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Mon avis : Manikanetish – Naomi Fontaine

Publié le par Fanfan Do

Éditions Mémoire d’Encrier

 

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Quatrième de couverture :

Une enseignante de français en poste sur une réserve innue de la Côte-Nord raconte la vie de ses élèves qui cherchent à se prendre en main.
Elle tentera tout pour les sortir de la détresse, même se lancer en théâtre avec eux.
Dans ces voix, regards et paysages, se détachent la lutte et l'espoir.

 

 

Mon avis :
Une année scolaire de la vie de Yammie, la narratrice, jeune prof de français à Uashat, une réserve Innue dont elle est originaire. Elle nous raconte son quotidien au milieu de ce peuple dont elle est issue mais dont elle maîtrise mal la langue.
Des cours chapitres, comme des anecdotes, j'ai adoré ! Des miettes de vie, qui racontent le Québec et les Innus. Elle nous parle tour à tour de l'endroit où elle enseigne, de ses élèves qui la tutoient mais l'appellent Madame, de ses week-ends en forêt avant ça. Il y a des passages difficiles à lire, comme la chasse au collet, si cruelle.

Les chapitres alternent entre les souvenirs de sa vie d'avant en famille ou en couple à Québec, et son poste de prof maintenant, loin dans le nord auprès d'inconnus avec qui elle peine à nouer des relations. On sent la passion de son métier, de la transmission du savoir et la joie de voir le résultat mais aussi les difficultés face à des élèves parfois problématiques, d'autant qu'elle est à peine plus âgée qu'eux. Cependant il y a de beaux moments de complicité avec eux, au moment d'un repas organisé juste avant les fêtes de Noël ou à l'occasion de la réalisation d'une pièce de théâtre.

On suit pas à pas les joies, les peines, les difficultés de cette petite communauté autochtone un peu au bord du monde, où certaines élèves d'à peine dix-sept ans sont déjà mères, parfois de plusieurs enfants. Quand une mort inacceptable frappe, la douleur commune est énorme, car tout le monde se connait.
Et que c'est beau cette prof qui parvient à insuffler de l'enthousiasme et de la joie à ses élèves. On se rend compte à quel point les interactions peuvent être un moteur pour le groupe.

C'est une belle histoire, totalement dépaysante car elle se passe si loin de nous, au sein d'un peuple qui tente d'allier ses coutumes ancestrales à la vie moderne qui leur a été imposée, ce peuple des bois à la peau cuivrée, aux yeux bridés et aux longs cheveux noirs, qui vivait autrefois en harmonie avec la nature.

 

Citations :

Page 13 : Je leur apprendrais le monde. Et comment on le regarde. Et comment on l’aime. Et comment on défait cette clôture désuète et immobile qu’est la réserve, que l’on appelle une communauté que pour s’adoucir le cœur.

 

Page 16 : Il avait bâti un tout autre avenir pour nous. Dans le Bas-du-Fleuve. Des jours heureux aux côtés d’un potager. Une maison blanche construite sur un terrain qui se mesure en arpents. L’odeur des champs en plein juillet, et le vent doux du soir. Le sucre que l’on fait bouillir au printemps dont les enfants nombreux et surexcités se servent à la palette. Bien sûr, je me serais plu à lire des romans anciens sur la galerie en bois, isolée, en paix. Bien sûr, les épinettes m’auraient fait sentir chez moi, en plein épandage, constitution si lointaine de la vie sauvage. Bien sûr, nous étions amoureux. Et peut-être que l’amour nous aurait portés. L’un dans l’autre, jusqu’à devenir vieux et insouciants. Mais cette vie ne m’appartenait pas.

 

Page 30 : Nous irons vérifier les collets à lièvre avant le départ dimanche vers onze heures. Ils disent que lorsqu’il est pris, la douleur le fait hurler comme un nourrisson qui pleure. Mais rarement nous l’entendons. C’est la nuit, à deux ou trois milles de notre sommeil, qu’il s’étrangle et entame son ultime combat. Il vaut mieux ne pas y assister. Ils disent que ça peut enlever le goût de la chasse.

