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Mon avis : 1629 ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta, tome 1 : L’apothicaire du Diable – Xavier Dorison – Thimothée Montaigne – Clara Tessier

Publié le par Fanfan Do

Éditions Glénat

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Seuls les désespérés prennent le risque de s’embarquer sur le Jakarta.

 

À son bord, un équipage issu des bas-fonds d’Amsterdam et assez d’or et de diamants pour exciter les plus folles convoitises.

 

Un baril de poudre sur un enfer flottant.

 

Invitée improbable dans cette traversée vers le cauchemar, Lucrétia Hans devient la seule à pouvoir empêcher Jéronimus Cornélius, apothicaire hérétique et ruiné, d’allumer la mèche…

Bon voyage.

 


Mon avis :
Il nous est précisé en préambule de cet ouvrage que, bien que largement inspiré de faits réels, cette histoire reste une adaptation.
De plus, les auteurs ont choisi de franciser les noms néerlandais de certains personnages, et là j'ai trouvé ça dommage. Je pense que les noms doivent être conservés tels quels. Mais peut-être que cette lecture allait me faire changer d'avis...

Amsterdam 1628. le Jakarta, navire Hollandais, doit appareiller au plus tôt pour Java, avant la tempête qui est en train de se lever. Lucrétia Hans doit embarquer pour rejoindre son tyran de mari, car quand on est l'épouse d'un tyran, on lui obéit pour avoir la paix. Mais les navires traînent de sombres réputations, car ils mènent vers les enfers.
Dès l'embarquement, avant même le départ ça sent de danger à plein nez.

Autant le dire, dès le début cette histoire est envoûtante. de par ses dessins mais aussi les textes. Les passagers de ce navire sont un patchwork de la société de l'époque, qui va du pire au pire. le pire de la racaille, au pire de la dépravation, au pire des nantis qui ne sont pas nécessairement les moins vils. Tous ont leurs raisons d'être là. Pour certains c'est leur moyen de subsistance, d'autres n'ont pas le choix, d'autres encore rêvent d'honneurs et de fortune, et peut-être qu'il y en a qui rêvent de liberté...

Cette histoire fait état de la brutale réalité des traversées de l'époque. C'est sauvage et cruel voire monstrueux. Et un degré en dessous, sale et pestilentiel. Il y a ceux qui craignent Dieu et ceux qui craignent bien plus les hommes. Il y a la cruauté du commandement, la soumission de l'équipage, jusqu'au jour où...

J'ai aimé l'histoire, j'ai aimé les dessins, j'ai aimé les textes, j'ai aimé la diversité des personnages, j'ai aimé l'ambiance crépusculaire, et je n'ai pas le moins du monde été dérangée par les noms francisés car je ne m'en suis pas rendu compte.
Et j'ai une énorme frustration, c'est que je n'ai pas la suite, le tome 2. Mais il vient de sortir, donc... SUS À LA LIBRAIRIE !!!

 

Citations :

Page 3 : « L’EXTINCTION DE L’ÂME »…

Avec des termes pareils, il en faudrait peu pour que ce phénomène décrit par Philippe Zimbardo, professeur de psychologie à Stanford, nous fasse sourire ou nous renvoie au registre poétique. Il s’agit malheureusement d’un mécanisme mental aussi réel qu’effrayant. De la Saint-Barthélemy au génocide arménien, en passant par le massacre des Tutsi, la Shoah ou les sévices commis sur les prisonniers d’Abu Ghraib, Zimbardo décèle un effrayant fil conducteur d’enchaînements et de situations qui conduisent tous à la même horreur : l’arrêt complet de l’empathie d’un groupe d’humains associés à la suspension de leur jugement moral avec pour conséquences immédiates : sadisme et massacres.


 

Page 18 : Madame… Ces navires mènent plus vers les enfers que vers les indes ! Il n’y a pas un marin sur deux qui en revient ! Les pires vermines d’Amsterdam préfèrent le cachot à un séjour sur ces cimetières flottants ! Je vous en supplie… Seuls les désespérés embarquent sous les voiles de la VOC.


 

Page 37 : … Nous transportons les pires canailles qui soient…

Déserteurs français, mercenaires allemands, assassins de Monnickendam… rien ne manque. Ce n’est pas un équipage…

C’est une cargaison de poudre…


 

Page 42 : Ma chère, épargnons-nous les mensonges de la plèbe, voulez-vous. Soit votre Dieu existe et il a fait un monde où meurent les nouveau-nés et où les justes sont crucifiés. Nous devons alors voir la vérité en face : il se moque de nous.

Soit votre Dieu n’existe pas et là, je ne vois aucune raison de lui obéir.

 

 

 

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Mon avis : Âpre cœur – Jenny Zhang

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’anglais par Santiago Artozqui

 

Éditions Picquier

 

Mon avis sur Insta c'est ici

 

Quatrième de couverture :

Elles ont 7 ou 9 ans à New York. Elles s’appellent Christina, Lucy, Frangie ou Annie… Elles partagent des lits à punaises et des parents chinois qui luttent chaque jour pour les nourrir, leur payer l’école et les faire grandir dans le rêve américain. C’est leurs voix qui nous parlent, spontanées, crues, bouleversantes, elles racontent une enfance dans les marges, le racisme et la violence quotidienne, et l’amour immense des parents qui les protège et les étouffe.
C’est ainsi qu’elles apprennent à sortir de l’enfance avec une audace et une soif de vivre qui éclatent à chaque page.
Des gamines inoubliables qui font valser les clichés de la littérature d’immigration, dans ce premier roman d’une énergie folle qui laisse le lecteur étourdi.

 

« Laissez tomber tout ce que vous êtes en train de lire, il n’y a qu’un seul livre, et c’est celui-ci. » The Times

 


Mon avis :
L'histoire commence de façon très crue et déprimante. Une famille chinoise immigrée à New York vit dans un taudis qu'elle partage avec les cafards. Pas de toilettes dans le logement, il faut traverser la rue pour aller à la station en face ou c'est sale, malodorant et souvent bouché. Cette famille déménage souvent, de taudis en taudis.
Par soucis d'intégration, les parents donnent à leur enfants des prénoms occidentaux à utiliser à la place de leurs prénoms chinois.

Christina, qui trouve que le hamburger est le repas le plus fantastique au monde, nous raconte, du haut de ses sept ans, son Amérique, celle des immigrés, avec humour et une intelligence rare mais aussi avec un langage fleuri.
Puis c'est le tour de Lucy, terriblement sexualisée et narcissique alors qu'elle est encore une enfant. Sa famille à elle est généreuse et accueillante envers les asiatiques sans le sous qui arrivent en Amérique et ça l'insupporte. Elle se sent flouée de tout.
Frangie elle, ne raconte rien. C'est une victime...
Puis Annie nous fait faire un tour dans l'enfance de ses parents à Shanghai en 1966 où les descriptions qui nous sont données de la Chine font froid dans le dos, avant de revenir en 1996 avec la difficile adaptation à la vie américaine.
Et Jenny quinze ans, qui fait partie de ceux dont les parents ont réussi à grimper l'échelle sociale.
Mande qui prie Dieu pendant que ses parents athées se disputent, et qui trouve que sa vie est difficile parce que tout le monde l'embête.
Stacey et sa Nainai (grand-mère) à l'amour étouffant et vampirique.
Puis retour sur Xiao ning ning de son nom chinois…
Je leur ai, à toutes, trouvé des personnalités surprenantes, fortes, parfois caractérielles, avec un sens du détail acéré.
Ce qui m'a perdue un moment, c'est le changement de personnage au deuxième chapitre car rien ne l'indique au début. En fait, chaque chapitre donne la parole à une nouvelle fille.

Une narration particulière, des dialogues parfois étranges, des pensées encore plus, "Alors je la laissais ressasser à quel point j'aimais mon oncle, plus encore que manger des nouilles au beau milieu de la nuit, ce qui était la chose que je préférais faire.", font de ce roman quelque chose de spécial et souvent attendrissant. Car malgré les difficultés, le chagrin, la peur et les humiliations, il y a dans ce roman beaucoup d'amour. Et aussi des moments drôles qui m'ont bien fait rire.

