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Mon avis : Un livre de martyrs américains Joyce Carol Oates

Publié le par Fanfan Do

Quatrième de couverture :

2 novembre 1999. Luther Dunphy prend la route du Centre des femmes d’une petite ville de l’Ohio et, se sentant investi de la mission de soldat de Dieu, tire à bout portant sur le Dr Augustus Voorhees, l’un des « médecins avorteurs » du centre.


De façon éblouissante, Joyce Carol Oates dévoile les mécanismes qui ont mené à cet acte meurtrier. Luther Dunphy est à la fois un père rongé par la culpabilité car responsable de l’accident qui a causé la mort d’une de ses filles, et un mari démuni face à la dépression de sa femme. Pour ne pas sombrer, il se raccroche à son église où il fait la rencontre décisive du professeur Wohlman, activiste anti-avortement chez qui il croit entendre la voix de Dieu. Comme un sens enfin donné à sa vie, il se sent lui aussi chargé de défendre les enfants à naître, peu importe le prix à payer.

Dans un camp comme dans l’autre, chacun est convaincu du bien-fondé de ses actions. Mené par des idéaux humanistes, Augustus Voorhees, le docteur assassiné, a consacré sa vie entière à la défense du droit des femmes à disposer de leur corps. Les morts de Luther et d’Augustus laissent derrière eux femmes et enfants, en première ligne du virulent débat américain sur l’avortement. En particulier les filles des deux hommes, Naomi Voorhees et Dawn Dunphy, obsédées par la mémoire de leurs pères.

La puissance de ce livre réside dans l’humanité que l’auteure confère à chacun des personnages, qu’ils soient « pro-vie » ou « pro-choix ». Sans jamais prendre position, elle rend compte d’une réalité trop complexe pour reposer sur des oppositions binaires. Le lecteur est ainsi mis à l’épreuve car confronté à la question principale : entre les foetus avortés, les médecins assassinés ou les « soldats de Dieu » condamnés à la peine capitale, qui sont les véritables martyrs américains ?

Joyce Carol Oates offre le portrait acéré et remarquable d’une société ébranlée dans ses valeurs profondes face à l’avortement, sujet d’une brûlante actualité qui déchire avec violence le peuple américain.

 

Mon avis :

Depuis toujours je me demande comment on peut justifier de tuer quelqu'un parce qu'on défend la vie... Maintenant je sais, mais je ne comprends toujours pas. Ça n'a aucun sens pour moi, comme la peine de mort. En somme on te dit "Tu as tué, tuer c'est mal, alors on va devoir te tuer pour te punir". C'est un non sens...

Dès les premières pages j'ai ressenti une sorte de fascination pour cette histoire et pour Luther Dunphy, cet être totalement ambigu et retors qui se cache derrière sa piété, qui se gargarise de sa charité chrétienne alors qu'il est quelqu'un d'assez vil.

Et il y a Gus Voorhees, le médecin avorteur, l'humaniste, celui qui donne tout à la cause des femmes.

Au bout de tout ça, il y a l'intégrisme chrétien, qui tue pour sauver des vies, au nom de dieu. 

On se croirait en plein moyen-âge. 

 

Les situations, les sentiments des uns et des autres, tout est décortiqué, analysé et disséqué , et c'est parfois très long... c'est malheureusement ce qui m'a fait décrocher bien souvent, où je me rendais compte que mes yeux lisaient mais que mon esprit vagabondait très loin de l'histoire, m'obligeant à revenir régulièrement en arrière.

C'est pourtant nécessaire pour nous faire ressentir la lente déliquescence des deux familles après le drame.

Puis à partir du milieu du livre, j'ai commencé à être vraiment captivée. L'histoire prend une tournure un peu plus dynamique, on est dans la vie des personnages pendant et après le jugement. On entre plus profondément dans les motivations des intégristes.

On suit parallèlement les deux familles, et plus précisément les vies des deux filles, Dawn Dunphy la fille de l'assassin fou de Dieu, et Naomi Voorhees la fille du médecin humaniste et féministe assassiné. On les voit dans la lente progression vers l'âge adulte, chacune avec sa blessure qui semble inguérissable, et les liens familiaux devenus délétères où tout le monde a démissionné.