 

Page 82 : Me revient en mémoire un cours sur la psychologie de l’adolescence que j’ai suivi. Le professeur exposait les théories sur le suicide. Il disait que de toutes les formes de violences qui existent, le suicide était la pire. Le geste le plus violent que l’être humain peut poser est celui contre lui-même.

 

Page 124 : Tout ce temps, je n’ai cessé de la regarder dans les yeux. Elle avait six ans de moins que moi, plusieurs années d’études devant elle si elle voulait devenir infirmière bachelière comme elle me l’avait déjà confié. Elle venait à peine d’avoir le droit de voter que déjà elle devait se questionner sur la manière d’élever un enfant. Mais la fille à qui je parlais n’était plus une adolescente. Et dans cette vie qu’elle planifiait, elle deviendrait une femme.

 

 

 

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Mon avis : L’ami du Prince – Marianne Jaeglé

Publié le par Fanfan Do

Éditions L’Arpenteur

 

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Quatrième de couverture :

12 avril 65 après Jésus-Christ, dans les environs de Rome.
Des soldats en armes envahissent la villa de Sénèque, porteurs d’un ordre de l’empereur : le philosophe doit se donner la mort.
Sénèque écrit alors une ultime lettre à son ami Lucilius, dressant pour lui le bilan de sa vie. Durant quinze années, il a été le précepteur, puis le conseiller, puis l’ami de celui qui exige désormais sa mort : l’empereur Néron.
Parce qu’il vit ses dernières heures, Sénèque peut enfin tenir un discours de vérité sur son élève. Dans cet ultime moment d’introspection, le philosophe interroge la réalité du pouvoir, mais affronte aussi ses propres erreurs et sa compromission.
L’Ami du Prince raconte comment Sénèque s’est retrouvé prisonnier d’un idéal de l’Empire, de ses illusions et d’un jeune homme imprévisible dont la vraie nature s’est révélée peu à peu.
Après Vincent qu’on assassine et Un instant dans la vie de Léonard de Vinci, Marianne Jaeglé fait revivre le stupéfiant face-à-face entre un philosophe épris de vertu et un jeune tyran sans merci.

 


 

Mon avis :
Marianne Jaeglé se glisse dans la peau de Sénèque qui écrit à son ami Lucilius pour lui narrer l'histoire de sa chute et de sa mort annoncée, durant les quelques heures que les soldats lui accordent. Il est tombé en disgrâce auprès de l'empereur Néron et celui-ci le condamne au suicide. Il ne craint pas la mort. Il souhaite juste exprimer ce que furent sa vie, ses erreurs, ses regrets et ses compromissions, mais surtout dire la vérité sur son élève, Néron. Dans la quiétude de sa demeure aux abords de Rome, auprès de son épouse tant aimée, il raconte.

J'ai immédiatement aimé la prose de l'autrice, fluide et belle. J'ai aimé l'immersion dans la Rome antique, auprès du pouvoir, ce nid de serpents. Car le danger était partout et 
Sénèque le savait, lui qui revenait en grâce après son exil forcé en Corse, rappelé par Agrippine pour être le précepteur de Domitius, futur Nero (Néron). Agrippine mère de Nero, épouse de l'empereur Claude, lui-même père de Britannicus et Octavie, les enfants qu'il a eu avec Messaline qu'il a fait exécuter. Agrippine, intrigante, ambitieuse et absolument sans scrupules, extrêmement dangereuse. Quant à Nero... il paraît qu'on ne naît pas psychopathe, on le devient... Mais sans doute que l'époque, les flagorneurs de tout poil et l'exercice du pouvoir y étaient propices. Cet endroit et cette période font vraiment froid dans le dos.

Panem et circenses. Les combats, les mises à mort dans l'arène lors des jeux du cirque sont d'une sauvagerie absolue et ça plaît au peuple. Des spectacles horribles où on se repait de la souffrance d'autrui. Une société totalement inégalitaire et injuste, avec des esclaves, des affranchis, des maîtres, des grandes familles, et des voleurs ou tueurs qui eux finissaient massacrés dans l'arène sous les vivats de la foule en délire.