Le point commun entre toutes ces gamines, outre le fait qu'elles viennent toutes de Chine, ou nées sur le sol américain de parents chinois, c'est qu'elles ont toutes l'air d'être un peu tordues. En réalité ce ne sont que des petites filles en souffrance, essentiellement liée à leur parents. Les pères ne sont pas à la hauteur des ambitions qu'ils avaient envisagées, voire promises, car de par leurs origines ils se heurtent systématiquement à un plafond de verre, et les mères geignardes ne cessent de déverser leur misère de vivre sur leurs filles et provoquent parfois sciemment des conflits de loyauté, par égoïsme. Mais sans doute que pour ces familles, quitter leur pays pour les États-Unis est un bouleversement terriblement violent. Ils ne rencontrent que le mépris, la honte, et la misère alors comment porter ses enfants quand on n'en peut plus soi-même ? Deux cultures aux antipodes l'une de l'autre, dans lesquelles le roman nous immerge vraiment. Une histoire qui nous dit, un temps, que le rêve américain est au mieux une utopie, au pire un mensonge. Mais cette histoire nous parle aussi tellement puissamment de ces gens venus d'ailleurs et qui ont, enfants ou adultes, un tel besoin d'amour, un tel besoin de reconnaissance, un tel besoin d'être vus, de se sentir exister dans le regard et les actes des autres. J'ai trouvé tant de beauté dans ce que nous raconte là 
Jenny Zhang, notamment sur la famille.
C'est un roman sans concession mais qui force l'admiration. Il nous parle de culture chinoise et d'immigration, de nomadisme et d'adaptation. Je l'ai adoré ! jusqu'aux remerciements, tellement touchants.

 

Citations :

Page 19 : Le pire, c’était quand j’avais cinq ans et qu’on habitait à Washington Heights dans une chambre qu’on partageait avec d’autres familles et où il y avait tellement de matelas qu’on ne voyait plus le sol, et ma peau me grattait comme s’il y avait des petites fourmis armées de brindilles enflammées qui faisaient la roue et des triples saltos partout sur mon corps. Tout le monde disait que c’était normal de vivre ,l’enfer lors de sa première année en Amérique, mais personne ne nous avait prévenu pour la deuxième.

 

Page 52 : Je l’ai laissée me soulever, même si j’étais trop grande et qu’elle était trop maigre, parce que je savais à quel point ces moments étaient brefs et le seraient toujours, et si j’avais encore une chance d’être dans les bras de ma mère, je n’allais pas la laisser passer, je ne la laisserais jamais passer.

 

Page 55 : Même si je ne connaissais qu’un seul garçon plus petit que lui, je voulais que Jason, qu’on surnommais Crevette Man ou parfois Petite Crevette, devienne mon petit ami, et c’était la chose la plus facile du monde. Tout ce que j’avais à faire, c’était rien, parce que j’incarnais, j’irradiais et j’exsudais une beauté ahurissante qui faisait perdre l’esprit, tourner la tête, tendre le cou et battre le cœur. J’étais la plus belle fille de CM1.

 

Page 63 : Pendant l’interminable été au cours duquel Frangie était ma « cousine », avant le début du CM1, mon frère faisait bouillir des raviolis chinois surgelés que mes parents stockaient dans le congélateur, ou il nous réchauffait des pizzas au micro-ondes, ou, quand il était de bonne humeur, il préparait une omelette ou des nouilles sautées sur lesquelles il cassait un œuf quand le bouillon était bouillant, tandis que Frangie et moi on regardait des séries où un mot sur deux était « bip, espèce de bip bip bip, je vais bip sur ton bip de trou, tu mérites qu’on te bip tellement fort que je devrais te bip tout de suite, et bip, n’essaie pas de m’empêcher de te bip, parce que je vais te bip ton bip bip bip de cerveau à l’envers. Alors bip, suce ma bip comme tu aurais dû le faire dès le début, espèce de bip de bip de merde. »

 

Page 82 : Alors il valait mieux la laisser tranquille, même si ça voulait dire que je devais rester toute seule sans lui dire qu’elle me manquait, parce que ça la stressait de le savoir. Ne comprenions-nous pas que l’unique raison pour laquelle mon frère et moi et tous les gens dans cette maison n’étaient pas déjà morts, c’était parce qu’elle, elle toute seule, portait notre fardeau sur ses épaules ?

 

Page 115 : Ta mère était un génie. Et alors ? Pour quoi ? Pour que ton père et moi, on vienne aux États-Unis parce qu’on lui avait proposé une bourse d’études ? Pour qu’on se rende compte qu’une bourse d’études, ce n’était rien ? Rien. Il n’y a pas d’artistes chinois aux États-Unis, tu le savais ça, Annie ? C’est comme un humain qui dirait qu’il veut voler avec les faucons. Tu ne peux pas ! Tu n’es pas de la bonne espèce. Alors ton père a échoué. Il n’avait aucune chance et il a échoué. Et on a dû vivre comme des animaux, entassés dans une pièce avec cinq matelas par terre.

 

Page 116 : J’étais censée continuer à faire des films, mais je n’étais pas née à la bonne époque. Tu sais ce qui est arrivé à tous les gens géniaux avec qui j’ai grandi ? Ils sont allés en prison. Ils ont été torturés. Ils ont été condamnés aux travaux forcés et ils ont travaillé jusqu’à la mort. Littéralement jusqu’à en mourir. Tu as déjà vu quelqu’un littéralement tomber raide mort de fatigue ? Tu as déjà vu quelqu’un pleurer à mort ? Littéralement pleurer… à… mort ! Ces gens s’ôtaient la vie pour couper court à leurs malheurs. Ces gens, ils étaient escamotés.

 

Page 165 : À présent, ma mère commençait et finissait la journée avec une chanson, le micro dans le creux de la main, qu’il soit branché ou non, en nous donnant la sérénade avec des chansons de sa chanteuse préférée, Teresa Teng, la pop star taïwanaise angélique qui avait été l’amante de Jackie Chan l’espace d’une minute vers la fin des années soixante-dix.

 

Page 173 : C’était ma mère qui l’avait bordé dans son lit et qui lui avait dit qu’il existe une sorte d’amour dans le monde qui ne survit que lorsque personne n’en parle, et que c’était pour cette raison qu’il n’avait pas besoin de s’inquiéter, parce que ma grand-mère ne serait jamais le genre de mère qui prend ses enfants dans ses bras pour leur dire à quel point ils sont magnifiques, intelligents et talentueux. Elle les réprimanderait toujours, elle les ferait se sentir inférieurs, elle leur montrerait que ce monde n’allait pas être tendre avec eux. Elle ne laisserait personne faire souffrir ses enfants ou les effrayer mieux qu’elle, et pour elle, c’était une forme de protection.

 

Page 190 : La seule chose qu’on ne mettait jamais sur le tapis, c’était l’argent, comment j’avais convaincu mes parents de dépenser presque six mois de salaire pour m ‘envoyer en Californie, couvrir les frais d’inscription, de gîte et de couvert, comment je leur avais vendu la nécessité de tout ceci. Je ne pensais au fait que le premier véritable voyage de l’un et l’autre avait eu lieu quand ils avaient quitté Shanghai pour les États-Unis, avec rien de plus en poche que huit œufs durs, cinquante dollars que les services de douane leur avaient confisqués à leur arrivée et une valise pleine de casseroles, de poêles et qui contenait même un balai cassé, de peur de ne pas trouver ces choses-là en Amérique, ou de ne pas pouvoir se les payer. Et de toute façon, ce voyage ne faisait pas d’eux des voyageurs, du moins pas à la façon dont les gens que j’avais rencontrés à Stanford considéraient les voyages ; il faisait d’eux des immigrants, des assistés.

 

Page 248 : J’aurais voulu apprendre à parler la prière bien plus rapidement que j’avais appris à parler l’anglais, mais putain, qu’est-ce que c’était dur ! C’était comme la fois où j’avais décidé de chercher dans le dictionnaire chaque mot que je ne connaissais pas dans Le secret de Terabithia, ce qui incluait des mots comme « copyright », « réservé », « marque déposée », et « dédicace » avant même d’avoir commencé à tourner la première page numérotée. Au bout d’une heure, je n’avais lu que deux pages sur les trente qu’on nous avait données, et j’étais presque inconsolable. À force de faire des allers-retours entre le livre et le dictionnaire, je voyais flou, et le pire, c’était quand la définition du mot contenait des mots dont je devais regarder la définition. Pour comprendre la définition de « mépris », j’avais dû regarder ,celle de « dédain », « morgue », « arrogance », « dégoût », « dérision » et « superbe » — pratiquement chaque mot à part les articles, et dans chacune de ces définitions, il y avait d’autres mots dont je devais regarder la définition, et ainsi de suite, jusqu’à ce que je les ai toutes regardées, et à ce moment-là, il fallait retracer la signification des mots en sens inverse jusqu’à la première définition où je les avais trouvés. Le temps de remonter jusqu’à « mépris », j’étais tellement embrouillée que j’ai dû passer au mot suivant sans avoir compris ce que ça voulait dire.

