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Mon avis : Récits d’Ellis Island : histoires d’errance et d’espoir – Georges Perec avec Robert Bober

Publié le par Fanfan Do

Éditions P.O.L

 

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Quatrième de couverture :

De 1892 à 1924, près de seize millions d'émigrants en provenance d'Europe sont passés par Ellis Island, un îlot de quelques hectares où avait été aménagé un centre de transit, tout près de la statue de la Liberté, à New York.
Parce qu'ils se sentaient directement concernés, par ce que fut ce gigantesque exil, Georges Pérec et Robert Bober ont, dans un film " Récits d'Ellis Island, histoires d'errance et d'espoir ", INA, 1979, décrit ce qui restait alors de ce lieu unique, et recueilli les traces de plus en plus rares qui demeurent dans la mémoire de ceux qui, au début du siècle, ont accompli ce voyage sans retour.
Notre livre se compose de trois grandes parties principales : La première restitue, à travers une visite à Ellis Island et à l'aide de textes et de documents ce que fut la vie quotidienne sur ce que certains appelèrent " l'île des larmes ".
Dans la deuxième, " Description d'un chemin ", Georges Pérec évoque sa relation personnelle avec les thèmes de la disparition et de l'identité. La troisième, " Mémoires ", reprend les témoignages d'hommes et de femmes qui, enfants, sont passés par Ellis Island et racontent leur attente, leur espoir, leur rêves, leur insertion dans la vie américaine.


 

 

Mon avis :
Il s'agit là du livre d'un film tourné en 1979 et édité en DVD par l'Institut national de l'Audiovisuel. Je croyais emprunter à la médiathèque un autre livre de 
Georges Perec intitulé Ellis Island tout simplement et je me suis retrouvée avec celui-ci. Et c'est tant mieux car ça m'a énormément plu. Il y a des textes pour nous raconter l'histoire de ce lieu où tant de gens sont passés, mais aussi beaucoup de photos d'époque qui ajoutent quelque chose de très émouvant qui nous fait toucher du doigt cette étape de la vie de ceux qui tentèrent leur chance aux États-Unis.

Quelque chose me fait rêver depuis toujours dans l'évocation de cet îlot minuscule car il représente l'arrivée dans le Nouveau Monde et le rêve américain. Pourtant bien des miséreux sont arrivés là pleins d'espoir et finalement ont continué une vie de misère. D'ailleurs, dans toutes les langues 
Ellis Island était surnommée l'île des larmes. C'est passionnant, on apprend l'histoire de l'île et comment elle est devenue le centre d'accueil des émigrants et pourquoi peu à peu les conditions d'entrée dans le pays se durcirent mais aussi de quelle façon nombre d'émigrants changèrent de nom à Ellis Island pour des noms à consonance américaine.

Lieu d'espoirs et de désespoir, où tant de suicides ont eu lieu, où le pourcentage des refoulés est minime mais représente une grande quantité de personnes tant le nombre d'émigrants était important.
Des questionnaires à la chaîne, des individus soupçonnés de maladie donc en attente, seize millions passés par 
Ellis Island en trente ans.

Georges Perec semble être venue chercher là des réponses à sa judéité, lui qui n'a pas connu la terre ni la langue de ses parents, du peuple juif, presque toujours voué à l'exode.

Le livre est divisé en cinq parties. La première, "L'île des larmes", raconte l'histoire d'
Ellis Island.
La deuxième, "Description d'un chemin", le nombre d'immigrants de chaque origine ainsi que les noms des bateaux qui les amenèrent et de quel port, les 
lieux d'arrivée, en fait le long chemin avant, pendant et après, accompagnée de nombreuses photos.
La troisième, "Album", des photos, très belles, très parlantes.
La quatrième, "Repérages", une liste de noms de gens, de 
lieux, de nourritures, que pour ma part j'ai passé rapidement.
La cinquième, "Mémoires", contient les témoignages de onze personnes, arrivées entre 1909 et 1928, la plupart dans l'enfance. Les auteurs ont choisi d'interroger les Italiens et les Juifs Russes ou d'Europe Centrale, parce que ce sont eux qui sont le plus massivement concernés par 
Ellis Island et parce qu'ils s'en sentaient plus proches. Dans ces témoignages on ressent très fort l'espérance que représentait l'Amérique. Pourtant, certains témoignages malmènent un peu le rêve américain. C'est aussi l'histoire intemporelle de l'humanité : s'exiler dans l'espoir d'une vie meilleure.