Évidemment Joyce Carol Oates ne prend pas partie, elle nous raconte cette histoire qui est un véritable phénomène de société en Amérique, à savoir que les médecins pratiquant des avortements reçoivent sans arrêt des menaces de morts par des intégristes et que certains finissent par être assassinés, et évidemment ça remue beaucoup de choses chez le lecteur.

Il est question dans ce roman d'humanisme et d'obscurantisme, de libres-penseurs et d'intégristes religieux, de droit des femmes et de culte intransigeant, de deuil et de reconstruction... en tout cas d'une société où la religion est omniprésente.

Par certains aspects cette histoire m'a rappelé Le chardonneret de Dona Tartt. Sans doute parce que dans les deux histoires il est question d'adolescents confrontés à la mort violente d'un de leur parents, livrés à eux-mêmes et de leur long chemin laborieux vers l'âge adulte.

Ce roman me restera longtemps en tête, c'est une certitude, tant il m'a bouleversée, questionnée, sidérée et tant c'est déconcertant ce genre de situations au XXIème siècle dans un pays qui se prétend "la plus grande nation du monde".


Citations :

Page 32 : Peu importe que la grossesse d'une femme soit due à un viol, un inceste ou une autre circonstance atténuante.

 

Page 114 : On nous disait que l'église missionnaire de Saint Paul et d'autres églises évangélistes à travers tous les États-Unis étaient unies dans leur opposition à ce qu'on appelait l'avortement à la demande, comme elles étaient unies dans leur opposition au socialisme, au communisme, à l'athéisme et à l'homosexualité.

 

Page 148 : « Il ne peut y avoir de démocratie quand un sexe est enchaîné à son ''destin biologique''' »...

 

Page 169 : De sa voix de papa sérieux, Papa dit :

« Une enfant adoptée est une enfant choisie. Une enfant adoptée est une enfant particulièrement désirée.Une enfant adoptée a deux séries de parents et est doublement au monde.

 

Page 224 : Dans leur religion (pour autant qu'il la comprenne) il importait peu qu'une grossesse résulte d'un viol ou d'un inceste, l'avortement était contre la loi divine.L'avortement était un péché, un crime et une honte parce que c'était le « massacre d'innocents ».

 

Page 282 : Ignore tout cela, Darren. On trouve beaucoup de saletés dans les journaux, et beaucoup de saletés dans le monde, contre lesquelles on ne peut rien. Mais on peut vivre sa vie sans avoir à savoir.

 

Page 309 : Pour eux, elle était la femme d'un « tueur d'enfants » : c'était son identité. Elle aurait voulu les interpeller, les prendre à partie : Vous êtes de dangereux fanatiques, des extrémistes religieux ! Votre Dieu vengeur n'existe pas, on vous a lavé le cerveau, vous êtes absurdes.

 

Page 508 : Leur foi fait d'eux des monstres.

 

Page 596 : Avoir une longue période de temps devant moi pour pleurer mon fils m'était insupportable, car je ne pouvais penser à Gus sans être précipitée dans un infini qui n'aurait jamais eu de terme.

 

Page 637 : Mais Gus s'entêtait : Les femmes doivent décider par elles-mêmes. Leur corps leur appartient. Il est obscène qu'un homme – quel qu'il soit – se mêle de dire à une femme ce qu'elle doit faire de son corps, lui impose un accouchement quand elle n'est pas prête. Ou quand elle ne le sera jamais.

 

Page 821 : Une fois de plus, Naomi pensa à tout ce que son père manquait du fait de sa mort.

 

Page 821 :  Si les morts pouvaient revenir à la vie, ils se réjouiraient de cette ''vie'' , quelle qu'elle ait été. Ils ne feraient pas la fine bouche. Ils ne seraient pas ironiques. Par conséquent, nous qui sommes en vie ferions bien de nous réjouir à leur place.

 

Page 822 : Elle savait combien Gus s'était moqué des ouvrages de ''sagesse'' – les textes sacrés des grandes religions, apologies de l'oppression, de l'ignorance, de la superstition, du pacifisme face à la tyrannie politique. Sans parler de l'asservissement et du mauvais traitement des femmes. Aucune ''sagesse'' ne mérite autant d'ignorance, avait dit Gus. Une ignorance qui avait pour furoncle la haine de la science.

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