 

Page 301 : J’étais en primaire, et ma puberté pathétique a frappé comme un éclair au milieu de la nuit — subitement, je voyais mon environnement tel qu’il était : hideux et menaçant. Je n’avais ni amis ni vie sociale ni centres d’intérêt ni talent ni poitrine ni dents bien alignées ni capital sympathie ni vêtements normaux ni charme et, chaque jour, je rentrais à la maison lestée du poids de mes peurs.

 

Page 341 : — Bizarre. Je ne comprends pas comment ça marche, le feng shui.

C’est du simple bon sens, a dit mon père. Ça consiste à faire attention à son environnement. C’est comme un don pour la paresse qu’ont les Américains. Personne ne leur a appris à tirer au flanc à leur travail. Personne ne leur a appris à se débrouiller pour faire le moins de boulot possible, et pourtant, ils sont les meilleurs du monde à ce petit jeu-là. Ils ont ça dans le sang. Pour nous, faire attention au feng shui, c’est pareil. C’est inné.

 

 

 

 

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Mon avis : Fuck America – Edgar Hilsenrath

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’allemand par Jörg Stickan

 

Éditions Points

 

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Quatrième de couverture :

Tout juste débarqué aux États-Unis, Jakob Bronsky erre dans le New York miteux des années 1950, parmi les clodos et les putes. L’American Way of Life ? Comprend pas. Le rêve américain ? Encore moins. Enchaînant les jobs minables, Jakob Bronsky n’a que deux obsessions : soulager son sexe et écrire un roman sur son expérience des ghettos juifs. Un futur best-seller à coup sûr !

 

Né à Leipzig en 1926, Edgar Hilsenrath a connu les ghettos pendant la guerre, avant de s’exiler à New York. Ses livres connaissent d’abord le succès aux États-Unis, avant de devenir des best-sellers en Allemagne.

 

« Situations loufoques. Dialogues déjantés. Et humour vache à faire palir les bien-pensants. Un ovni littéraire doué de malin plaisir, qui bouscule la narration et les idées convenues . »

Télérama

 

 

Mon avis :
L'histoire commence par des échanges épistolaires entre Nathan Bronsky juif allemand et le Consul Général des États-Unis d'Amérique. On est en 1939 et le premier demande au second des visas d'immigration pour quitter l'Allemagne afin d'échapper aux nazis. Mais voilà, l'Amérique a un système de quotas et tous les juifs du monde veulent y aller, donc c'est non ! du moins pas tout de suite. C'est cru, direct et drôle et cependant un peu glaçant car derrière ces échanges qui appellent un chat, un chat, c'est comme si on avait la traduction en langage direct de ce qui devrait être un langage diplomatique, comme si ces lettres disaient ce qu'une mise en forme soignée et polie voudrait vraiment dire.

La suite, qui commence en mars 1953, c'est Jakob Bronsky, fils de Nathan, qui nous la raconte, tantôt en parlant à la première personne où bien à la deuxième. À moins que ce ne soit alternativement lui qui raconte, puis un narrateur. Je n'ai pas eu de certitudes à ce sujet car parfois aussi c'est raconté à la troisième personne. Ce roman est grossier et drôle, désabusé et cash. Jakob observe l'Amérique et les Américains, superficiels et imbus d'eux-mêmes. Et là, adieu le rêve américain. C'est un regard sans complaisance que nous offre 
Edgar Hilsenrath.
Page 76 il est écrit : "C'est le plus beau sourire qui devient président dans ce pays." Les temps ont changé, maintenant c'est le personnage le plus grossier qui l'emporte. Il semble que de l'avis de l'auteur, cette grande nation manque quelque peu de profondeur.

Donc dans ce roman qui semble très autobiographique, on découvre ce Bronsky avec un énorme trou de mémoire concernant la guerre. Il veut devenir écrivain. Il est d'accord pour travailler mais pas trop, juste par nécessité car il doit garder du temps pour écrire son livre. Il imagine des tas de magouilles pour manger gratos. Et il a parfois des conversations avec son pénis qui désire beaucoup, et souvent au dessus de ses moyens. J'ai eu du mal à cerner le personnage. Cynique ? Désabusé ? Individualiste à l'extrême ? Obsédé sexuel ? A-t-il seulement une conscience ? Pas sympathique en tout cas car ça ne le dérange pas de manipuler les gens pour arriver à ses fins. Et comme il n'est pas formaté comme un Américain, lui le Juif Allemand n'a pas les codes, il se prend râteau sur râteau.

Les chapitres sur la montée du nazisme en Allemagne sont glaçant, d'autant plus qu'on a l'impression que ça pourrait se reproduire, là, maintenant. Ceux sur la guerre sont revoltants. C'est, dans l'ensemble, un roman complètement délirant. Totalement irrévérencieux. Les dialogues sont bien barrés.
Je me suis amusée à lire ça mais j'ai trouvé le fond extrêmement phallocrate. Les femmes ne semblent être pour Jakob que de simples réceptacles à sperme. Mais finalement il semble y avoir une explication à ça. En résumé, j'ai beaucoup aimé le début, très drôle. J'ai beaucoup aimé la fin que j'ai trouvé très belle mais mélancolique car elle parle de tragédie et de folie des hommes. le reste ma souvent incommodée par la vision que Jakob a des femmes. C'est peut-être du second degré, mais moi je ne l'ai pas ressenti comme ça. Peut-être parce que, entre 1980, année où le livre est sorti, et maintenant, certaines choses ont plus de mal à passer, car maintenant on sait. On sait l'ampleur du mépris et du sexisme, et le mal que ça a fait et que ça fait encore.

 

Citations :

Page 23 : Je m’imagine le visage anguleux du Consul Général, ses cheveux clairsemés, gris, avec une raie soigneusement tirée sur le côté. Quand il lit les lettres des Juifs, ses yeux d’un bleu glacial luisent de lubricité. Quand il jette les lettres des Juifs dans la corbeille à papier, est-ce qu’il se branle ?

 

Page 34 : « Je voudrais toucher un mot au Consul Général », dit Nathan Bronsky. « Mais je ne parle pas anglais. »

« Tu sais bien deux mots », dit sa femme.

« Oui, très juste », dit Nathan Bronsky. « Je sais deux mots. Deux mots d’anglais. »

 

Nathan Bronsky regarda le Consul Général droit dans les yeux. En faisant cela, il pensa à l’an 1939 et à la lettre du Consul Général qui avait enterré toutes ses espérances. Il pensa également aux quelques centaines de milliers qui comme lui, dans leur malheur, avaient frappé à la porte de l’Amérique, le grand pays de la liberté qui ne voulait pas d’eux… à l ‘époque. Lui revint à l’esprit le mauvais prétexte du système de quotas.

 

« Fuck America ! »

 

Page 74 : Finalement, nous avons décidé de nous asseoir parmi les émigrants. Je vois : assis à côté de Monsieur Grünspan, Monsieur Weinrot, cinquante ans environ, autrefois marié, six enfants, avocat ; aujourd’hui : célibataire, femme et enfants disparus pendant la guerre sans laisser la moindre trace. Travaille présentement comme manutentionnaire au Garment Center.

 

Page 236 : Notre professeur ne disait jamais rien à propos des Juifs. C’est seulement quand il fut muté et que nous eûmes un nouveau professeur que les choses changèrent. Celui-ci disait que les Juifs étaient responsables de l’avilissement du peuple allemand, que les Juifs étaient assis sur des tas d’or et saignaient le peuple allemand. Il parlait de la guerre perdue, de la légende du coup de poignard dans le dos, du complot de la juiverie internationale, le tout sous les rires sardoniques.

 

Page 262 : En 1939, aucun pays ne voulait de nous. Voilà comment ça s’est passé. Le monde entier s’était ligué contre nous. Il n’y avait personne pour nous tendre la main. Je parle de la famille Bronsky et de tous ceux qui partageaient le même destin.

 

 

 

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Mon avis : Noone ou le marin sans mémoire – Yann Verdo

Publié le par Fanfan Do

Éditions du Rocher

 

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Quatrième de couverture :

Londres, 1889. Dans un monde victorien où se croisent riches oisifs et damnés de la terre, Oscar Klives, jeune médecin idéaliste, a renoncé à une carrière de neurologue pour se mettre au service des déshérités dans un hospice de l'East End.


Un des miséreux qu'il examine, William Noone, se présente malgré son grand âge comme un homme de trente-deux ans. Pour Noone, qui se dit marin et se croit en 1847 dans un port irlandais, prêt à appareiller, le temps s'est arrêté.

