Mon avis : De sang et d'encre – Rachel Kadish
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Quatrième de couverture :
2017, Londres. Professeur d'université proche de la retraite, Helen Watt est contactée par un ancien élève afin de venir étudier des documents en hébreu récemment découverts dans une maison du XVIIe siècle. Très vite, elle est intriguée par l'auteur de ces manuscrits, un certain « Aleph », dont elle va vouloir déterminer l'identité.
1660, Amsterdam. Ester Velasquez est une femme d'une intelligence et d'une culture exceptionnelles. Secrétaire bien-aimée d'un rabbin aveugle fuyant l'Inquisition espagnole, elle le suit à travers l'Europe et jusqu'à Londres, au moment où la ville est touchée par la peste.
Récit à la construction étourdissante, louvoyant entre les lieux et les époques, De sang et d'encre est aussi une brillante méditation sur la religion, la philosophie, et la place de la femme dans l'Histoire.
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Pourquoi j'ai voulu lire ce livre :
Léa touch Book a, comme souvent, proposé un partenariat avec une maison d'édition, ici Cherche midi.
La lecture du résumé m'a donné une furieuse envie de lire ce roman, il parle de tout ce que j'aime !
D'abord c'est un roman historique et j'adore ça.
Ensuite ça parle de religion, en l’occurrence le judaïsme ici, et bien que je sois une athée enragée, je trouve les religions passionnantes en cela qu'elles nous retracent l'histoire de l'humanité, avec tous ses excès et ses aberrations.
Et puis c'est une histoire de femmes, à travers le temps.
J'ai donc postulé en espérant être tirée au sort, et j'ai eu cette chance !
Mon avis :
Un grand merci à @LéaTouchBook et son Picabo River Book Club pour ce partenariat avec les Éditions Le cherche midi, qui m'a permis de recevoir ce livre.
La beauté et l'érudition de l'écriture m'ont enchantée dès les premières lignes.
Ça nous raconte une histoire du judaïsme, mais ça parle aussi de la liberté de pensée ou plutôt de l'absence de latitude dans ses opinions ainsi que de la place des femmes, partout, de tous temps, sans droits mais toujours coupables de tout.
XXIème siècle.
Helen Watt, femme vieillie avant l'heure qui donne l'impression d'être extrêmement âgée, presque grabataire à cause de la maladie, or proche de la retraite donc dans la soixantaine.
C'est un genre de Maître Yoda du judaïsme, la douceur et l'amabilité en moins, avec des connaissances immenses auxquelles elle a voué sa vie, et dotée d'un calme olympien.
Cette femme revêche et taciturne garde une blessure enfouie, un secret qui date.
Elle va s'attacher à traduire des textes trouvés dans une cache sous un escalier, vieux de trois cents ans, écrits en hébreu, aidée de Aaron Levy, doctorant empêtré dans sa thèse.
XVIIème siècle.
Constantina la rebelle, femme et juive, muselée par l'époque et la religion, qui veut croquer la vie et qui refuse de se taire, de se soumettre aux injonctions des rabbins qui selon elle étouffent tout droit au bonheur et toute joie de vivre.
Ester sa fille, qui au fond lui ressemble tellement, elle qui veut être scribe et étudier alors que les femmes n'ont pas le droit de lire et encore moins d'écrire, juste le droit de devenir de bonnes épouses.
J'ai ressenti tellement fort la détresse d'Ester face à l'impossibilité d'être décisionnaire dans le choix de sa propre vie : "Le corps d'une femme, dit le monde, est une prison où son esprit ne peut que s'étioler." (page 297)
L'histoire m'évoque des sensations à travers des faits.
Le déroulement se fait très lentement, de façon presque feutrée, comme si les sons eux-mêmes étaient étouffés.
On fait des allers-retours entre notre époque et le XVIIème siècle, avec la sensation qu'une passerelle invisible s'est établie entre ces deux périodes et les individus, comme si le passé rejoignait le présent pour ne jamais disparaître. Et puis il y a cette passion absolue de ceux qui cherchent à connaître le passé, qui n'est jamais figé dans le temps mais qui évolue au gré des découvertes, empli de questions sociétales, religieuses, philosophiques et existentielles.
L'histoire se déroule peu à peu au fil de la lecture, faite parfois de longues digressions dans les souvenirs des différents protagonistes.
Il y a des événements historiques racontés dans le livre que je n'ai pas trouvés, notamment les méthodes d'extermination des juifs à Babi Yar en 1941. Ce qui est raconté dans le livre ne correspond pas à ce que j'ai trouvé sur le net.