Intrigues, calomnies et manigances sont l'essence même du pouvoir. Créer une rumeur pour se débarrasser de quelqu'un et attendre... C'est glaçant.
On a vraiment le sentiment qu'à l'époque, la succession reposait essentiellement sur le meurtre. Agrippine, cruelle et calculatrice détient le pouvoir à travers son fils Nero, qui n'est que sa marionnette. C'est étrange d'imaginer que ce personnage incontrôlable, initiateur de tant de massacres, ait pu être un petit toutou craintif devant sa mère. À moins que ce ne soit le juste retour des choses...

Passionnant, le récit de 
Sénèque nous amène tout doucement à comprendre ce qui l'a fait passer de Ami du Prince, quasi-père de substitution et précepteur qui a façonné Nero à ennemi à abattre. Car il a été fier du résultat quand il a eu le sentiment d'avoir fait de la chenille un papillon :
"Quand je repense à cette période, il me semble avoir vécu un rêve.
Où que Nero aille, dans Rome, on l'acclame, on se prosterne, on se félicite en sa présence. Beau, généreux, sage : un empereur en tout point semblable à Apollon. " peu à peu, à travers le récit de 
Sénèque on apprend comment le jeune homme agréable est devenu le fou sanguinaire que l'histoire a retenu. Sans doute que le pouvoir corrompt et monte à la tête.

J'ai adoré cette plongée dans la Rome antique, dans les différentes strates de la société, très bien décrite, très visuelle, j'étais comme embusquée dans les moindres recoins, à observer, consternée par la cruauté et la vanité des hommes.

Merci beaucoup à Lecteurs.com ainsi qu'aux Éditions Gallimard qui m'ont permis de gagner ce livre lors d'un concours.

 

Citations :

Page 21 : Je me contenterai de retracer comment je me suis trouvé à l’un des plus hauts postes de l’Empire, et quel rôle j’ai joué dans cette pièce tragique. De quoi je puis légitimement m’enorgueillir, et de quelles actions je dois me reconnaître coupable.

 

Page 23 : Je connaissais la brutalité du pouvoir, la manière dont il broie, le plus souvent, ceux qui se mêlent de l’exercer et même ceux qui se trouvent seulement dans ses environs.

 

Page 57 : Une giclée rouge inonde la piste tandis que les licteurs courent se mettre à l’abri. L’ours agite le corps pantelant et le déchire de ses griffes jusqu’à ce que la tête roule dans l’arène en se couvrant de sable.

 

Page 61 : Je n’aimerais pas que l’on puisse reprocher à cette lettre ce que Caligula avait dit de mes écrits et de leur apparente discontinuité : qu’ils le faisaient songer à du sable dépourvu de chaux. Cette phrase méprisante est restée gravée dans ma mémoire, preuve s’il en est de notre vulnérabilité à l’offense.

 

Page 95 : Ces derniers temps, la vie m’a pesé, ô combien. Pourtant, maintenant que je dois passer de l’autre côté, la vérité m’oblige à te dire que j’éprouve une inquiétude et une douleur aiguës à l’idée d’abandonner tout cela que j’ai aimé, tout cela qui fut mien, tout cela qui fut moi.

 

Page 199 : Meditare mortem, recommande Épicure : il faut penser à la mort, ceci dans le but d’en apprivoiser la venue.

 

Page 224 : Le premier service venait d’être posé sur les tables autour desquelles les convives étaient allongés. Sangliers rôtis, paons aux herbes servis sur un lit de roquette, tripes à la menthe, vulves de truies farcies aux châtaignes, poissons en sauce, champignons variés, tout ce que l’automne offre de saveurs était disposé dans des plats d’argent en quantités prodigieuses.

 

 

 

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Mon avis : Le Havre : La grande histoire des quartiers – Dominique Delahaye et Béatrice Merdrignac

Publié le par Fanfan Do

Éditions Petit à Petit

 

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Quatrième de couverture :

Après deux tomes vous racontant la ville du Havre, découvrez l’histoire de ses quartiers ! Au fil des rues et des époques, échappez à la male marée qui a inondé la ville en 1525, participez à la grève des cigarières à Saint-François en 1883, résolvez un meurtre aux Ormeaux, assistez au meeting aérien de 1910 aux quartiers Sud et vivez d’autres aventures encore !