 

Cherchant à comprendre ce cas exceptionnel, le médecin consigne ses observations dans un journal et finit par traverser l'Atlantique sur les traces de son patient.
La découverte du destin du marin sans mémoire va bouleverser sa vie…


Dans un style admirable, un premier roman nourri d'humanisme, qui interroge les mystères de la mémoire et de l'identité.

 


Mon avis :
Londres - 20 avril 1889. Dans un hospice, arrive William Noone qui se croit en 1847. L'homme se pense quarante-deux ans plus tôt, mais comment donc est-ce possible ? C'est la question que se pose Oscar Klives, le jeune médecin qui l'a pris en charge. Après plusieurs tests il comprend que la mémoire immédiate de cet homme n'a qu'une durée de vie très courte, quelques minutes à peine avant de s'effacer. Il va chercher à comprendre à quel moment et en quel lieu les souvenirs de ces homme se sont arrêtés, et pourquoi.

Présenté à la manière d'un journal, jour après jour, le docteur Klives fait part de ses réflexions sur le cas Noone et sur ce que celui-ci lui raconte de sa vie et plus précisément de sa vie de marin, jusqu'à ses trente-deux ans, âge qu'il est persuadé d'avoir. Ce trou de quarante-deux années dans la vie du vieux marin tourne à l'obsession chez le médecin. Il est plein d'empathie pour ce pauvre homme qui a cessé d'avoir des souvenirs, donc plus de présent ni d'avenir. Il a tellement envie de savoir ce qui s'est passé dans ce laps de temps et pourquoi tout s'est arrêté là. Mais comment faire ? À mesure qu'il enquête, une infinité de questions se posent. Ses conjectures sur le cas Noone, étayées ou infirmées lors de sa rencontre avec le Professeur Chandler, amènent de nouvelles hypothèses.

Et si les théories n'amènent pas de réponses satisfaisantes, pourquoi ne pas tenter la pratique ? C'est ainsi que le bon docteur Klives part sur les pas de Noone à la recherche de sa mémoire et prend la mer à bord du RMS Alexandrina, léviathan d'acier. Il compte aller en Gaspésie chercher les réponses à l'amnésie de son patient.

Son périple nous mène de la petite Nantucket au Cap-des-Rosiers et Rivière-aux-Renards, en passant par le lieu-dit Petit-Cap-aux-Os, L'Anse-aux-Griffons, la Baie des Chaleurs... tous ces noms qui sonnent comme une invitation à la découverte de la terre de nos lointains cousins les québécois. Il trouvera des réponses...

J'ai tout de suite été captivée par cette histoire qui traite d'un sujet fascinant autant que terrifiant : l'amnésie. La mémoire, "le plus tortueux et labyrinthique des palais" est d'une "complexité inextricable." de nombreuses questions existentielles sont posées, très troublantes. La mémoire fait de nous des êtres pensants, capables de se projeter, de construire. Mais l'absence de mémoire, c'est une sorte de prison, un mur immense et infranchissable, l'absence totale d'avenir, un puits sans fond.
La question que je me suis posée est, est-ce qu'on en sait plus aujourd'hui qu'au XIXe siècle sur ce sujet. On sait que la nature a horreur du vide et qu'elle comble les trous, ce qui nous amène parfois à raconter des souvenirs erronés en toute bonne foi. de plus, il y a tant de causes possibles à l'effacement de la mémoire !
Ce roman pose des questions à rendre insomniaque, car, y'a-t-il des réponses ?

Il y a quelque chose de poignant dans la quête de ce médecin humaniste plein d'abnégation. Cependant, de découvertes en rebondissements il va se trouver souvent face à des dilemmes et aura à faire des choix parfois délicats. Lui qui pensait sa petite vie insipide, se sent face à un Everest depuis sa rencontre avec ce "vieillard cirrhotique et claudicant" qui n'a plus toute sa tête.

La plume est belle et semble coller parfaitement à l'idée que je peux me faire du style de l'époque. C'était comme si j'y étais. C'est une vraie belle histoire, débordante d'humanité. J'ai énormément aimé ce roman qui nous plonge dans le XIXe siècle, celui de Joseph Merrick (Elephant Man) et Jack l'éventreur, cette époque où les connaissances sur la psyché étaient en plein tâtonnements, entre les indigents et leur très grande misère et le reste de la société.
Quant à la mer, elle est omniprésente tout le long de cette histoire même si tout le récit ne se passe pas que sur les flots.

 

Citations :

Page 45 : Journée creuse et morne, parfaitement, supérieurement, superlativement morne, comme il n’en existe qu’en Angleterre.

 

Page 59 : « Je vous l’accorde, William. Vous n’êtes pas le seul marin qui se trouve en ce moment à Londres. Mais les autres ne m’intéressent pas.

Et pourquoi donc que moi, je vous intéresse tant ?

Je vais vous le dire. En tant que médecin, je m’intéresse à vous parce qu’il semble que vous ayez… (Je cherchais des mots un instant, soucieux d’éviter tout jargon mais aussi et surtout de ne pas l’effrayer.) Il semble que vous ayez un problème de mémoire.

Ah ça, oui, c’est bien possible ! Ça s’emmêle pas mal là-dedans, par moments, ajouta-t-il en se tapotant la tempe avec l’index.

 

Page 105 : Les songes sont des fleurs si fragiles, si promptes à se flétrir une fois exhalé leur ineffable et évanescent parfum ! À peine écloses et déjà séchées…

 

Page 157 : Ne connaître de toute son existence que le vent et l’écume, le miroitement du soleil sur les eaux, le frétillement des poissons dans son bec ! Ne connaître que la nécessité de se nourrir, encore et toujours ! Et ne pas connaître l’ennui, ce triste lot de l’homme !

 

Page 182 : Combien de femmes dont les maris ont disparu en mer ont-elles un jour pleuré au pied de cette statue perdue dans l’immensité ? Combien de plaintes poignantes se sont élevées là, emportées à tout jamais par le vent et le bruit de la mer ?

 

Page 207 : Hélas ! La vie n’est pas la littérature ; la première est toujours par quelque côté plus décevante, plus courte, plus sèche que la seconde — et pourtant celle-ci ne vaut que par ce qu’elle nous dit de celle-là, que dans la mesure où elle l’éclaire et lui donne du relief…

 

Page 259 : Pauvre Campbell… Lui qui avait la foi si chevillée au corps n’aura pas eu le temps de recevoir les derniers sacrements. Il est mort en dégorgeant une ultime obscénité, dans une posture aussi risible qu’offensante pour la pudeur. En passant le voir tout à l’heure à la morgue, je me suis demandé si Dieu, son Dieu, lui tiendrait rigueur de son irrépressible coprolalie. S’Il lui pardonnerait cette ordure dans laquelle la maladie l’aura fait se vautrer jusqu’à son dernier souffle, s’Il accueillerait cette âme souillée sans qu’il en soit de sa faute, et que l’absence de prêtre à l’heure fatale n’aura pas permis de purifier par l’extrême-onction.

 

Page 296 : Quand les vivants qui ont connu les morts meurent à leur tour, quand plus aucun d’entre eux n’est là pour entretenir leur tombe et honorer leur mémoire, ces morts du temps passé meurent une deuxième et dernière fois. Peu de temps sépare la mort organique de cette seconde mort définitive qui est la seule vraie et dont le nom est l’Oubli — une génération à peine, l’homme est si peu de chose !

 

 

 

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Mon avis : Pour mourir, le monde – Yan Lespoux

Publié le par Fanfan Do

Agullo Éditions

 

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Quatrième de couverture :

1627, sur la route des Indes, dans la fureur d'une ville assiégée, dans le dédale des marais et des dunes battues par le vent, l'aventure est en marche. Marie, Fernando et Diogo verront leur destins réunis par une tempête dantesque.

Avec Pour mourir, le monde, Yan Lespoux nous offre un roman d’aventure magnétique et foisonnant. À la suite de ses personnages ballottés par l’Histoire et les éléments dans des décors grandioses, il nous entraîne à la recherche de la lumière dans le tumulte du monde.

 

Yan Lespoux est historien. Il enseigne la civilisation occitane à l’université Paul Valéry – Montpellier 3. Pour mourir, le monde est son premier roman.

 

 

Mon avis :
Janvier 1627, naufrage sur la côte du Médoc du São Bartolomeu, caraque portugaise remplie de richesses. Des pilleurs d'épaves sans état d'âme. Un survivant se cache, c'est Fernando Texeira... Peur. Violence. Dépaysement immédiat. L'histoire commence ainsi, sauvage à l'extrême. Puis, au deuxième chapitre, retour en arrière de onze ans. Puis retour en avant au troisième, et ainsi de suite.

