Mon avis : Le seigneur des porcheries – Tristan Egolf
Traduit de l’américain par Rémy Lambrechts
Éditions Folio
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Quatrième de couverture :
Ce premier roman singulier commence avec la mort d'un mammouth à l'ère glaciaire et finit par une burlesque chasse au porc lors d'un enterrement dans le Midwest d'aujourd'hui. Entre-temps, on aura assisté à deux inondations, à quatorze bagarres, à trois incendies criminels, à une émeute dans une mairie, à une tornade dévastatrice et à l'invasion de méthodistes déchaînés ; on aura suivi la révolte d'une équipe d'éboueurs et vu comment un match de basket se transforme en cataclysme.
Tout se passe dans la petite ville de Baker, sinistre bourgade du Midwest ravagée par l'inceste, l'alcoolisme, la violence aveugle, le racisme et la bigoterie. Au centre des événements, John Kaltenbrunner, un enfant du pays, en butte à toutes les vexations, animé par une juste rancoeur. Comment John se vengera-t-il de la communauté qui l'a exclu ? Jusqu'où des années de désespoir silencieux peuvent-elles conduire un être en apparence raisonnable ?
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Mon avis :
Les quelques premières pages m'ont laissée un peu perplexe tant je ne comprenais pas ce que je lisais. Il était question de citrons de l'usine de volailles, du Coupe-Gorge, de trolls et autres rats d'usine, tout ça fourré dans le panier à salade !? Quelle étrange entrée en matière !
En réalité ce roman nous raconte l'histoire de John Kaltenbrunner, fils de feu Ford Kaltenbrunner, ce père qu'il n'a pas connu et qui lui fait de l'ombre par-delà le trépas.
John s'avère être une sorte de petit génie rustique à huit ans à peine, que certains pensent détraqué - "Une merveille phénoménologique au sens le plus strict". Et en même temps il est une sorte de victime. Il sert d'exutoire à la frustration de tous les minables du coin, et ils sont légion. Ça va des représentants de l'ordre jusqu'aux grenouilles de bénitier en passants par toutes les strates de cette société rurale.
C'est rapidement la "fête" de l'Amérique du créationnisme, quelques piques envoyées au crétinisme ambiant, c'est tout simplement jubilatoire. Des phrases ciselées, une ironie mordante, un pur plaisir !
Cette histoire nous raconte l'Amérique profonde qui a supplanté les autochtones, pour le plus grand malheur de la nature et de tout ce qui vit en général. Implantation de l'homme blanc et des industries mortifères, saccage de la faune et de la flore, alcoolisme et éradication des premières nations. C'est tellement bien résumé qu'on se demande comment c'est possible d'être aussi con ! Car la façon dont l'auteur nous raconte les choses met une chose en évidence : la bêtise humaine est sans limite.
Tristan Egolf semble avoir eu un gros contentieux avec ses semblables, beaucoup de comptes à régler avec l'ignominie dont les humains sont capables. À chaque page il taille un costard à cette Amérique à la noix, à ces hypocrites qui vont à l'office du dimanche et bavent tant et plus sur leur prochain, jusqu'à l'humiliation, jusqu'à l'anéantissement. Car s'il est vrai que notre héros est un vrai malchanceux, cela tient beaucoup à la perfidie dont sont capables nombre de gens. Et pourtant, c'est par moments d'une drôlerie absolue. Quel talent il faut pour rendre drôle quelque chose d'aussi effroyable. C'est sans doute parce que l'humour permet de transcender la douleur. Cette histoire est un feu d'artifice, avec de nombreux moments complètement délirants, totalement hilarants.
Un art consommé de l'insulte, absolument ébouriffant "Il traita Dennis de junkie en phase terminale et de suicidaire avorté. Il traita Curtis de bâtard, Murphy de taulard, Wilbur de célibataire à marier le plus laid de la ville. le reste d'entre nous étaient des pédés à la Niche et une cinquième colonne de youpins inféodés aux Japs." Et ça, ce n'est qu'un échantillon...