 

Citations :

Page 16 : Par ailleurs, beaucoup d’émigrants souhaitaient avoir des noms qui fasse américains. De là vient que d’innombrables histoires de changement de noms eurent lieu à Ellis Island : un homme venu de Berlin fut nommé Berliner, un autre prénommé Vladimir reçut comme prénom Walter, un autre prénommé Adam eut pour nom Adams, un Skyzertski devint Sanders, un Goldenblum devint Goldberg tandis qu’un Gold devenait Goldstein.

 

Page 36 : […] ce n’est jamais, je crois, par hasard, que l’on va aujourd’hui visiter Ellis Island. Ceux qui y sont passés n’ont guère eu envie d’y revenir. Leurs enfants ou leurs petits-enfants y retournent pour eux, viennent y chercher une trace : ce qui fut pour les uns un lieu d’épreuves et d’incertitudes est devenu pour les autres un lieu de leur mémoire, un des lieux autour duquel s’articule la relation qui les unit à leur mémoire.

 

Page 133 : Nous avions peur de tout et nous étions vraiment affamés. Mon mati avait deux frères en Amérique et il m’a dit : « J’ai leur adresse. Ils m’ont déjà écrit des lettres. Ils travaillent là-bas, ils gagnent leur vie, ils sont libres. Je veux aller en Amérique. Nous sommes jeunes tous les deux, allons-y. »

 

Page 134 : Nous avons mis vingt et un jours pour arriver en Amérique, vous pouvez vous imaginer dans quelles conditions ! Eh bien, quand nous avons débarqué, nous nous attendions à découvrir un monde différent, mais ce que nous avons découvert, c’est Ellis Island, une grande salle avec des barreaux d’acier aux fenêtres, une prison.

 

Page 153 : G.P. : Est-ce que vous pensez que votre vie aurait été différente si vous étiez restée en Italie ?

Mme C. : Non… Je n’aurais pas aimé… L’Italie ne me plait plus. Il y a trop de communistes là-bas, trop de choses qui ne me plaisent pas. Ici c’est un pays libre. God bless America ! C’est tout.

 

 

 

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Mon avis : Conseils de lecture pour âmes égarées – Sara Nisha Adams

Publié le par Fanfan Do

Traduit par Élisabeth Luc

 

Éditions J’ai Lu

 

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Quatrième de couverture :

Entre un père complètement absent et une mère en dépression, Aleisha n'a guère le temps de lire pour son propre plaisir. Mais les journées sont longues à la bibliothèque de Harrow Road où elle travaille. Et la mystérieuse liste de lecture qui s'est échappée d'un livre a éveillé sa curiosité. Alors, pour tromper l'ennui, elle parcourt les premières pages des romans mentionnés et découvre, en compagnie de Scout, d'Elizabeth Bennet et de tant d'autres, un monde insoupçonné.

Quand un vieux monsieur, perdu entre les étagères remplies de livres, vient lui demander conseil, Aleisha trouve dans cette âme égarée un ami avec qui échanger sur ses lectures et surmonter ses peurs et ses peines. Car il n'est jamais trop tard pour commencer à lire, à aimer et à rêver.

 

 

Mon avis :
Merci à Lecteurs.com pour ce concours qui m'a permis de gagner ce livre.

En commençant cette histoire, j'ai aussitôt pensé que j'allais encore une fois avoir des tas de nouvelles envies de lecture... c'est toujours comme ça avec les romans qui parlent de romans.

Mukesh est veuf, terrorisé par le monde extérieur, perdu sans sa Naina. Il décide un jour de se faire violence en allant rapporter à la bibliothèque un livre que Naina avait oublié de rendre mais avec l'envie un peu refoulée de se plonger dans un roman, comme elle le faisait, elle qui lisait tout le temps. Il espère ainsi être connecté à sa défunte épouse, mais aussi se rapprocher de Priya sa petite-fille à qui sa grand-mère a transmis la passion des livres.