 

À travers des bandes dessinées passionnantes

et des pages documentaires fourmillantes d’informations,

les quartiers du Havre n’auront bientôt plus de secrets pour vous !


 

 

Mon avis :
Je viens de faire ma dernière incursion au Havre en bande dessinée avec ce troisième et dernier tome des Éditions Petit à Petit sur cette ville que j'aime tant. Ça tombe bien pour moi qui ai habité plusieurs quartiers là-bas puisque ça nous raconte l'histoire de ceux-ci. À chaque quartier raconté, une courte histoire en BD suivie de deux planches documentaires, textes, et dessins, comme dans les tomes précédents.
Et j'apprends là que le quartier Notre Dame a été le premier a sortir de terre en 1519.

- Notre Dame
- Saint François
- Des Halles centrales à la Bourse
- le Centre-Ville
- D'Ingouville à Danton
- Saint Vincent
- le Perrey
- Entre gare et Rond-Point
- L'Eure
- de Bléville à Caucriauville

Voilà les dix quartiers racontés dans cet opus.

Avec ce livre on suit la chronologie de la construction et l'évolution du Havre, partant de Notre Dame en 1519, pour arriver au XXe siècle de Bléville à Caucriauville, ce dernier étant le plus grand quartier de la ville, Et le plus sinistre à mon avis.
Pour toute personne qui connaît 
Le Havre, cette trilogie en bande dessinée est passionnante et instructive. J'ai appris au passage que Saint Vincent était le "bas Sanvic". J'ai appris beaucoup d'autres choses d'ailleurs.

On y trouve des dessins d'époque et des plans. C'est d'autant plus intéressant que 
Le Havre a été détruit en grande partie en 1944 par les bombardements et qu'il n'est quasiment rien resté de ce que fut le cœur de cette ville. Quand on voit Le Havre avant la destruction par les alliers on se dit que, outre le nombre de victimes, c'est vraiment une catastrophe car l'architecture était magnifique : le Grand Théâtre, La Bourse, Les Halles Centrales, l'hôtel de ville...

Et toujours la salamandre, emblème de François 1er et de la ville, à chaque bas de page.

 

Citations :

Page 33 : SUR LE BOULEVARD IMPÉRIAL

On y construit des édifices publics comme la sous-préfecture et le palais de justice, un bâtiment de style néo-grec, inspiré de la façade ouest de celui de Paris et inauguré en 1876. C'est ici, au début du XXe siècle, qu'est jugé Jules Durand, un charbonnier syndicaliste condamné à mort pour un meurtre qu'il n'a pas commis. Gracié et libéré, il mourra des séquelles de cette injustice. D'autres grandes affaires y seront traitées, comme au XXIe siècle, celle de la Josacine empoisonnée.

 

 

 

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Mon avis : La couleur de l’eau – James McBride

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Gabrielle Rolin

 

Éditions Gallmeister - Totem

 

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Quatrième de couverture :

Enfant, je n’ai jamais su d’où venait ma mère.” Arrivé à l’âge adulte, James McBride interroge celle qui l’a élevé et dont la peau est tellement plus claire que la sienne. Il découvre l’histoire cachée de Ruth, fille d’un rabbin polonais qui a bravé tous les interdits pour épouser un Noir protestant en 1942. Reniée par sa famille, elle élève James et ses onze frères et sœurs dans la précarité, le chaos et la joie. Pour elle, peu importe la couleur de peau. Seul compte l’avenir de ses enfants. Ils feront des études, et ainsi choisiront leur vie. Tressant leurs souvenirs, James McBride raconte, plein d’amour et de fierté, une femme forte et secrète, lucide et naïve, imperméable aux préjugés : sa mère.


 

 

Mon avis :
James McBride raconte sa mère Ruchel, puis Rachel puis Ruth, blanche avec un grand nez et qui parlait yiddish, dans un monde de Noirs, avec douze enfants métis, plus ou moins foncés.
En maternelle, il se rend compte que sa mère n'est pas Noire comme lui ou comme les mères de ses copains. Il en ressent un certain malaise. Pourtant elle refuse de dire qu'elle est blanche. Elle dit qu'elle a la peau claire.