Depuis toute petite je suis fascinée par la mer et ceux qui la parcourent. Enfant, je voulais être pirate ! Alors cette histoire m'a emportée loin d'ici, dans mes rêveries de petite fille. Sauf que là, bye bye l'idéalisme idyllique de mon enfance, il y a un côté terrifiant de réalisme. Les recrutements forcés, les tueries, le supplice de la grande cale, la douleur, le danger, les maladies, les miasmes, les dents pourries, les haleines fétides, la crasse et les odeurs nauséabondes, tout y est.

J'ai voyagé avec Fernando et Simão, pris la Route des Indes, traversé le canal du Mozambique, visité les côtes du Médoc, fait escale à Goa et São Salvador de Bahia, puis à Bijapur où encore à Lisbonne, et tant d'autres endroits encore... J'ai assisté à des mises à mort, à des mutilations, à des échauffourées sanglantes entre Portugais et Hollandais, entre Portugais et Anglais, entre bons chrétiens et hérétiques.

On navigue et on visite des pays lointains aux côtés de Fernando et Simão, d'autres fois avec Diogo et Ignacio l'Indien du Brésil, mais aussi auprès du ténébreux et vaniteux Dom Manuel Meneses, où bien Marie la rebelle et son oncle sans foi ni loi dans le Médoc, et tant d'autres personnages, au gré des chapitres qui nous mènent d'une année à l'autre, d'un pays à un autre.
L'inquisition, puissante et partout, poursuit parfois jusque après la mort les hérétiques, juifs, protestants, musulmans et apostats.
Fernando a toujours eu l'impression de devoir composer avec un destin qui lui en voulait, que lui, serait toujours au mauvais endroit au mauvais moment. Jusqu'au jour où, peut-être... comme une percée dans un ciel nuageux il se prend à espérer qu'il pourrait enfin être maître de son destin.

Un grand roman d'aventures qui se nourrit de l'Histoire, car l'auteur est historien, et c'est enrichissant car j'ai appris des choses auxquelles je n'avais jamais pensé. J'ignorais, par exemple, que ceux qui prenaient la mer en ces temps étaient pratiquement assurés de ne jamais revoir leur pays. Les tempêtes, les combats en mer et les naufrages faisaient énormément de victimes, beaucoup de bateaux n'arrivaient jamais à destination. D'ailleurs certains, caraques ou galions, étaient des géants des mers difficilement manœuvrables, dont le gigantisme laissait perplexe quant à la capacité à naviguer ou même simplement flotter. Lors des combats, les marins étaient tués autant par les boulets que par les morceaux du bateau qui étaient projetés et les déchiquetaient. Et les descriptions de naufrages sont d'un réalisme glaçant. Un véritable carnage à chaque fois.

J'ai été passionnée par cette histoire de marins, de voyageurs au long cours dont les vies étaient si précaires et qui rappelle que nous ne sommes rien face aux éléments mais aussi que l'homme est un loup pour l'homme. J'ai aimé ce roman du début à la fin, j'ai aimé les personnages, Fernando, Simão, Marie, Diogo et Ignacio, ces petits personnages dans le tourbillon de la grande Histoire.

 

Citations :

Page 12 : Il s’approche encore et discerne une silhouette noire, à demi-nue. Certainement un des esclaves indiens qui partageaient un entrepont avec d’autres marchandises.

 

Page 74 : Il avait remonté le cours des fleuves aux eaux rouges pour s’enfoncer dans les terres. Il avait vu des tigres et des crocodiles. Il fallait faire preuve d’une égale méfiance à l’égard de ces deux animaux, mais moins tout de même qu’avec tous les hommes qu’il avait pu croiser ici.

 

Page 125 : Ce qui était bien avec les Hollandais, c’est qu’ils se laissaient facilement tuer. Dès qu’ils n’étaient pas protégés par des murs ou qu’ils ne pouvaient utiliser leurs mousquets, on en faisait ce qu’on voulait.

 

Page 149 : À moins d’un miracle, São Salvador tomberait. Dom Manuel de Meneses savait que le droit et Dieu étaient tous les deux avec le Portugal et que les hérétiques retranchés dans les lieux qu’ils avaient profanés ne pouvaient compter sur aucun miracle.

 

Page 160 : En regardant les hommes qui vaquaient sur les ponts, il se demanda combien d’entre eux avaient éprouvé comme lui la nécessité de se laver de leurs péchés. Peu sans doute et particulièrement chez les soldats qui occupaient l’entrepont. Pourtant, une chose était certaine, l’histoire de la route des Indes était ainsi faite : des dizaines, des centaines peut-être, d’entre eux ne verraient jamais Goa. Et pour ceux, rares en dehors de l’équipage, qui envisageaient de faire aussi le voyage retour, la proportion de pertes serait plus élevée encore.

 

Page 172 : Il voyait des hommes qu’il avait fréquentés durant les dernières semaines, soldats disciplinés et parfois même bons compagnons, devenir des bêtes. Ils cassaient, volaient, battaient, violaient et nul ne se souciait de les arrêter. « C’est ainsi, avait dit dom Manuel, il faut lâcher la bride, laisser s’écouler le fiel et le mauvais sang accumulés. C’est bien peu noble, mais ces hommes ne sont pas nobles. C’est bien peu chrétien, peut-être, même s’ils le sont, mais ils savent qu’ils auront le pardon de Dieu. Les prêtres qui nous accompagnent sont là pour y pourvoir.

 

Page 210 : Ils se revoyaient là, presque dix ans plus tôt, et n’avaient pas de peine à imaginer l’état de ceux qui mettaient pied à terre après des mois à pourrir littéralement sous les assauts conjugués de la vermine, de l’humidité, de la chaleur tropicale, du froid austral, de la faim et de la promiscuité avec des gens dont même le diable n’aurait pas voulu chez lui.

 

Page 287 : Mourir était une possibilité, un risque à courir. Il ne désirait pas la mort, mais cela faisait longtemps maintenant qu’elle lui faisait moins peur que la vie.

 

Page 299 : Ils ne voulaient pas sortir, mais ils ne pouvaient pas non plus rester dans le dortoir. Aux odeurs des corps crasseux et suants se mêlaient celles de la bile et du vomi. Le Santo Antonio e São Diogo ne semblait plus être qu’un morceau de bois ballotté par les vents et les courants.

 

Page 405 : Voilà plus de dix ans que mon métier consiste à me battre. Pas pour moi. Pour des gens plus puissants qui m’achètent pour pas très cher. Je suis un des milliers de bras armés qui tiennent en vie des empires qui ne le méritent pas.

 

 

 

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Mon avis : Les femmes sont occupées – Samira El Ayachi

Publié le par Fanfan Do

Éditions de L’Aube

 

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Quatrième de couverture :

Découvrant sa nouvelle condition de « maman solo », la narratrice jongle avec sa solitude sociale, sa solitude existentielle, et s'interroge sur les liens invisibles entre batailles intimes et batailles collectives - entre deux machines à faire tourner, une couche à changer, une thèse à finir et une pièce de théâtre à monter.

 

«Puissant, bouleversant… et drôle ! » Nancy Huston

«Furieusement cathartique ! » Zoé Courtois, Le Monde des livres

«Un des romans les plus enthousiasmants de la rentrée ! » Hubert Artus, Causette

«Un livre engagé à l'écriture ciselée.» Marianne Bliman, Les Échos

«Un livre dévoré au prix d'un sommeil raccourci !» La Croix du Nord

 

 

Mon avis :
Tout de suite je me suis dit "Ohlala mais qu'est-ce que c'est beau ! Et tellement ça ! Qu'est-ce qui est beau ? La façon de décrire l'après rupture, juste après. Tous les sentiments qui passent, l'envie de tout balayer, de tout changer, jusqu'à soi-même. Se transformer en nouvelle personne pour repartir vers l'avenir, un autre avenir que celui qu'on s'était fabriqué en quelques années, avec une personne qui n'est plus là.
Car que faire de sa douleur abyssale, noire, gluante ? Qui a quitté l'autre ? Peu importe. le vide est là, absolu. Avec un deuil à faire, celui d'une vie à deux. Sauf que là, c'était pas à deux mais à trois, avec un Petit Chose.

La vie monoparentale et ses déboires... La culpabilité maternelle, l'impression de ne pas être à la hauteur, de ne pas faire ce qu'il faut, comme il faut. Être presque gênée de travailler et d'être mère en même temps. Les rapports homme-femme sont tellement bien décrits que ça en est déprimant. La vie des femmes est déprimante. Si on la décortique... Pourtant, je ne voudrais pas être un homme. Mais quand-même, j'ai eu l'impression de lire une suite de galères liées au statut de femme. Pourtant, je les connais. Mais de les lire, c'est pas pareil, c'est pire.

