse en creux le portrait d'une Europe a l'agonie, soumise à de nouvelles règles du jeu.

Une oeuvre impressionnante, magnum opus sur le déclin d'une époque et la naissance d'une nouvelle ère.

 

 

 

Pourquoi j'ai voulu lire ce livre :

 

Alors que j'avais trouvé ce roman à Emmaüs il y a peu de temps, on m'a proposé une lecture commune sur un groupe facebook. J'ai accepté parce que c'était l'occasion et parce que j'adore les lectures communes. C'est l'occasion d'échanges passionnants.

 

 

 

Mon avis :

 

Le début de cette histoire est un peu surprenant. On ne sait pas très bien où ça se passe, à quelle époque ni vraiment qui raconte.
On comprend toutefois assez vite qu'on est dans un hôpital et ça attise la curiosité car on se demande qui sont les personnes dont il est question, pourquoi ces gens sont là, et quelle a été leur vie.

J'ai adoré l'ironie sous-jacente tout au long de la narration, subtile comme une brise légère.
Et j'ai trouvé qu'il y avait un souffle épique dans l'histoire des aïeux.

J'ai aimé cette histoire tout de suite et pourtant j'ai dû m'accrocher dans les premiers chapitres, j'en ignore la raison. Et puis j'ai été emportée subitement, complètement absorbée dans ce récit que je ne voulais plus quitter.
D'ailleurs j'ai trouvé passionnante l'histoire allemande vue de l'intérieur. C'est tellement inhabituel.
On apprend beaucoup, notamment sur la géopolitique germano-balte avant et pendant l'accession de Hitler au pouvoir, mais aussi sur l'après-guerre qui à été une lutte de pouvoirs entre les différents pays.

C'est instructif et effarant de voir les mécanismes de la montée du nazisme. Ça m'a fait penser à l'histoire de la grenouille qu'on met dans l'eau qu'on chauffe peu à peu et qui finit ébouillantée sans avoir eu le réflexe de fuir.

À cette lecture je n'ai pu m'empêcher de penser que le IIIème Reich a été une sorte de catharsis pour nombres de tarés sadiques et mégalo qui sous couvert d'une soi-disant mission noble ont pu laisser libre cours à leurs plus monstrueux instincts. Et ce mépris des nazis pour le reste de l'humanité, leurs classifications raciales, mais quelle horreur !
Depuis toujours je me demande comment on a pu laisser faire ça, autant de la part des allemands que du reste du monde.

Les différents personnages, leurs personnalités, tout est passionnant, mais j'ai particulièrement adoré Koja, le narrateur qui, bien qu'ancien nazi m'a laissée dans l'incapacité de le détester. D'abord parce qu'il est drôle mais aussi parce qu'il a un regard lucide sur ce qu'il s'est passé. De plus c'est en quelque sorte presque un "malgré nous" - du moins pendant un certain temps - sauf que lui est plutôt un faible, énormément sous l'emprise de son frère. Il se laisse porter sans jamais vraiment bien comprendre où il met les pieds - du moins au départ - dans une sorte d'engrenage dont on ne peut pas sortir vivant. Donc il n'en sort pas, par instinct de conservation.
Hélas j'ai trouvé qu'il devenait horriblement cynique à la longue, mais pas que... Sans doute parce que la guerre est abjecte et qu'elle pervertit tout.
D'ailleurs l'auteur souligne bien l'ignoble connerie incommensurable qu'est la guerre.

Ce roman nous parle de la guerre, avant-pendant-après, et du monde mais aussi de toutes les vies qui passent, plutôt dans la douleur, période sombre oblige... il y a là une incroyable galerie de personnages !
J'ai énormément appris sur l'après-guerre, hélas j'ai envie de dire, car mon opinion sur l'humanité frôle désormais le zéro absolu. Que de manipulations et de cynisme alors que l'Europe sortait d'un bain de sang doublé d'un crime contre l'humanité !

Mais alors, quelle écriture ! Je l'ai trouvée tellement belle, d'une intelligence rare, jubilatoire même, avec des pensées et une réflexion sur la vie tellement profondes !
Par contre, il y a des mots allemands tellement longs, avec tellement de consonnes que c'est un véritable casse-tête d'essayer de les lire à voix haute .
En tout cas, ce roman - qui raconte plusieurs décennies dont les années les plus terribles de l'Histoire et qui nous fait voyager de Lettonie jusqu'en Israël - a été un vrai coup de cœur même si certains passages étaient trop imprégnés de politique pour moi et bien qu'il y ait une sordide accumulation de duplicité qui va crescendo jusqu'au point final.
Par ailleurs il est foisonnant de détails et d'enseignements. Ce que raconte ce livre est énorme !!!