On passe alternativement du récit de l'auteur qui raconte son enfance métisse dans un quartier noir avec une mère blanche, à celui de sa mère, qui elle, parle de son enfance juive, arrivée aux États-Unis en 1923, reniée un jour par sa famille quand elle a épousé un Noir, car son père les détestait tous. Elle en revanche n'aimait pas le judaïsme : "Peut-être est-ce pour ça que je ne suis pas juive à présent. Il y a trop de règles à suivre, trop d'interdits."

J'ai beaucoup aimé le parallèle entre ces deux enfances, ces deux vies. D'un côté la famille d'immigrants juifs, très stricte, sévère, un père cupide, raciste et même pire que ça. de l'autre cette famille très nombreuse, métissée, élevée dans deux quartiers de New York, Harlem puis Brooklyn, très modeste et bordélique dans son organisation mais avec des principes d'éducation strictes, où l'argent est secondaire car seuls comptent les résultats scolaires. Car pour Ruth, l'école est la clé de tout.

On se rend compte à quel point, en plus d'être raciste, l'Amérique était antisémite mais aussi combien certains Noirs détestaient les Blancs et le manifestaient au moment du Black Power. Ce qui d'ailleurs faisait trembler 
James McBride tant il craignait pour la sécurité de sa mère, qui elle, s'en foutait royalement. Reste que pour un métis c'était la double peine. Méprisé par les Blancs, et par un certain nombre de Noirs. La question raciale est le cœur de ce récit. Comment se construire quand on ne connaît pas la branche juive et blanche de sa mère, et quand on trouve très étrange de ne pas être de la même couleur qu'elle.

J'ai aimé cette histoire d'une famille atypique, de cette mère qui ne se préoccupait pas le moins du monde du qu'en dira-t-on et osait aimer des hommes noirs à une époque où ça ne se faisait pas, dans les années 40-50-60, qui n'avait jamais un sou mais a poussé ses douze enfants à faire des études. Cette femme qui aimait ses enfants sans jamais leur dire ni le montrer et les punissait à coups de ceinture. Sans doute parce qu'elle pensait que le monde est dur et qu'il fallait les endurcir.

Donc je résume : une mère née en Pologne en 1920, dans une famille juive dont le père, rabbin, méprise les goys et les Noirs, qui a émigré aux États-Unis pour s'installer dans un état du sud, qui occidentalise son prénom de Ruchel en Ruth, devient chrétienne, a douze enfants métis de deux maris noirs, qu'elle élève à New-York. Ça donne une histoire un peu folle et tellement vivante ! J'ai aimé le côté anarchique de la famille nombreuse, où on s'aime et se jalouse forcément. J'ai aimé le côté zéro tabou genre "c'est quoi une couleur ? Ça n'existe pas nous sommes tous des humains". Mais surtout j'ai trouvé étrange cette femme absolument pas matérialiste, généreuse mais brutale, très secrète, dont les enfants ne connaissaient pas le passé. C'est que son passé, elle aurait voulu pouvoir l'effacer, "l'enfer, le territoire interdit : son enfance juive". Elle finit cependant par raconter et on comprend qu'elle ait eu envie d'oublier tout cela. Mais c'était compter sans James, son huitième enfant, qui a eu le désir et sûrement le besoin d'aller à la recherche d'une partie de ses origines.
Cerise sur le gâteau, j'ai adoré la fin !!! Elle m'a émue, très fort. Car ce qu'il y a de plus beau, c'est que tout cela est vrai !

 

Citations :

Page 17 : Avant de déménager pour le confort tout relatif de Saint Albans dans Queens, nous habitions à Brooklyn dans un grand ensemble de logements sociaux, le Red Hook Housing Project, et Maman nous couchait chaque nuit comme on aligne des saucisses, trois ou quatre dans chaque lit, le premier la tête sur le traversin, le second dans l’autre sens, le troisième comme le premier, et ainsi de suite.

 

Page 23 : Je me souviens du jour où Zaydeh mourut dans l’appartement. Par contre, je ne sais pas de quoi. Il s’éteignit tout simplement. À l’époque, les gens ne se cramponnaient pas à la vie comme aujourd’hui où on leur branche des tuyaux dans la bouche pour enrichir les docteurs et tout le tralala. Au moment venu, on mourait. Point barre. Au revoir.