Les pères qui oublient leur droit de garde des enfants, qui ne les prennent pas un week-end sur deux, ça existe. Certaines préfèrent, d'autres le vivent mal. C'est le cas de l'autrice qui peine à reprendre son souffle, qui n'est plus que mère. Adieu les soirées entre copines, les moments égoïstes à glander, seule.

J'ai trouvé pas mal de points de convergence avec le fond de ma pensée, notamment le plus violent pour moi, pourquoi avoir fait des enfants dans ce monde là...
L'autrice pointe sur tout ce qui ne va pas pour les femmes dans notre société. Il y a de quoi faire. Et alors que j'ai par moments pensé que 
Samira El Ayachi noircissait un peu le tableau, j'ai repensé à la naissance de ma fille. J'avais gardé la surprise, je ne voulais pas savoir avant, et quand on m'a annoncé que c'était une fille, ma première pensée, où bien l'ai-je dit à voix haute je ne sais plus, "La pauvre, elle va en chier toute sa vie". C'est dire le ressenti sur ma propre vie... On entend tellement de conneries dans une vie de femme, de la petite enfance à l'âge adulte, sur nos capacités, notre intelligence, le rôle qu'on doit tenir, ce qu'on doit faire et ne pas faire, dire et surtout ne pas dire, les métiers pour nous et ceux qu'on ne devrait pas exercer, nos comportements, l'alcool, le tabac, notre vocabulaire... Ah mais je m'emporte ! Il est surtout question ici des Mamans solo et du poids que la société fait peser sur leurs épaules, mais jamais sur celles des pères divorcés...
Alors oui, il fallait bien en parler de la difficulté d'être femme dans un monde fait par les hommes et pour les hommes.

Il y a des moments drôle, mais un peu grinçant quand-même. Ben oui, pas le choix !
Il y a aussi du bon, du doux, car comme dit l'autrice, "Avoir un enfant, c'est rentrer dans la ronde." Eh oui ! Je suis bien d'accord !!
Et puis c'est beau. Il y a tant de poésie dans ces mots qui parlent de peine et du chemin de croix, vers la guérison, ou peut-être plutôt vers la révélation à soi-même.

 

Citations :

Page 14 : Cette histoire n’en finissait pas. Elle n’en finissait pas de mourir dans vos bras.Vous n’étiez plus que deux loques qui se croisent dans un appartement aux murs gris et qui ne s’embrassent plus jamais.

 

Page 41 : Impossible de savoir combien de vies tu mènes de front : 1) il y a la femme qui se bat le jour ; 2) celle qui se noie la nuit ; 3) celle qui découvre au pied du mur le métier improbable de maman ; 4) celle qui apprend à nager en se noyant ; 5) celle qui n’est pas encore arrivée, mais qui — tu l’espères — se pointera bientôt pour voler au secours de toutes les autres : la superwoman en toi.

 

Page 61 : Dans ta tête c’est clair. Dans le corps des jours, c’est autre chose. Tu luttes contre toi-même. La tentation est grande de te laisser couler dans le flux du jour. Il y a des costumes tout prêts et des étiquettes prédécoupées. La mère bonne. La mère dévouée. La mère courage. La mère courge. Les autres, c’est entendu. Toutes des égoïstes ou des salopes.

 

Page 139 : « Je-ne-suis-pas-mère-célibataire, je suis une cheffe de famille comme tout le monde. Cheffe à part entière, cheffe comme toi, papa. Alors arrêtez de me regarder comme s’il me manquait une jambe. Je ne suis pas mère célibataire, je suis une mère autonome ! Merde ! »

 

Page 167 : Arrive toujours un moment où une mère attrape son téléphone et prend des nouvelles. Il y a toujours un moment où l'inquiétude arrive comme un gros nuage au-dessus de sa cervelle en surchauffe. C'est ça dont se coupent l'époque et les hommes : le partage des inquiétudes, le soin apporté à l'autre.

 

 

 

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Mon avis : Le téléphone carnivore – Jo Nesbo

Publié le par Fanfan Do

Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier

 

Éditions Gallimard

 

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Quatrième de couverture :

Richard Elauved, quatorze ans et mal dans sa peau, est recueilli, après la mort de ses parents, par son oncle et sa tante dans une petite ville où il s’ennuie ferme, ne fréquentant que Tom, bègue et moqué de tous.
Le jour où ce dernier se volatilise, on accuse Richard de l’avoir poussé dans la rivière. Personne ne le croit quand il raconte que le téléphone de la cabine publique où il avait entraîné son camarade pour faire des blagues a dévoré l’oreille, puis la main, le bras et… le reste du corps de Tom.
Personne sauf l’énigmatique Karen, qui l’encourage à mener une investigation jugée superflue par la police. Envoyé en centre de redressement, Richard réussit à s’enfuir avec la complicité de jumeaux maléfiques et aboutit à un manoir abandonné dans la forêt, où se succèdent des phénomènes paranormaux qui semblent tous dirigés contre lui.

 

Mon avis :
Depuis des années, Jo Nesbø écrit des polars, pas des histoires horrifiques.
Ce roman hors norme, le concernant, m'a plu dès le début. J'ai aimé l'ambiance champêtre au crépuscule, un peu eighties, avec Tom et Richard qui se comportent en bons adolescents crétins, à vouloir se croire drôles en faisant des trucs débiles. Ils ont quatorze ans, sont rejetés par les autres et veulent se rendre intéressants. Or en voulant faire une blague téléphonique à un inconnu depuis une cabine (mais à quelle époque sommes-nous donc ???) Tom se fait dévorer par le téléphone. Évidemment, personne ne va croire Richard. Ni la 
police, ni les habitants. Parce que bien sûr, les téléphones ne mangent pas les gens. Et le nom qu'ils ont utilisé dans l'annuaire de la cabine pour faire leur blague, lui fait une "blague".

Richard Elauved, le narrateur, est une sorte de renégat dans son collège. Garçon de la ville donc méprisé, orphelin, qui aime l'ironie et semble se foutre de tout, il fait partie de la plus basse caste. Oui parce que les élèves ont un système de caste, des plus populaires au plus nuls selon leurs critères. Il fait donc partie de la caste des piranhas. Pourtant, en principe les piranhas ça fait peur ! Et il y a Karen ! Belle, originale avec un look très personnel, et brillante dans toutes les matières. En plus elle est sympa !

Ésotérisme et magie noire imprègnent cette histoire. Car Tom a été la première victime mais pas la dernière. Cependant, alors que l'ambiance m'a vraiment rappelé certains romans de Stepehen King ou de 
Dean Koontz, la terreur a été la grande absente. À vrai dire, ce roman évoque de la littérature jeunesse. Mais quand-même, des personnages intéressants, comme cet aveugle plein de bon sens et clairvoyant, ou d'autres inquiétants tels ces jumeaux barjots. J'en suis venue à me demander si le but de Jo Nesbø n'était pas de s'amuser avec les codes de l'horreur plutôt que de faire peur. Car il y a un côté facétieux, notamment avec Richard notre héros dont l'humour et l'apparent je-m'en-foutisme sont omniprésents.

Il y a une ambiance mi-joyeuse, mi-lugubre. D'un côté les fanfaronnades d'adolescents qui se tirent la bourre pour paraître plus malin et plus courageux que les autres, de l'autre une atmosphère mortifère dans des forêts vaporeuses, à la recherche de ce qui a tué Tom. Et toujours, dans ce genre de récit, une dualité entre le quotidien rassurant et des événements incompréhensibles et terrifiants dans une brume ténébreuse et maléfique.

Et puis TADAM !!! deuxième partie, et là, TWIST ! Je me suis demandé si l'auteur se jouait de nous car quoi de mieux que l'imaginaire et les questionnements de ceux à qui l'on s'adresse !? Puis alors la troisième partie !!!..... Re TWIST !! Il est fort Jo Nesbø !!!

Donc après avoir été dans une sorte d'amusement cauchemardesque, puis une sidération quasi-grandguignolesque, j'ai fini dans une angoisse compassionnelle, comme si ce que je lisais était la pire chose qui puisse arriver. Et oui, j'ai aimé ce roman ! Je l'ai dévoré !! Car Jo Nesbø s'est servi du genre horreur-terreur pour nous embarquer là où ne s'attend pas à arriver. Quoique… quelques indices laissés çà et là allument de petites lumières de suspicions que quelque chose va nous surprendre. Pour moi, une totale réussite !!!

 

Citations :

Page 39 : Je posai le pied sur le premier échelon, inspirai profondément et entamai mon ascension.