Aleisha, 17 ans, a décroché un poste de bibliothécaire pour l'été. Elle déteste ce travail qu'elle trouve terriblement ennuyeux et forcément le fait mal. Elle se demande s'il y a encore des gens qui vont dans les bibliothèques. Car elle, les livres ne l'intéressent pas, contrairement à son frère Aidan. de plus elle est souvent maussade et râleuse, mais l'enfer de sa vie familiale y est pour beaucoup.

Et donc, les chapitres alternent entre Mukesh et Aleisha, deux âmes égarées, chacun avec ses angoisses existentielles, qui, bien sûr, vont se rencontrer à la bibliothèque. Plusieurs générations les séparent, cependant ils ont comme point commun leur solitude et leur manque de goût pour la lecture que pourtant chacun désire soigner. Il y a parfois des chapitres courts, dédiés à d'autres personnages, Chris, Indira, Leonora, Izzy, Joseph, Gigi... et une liste de lecture de huit romans qui apparaît en différents endroits.

J'ai trouvé que le démarrage prenait beaucoup de temps, était trop lent, et mon intérêt pour l'histoire a été long à venir. Cependant, quand Mukesh prend enfin goût à la lecture, on ressent avec lui le plaisir des amitiés nouées avec des personnages de romans, avec ce monde onirique d'une certaine façon et ça fait un bien fou ! D'ailleurs ça m'a fait retourner à la médiathèque, moi qui préfère posséder les livres, j'ai eu envie d'en emprunter et m'imprégner de nouveau de l'ambiance feutrée de ce lieu magique empli de livres à perte de vue. Cette histoire m'a replongée, avec bonheur, dans certains des romans de cette liste que j'ai lus.

Aleisha et Mukesh liront tous les deux Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, premier livre de la liste, pour commencer leur vie de lecteur. Ils en seront métamorphosés d'une certaine façon. le roman comporte huit partie dont chacune correspond à un livre de cette étrange liste intitulée : Si le besoin s'en fait sentir.

Évidemment, ce roman est un Hymne à la littérature, au pouvoir de guérison des livres, qui vous emportent, vous font vivre mille vies, voyager dans le temps, dans le monde entier et au delà, vous offrent des amis de papier, vous instruisent, vous bouleversent, vous font palpiter, rire, pleurer, trembler... Soignent aussi les petits bobos de la vie et aident à traverser les grandes douleurs en permettant de s'abstraire du monde réel. D'ailleurs j'ai adoré les échanges osmotiques sur les romans lus, c'est tellement ça ! L'envie d'en parler à tout le monde, avec tout le monde, d'échanger sur les livres lus en commun ! Il arrive même que parfois les personnages de romans s'invitent dans la vie réelle...

Mukesh et sa famille font partie de la communauté indienne de Londres. Ça a été l'occasion pour moi d'apprendre qu'il y a un temple hindou dans cette ville, le Swaminarayan Hindu Mandir, dont la taille et la beauté m'ont un peu coupé le sifflet après que je sois allée chercher des photos sur internet. Si j'avais su, je serais allée au moins le voir, et peut-être le visiter, si c'est permis lors d'un passage à Londres. Ça aussi c'est la magie des livres, qui donnent envie de voyager et découvrir.

Et moi il ne me reste plus qu'à lire les cinq livres de la liste que je n'ai pas encore lus...
Rebecca, L'histoire de Pi, Orgueil et préjugés, Les quatre filles du docteur March, Un garçon convenable. Et le temps n'est rien, hors liste mais présent du début à la fin de ce roman. Cette plongée dans l'univers des livres a été réellement enchanteresse.

 

Citations :

Page 52 : En dépit de tout, elle n’avait pas une fois essayé de lui parler de ce qu’il devrait ressentir quand elle serait partie, ce qu’il devrait faire pour lui-même, pour la ramener. C’était tout ce qu’il voulait savoir.
Et il se retrouvait seul, sans la moindre idée de ce qu’il devait faire, maintenant qu’elle était partie et qu’il demeurait dans une maison sans vie, sans âme et sans livres.