 

Page 32 : Elle ne supportait aucune espèce de racisme et méprisait les bourgeois noirs qui s’acharnaient à imiter les parvenus blancs. Ils prenaient de grands airs et faisaient des choses ridicules, comme recouvrir leur divan d’un plastique protecteur ou boire le thé avec le petit doigt en l’air.

 

Page 107 : Ils m’acceptent comme je suis. Ce sont des gens confiants et pacifiques. Je me fous de ce qu’on raconte à la télé en faisant l’amalgame avec ces imbéciles qui dégainent leur revolver et tuent pour un oui ou un non. Ces Noirs-là ne représentent qu’une minorité. La plupart détestent la violence et le mensonge, c’est pourquoi on abuse d’eux si facilement.

 

Page 183 : De nos jours on pourrait affirmer que ma mère fut maltraitée, vu la façon dont mon père se conduisait avec elle. Mais, à l’époque, on se contentait de hocher la tête en considérant que c’était une situation normale. Dans le Sud, un homme pouvait faire ce qu’il voulait à sa femme. Surtout si elle était juive et infirme ; et encore davantage si le mari se présentait comme un soi-disant rabbin.

 

Page 213 : Jamais je n’ai rencontré un prédicateur aussi doué. En invoquant Jésus, il aurait fait sauter de joie une grenouille. Crois-moi, tu n’as jamais entendu parler d’un pasteur pareil. Au lieu de nous menacer des foudres du ciel, il parlait de Dieu en décrivant sa présence dans notre vie quotidienne, comme si le paradis se trouvait à deux pas de chez nous.

 

Page 219 : Il faisait bon vivre dans le Red Hook Housing Project. Les Italiens y côtoyaient les Portoricains, les Juifs, les Noirs, en complète harmonie, telle que l’Amérique la promettait, telle que j’en avais rêvé.

 

Page 226 : En récitant le kaddish et en te condamnant au cours d’une Shi’vah, les juifs se déchargent de toute responsabilité, de tout devoir d’assistance envers toi. Tu es comme morte à leurs yeux.

 

Page 242 : Des confrères noirs me disaient pis que pendre d’un chroniqueur blanc qui m’étais sympathique et je ne manifestais ma désapprobation qu’en gardant le silence. Certes, les Blancs tenaient le haut du pavé, et parfois ils nous le faisaient sentir sans aucune pitié. Ils n’hésitaient pas à employer des moyens retors pour briser la carrière de brillants rivaux noirs, lesquels en concevaient de l’amertume. D’autres Blancs n’étaient que de vulgaires pions, comme moi-même.

La plupart de mes chefs de rubrique furent des femmes blanches. Lors des conférences de rédaction, elles se montraient souvent plus compatissantes et plus intelligentes, mais obtenaient rarement de l’avancement à un poste de direction – encore plus difficilement que leurs homologues masculins noirs et plus conservateurs, certains déambulant dans la salle de presse en se prenant pour la réincarnation de Martin Luther King et brandissant leur négritude telle une batte de base-ball.

 

 

 

 

 

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Mon avis : Le dernier gardien d’Ellis Island – Gaëlle Josse

Publié le par Fanfan Do

Éditions Noir sur Blanc

 

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Quatrième de couverture :

New York, 3 novembre 1954. Dans cinq jours, le centre d'Ellis Island, passage obligé depuis 1892 pour les immigrants venus d'Europe, va fermer. John Mitchell, son directeur, officier du Bureau fédéral de l'immigration, resté seul dans ce lieu déserté, remonte le cours de sa vie en écrivant dans un journal les souvenirs qui le hantent : Liz, l'épouse aimée, et Nella, l'immigrante sarde porteuse d'un étrange passé.
Un moment de vérité où il fait l'expérience de ses défaillances et se sent coupable à la suite d'événements tragiques. Même s'il sait que l'homme n'est pas maître de son destin, il tente d'en saisir le sens jusqu'au vertige.
A travers ce récit résonne une histoire d'exil, de transgression, de passion amoureuse d'un homme face à ses choix les plus terribles.