C'est long et lent mais pourtant passionnant et instructif.
J'ai appris beaucoup sur le judaïsme moi qui suis totalement profane, mais aussi sur les persécutions que les juifs subissent depuis la nuit des temps en différents endroits de l'Europe. C'est d'ailleurs pour moi un aspect qui reste obscur. Pourquoi les religions font-elles passer leurs idéologies avant le respect de l'être humain et de la vie ?.?. c'est le désir de pouvoir et son aboutissement, sans doute, qui corrompent tout.
Pour conclure, même si j'y ai trouvé quelques longueurs, c'était néanmoins passionnant, surtout dès la seconde partie où c'est devenu totalement captivant.
Mon intérêt est allé crescendo pour la destinée d'Ester à mesure que j'avançais dans sa vie, mais aussi pour ce que pouvaient découvrir Helen et Aaron au fil de leurs recherches.
Et puis c'est une belle histoire de femme qui se débat dans son époque. D'ailleurs mon cœur a vibré pour Ester, née trop tôt, beaucoup trop tôt.
C'est un roman foisonnant, une lecture exigeante, qui se mérite, très lente au début, presque trop, mais Rachel Kadish tisse une toile dans laquelle je me suis laissée envelopper jusqu'à la fin.
L'entretien avec Rachel Kadish, à la toute fin du livre, est passionnant car il retrace la genèse et l'éclosion de l'histoire ainsi que sa mise en place et les difficultés à surmonter.
J'ai absolument tout aimé dans ce roman.
Citations :
Page 18 : Se profilant dans la fraîche lumière de l'après-midi, la maison était si différente de ses voisines qu'elle paraissait s'être détournée du monde pour engager une conversation silencieuse avec elle-même.
Page 81 : Copiste, c'est pas une occupation pour quelqu'un comme moi, dit-il. Pour toi, oui, si tu étais née garçon.
Page 227 : Interdiction est faite aux juifs de Londres de fréquenter les maisons closes à la manière des hommes de la bonne société londonienne. Tout comme il est interdit à leurs épouses de paraître hors de leur domicile les membres dénudés ou de laisser des étrangers voir leurs cheveux, qu'elles garderont couverts au cours de leurs déplacements dans la ville.
Page 235 : Je comprends très bien ton désir de l'étude, mais tu dois réfléchir aux choix qui se présentent à toi. Je ne peux pas faire comme si Dieu t'avais créé homme, et par conséquent capable de vivre de son esprit et de son savoir.
Page 280 : Quand elle le lui donne, sa main abîmée par le ménage effleure celle de la domestique, et elle lève les yeux vers le visage terreux de la fille, qu'elle voit accablée de fatigue. Très vite, avant que la pitié l'envahisse, elle se détourne. Se sentir coupable de s'être ainsi libérée risquerait de l'anéantir. Elle a trouvé une planche de salut à laquelle s'accrocher, une chance, fût-elle mince d'avoir une vraie vie, et elle ne va pas faiblir maintenant à la vue d'une inconnue en danger, comme tant d'autres, de se noyer.
Page 297 : Le corps d'une femme, dit le monde, est une prison où son esprit ne peut que s'étioler.
Page 419 : N'oubliez pas que la persécution religieuse faisait rage partout. La torture aussi. Même les juifs qui choisissaient d'abjurer leur foi devant l'inquisition étaient anéantis – tout ce qu'ils se voyaient offrir en échange de leurs aveux, c'était le supplice censément moins douloureux du garrot, plutôt que le bûcher, encore que, après le garrot, leurs corps étaient jetés dans les flammes pour faire bonne mesure. La vie était semée de terreurs, les pires étant réservées aux athées.
Page 435 : Pourquoi est-ce un péché contre Dieu que de vouloir mourir, et une vertu que de choisir la mort pour défendre Sa parole ? La vie est-elle une monnaie d'échange, qui ne vaut que ce pour quoi on la sacrifie ?
Page 511 : « La mort prend tout son temps, tout son temps, puis s'abat d'un coup au moment où on la supplie de nous accorder encore une heure. »
Page 540 : Trois cent cinquante ans avaient passé depuis l'époque d'Ester, songea-t-il confusément, et les juifs de Londres veillaient toujours à ne pas se faire remarquer, la menace n'étant plus aujourd'hui ni le garrot ni le bûcher, mais les bombes, et l'enjeu non plus l'hérésie mais Israël.