 

Page 73 : Si les livres lui permettaient de s’évader, lire coûtait moins cher que de se saouler.

 

Page 165 : — Crois-moi, même si tu as l’impression que les romans ne peuvent rien t’apporter, ils t’ouvrent sur le monde, ne serait-ce qu’un peu.

 

Page 182 : Il serra son livre sur son cœur. Naina emportait un livre partout où elle allait, au cas où elle resterait coincée dans un ascenseur, par exemple, ou s’il y avait la queue à la caisse du supermarché et personne avec qui bavarder.

 

Page 440 : — Aleisha… n’oubliez pas que les livres ne sont pas toujours une évasion. Ils peuvent aussi nous enseigner des choses. Ils nous montrent le monde au lieu de le cacher.

 

 

 

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Mon avis : Noir négoce – Olivier Merle

Publié le par Fanfan Do

Éditions de Fallois

 

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Quatrième de couverture :

Le 17 novembre 1777, à dix-huit ans, Jean-Baptiste Clertant, frais émoulu de l’École d'hydrographie du Havre, embarque en qualité de second lieutenant sur le navire marchand l'Orion à destination de La Guadeloupe. Peu avant l'appareillage, le puissant armateur Dumoulin -- propriétaire du navire l'avertit que l'Orion effectuera un détour par l'Afrique pour se charger de bois d'ébène -. Jean- Baptiste Clertant ignore tout de ce trafic. En Afrique, puis au cours de la traversée vers les Antilles, il découvre l'horreur de l'ignoble commerce. Négrier malgré lui, pris au piège, Jean- Baptiste se désespère, jusqu'au jour ou un événement imprévu le décide à agir. Que peut-il tenter ? Jusqu'où sa révolte le conduira-t-elle ? Qui prendra le risque de l'aider ? A travers le terrifiant périple du navire négrier, Olivier Merle aborde la question de la responsabilité personnelle et de l'action individuelle qui se pose à tout individu plongé au cœur d'une tragédie humaine.

 

 

Mon avis :
1777. L'histoire nous est racontée par Jean-Baptiste Clertant né en 1759, qui, bien que fils de drapier, fut envoyé à l'École d'hydrographie du Havre afin d'entrer dans la marine marchande. Dans la naïveté de sa jeunesse il embarque sur un navire qui fait le commerce du bois d'ébène, qui n'est autre que la traite des esclaves. On lui fait croire que c'est rendre service à ces Noirs, qui sont martyrisés et même mangés par leurs semblables, que de les emmener loin de leur Afrique. Car grâce aux français, ils sont sauvés de leur condition abominable, et sont baptisés par une disposition impérative du Code noir prescrit par Louis XIV, mission voulue par Notre Sainte Mère l'église ! Eh oui !
Le cynisme à son comble.

C'est immédiatement passionnant ! On apprend beaucoup dans un premier temps sur les différentes parties d'un bateaux ainsi que sur la navigation. J'ai eu l'impression de prendre la mer sur l'Orion avec tout l'équipage, je sentais presque les embruns du large.
Jean-Baptiste Clertant, frais émoulu de son école où il a appris les toutes dernières techniques de navigation, doit user de beaucoup de diplomatie à bord pour les faire connaître et accepter par les vieux briscards de la mer, attachés à leurs vieilles méthodes, et ceci sans se faire mal voir.

Ce qu'on apprend  sur le statut des noirs au temps de l'esclavage est effarant, cruel, ignoble, indigne. Pourtant tout le début du roman est plutôt très agréable avec l'océan à perte de vue. Il y a une certaine légèreté à naviguer vers la Sénégambie et observer les rapports humains sur ce bateaux où il y a deux matelots noirs. On apprendra la raison de leur présence assez rapidement.

J'ai aussi appris beaucoup, avec consternation, sur l'histoire et la géopolitique de l'Afrique, que les Blancs ont saccagée et disloquée avec leur commerce ignoble d'êtres humains. Ils ont rompu l'équilibre qui y régnait, comme en attestent les récits de voyage de 
Ibn Battuta au XIVe siècle.