J’ai le vertige. J’ai peur du noir. J’ai peur de l’eau. J’ai peur du feu. Et j’ai peur des téléphones. Mais avant tout, j’ai peur d’avoir peur.

 

Page 106 : C’était une femme revêche et drôle, obèse et mastiqueuse de chewing-gum, au caractère ombrageux. Elle prétendait que le seul privilège des femmes dans ce monde dominé par les hommes était de pouvoir en toute impunité distribuer des gifles à des gamins qui n’étaient que des voyous insolents.

 

Page 151 : Un cri retentit à l’étage, derrière une porte de la galerie. Était-ce le cri d’un homme, d’un animal ? Je sais seulement que c’était l’un des cris qui transpercent non seulement les os et la moelle, mais encore le cœur, l’âme. L’un de ces cris qui contiennent tout : le désespoir, la peur, la colère, la solitude. Il résonna longtemps après s’être tu.

 

 

 

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Mon avis : Les égarés – Ayana Mathis

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’américain par François Happe

 

Éditions Gallmeister

 

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Quatrième de couverture :

« Elle était comme une de ces hautes montagnes entourées d’une ceinture de nuages tellement épaisse qu’on ne peut pas en voir la partie supérieure. »

 

Chassée par son mari, Ava Carson, une Afro-Américaine d’une quarantaine d’années, arrive à Philadelphie avec son fils Toussaint, âgé de dix ans. À peine s’installe-t-elle au centre d’hébergement de Glenn Avenue qu’elle est déterminée à quitter cet endroit sordide. Mais en ce milieu des années 1980, peu de choix s’offrent à des gens comme elle : originaire d’un village de l’Alabama, elle a rompu tout contact avec sa mère et ne peut compter sur personne. Lorsque le père de Toussaint, un homme charismatique, autoritaire et très engagé politiquement, réapparaît dans la vie d’Ava, celle-ci se croit enfin tirée d’affaire. Dans le même temps, un puissant atavisme lié à ce Sud lointain, incarné par une grand-mère qu’il ne connaît pas, commence à germer chez Toussaint.

Sans complaisance aucune, Les égarés dresse le portrait poignant d’une mère prête ,à tout pour protéger son enfant de la froideur du monde, quitte à se brûler les ailes.

 

 

Mon avis :
Je me suis souvent demandé ce qu'il pouvait y avoir de pire que de se retrouver à la rue. Eh bien c'est de se retrouver à la rue avec un enfant, son enfant. Car à la peur et au danger, se joint l'humiliation. C'est ce qui est arrivé à Ava et son fils Toussaint. On est en 1985. Ils sont sans domicile, à la rue, où la compassion n'a pas sa place, où c'est chacun pour soi. C'est immédiatement d'une tristesse infinie. Car oui, ça sent la misère de vivre. Après s'être fait virer par Abemi le mari d'Ava, ils atterrissent dans un foyer où tout révulse Ava, des couleurs des murs au règlement infantilisant en passant par les cafards morts dans les lits.

On apprend peu à peu ce qu'est, ce qu'a été la vie d'Ava, qui elle est, d'où elle vient, ce qui l'a amenée à cette situation. Et il faut bien avouer que c'est une étrange personne, comme si elle était un peu extérieure à elle-même, ayant fait des choix qui ne semblent pas l'avoir enthousiasmée, qui ne semblent même pas être les siens, telle un bouchon au gré du courant. On fait des allers-retours entre le présent et le passé, entre Ava, ses moments de vie avec ses ex-compagnons, la vie de sa mère Dutchess, quand elle-même était enfant et qu'elles vivaient à 
Bonaparte en Alabama, ville de niggers, cédée au Noirs dans la deuxième moitié du XIXe siècle. "Depuis une centaine d'années, un des nôtres allumait un feu au crépuscule et l'entretenait jusqu'au lever du jour pour que tous ceux qui étaient de Bonaparte puissent rentrer chez eux par la rivière." J'ai adoré les relents de Sud profond d'une époque révolue. Les Noirs qui se rappelaient qu'il n'y avait pas si longtemps, ils ne possédaient rien, pas même leur vie, juste avant d'avoir Bonaparte. Un temps où les choses n'étaient pas éphémères. C'est sur ces terre que vit toujours Dutchess. Mais Bonaparte n'est plus comme avant, Bonaparte se meurt : "On a dévié de notre propre temps pour rentrer dans le temps des Blancs."

On se demande pourquoi Ava ne retourne pas chez sa mère au lieu de faire subir cette vie à son fils. Pourtant elle y pense...
Deux époques, deux ambiances, deux vies en communauté, deux destins de femmes, Dutchess la mère, Ava la fille. Toutes deux élevant seule son enfant. Toutes deux en lutte, Ava qui ne possède rien mais qui voudrait tant et Dutchess qui se bat pour garder le peu qu'elle possède, convoité par les Blancs. En réalité Ava sait-elle réellement ce qu'elle veut ? Elle semble toujours se laisser porter par le désir des autres. Et Cass, qui a fait autrefois partie des Black Panthers, géniteur de Toussaint, médecin ou peut-être pas, charismatique et inquiétant, mais surtout dominateur et utopiste, réapparaît un jour...
J'ai beaucoup aimé Dutchess, et pas du tout Ava, froide et imbue d'elle-même, si faible avec son amour de toujours qu'elle met son fils en danger.

Cette histoire nous rappelle au passage le mal que les Blancs ont fait, l'esclavagisme, la quasi-éradication des autochtones, la destruction de la nature à leur profit. Ça raconte la difficulté d'être femme et ça nous parle d'emprise. Ça dit la contrainte d'être un enfant, toujours à la merci des adultes, de leurs incohérences et de leurs lubies.
C'est un récit qui vous embarque dès les premières lignes et qu'on n'a plus envie de lâcher, qu'on voudrait pouvoir lire sans s'arrêter jusqu'au mot fin. Enfin... c'est ce que j'ai ressenti jusqu'à la moitié à peu près. Car après j'ai trouvé le temps long. L'histoire s'étire lentement, trop à mon goût.
L'autrice nous offre quelques envolées poétiques !!! Elle sublime, dans ces moments, la dureté qu'elle raconte, c'est magnifique et désolant.

Merci Babelio Masse Critique et Éditions Gallmeister

 

Citations :

Page 22 : Qui va pouvoir nous aider, se demanda Ava, s’il n’y a ici que des femmes et leurs gosses, toutes aussi pauvres que des rats d’église ? Comme disait sa mère, quand on n’a rien, on peut rien faire.

 

Page 40 : Toutes ces femmes qui étaient là avaient un mec qui, d’une façon ou d’une autre, les avait foutues dans la merde.

 

Page 65 : Tous les Blancs étaient encore dans le Nord, dans leurs contrées froides, à s’entretuer. Mais ils n’allaient pas tarder. Et quand ils sont arrivés ! Ils voulaient vaincre la mort et le temps. Ils se sont abattus sur le monde comme la pluie s’était abattue sur Noé. Ils voulaient être la pluie et Noé, et Dieu par dessus le marché.

 

Page : 96 : Ma fille, pensa Ava, sois bien prudente. Tu peux te retrouver avec un véritable salopard et rester avec lui jusqu’à ce que tu n’en puisses plus. Ou peut-être que cette fille avait connu un de ces hommes qui lui avait rendu la vie tellement impossible qu’à la fin elle était complètement anéantie.

 

Page 202 : Y a eu une époque où on avait des inconnus qui défilaient sans arrêt dans le coin. Bonaparte est ce genre d’endroit qu’est un peu à l’écart du monde. Les gens débarquaient ici, venant de partout ou de nulle part. Ou ils arrivaient après avoir tellement voyagé que ce qu’ils avaient été auparavant les suivait de très loin. Parfois, ils essayaient de trouver qui d’autre ils pourraient devenir. Parfois, il fallait qu’ils deviennent quelqu’un d’autre. Nous on posait pas beaucoup de questions, sauf si les gens commençaient à se comporter d’une manière telle qu’on était amenés à leur en poser.

 

Page 245 : Et puis je me suis mise à observer Carter Lee, Juniata, Erma Linner et Memma, je veux dire à les regarder vraiment, en pensant que nous étions devenus vieux ensemble, comme un jeune homme et sa femme, s’ils ont un peu de chance.

 

Page 293 : Nous ne mangeons pas la chair d’autres créatures douées de sensations. Nous refusons d’absorber la terreur ressentie par ces êtres vivants à l’abattoir, sous peine de la ressentir nous-même.