 

 

Citations :

 

Page 17 : Selon lui, il vaudrait mieux que chacun soit nommé en fonction de ses traits de caractère prédominants, comme en Papouasie-Nouvelle-Guinée où, au cours d'une vie, on prend trois ou quatre noms – voire plus – qui peuvent être contradictoires.

 

Page 23 : Un manchot et un homme avec une balle dans la tête. À nous deux, nous comptons plus de cent trente ans, nous avons quatre jambes, trois bras et une femme.

 

Page 79 : Encore aujourd'hui je ne comprends pas. Jusqu'à cette année dix-neuf trente et un, aucun de nous n'avait jamais entendu le nom d'Adolf Hitler. Mais Erhard nous parlait de lui comme si c'était le roi Arthur et, par la suite, je fus quelque peu étonné de découvrir que, loin d'être une altesse royale, le Führer était un mélange de King Kong et de Charlot, qui sont par ailleurs tous deux interprétés par des acteurs que j'apprécie beaucoup.

 

Page 86 : C'est une femme, et jolie avec ça. Elle n'a pas besoin de faire des études.

 

Page 129 : Notre travail au service de sécurité du Mouvement portait donc ses fruits. Loin d'être goûteux, ces derniers avaient souvent l’âcreté de la strychnine, car ce n'était pas une partie de plaisir que d'amputer les gens, de les espionner, de surveiller leurs habitudes et de lister leurs animosités, surtout quand c'était après nous qu'ils en avaient.

 

Page 143 : Ev éclata de rire, son cœur était d'une telle blancheur. Entre ce blanc et l'arc-en-ciel de Mary-Lou, je voulais rester à jamais le bon à rien, le fainéant, l'incapable pour lequel mon frère me prenait. C'était un paradis chimérique, des couleurs qui s'autocélébraient en silence, que je voulais retenir à tout prix mais qui, devant le chevalet, me filaient entre les doigts comme ma propre vie.

 

Page 209 : Rien n'était assez absurde pour être impossible. Tout visiteur était un assassin potentiel. Toute amitié était intéressée. Un comportement sans arrière-pensées était considéré comme saugrenu. Un rapport sexuel sans arrière-pensées comme du pur gâchis.

 

Page 235 : Tous les SS-Führer que je fréquentais à l'époque vivaient dans des intérieurs pillés avec amour. On possédait des chambres complètes en chêne galiléen et y dormait à poings fermés – un vrai bonheur. Certains Sturmbannfürer affirmaient qu'après ces expériences revigorantes ils ne pourraient plus jamais vivre au milieu de meubles leur appartenant.

 

Page 318 : Une vie humaine ne comptait pas pour grand-chose, et la vie humaine d'un Russe était une vie russe, autant dire rien.

 

Page 356 : Pourquoi l'homme aime-t-il ? Pourquoi l'homme aime-t-il alors que tout amour est voué à dépérir ? Pourquoi le désert qu'est notre âme est-il égayé par de petits oliviers verts qui succombent aux tempêtes de sable mais finissent toujours par croître de nouveau ? Oui, pourquoi l'homme aime-t-il ?

 

Page 624 : Pourquoi tout le monde (à part les agents secrets, évidemment) croit-il que l'honnêteté est toujours récompensée ? L'honnêteté ne rapporte jamais rien, à moins qu'il ne s'agisse d'une ruse.

 

Page 636 : Et pourtant, sous ce manteau de temps était encore cachée la jolie petite fille qui jadis avait joyeusement fait son trou dans ma vie, et je n'aurais pas été étonné de la voir le jeter dans les airs, ce manteau, avec l'aplomb qui était le sien, tadam !

 

Page 755 : - Felfe ! Cracha Gelhen. Quel dommage qu'on ne puisse pas l'arroser d'essence et lui mettre le feu. C'est un inconvénient majeur du système démocratique.

 

Page 787 : L'homme est faible, un bouchon de liège dans le courant. Au bout du compte, il ne s'agit que de tomber sur la bonne vague.

 

 

 

 

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