Hélas pour Jean-Baptiste, qui était un jeune homme de dix-huit ans enthousiaste et avenant, possédant une grande capacité d'émerveillement et d'empathie, la découverte de ce qu'est réellement la traite des esclaves lui laissera des failles à l'âme : "[...] il se trouve que ce sont les dernières lignes de ce journal, lequel s'interrompt ici, laissant ensuite autant de pages blanches que de jours de voyage restants. Car, par la suite, j'ai cessé d'écrire quoi que ce soit, n'en trouvant plus la force et ne sachant s'il existait des mots pour raconter ce que je voyais. Celui qui n'a jamais assisté à la manière dont s'effectue une traite négrière ne peut l'imaginer, et d'y participer, même passivement, me donna un sentiment de honte si grand que mon journal en resta muet pour toujours."

Dans ce roman on apprend comment à l'époque les marins calculaient la latitude, la longitude, la vitesse du bateau, la quantité d'eau à emporter, comment ils luttaient contre le scorbut, le rôle réel et complet du capitaine, mais aussi la façon atroce dont se faisait le commerce triangulaire ainsi que la façon dont fonctionnaient certaines sociétés africaines. C'est enrichissant et déchirant à la fois, effroyable souvent. Entre l'achat des esclaves, le "stockage" dans la cale, et la traversée, de la Sénégambie aux Caraïbes jusqu'à la vente, on touche du doigt l'abomination de ce trafic. Il y a cependant, au milieu de cette horreur, une belle histoire d'amitié, de générosité, de don de soi, un long chemin parcouru.

Cette histoire, extrêmement bien documentée, est un bout de l'histoire de l'humanité autant que le récit de quelques vies, à une époque où le monde occidental était beaucoup plus inacceptable que maintenant dans ses fondements, où certains humains, de par leur couleur de peau n'étaient pas considérés comme des humains mais comme de la marchandise. C'est cruel et totalement impitoyable et je me demande comment un pays dit civilisé et croyant à pu pratiquer cette ignominie.

 

Citations :

Page 12 : Il n’est pas de science plus ardue que celle de la navigation, qui exige les connaissances les plus solides en mathématiques, physique, astronomie et géographie. Nos marins, le plus souvent, en ignorent encore les fondements, ce qui explique les errements de routes et même, hélas, les nombreux naufrages près des côtes, quand le pilote conduit le navire sur les hauts-fonds après s’être fourvoyé dans son calcul de l’estime.

 

Page 19 : — C’est une mission noble et salvatrice que je vous propose là, monsieur Clertant, de celles dont mon entreprise s’honore et que nous faisons plus par humanité que par profit. Il faut que vous sachiez que nous arrachons ces nègres à un état de sauvagerie épouvantable, car ils sont horriblement martyrisés par leurs semblables, qui les mangent parfois.

 

Page 47 : — Vous ne fumez pas ? Commença-t-il en me jetant un regard bref.

Non, monsieur.

Vous avez tort, c’est excellent pour la santé. D’abord, c’est un remarquable relaxant, qui vous calme les nerfs à peu de frais lorsque ceux-ci s’échauffent trop en dedans. Ensuite, c’est un laxatif utile et efficace qui aide à aller quand tout est un peu bloqué au niveau des boyaux ! On ne peut que conseiller à nos matelots d’en user régulièrement.

 

Page 53 : Les yeux fixés sur l’ouverture, plongeant vers cette inquiétante semi-obscurité où s’entassaient diverses marchandises, de la pacotille donc, je songeais que, plus tard, en conclusion de l’échange commercial qui justifiait notre voyage, on pousserait là une longue et interminable file d’hommes noirs, et qu’on la pousserait quoi qu’il arrive, quoi qu’ils disent, qu’ils s’encastreraient et s’emmêleraient comme ils pourraient puisqu’on continuerait à pousser, à pousser toujours et encore, jusqu’au dernier, et qu’on refermerait ensuite l’écoutille sur cet affreux et gémissant grouillement humain, comme on referme un tombeau.