 

Page 334 : Deux flics descendirent, s’avançant avec cette démarche qui donne l’impression qu’ils ont un paquet si énorme, là, au bas du ventre, qu’ils peuvent pas serrer les cuisses.

 

 

 

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Mon avis : Katie – Michael McDowell

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’américain par Jean Szlamowicz

 

Éditions Monsieur Toussaint Louverture

 

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Quatrième de couverture :

Lorsque Philomela Drax reçoit une lettre de son riche grand-père, qui craint pour sa vie désormais aux mains d’une famille de crapules sans pitié, les Slape, elle se précipite à la rescousse. Mais le temps presse, car Katie Slape, douée d’un don de voyance et d’un bon coup de marteau, est sur le point d’arriver à ses fins. Démarre alors une traque endiablée à travers l'âge d'or américain. Mais qui poursuit qui ? Car personne n'échappe à Katie la furie !


 

 

Mon avis :
Ça commence comme un conte ! J'adore !! La veille de Noël en 1863, la petite 
Katie Slape joue à la poupée dans une chambre miteuse de Philadelphie. Et ça vire tout de suite au sordide avec une histoire de petits chiens. Il y a des pauvres gentils et des riches arrogants. Comme dans les histoires pour enfant. Mais ils y a aussi des miséreux méchants... et quelques riches aimables. J'ai tout de suite aimé l'ambiance poisseuse. Elle m'a ramenée à la personne que j'étais il y a longtemps et aux histoires d'un autre temps que j'aimais, avec des rues sombres, le bruit des calèches sur les pavés, des coupe-gorges, des ombres furtives et des lames qui scintillent dans la pénombre.
Plus tard on fait réellement connaissance avec 
Katie et sa famille ignoble, pauvres et détestables, alors qu'on avait fait connaissance avec Philo, modeste et aimable.

Le jour où, anonymement, Philomela se fait embaucher comme bonne auprès de 
Katie Slape et ses horribles parents qui convoitent la fortune du grand-père de Philo qui a appelé à l'aide et qu'ils tuent à petit feu, l'histoire devient totalement angoissante. C'est les Thénardier à la sauce américaine. Sans foi ni loi, prêts à tout pour de l'argent. Des gens dangereux, stupides mais rusés, vulgaires et totalement amoraux. de plus, Katie est très spéciale car elle voit des choses rien qu'en touchant les gens et joue du marteau comme personne, ce qui ajoute à l'effroi de ce qu'on peut imaginer.

Tout le long de ma lecture, j'ai trouvé les ficelles un peu grosses, pourtant j'ai adoré ! J'ai frissonné, tremblé, retenu mon souffle. N'est-ce pas ce qu'on attend d'un roman comme celui-ci ? 
Katie est une vraie psychopathe, dangereuse et terrifiante. Philo est très naïve avec une trop grande propension à la confiance, et ceci même envers des inconnues. Il va lui arriver des mésaventures et des malheurs mais elle semble pleine de ressources. Malgré sa candeur elle est néanmoins très réfléchie. le petit côté Cendrillon de l'histoire est contrebalancé par l'ignominie des Slape, heureusement. Trop de bons sentiments, compensés par de la folie meurtrière, font de ce roman un véritable page turner.

Il y a un ton féministe dans cette histoire. La condition des femmes y est mise en avant. Soit qu'elles devaient se marier car c'était pratiquement un destin inévitable pour elles, ou travailler pour un salaire de misère, au contact d'hommes qui passaient leur temps à leur faire des propositions douteuses qu'elles devaient parfois accepter si elles voulaient payer leur loyer et se nourrir. Quant à celles retrouvées assassinées, c'était la quasi-indifférence générale, à peine trois lignes dans le journal.

Voilà donc un livre agaçant quelquefois, mais aussi enthousiasmant parfois, et cependant terriblement oppressant, qui se dévore et ne laisse aucun répit jusqu'à la toute fin !!! J'ai tout aimé, y compris le côté volontairement manichéen.

 

Citations :

Page 36 : Je n’ai pas d’occupation, expliqua-t-il. Je suis entièrement oisif, j’en ai peur. Mon père nous a légué à ma mère et moi un patrimoine très convenable, peut-être même trop convenable, en tout cas en ce qui concerne le développement de mon caractère.

 

Page 249 : Des dizaines de femmes disparaissaient chaque année, dans les rues, les pensions et les magasins de tapis de New York. Leurs descriptions — tout un nuancier de beautés — remplissaient trois cartons au bureau des personnes disparues de Centre Street.

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Mon avis : Je suis une légende – Richard Matheson

Publié le par Fanfan Do

Traduit de l’américain par Nathalie Serval

 

Éditions Folio SF

 

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Quatrième de couverture :

Chaque jour, il doit organiser son existence solitaire dans une cité à l'abandon, vidée de ses habitants par une étrange épidémie. Un virus incurable qui contraint les hommes à se nourrir de sang et les oblige à fuir les rayons du soleil... Chaque nuit, les vampires le traquent jusqu'aux portes de sa demeure, frêle refuge contre une horde aux visages familiers de ses anciens voisins ou de sa propre femme. Chaque nuit est un cauchemar pour le dernier homme, l'ultime survivant d'une espèce désormais légendaire.


 

 

Mon avis :
L'histoire commence en janvier 1976. Robert Neville semble seul au monde, cloîtré dans sa maison dès la nuit tombée pour échapper aux vampires qui le harcèlent pour qu'il sorte. Sa solitude est terrifiante et il se demande parfois pourquoi lutter. Car le monde a basculé dans le néant, il n'y a plus de futur pour l'humanité. Il n'y a pour ainsi dire plus d'humanité. Il est le dernier d'une civilisation éteinte, barricadé chez lui dans une hideuse claustration désespérée. Il lui reste ses souvenirs, et sa rage de vivre sans bien savoir pourquoi car, à quoi sert de vivre quand on est le dernier de son espèce ? Mais il cherche. Il voudrait comprendre la raison de ce qui est arrivé au monde. Et pourquoi, d'un point de vue cartésien, l'ail et les crucifix éloignent les vampires ?

C'est l'isolement et l'absence totale de perspectives d'avenir qui m'ont parues abominables, bien plus que les prédateurs qui le guettent. Mais bien sûr on espère qu'il trouvera d'autres humains non contaminés. L'espoir est indispensable au désir de vivre. Enfin, je crois... Entre ivrognerie solitaire, expéditions de destruction des monstres, et quête de son Graal, il avance pas à pas.

C'est agréable à lire mais souvent lent. Sauf que des révélations arrivent. D'abord comme des petites lumières de conscience dans l'obscurité, qui ouvrent des portes de compréhension, des petits cailloux sur un chemin ou des pièces d'un puzzle qui se mettent en place. Néanmoins je reste un peu dubitative ! Comment fait-on pour se muer en scientifique doublé d'un laborantin quand on n'a aucune formation dans ce domaine et qu'on est seul au monde, à une époque où le monde s'est arrêté.
Cependant je n'ai pas compris à quel moment on apprend qu'il y a des vampires vivants et des morts.
Et surtout ça n'a rien à voir avec le film avec 
Will Smith.

Écrit en 1954 ce roman parle de choses que certains ne comprendraient pas, comme par exemple une montre arrêtée parce qu'elle n'a pas été remontée. Moi ça m'a fait remonter le temps .

 

Citations :

Page 37 : En des temps reculés — disons, jusqu’à la fin du Moyen Âge — le pouvoir du vampire était aussi grand que la terreur qu’il inspirait. C’est pourquoi on jeta l’anathème sur lui. La société ressent à son endroit une haine irrationnelle.

Pourtant, en quoi ses habitudes sont-elles plus révoltantes que celles des autres hommes et animaux ? Ses crimes sont-ils plus grave que ceux des parents qui étouffent la personnalité de leur enfant ? Son seul nom provoque des réactions d’effroi. Mais est-il plus monstrueux que les parents d’un gosse névrosé, futur homme politique ? Que l’industriel distribuant à des œuvres l’argent qu’il a amassé en fournissant en bombes et en fusils des terroristes kamikazes ?

 

Page 101 : Neville s’immobilisa et explora la salle du regard. Tous ces livres, songea-t-il en secouant la tête. Ces résidus de l’intellect planétaire, raclures de cerveaux frivoles, pots pourris d’artefacts incapables de sauver l’homme de l’anéantissement…

 

Page 220 : Il ferma les yeux et pensa : je vais mourir.

Cela non plus, il ne pouvait l’admettre. Malgré ces trois années vécues en compagnie de la mort, pareil à un funambule avançant au dessus d’un abîme sans fond, il ne comprenait pas. La mort — sa mort — était une notion qui lui échappait totalement.

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