J'ai été passionnée de bout en bout par l'histoire de John Kaltenbrunner, ce génie méconnu de ses contemporains, dans son bled paumé où on a l'impression que c'est la raison du plus fou qui prime.
Même dans les moments tragiques, l'auteur m'a arraché des éclats de rire.
C'est un roman totalement fascinant, cruel et tellement drôle à la fois. Ce roman, c'est la douloureuse odyssée flamboyante semée d'embûches de John Kaltenbrunner dans un coin paumé des États-Unis, entre les bigotes, les ivrognes en tout genre, le racisme à tous les niveaux, envers les immigrés ou les différentes classes sociales, et les petits détenteurs d'un tout petit pouvoir quelconque.
Et alors, quelle écriture !!! Tout simplement sublime, précise, parfaite. Jusqu'au point final. Et dire que j'ai rencontré ce roman par hasard, chez Emmaüs. Ce qui m'a attirée !? le titre, le contexte et l'Amérique profonde. Quelle belle rencontre !
Citations :
Page 18 : Il ne disait peut-être pas grand-chose à quiconque en ville, mais pour ses condisciples, pour ceux qui le supportaient quotidiennement, il était le célèbre petit Kaltenbrunner, le gosse de la salle 29, le dingue au tracteur, le fasciste de l’étable, le chevrier troglodyte du nord de la rivière — celui qui n’adressait quasiment jamais la parole à personne mais parvenait néanmoins immanquablement à hérisser, révolter et terrifier à peu prés tous les êtres vivants avec lesquels il entrait en contact.
Page 60 : Comme il l’affirma plus tard, elle était dans tous ses états, se répandait en paroles incohérentes sur la santé de son fils et implorait l’aide de son interlocuteur. Il essaya de la calmer en commençant par abonder dans son sens, disant que oui, bien sûr, il fallait avouer qu’effectivement son fils était un sacré numéro. Très franchement, il était le truc le plus insensé qu’aucun d’eux ait jamais rencontré. Une merveille phénoménologique au sens le plus strict.
Page 75 : Pour John, Brendan Fisher était une tache inqualifiable sur la face de la terre. Il n’y avait pas de place dans le règne animal pour une telle engeance. Il était indigne des ressources qu’il consommait.
Page 218 : À l’heure de sa première pause déjeuner, il avait coupé, à lui seul, trois mille cous. Bien qu’il eût déjoué tous les paris faits sur la brièveté de sa résistance, il n’en avait pas moins été saisi de haut-le-cœur incontrôlables après sa première heure et demie sur la chaîne.
Page 297 : Comme bon nombre d’aberrations provinciales, les confessions sur lit de mort de la Corn Belt, au même titre que les repas livrés à domicile aux impotents et les ventes de charité de Baker, sont fréquemment le produit d’une crainte des flammes de l’enfer nourrie par l’âge. Une terreur croissante d’être plongé dans le lac de feu après une vie entière de dépravation impénitente pousse le péquenaud à une affolante et interminable litanie d’aveux dès l’instant où il tombe malade.
Page 338 : Pour six d’entre nous la nuit se termina raide mort dans notre pick-up, trop ravagé pour conduire. Et le lendemain matin, une gueule de bois annonçant l’arrivée des Vikings.
Page 348 : Il traita Dennis de junkie en phase terminale et de suicidaire avorté. Il traita Curtis de bâtard, Murphy de taulard, Wilbur de célibataire à marier le plus laid de la ville. le reste d'entre nous étaient des pédés à la Niche et une cinquième colonne de youpins inféodés aux Japs.
Page 564 : Tel fut le dernier instantané de la soirée avant que tout n’explose : Pottville et Baker, deux communautés voisines qui s’enorgueillissaient de leur fair-play supposé, de leur charité, de leur sens des réalités et de leur soucis du prochain, se montraient sous leur vrai jour — une foule hystérique de singes nus et misanthropes.