 

Page 117 : Comme le soir tombait, nous ne fîmes aucune tentative pour joindre la terre et, ayant affalé toutes les voiles, avalé au réfectoire un repas frugal, le capitaine nous enjoignit de dormir tout notre saoul. Le lendemain serait une journée longue et nécessiterait toute notre énergie. Pour ma part, je dormis mal, comme souvent quand la monotonie de la vie est brisée par l’inconnu, et que l’esprit s’enroule sur lui-même, cherchant à imaginer ce qu’il ne connaît pas et ne peut deviner.

 

Page 125 : — Eh bien ! dit le capitaine avec humeur, n’est-ce pas signifier que sans la participation des nègres eux-mêmes ce commerce n’existerait pas ?

Certes, on peut ainsi se donner bonne conscience ! Répliqua M. Launay – et je vis que le capitaine se raidissait sur son siège —, mais la réalité n’est pas aussi simple. Le corrupteur suscite toujours des corrompus, qu’ils soient Européens, Africains, Chinois ou Inuits ! Quand le pacte est conclu, le corrupteur et le corrompu vont main dans la main faire leurs petites affaires au détriment de tous ! Et croyez-moi, en Afrique, toutes ces richesses que nos navires débarquent à longueur d’année, elles ne profitent à personne, sinon à ceux-là seuls qui pillent et ravagent leur continent pour fournir toujours plus d’esclaves.

 

Page 196 : C’est une chose que j’ai apprise sur les rives du fleuve Gambie : nous ne sommes des hommes que dans la mesure où l’on nous considère tels, mais nous cessons de l’être dès lors qu’on nous regarde autrement. Et la peur qui se lisait au fond des yeux de chaque captif était une peur animale, instinctive, laquelle réduit à néant la dignité et exclut ceux qui la vivent du cercle des humains. Ainsi la boucle est bouclée, car les négriers européens trouvent dans cette attitude animale la belle preuve que les nègres sont des bêtes, tout juste bons à jouer le rôle qu’on leur destine, celui-ci relevant donc d’un ordre souverain de la nature. De la sorte, tout est à sa place dans le meilleur des mondes, sous l’œil approbateur du Créateur, et avec la caution de cette opportune malédiction de Cham.

 

Page 208 : Nous eûmes le même sourire quand, touchant enfin à l’océan, l’embouchure du fleuve s’élargit en ces proportions gigantesques, et que le grand large nous apparut, immense, infini, démesuré, à proportion de la rotondité de la Terre.

 

Page 279 : L’océan, qui avant notre départ du Havre était pour moi le symbole du grand large, de l’aventure et de l’évasion, je le voyais maintenant sous un tout autre jour, affreux et sordide, tel un vaste cimetière de nègres arrachés à leur terre natale.

 

Page 324 : — vous verrez, si ce n’était pas si triste, on en rirait de bon cœur ! L’enfant d’un Blanc et d’une Noire se nomme un mulâtre, terme que vous connaissez. L’enfant d’un Blanc et d’une mulâtresse s’appelle un quarteron. Maintenant, un Blanc et une quarteronne donne un métis, un Blanc et une métisse donne un mamelouque, le Blanc et le mamelouque nous font un petit quarteronné, un Blanc et un quarteronné donne un sang-mêlé, et ainsi d suite, à l’infini.

 

 

 

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Mon avis : Zébrures La face cachée des HPI… - Anne-Sophie Nédélec

Publié le par Fanfan Do

Éditions Le Lézard Bleu

 

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Quatrième de couverture :

« Zèbres », « HPI », « Surdoués », « Précoces », tous ces termes recouvrent une réalité mal connue et bien souvent erronée. À travers cette pièce de théâtre, écrite à partir de divers témoignages, Anne-Sophie Nédélec livre une vision sensible et « de l’intérieur », en croisant les destins de divers personnages.
Il y a Lætitia, qui veut comprendre pourquoi elle se sent si mal alors que tout va bien dans sa vie, Morgane, l’adolescente prisonnière de sa propre tourmente, et puis Charlotte, qui se découvre avec incrédulité à travers sa fille. Romain, lui, se tient tant bien que mal en équilibre, grâce au soutien indulgent de sa femme. Chacun se cherche, se révèle... et s’adapte.
Par un regard tendre et amusé, Zébrures essaie de casser les clichés et l’incompréhension sur une caractéristique qui touche 2,3% de la population.