 

 

Mon avis :
L'introduction de ce roman est tellement empreint de nostalgie ! Les derniers jours d'Ellis Island, puis la retraite à venir pour le directeur, le dernier gardien, dans l'appartement de Brooklyn hérité de ses parents avec tous leurs souvenirs incrustés par tant d'années qui pourtant semblent si peu importants à côté de la fermeture de ce lieux plein de l'histoire des États-Unis : "Encore neuf jours à errer dans les couloirs vides, les étages désaffectés, les escaliers désertés, les cuisines, l'infirmerie, le grand hall où depuis longtemps seuls mes pas résonnent."

Ce lieu est rempli de fantômes, de tous ces migrants arrivés là après des semaines en mer, observés, scrutés, et pour certains, marqués à la craie, d'une lettre, une unique lettre qui correspond à la partie du corps soupçonnée d'être malade. Cette marque qui leur refusera peut-être l'entrée sur cette terre de tous les possibles. Pour les autres, vingt-neuf questions, déterminantes.

Pendant quarante-cinq ans cet homme a vécu là, a vu passer quantité d'êtres humains ayant abandonné une vie pour une autre. Il est le détenteur de la mémoire de ces lieux et de ces êtres égarés, épuisés mais prêts pour la liberté, et du cimetière, terre des morts d'Ellis Island, de ceux qui ne sont pas allés plus loin.

Cet homme a eu une vie, sur cet îlot, et il nous la raconte. C'est très étrange, un peu comme ces gardiens de prison qui sont en prison eux aussi d'une certaine façon. Parallèlement il raconte le contraste énorme des joies de la vie New yorkaise, Coney Island et sa fête perpétuelle, où encore les comédies musicales où ils allaient lui et sa femme, mais aussi l'histoire du monde. Et puis quelques vies passées par Ellis Island. Il nous parle de la perte, du deuil, de la solitude, de la fatalité. L'espérance, la peur, la souffrance, ce trio chevillé au corps et à l'esprit des migrants ayant tout quitté, tributaires d'un coup de tampon des fonctionnaires de l'immigration. Pour lui, Ellis Island est une espèce de navire avec ses règles et son équipage, amarré non loin de Manhattan. Il en est le capitaine.

J'ai énormément aimé l'écriture de 
Gaëlle Josse, très poétique, qui a su si bien retranscrire cette solitude, seule compagne du gardien, et faire apparaître dans mon esprit les fantômes du passé de cet "îlot délaissé, au bord du monde", ces silhouettes d'un temps révolu, qui nous raconte en même temps une page de l'histoire des États-Unis.

 

Citations :

Page 11 : Encore neuf jours à errer dans les couloirs vides, les étages désaffectés, les escaliers désertés, les cuisines, l’infirmerie, le grand hall où depuis longtemps seuls mes pas résonnent.

 

Page 12 : J’ai parfois l’impression que l’univers entier s’est rétréci pour moi au périmètre de cette île. L’île de l’espoir et des larmes. Le lieu du miracle, broyeur et régénérateur à la fois, qui transformait le pays irlandais, le berger calabrais, l’ouvrier allemand, le rabbin polonais ou l’employé hongrois en citoyen américain après l’avoir dépouillé de sa nationalité. Il me semble qu’ils sont tous encore là, comme une foule de fantômes flottant autour de moi.

 

Page 61 : Même si depuis longtemps, pour le personnel d’Ellis, ces steamers ne représentent qu’une charge de travail, une quantité d’individus à faire circuler au plus vite entre les arcanes des procédures, je n’ai pu m’«empêcher, chaque fois, d’être saisi à la vue de ces arrivants, saisi par ces grappes humaines qui saluent leur Terre promise massées sur les ponts, et par la silencieuse majesté du bâtiment qui vient de traverser les mers ; et d’être ému à la pensée de tous les destins inconnus qu’il abrite.

 

Page 116 : Les immigrants, dans le chaudron d’Ellis, dans ces fonts baptismaux gigantesques, ressortaient sous forme de citoyens américains, libres et égaux, priés de travailler dur, de parler anglais et d’utiliser des dollars en lieu et place de lires, de zlotys ou de roubles.

 

 

 

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