 

 

Mon avis :
À travers cette pièce de théâtre, 
Anne-Sophie Nédélec nous parle des HPI, ces personnes à haut potentiel intellectuel. On suit le parcours de Lætitia qui se raconte à la psy en retournant vers son enfance. Et, bien que je ne sois pas HPI, beaucoup de choses ont résonné en moi. À commencer par la douleur d'être à l'école, de devoir faire face parfois à des enseignants injustes et tout-puissants. Car souvent hélas, à l'école on ne veut voir qu'une tête. Pas de singularité. Il faut se fondre dans la masse. Sans oublier la douleur du parcours du combattant, de psy en psy pour en trouver un bon, un qui écoute, vraiment, avec bienveillance.

C'est passionnant de se trouver face à ces personnes qui vous racontent leur souffrance tout en ayant l'air de penser qu'elles n'ont aucune raison de souffrir. Elle ne se sentent pas légitime et pourtant ont besoin d'aide pour avancer dans ce monde qui ne les comprend pas, qui se moque d'eux.

À travers les cas de Lætitia, Morgan, Charlotte, Virginie et Romain, on se rend compte à quel point il peut être difficile de vivre avec ce qui semblerait pourtant être une chance dans la vie : un haut potentiel intellectuel. La facilité d'apprendre, de comprendre, tout, beaucoup plus vite que tout le monde. D'aller plus loin, plus haut. Pourtant, il semble qu'il n'en est rien. Ça me fait penser à la fille très belle qui se plaint auprès d'une autre un peu trop banale que c'est horriblement dur d'être belle. Ça paraît absurde...
C'est que, il semble que ce haut potentiel intellectuel s'accompagne d'autres hauts potentiels. Genre, émotionnel, empathique, etc... et des Dys en tout genre, et que c'est assez ingérable.

À travers ce texte, on apprend réellement ce que veut dire HPI et j'ai trouvé ça passionnant. Ça remet un peu les choses à leur juste place, étant donné toutes les approximations qu'on entend trop souvent.

Les personnages en quête de réponses s'adressent tour à tour aux différents psy-chiatres-ou-chologues et au public et j'ai adoré l'idée.

Cette pièce est comme une lumière dans la nuit. Je l'ai trouvée extrêmement intelligente et rassurante, pour tous les bizarres du monde, surdoués ou pas, HPI ou juste TDA, voire TDAH, ceux qui ont l'impression de ne pas fonctionner comme tout le monde, ceux dont les autres se moquent, trop bêtes pour voir la lumière.

Ce livre, cette pièce, est un énorme coup de cœur, résolument d'utilité public.

À la fin, il y a un entretien avec 
Anne-Sophie Nédélec et, Ah Ah !!! Je m'en doutais. Elle connaît trop bien le sujet pour ne pas y être liée d'une manière ou d'une autre.

 

Citations :

Page 9 : Ça a été comme si le ciel se déchirait, comme si mes yeux s’ouvraient sur le monde. Il me semblait que je découvrais les gens… pour de vrai. Toutes leurs failles m’apparaissaient brusquement. Je voyais tout : les mensonges, les petites trahisons, les lâchetés. Comme si je lisais à travers eux. Je remarquais, non, je ressentais au plus profond de moi-même, que 70 % du temps, les gens disent une chose, mais en pensent une autre. Pas toujours consciemment la plupart du temps, c’est ça le pire ! Ils se mentent à eux-mêmes les trois quarts du temps. C’est horrible, non ? Et le plus terrible, c’est que je me suis mise à les imiter. Je joue une comédie sociale en permanence.

 

Page 56 : J’ai arrêté l’école. C’était trop pénible. J’étais toujours à côté de la plaque. Avec des résultats de merde malgré mon QI de compétition. (Elle rit amèrement.) Comme quoi, l’intelligence, c’est tout relatif. Et puis, j’avais pas d’amis.

 

 

 

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